Dossier : IMM-1389-19
Référence : 2019 CF 1327
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 24 octobre 2019
En présence de madame la juge Fuhrer
ENTRE :
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KALSANG NAMGYAL
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Introduction
[1]
La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Le 20 décembre 2018, un agent principal a refusé la demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] du demandeur, présentée en vertu du paragraphe 112(1) de la LIPR.
[2]
Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
II.
Contexte
[3]
Le demandeur, M. Namgyal, est un Tibétain né en Inde en 1973. Il est arrivé au Canada le 17 novembre 2015 et a présenté une demande d’asile à l’égard de la République populaire de Chine (Chine) au motif qu’il n’avait aucun statut permanent en Inde.
[4]
Le 12 août 2016, la SPR a rejeté la demande d’asile de M. Namgyal au motif que M. Namgyal n’avait pas pris de mesures directes pour se prévaloir de la citoyenneté indienne en application de la loi, à savoir la loi de 2003 sur la citoyenneté (version modifiée) de l’Inde (Citizenship [Amendment] Act, 2003), comme il était tenu de le faire conformément à l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Tretsetsang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 175 [Tretsetsang]. Dans sa décision, la SPR a constaté que M. Namgyal avait résidé en Inde toute sa vie, qu’il avait obtenu des diplômes de premier cycle et d’études supérieures en commerce et qu’il avait travaillé comme comptable de 1996 jusqu’à son départ pour le Canada. Dans le cadre de son emploi, il a notamment voyagé à l’étranger au début des années 2000. La SPR a également pris note du témoignage de M. Namgyal selon lequel il avait tenté d’obtenir un certificat de naissance d’un bureau municipal local, mais qu’il avait échoué parce qu’il n’avait pu remplir les formalités nécessaires pour établir sa naissance. Lorsqu’on lui a demandé s’il avait tenté d’utiliser son certificat d’identité, qui indique à la fois sa date et son lieu de naissance, comme preuve de naissance, il a répondu que non, car le certificat d’identité indiquait qu’il était un étranger. La demande subséquente d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la SPR présentée par M. Namgyal a été rejetée.
[5]
M. Namgyal a présenté sa demande d’ERAR le 17 avril 2018. Il a affirmé qu’il ne pouvait toujours pas obtenir de preuve de citoyenneté indienne parce qu’il n’avait pas de certificat de naissance indien, parce qu’il est né dans une tente et que ses parents n’ont pas enregistré sa naissance. Les seules pièces d’identité qui indiquent la date et le lieu de naissance de M. Namgyal sont : (i) le certificat d’enregistrement d’étranger (certificat d’enregistrement) et, comme il est indiqué précédemment, (ii) le certificat d’identité; cependant, la preuve établit que ces deux documents sont insuffisants pour demander directement un passeport indien. Il a expliqué en outre que, bien qu’il n’ait lui-même pris aucune mesure directe pour demander un passeport indien (qui est considéré comme une preuve de citoyenneté), il ne s’est jamais donné la peine de le faire parce que les fonctionnaires indiens avaient auparavant repoussé les tentatives de ses frères et sœurs d’obtenir des passeports indiens à l’aide d’autres documents, tels que des certificats scolaires, des certificats d’enregistrement et des certificats d’identité.
[6]
M. Namgyal a fourni de nouveaux éléments de preuve dans le cadre de cette demande d’ERAR, notamment : (i) des observations sur les obstacles auxquels se heurtent les Tibétains pour obtenir une preuve de citoyenneté indienne et qui expliquent qu’il risque d’être expulsé vers la Chine à l’expiration de son certificat d’enregistrement; (ii) un avis juridique d’un avocat en Inde, qui décrit la probabilité que M. Namgyal obtienne un passeport comme étant [traduction] « négligeable »
étant donné l’insuffisance de documents (l’avis indique expressément que le certificat d’enregistrement et le certificat d’identité ne sont pas des preuves de la nationalité indienne et ne facilitent pas le processus d’obtention d’un passeport ou la déclaration de citoyenneté indienne); (iii) un affidavit attestant sa récente participation politique au Tibetan Youth Congress et aux mouvements de libération du Tibet, y compris des manifestations publiques, des protestations et des veillées à la chandelle, et de son culte continu du Dalaï-Lama; (iv) une mise à jour de la situation des Tibétains vivant en Inde.
III.
Décision contestée relative à l’ERAR
[7]
L’agent principal a commencé par résumer l’historique procédural de M. Namgyal, dont la décision de la SPR, et a admis les nouveaux éléments de preuve de M. Namgyal.
[8]
Renvoyant au rapport de 2017 du Département d’État des États-Unis sur les rapports nationaux concernant les pratiques en matière de droits de l’homme en Inde (2017 Country Reports on Human Rights Practices – India), l’agent principal a conclu que M. Namgyal satisfaisait aux exigences juridiques relatives à la citoyenneté en vertu du paragraphe 3(1) de la Citizenship Act de l’Inde, car il était né en Inde entre le 26 janvier 1950 et le 1er juillet 1987. L’agent principal a cependant reconnu que le même document explique que certains Tibétains auraient eu des difficultés à obtenir la citoyenneté indienne malgré le respect des exigences juridiques.
[9]
L’agent principal a ensuite examiné le rapport de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) intitulé Information sur la décision rendue par la Haute Cour de Delhi (Delhi High Court) le 22 septembre 2016 concernant les droits des Tibétains à la citoyenneté et leur accès aux passeports, y compris sa mise en œuvre (août 2016-avril 2017), qui portait sur l’examen de cette décision par la CISR et constatait l’existence d’une nouvelle politique publiée en mars 2017 (la politique de mars 2017) ordonnant à [traduction] « tous les bureaux des passeports en Inde et à l’étranger de traiter les demandes de passeport en suspens présentées par des réfugiés tibétains nés en Inde entre le 26/01/1950 et le 01/07/1987 et de considérer ces demandeurs comme des citoyens indiens de naissance »
. L’agent principal a également examiné la décision de la SPR, soulignant qu’elle s’appuyait sur l’arrêt Tretsetsang, précité, et l’allégation de M. Namgyal selon laquelle il n’avait pas les documents requis et la conclusion de la SPR voulant qu’il n’ait pris aucune mesure directe pour obtenir la citoyenneté indienne.
[10]
L’agent principal a constaté que même deux ans plus tard, M. Namgyal a fourni [traduction] « peu de renseignements ou de preuves indiquant [qu’il] a tenté de demander un certificat de naissance ou un passeport indien [ou tout autre document pouvant servir à obtenir ces documents], bien qu’il réside dans une ville au Canada où se trouve un consulat général de l’Inde »
. L’agent principal a également souligné l’absence de preuve selon laquelle M. Namgyal n’aurait pas été en mesure d’obtenir un passeport indien ou la citoyenneté indienne par suite de la décision de la Haute Cour en 2016.
[11]
L’agent principal a examiné le certificat d’enregistrement expiré de M. Namgyal, et a renvoyé au rapport du Tibet Justice Center intitulé Tibet’s Stateless Nationals III : The Status of Tibetan Refugees in India. Cette source laissait entendre que M. Namgyal ne pourrait pas mettre à jour son certificat d’enregistrement à l’étranger et qu’il pouvait, par conséquent, faire l’objet [traduction] « d’une arrestation, d’amendes, d’une peine d’emprisonnement et d’une expulsion réelle ou imminente »
. L’agent principal a néanmoins estimé que la situation de M. Namgyal était différente, car [traduction] « un grand nombre de cas semblent concerner des jeunes qui sont probablement nés après 1987 »
. L’agent principal a renvoyé à une affaire qu’il jugeait similaire, soulignant qu’une femme plus âgée avait été libérée sous caution plutôt qu’expulsée après avoir été arrêtée pour non-renouvellement de son certificat d’enregistrement, en raison de la décision de la Haute Cour en 2016.
[12]
L’agent principal a conclu : [traduction] « [...] j’estime qu’il existe un large éventail de résultats différents pour les personnes qui ne renouvellent pas leur certificat d’enregistrement et qui ne mènent pas nécessairement à une expulsion réelle. Par conséquent, je trouve conjectural de conclure que le demandeur serait expulsé vers la Chine parce qu’il n’a pas renouvelé son certificat d’enregistrement. De plus, je conclus que le demandeur est citoyen de l’Inde […] [et qu’il] n’a pas réussi à démontrer qu’il a fait des efforts raisonnables pour obtenir la citoyenneté indienne et un passeport indien. »
Compte tenu de cette conclusion et du fait que M. Namgyal n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’il serait expulsé vers la Chine ou qu’il courrait un risque au sens des articles 96 et 97 de la LIPR s’il retournait en Inde, l’agent principal a refusé la demande d’ERAR.
IV.
Questions en litige
[13]
La seule question en litige consiste à savoir si la décision de l’agent principal était raisonnable. Plus précisément, comme l’a clarifié l’avocat de M. Namgyal lors de l’audience devant la Cour, l’agent principal a-t-il omis de tenir compte de l’avis juridique obtenu par M. Namgyal sur la question de la citoyenneté indienne et, dans l’affirmative, a-t-il commis une erreur?
V.
Norme de contrôle
[14]
Les demandes d’ERAR sont des « demandes axées sur les faits qui impliquent la pondération des éléments de preuve et l’expertise d’un agent dans l’évaluation des risques »
, et peuvent donc être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable : Yang c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 496, par. 14, citant Mohamed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 619, par. 12, Korkmaz c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 1124, par. 9, Adetunji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 708, par. 22, et Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1385, par. 10.
[15]
En vertu de la norme de la décision raisonnable, la Cour doit « déférer à toute interprétation raisonnable du décideur administratif, même lorsque d’autres interprétations raisonnables sont possibles »
tant que la décision fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »
: McLean c Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, par. 40; Canada (Procureur général) c Heffel Gallery Limited, 2019 CAF 82, par. 48; Delios c Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, par. 27‑28; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], par. 47. La Cour doit d’abord chercher à compléter la décision d’un décideur avant de tenter de la contrecarrer. Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses], par. 12. Si les motifs du décideur, lorsqu’ils sont lus dans le contexte de la preuve, permettent à la Cour de comprendre pourquoi le décideur a pris sa décision, la décision sera justifiable, transparente et intelligible : arrêt Newfoundland Nurses, précité, par. 16 à 18.
VI.
Dispositions pertinentes
[16]
Toute personne au Canada qui est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou qui est nommée dans un certificat visé au paragraphe 77(1) de la LIPR peut demander la protection au ministre. Cette demande est appelée un « examen des risques avant renvoi »
ou « ERAR »
: LIPR, paragraphe 112(1).
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[17]
Une décision favorable prise dans le cadre d’un ERAR a pour effet de conférer l’asile au demandeur : LIPR, paragraphe 114(1).
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[18]
Le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve nouveaux dans le cadre d’un ERAR : LIPR, alinéa 113a).
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[19]
L’agent principal doit évaluer les risques en fonction des articles 96 à 98 de la LIPR : LIPR, alinéa 113c).
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[20]
Avant de se réclamer de la protection d’un autre pays, l’intéressé doit demander la protection du ou des pays dont il a la nationalité : LIPR, alinéa 96a).
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[21]
Une personne à protéger est une personne qui, par son renvoi, serait personnellement exposée à une menace à sa vie ou au risque de torture ou de traitements et peines cruels et inusités : LIPR article 97.
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VII.
Analyse
[22]
Dans l’arrêt Williams, la Cour d’appel fédérale a statué qu’un demandeur d’asile se verra refuser l’asile au Canada lorsqu’il a le droit, par de simples formalités, d’acquérir la citoyenneté ou s’il est en son pouvoir d’obtenir la citoyenneté d’un pays où il n’est pas exposé à un danger : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Williams, 2005 CAF 126 [Williams], par. 19 à 23. La Cour a également statué que lorsque la citoyenneté d’un autre pays peut être réclamée, on s’attend à ce que le demandeur entreprenne des démarches en ce sens : arrêt Williams, précité, par. 27.
[23]
Dans l’arrêt Tretsetsang, la Cour d’appel fédérale a réaffirmé que le critère servant à déterminer si un demandeur d’asile a une nationalité est celui du contrôle énoncé dans l’arrêt Williams : Tretsetsang, précité, par. 67. Si un demandeur d’asile affirme qu’il lui est impossible d’obtenir la protection de l’État dont il est citoyen, mais ne prend aucune mesure pour déterminer si ce pays le reconnaîtrait comme tel, son inaction, en l’absence de motifs raisonnables, porterait un coup fatal à sa demande d’asile. Il appartient au demandeur d’établir qu’il ne peut se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité; tout obstacle à l’exercice du droit à la protection de l’État qui est accordé aux citoyens doit être important : arrêt Tretsetsang, précité, par. 70-71.
[24]
Comme l’a déclaré la majorité dans l’arrêt Tretsetsang, précité, par. 72-73 :
[72] Par conséquent, le demandeur qui invoque un obstacle à l’exercice de son droit à la citoyenneté dans un pays donné doit établir selon la prépondérance des probabilités :
a) qu’il existe un obstacle important dont on pourrait raisonnablement croire qu’il l’empêche d’exercer son droit à la protection de l’État que lui confère la citoyenneté dans le pays dont il a la nationalité;
b) qu’il a fait des efforts raisonnables pour surmonter l’obstacle, mais que ces efforts ont été vains et qu’il n’a pu obtenir la protection de l’État.
[73] Ce qui constitue des efforts raisonnables pour surmonter un obstacle important (établi par le demandeur) dans une situation donnée ne peut être déterminé qu’au cas par cas. Le demandeur ne sera pas tenu de faire des efforts pour surmonter ces obstacles s’il démontre qu’il serait déraisonnable d’exiger pareils efforts.
[25]
Gardant à l’esprit le critère applicable, la Cour doit s’abstenir d’examiner à la loupe les motifs donnés par le décideur administratif; il ne faut pas non plus obliger le décideur à faire référence à chaque élément de preuve dont il est saisi et qui est contraire à sa conclusion de fait et à expliquer ce qu’il en a fait. Toutefois, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs est importante, plus la Cour sera disposée à inférer de ce silence que le décideur a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte de la preuve : Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (CF) [Cepeda-Gutierrez], par. 17, citant Bains c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 FTR 312 (CF 1re inst) [Bains].
[26]
M. Namgyal soutient que l’agent principal n’a pas tenu compte des obstacles qui l’empêchaient d’obtenir la citoyenneté indienne et des éléments de preuve pertinents quant à ses efforts pour obtenir les documents voulus. Il explique qu’au moment où il a quitté l’Inde, un certificat de naissance était une condition préalable pour obtenir un passeport indien. Il explique en outre qu’il avait déjà discuté avec ses frères et sœurs de la possibilité de s’adresser aux tribunaux pour obtenir un passeport, mais qu’ils ont finalement décidé de ne pas le faire. M. Namgyal affirme que sans ce passeport, il risque d’être expulsé vers le Tibet.
[27]
M. Namgyal admet toutefois qu’étant donné que les lois sur la citoyenneté indienne ont changé, cela pourrait ne plus être le cas. Il a donc contacté un éminent avocat spécialisé en droit à la citoyenneté indienne pour les Tibétains nés en Inde afin d’obtenir un avis sur sa probabilité d’obtenir la citoyenneté indienne sur présentation des documents qu’il avait en sa possession, avis sur lequel il s’est appuyé devant l’agent principal. Il allègue que l’agent principal n’a pas tenu compte de cet avis juridique et a donc commis une erreur susceptible de révision : décision Cepeda‑Gutierrez, précitée; décision Bains, précitée; Khakh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1030, par. 4.
[28]
Dans ses observations orales, l’avocat de M. Namgyal a fait référence à la décision récente de la Cour Yalotsang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 563, et a affirmé que cette décision est directement pertinente.
[29]
Le ministre soutient que l’agent principal n’a pas omis de tenir compte de la preuve, notamment de l’avis juridique, et que la Cour doit faire preuve d’une grande retenue à l’égard des conclusions de fait de l’agent principal : Herrera Andrade c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1490, par. 11; arrêt Newfoundland Nurses, précité. De l’avis du ministre, l’agent principal a agi raisonnablement (i) en se fondant sur les faits établis devant la SPR, (ii) en concluant que M. Namgyal n’avait pris aucune autre mesure pour obtenir la citoyenneté et (iii) en interprétant les documents sur la situation en Inde, notamment les lois sur la citoyenneté.
[30]
En ce qui concerne l’avis juridique, la décision relative à l’ERAR énonce ce qui suit : [traduction] « Je constate que le demandeur a présenté un avis juridique d’un avocat en Inde, qui décrit la probabilité qu’il obtienne un passeport indien comme étant “négligeable” étant donné qu’il ne possède aucun des documents requis. »
La décision relative à l’ERAR mentionne également ce qui suit : [traduction] « Au moment d’écrire ces lignes, soit plus de deux ans après la décision de la SPR, mis à part avoir obtenu un autre avis juridique, le demandeur n’a pas, à mon avis, fait des efforts raisonnables pour surmonter l’obstacle à l’acquisition de la citoyenneté indienne. »
[31]
Dans sa décision, la SPR traite de l’avis juridique antérieur qui décrit la tentative de M. Namgyal en 2015 d’obtenir un certificat de naissance de l’autorité municipale locale où il vivait à l’époque. Cet avis indique que sans le certificat de naissance, la demande de citoyenneté de M. Namagyal ne serait pas examinée. La SPR a relevé plusieurs lacunes dans l’avis juridique, notamment l’absence de référence aux lois, à la jurisprudence, comme les décisions pertinentes de la Haute Cour, ou à d’autres circonstances appuyant diverses affirmations. En outre, la lettre n’indiquait pas clairement si d’autres documents, notamment des documents délivrés par le gouvernement confirmant sa date et son lieu de naissance, seraient acceptés. Par conséquent, la SPR a accordé peu de poids à cet avis.
[32]
L’avis juridique présenté dans le cadre de la demande d’ERAR (avis juridique de 2018) comble certaines des lacunes relevées par la SPR dans l’avis juridique antérieur. Par exemple, on y trouve un résumé du contexte législatif applicable à la citoyenneté indienne, suivi d’une conclusion selon laquelle il faut présenter une demande de passeport indien pour confirmer la citoyenneté de la personne acquise à la naissance. Une preuve de naissance et une preuve d’adresse sont requises dans le cadre du processus de demande. L’avis juridique de 2018 fournit également une liste de neuf types de documents acceptables pour établir une preuve de naissance, dont un seul est un certificat de naissance, et une liste de 12 types de documents acceptables pour établir une preuve d’adresse. L’avis juridique de 2018 décrit ensuite les difficultés que certaines personnes d’origine tibétaine rencontrent pour obtenir l’un de ces documents, sans indiquer si les circonstances mentionnées s’appliquent spécifiquement à M. Namgyal.
[33]
L’avis juridique de 2018 passe également en revue la jurisprudence applicable, comblant ainsi une autre lacune relevée par la SPR relativement à l’avis juridique antérieur. Il n’est toutefois pas précisé si, dans l’une ou l’autre des affaires mentionnées, les circonstances sont les mêmes ou très similaires à la situation de M. Namgyal. En outre, bien qu’il évoque la politique de mars 2017, l’avis juridique de 2018 se contente d’examiner si celle-ci est suivie par les autorités gouvernementales en Inde. Il n’aborde pas la question de savoir si la politique de mars 2017 est suivie à l’étranger.
[34]
L’avis juridique de 2018 indique que les problèmes que rencontrent les personnes d’origine tibétaine déclarées citoyennes indiennes quant à la délivrance d’un passeport indien ne sont toujours pas résolus, bien que les possibilités se soient améliorées. En ce qui concerne M. Namgyal en particulier, l’avis juridique de 2018 indique qu’il ne possède que le certificat d’identité et le certificat d’enregistrement, lesquels ne lui confèrent ni la nationalité indienne ni l’aide nécessaire pour obtenir un passeport ou être reconnu comme citoyen indien. Comme il ne possède aucune des 9 preuves de naissance ou des 12 preuves d’adresse acceptables, la probabilité que M. Namgyal obtienne un passeport est négligeable.
[35]
Ce qui n’est pas abordé dans l’avis juridique de 2018, ou dans toute autre preuve, c’est la question de savoir si le certificat d’identité et le certificat d’enregistrement peuvent être utilisés pour obtenir un certificat de naissance ou toute autre preuve de naissance acceptable requise pour obtenir un passeport indien. Dans son témoignage devant la SPR, M. Namgyal a affirmé ne pas avoir utilisé son certificat d’identité lorsqu’il a tenté d’obtenir un certificat de naissance d’un bureau municipal local.
[36]
Après avoir pris note de l’avis juridique de 2018 et d’autres éléments de preuve présentés dans le cadre de la demande d’ERAR de M. Namgyal, l’agent examine dans la décision relative à l’ERAR, comme il est indiqué précédemment, le document 2017 Country Reports on Human Rights Practices – India, le document Information sur la décision rendue par la Haute Cour de Delhi (Delhi High Court) le 22 septembre 2016 concernant les droits des Tibétains à la citoyenneté et leur accès aux passeports, y compris sa mise en œuvre (août 2016-avril 2017), ainsi que la politique de mars 2017. L’agent principal constate que la SPR s’est fondée sur le critère à deux volets énoncé dans l’arrêt Tretsetsang, précité, par. 72, concernant l’allégation de l’existence d’un obstacle à l’exercice des droits de citoyenneté pour conclure que M. Namgyal n’avait pris aucune mesure directe pour se réclamer de la citoyenneté indienne.
[37]
L’agent principal a fait remarquer qu’il disposait de peu ou pas de preuves du fait que M. Namgyal : (i) a tenté de demander un certificat de naissance ou un passeport indien alors qu’il résidait dans une ville du Canada où se trouve un consulat général de l’Inde; (ii) a demandé ou obtenu les [traduction] « autres documents requis »
afin d’obtenir un passeport ou la citoyenneté en Inde; (iii) n’a toujours pas réussi à obtenir un passeport ou la citoyenneté indienne à la suite du jugement rendu en septembre 2016 par la Haute Cour. Pour respecter le principe voulant qu’il faille compléter la décision prise dans le cadre de l’ERAR avant de l’infirmer, je suis disposée à conclure que la mention des [traduction] « autres documents requis »
était une allusion aux preuves de naissance et aux preuves d’adresse acceptables décrites dans l’avis juridique de 2018.
[38]
Je conclus donc que, même si l’agent principal aurait pu être plus explicite dans son examen de l’avis juridique de 2018, il ne s’agit pas d’un cas où la décision relative à l’ERAR a été muette à ce sujet. Je trouve en outre que l’affaire Yalotsang est différente de celle qui nous occupe. Par exemple, au paragraphe 13 de la décision Yalotsang, la Cour écrit : « Plutôt que d’évaluer si les autorités indiennes reconnaîtraient la citoyenneté indienne de Mme Yalotsang, la Commission a entrepris d’examiner le caractère suffisant de ses efforts pour obtenir un passeport indien. »
Or, en l’espèce, l’agent principal a entrepris une analyse de ce que la SPR a décrit comme une [traduction] « tendance [...] à la reconnaissance de la citoyenneté pour les Tibétains nés entre 1950 et 1987 »
, y compris l’évolution de la situation depuis la décision de la SPR.
[39]
En outre, dans la décision Yalotsang, la Cour déclare au paragraphe 18 ce qui suit : « [...] on ne trouve pas la moindre allusion à l’avis juridique dans la décision de la Commission mis à part une mention obscure des “affidavits” présentés par Mme Yalotsang ».
Ce n’est clairement pas le cas dans l’affaire qui nous occupe.
[40]
Enfin, je constate que l’agent principal était sensible à la question de l’éventuel risque auquel M. Namgyal est exposé en raison de son certificat d’enregistrement expiré. Renvoyant au rapport du Tibet Justice Center intitulé Tibet’s Stateless Nationals III : The Status of Tibetan Refugees in India, l’agent principal fait remarquer que la plupart des exemples cités dans le rapport concernant des personnes arrêtées, condamnées à des amendes, emprisonnées ou menacées d’expulsion pour défaut de production d’un certificat d’enregistrement valide et à jour, n’étaient pas similaires à la situation de M. Namgyal. Un grand nombre de ces cas concernaient des personnes nées après 1987. Dans un cas où une personne née avant 1987 a été arrêtée, elle a par la suite été libérée sous caution sur la base de la décision Namgyal Dolkar (décision qui est également mentionnée dans l’avis juridique de 2018) et n’a pas été expulsée. Par conséquent, l’agent principal a conclu qu’il existe un large éventail de résultats différents pour les personnes qui ne renouvellent pas leur certificat d’enregistrement et qui ne mènent pas nécessairement à l’expulsion. L’agent principal a donc raisonnablement conclu que la question de savoir si M. Namgyal serait expulsé vers la Chine pour non-renouvellement de son certificat d’enregistrement était hypothétique.
[41]
Je conclus que l’agent principal n’a pas omis de tenir compte de l’avis juridique de 2018. La décision prise à l’égard de l’ERAR est raisonnable en ce sens qu’elle est justifiable, transparente et intelligible et qu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[42]
Aucune des parties n’a proposé de question grave de portée générale aux fins de certification.
JUGEMENT dans le dossier IMM-1389-19
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Janet M. Fuhrer »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 21e jour de novembre 2019
Sandra de Azevedo, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-1389-19
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INTITULÉ :
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KALSANG NAMGYAL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
|
Le 17 octobre 2019
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LA JUGE FUHRER
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 24 OCTOBRE 2019
|
COMPARUTIONS :
Jack C. Martin
|
Pour le demandeur
|
Hillary Adams
|
Pour le défendeur
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Jack C. Martin
Avocat
Toronto (Ontario)
|
Pour le demandeur
|
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
|
Pour le défendeur
|