Date : 20190917
Dossier : IMM-6291-18
Référence : 2019 CF 1174
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 17 septembre 2019
En présence de madame la juge McDonald
Entre :
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TIBOR LAKATOS
ERZSEBET ALMASSY
ADAM PALFI
MARTON PALFI
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demandeurs
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et
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Le ministre de la citoyenneté
Et de l’immigration
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défendeur
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Jugement et motifs
[1]
Les demandeurs, Tibor Lakatos, son épouse, Erzsebet Almassy, et les deux fils de celle‑ci, Adam Palfi et Marton Palfi, sont des citoyens hongrois qui demandent l’asile sur le fondement des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Le principal motif sur lequel repose leur demande d’asile est le risque auquel l’ex‑époux de Mme Almassy, Zoltan Palfi, les aurait exposés. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté leur demande.
[2]
Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie parce que la SPR n’a pas évalué la demande d’octroi du statut de réfugié sur place.
Décision faisant l’objet du contrôle
[3]
Dans sa décision datée du 5 juin 2018, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Selon la SPR, la crédibilité de Mme Almassy était déterminante, et elle a jugé que celle‑ci n’était pas un témoin crédible. Comme les demandes d’asile de M. Lakatos et des enfants étaient subordonnées à celle de Mme Almassy, leurs demandes ont toutes été rejetées. La demande d’asile de Mme Almassy reposait sur l’allégation selon laquelle son ex‑époux avait commis des actes d’abus sexuel sur ses fils. Elle a expliqué lors de son témoignage qu’aussitôt informée de ce fait, elle a confronté son ex‑mari, l’a dénoncé à la police et a déménagé avec ses fils chez ses parents.
[4]
La SPR a ajouté foi au témoignage de Mme Almassy selon lequel elle avait quitté son mari en 2007 et a estimé qu’il s’était probablement passé quelque chose dans la relation du couple qui avait motivé Mme Almassy à demander le divorce. Toutefois, les éléments de preuve documentaire et testimoniale étayant l’allégation d’abus sexuel commis sur les demandeurs d’asile mineurs n’ont pas été suffisants pour convaincre la SPR.
[5]
Un diagnostic de trouble mental a été établi à l’égard des deux garçons, et il leur a été recommandé de suivre une thérapie. Un diagnostic de trouble de stress post‑traumatique a été posé pour l’un d’eux.
[6]
Selon l’entente entérinée par le tribunal en vue du règlement des mesures accessoires du divorce, l’ex‑époux était tenu de verser des aliments au profit des enfants et il bénéficiait d’un droit d’accès, dont un droit de visite. La SPR a conclu que l’exposé circonstancié et le témoignage de Mme Almassy étaient contradictoires sur ce point. Dans son exposé circonstancié, elle a affirmé que son ex‑époux avait usé de son pouvoir et de son influence pour convaincre le juge de lui accorder un droit d’accès auprès des garçons, mais lorsqu’elle a rendu témoignage devant la SPR, elle a affirmé que les avocats avaient négocié les modalités de ce règlement.
[7]
Madame Almassy a affirmé qu’après le divorce, d’autres actes d’abus ont été commis pendant les vacances de ses fils avec leur père en Italie. La SPR a conclu que son témoignage au sujet de la dénonciation qui a suivi cet incident était incohérent et, par conséquent, peu fiable. La SPR a conclu que, même si la prétention des demandeurs était véridique, aucune preuve de l’absence de protection de l’État en Hongrie n’avait été présentée.
[8]
La SPR a conclu que les événements, tels qu’ils ont été relatés, ne s’étaient pas produits et que Mme Almassy s’était servie des circonstances propres à une instance de divorce pour justifier sa demande d’asile. La SPR n’a donc accordé aucune importance aux déclarations que Mme Almassy a fournies au soutien de sa demande d’asile, puisqu’elles n’avaient aucune valeur probante quant à l’appréciation de sa crédibilité.
[9]
Les demandeurs ont sollicité l’asile en qualité de réfugié au sens de la Convention du fait de leur appartenance à un groupe social, soit le groupe constitué d’adultes qui protègent des enfants mineurs contre un pédophile adulte. Se fondant sur la définition donnée dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 [Ward], la SPR a toutefois conclu que les demandeurs ne constituaient pas un groupe social.
[10]
Dans leur exposé circonstancié modifié, les demandeurs ont également réclamé la protection du Canada en qualité de réfugié en raison des menaces proférées par un Hongrois, du nom de Laszlo Fustos, qu’ils avaient rencontré alors qu’ils vivaient au Canada.
Question en litige
[11]
Même si, selon les demandeurs, la décision de la SPR présente plusieurs lacunes, la question déterminante est celle de savoir si la SPR a commis une erreur parce qu’elle n’a pas tenu compte de la demande d’octroi du statut de réfugié sur place.
Norme de contrôle
[12]
Le défaut de la SPR de tenir compte de la demande d’octroi du statut de réfugié sur place présentée par les demandeurs constitue une erreur de droit, laquelle est assujettie à la norme de la décision correcte (Mohajery c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 185, au par. 26; Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 50).
Analyse
Examen de la demande d’octroi du statut de réfugié sur place
[13]
« Un réfugié “sur place” est une personne qui n’était pas un réfugié lorsqu’elle a quitté son pays d’origine, mais qui craint d’être persécutée à son retour en raison de circonstances survenues dans le pays d’accueil »
(Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924, au par. 29). De telles circonstances peuvent découler d’actes accomplis par le demandeur d’asile lui‑même pendant qu’il se trouve à l’extérieur de son pays d’origine (Michal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1507, au par. 14).
[14]
Les demandeurs soutiennent que la SPR n’a pas tenu compte de l’élément de risque qu’ils ont soulevé en qualité de réfugié sur place dans leur exposé circonstancié modifié. Dans cet exposé, Mme Almassy a déclaré qu’elle et son époux avaient reçu des menaces de la part d’un Hongrois, du nom de Laszlo Fustos, qu’ils avaient rencontré alors qu’ils vivaient au Canada. Les demandeurs croient que M. Fustos est associé à une organisation criminelle en Hongrie, et ils affirment craindre, en raison de menaces qu’ils ont reçues, de retourner dans leur pays.
[15]
Ce risque découle du fait que les demandeurs ont aidé l’épouse de M. Fustos à le quitter, parce qu’elle alléguait avoir été victime d’abus. Monsieur Fustos a été mis en détention aux fins de l’immigration et a finalement été renvoyé en Hongrie. Après sa mise en détention, il aurait proféré des menaces à l’endroit des demandeurs. Madame Almassy a également été appelée à témoigner au sujet des actes de violence familiale dont elle avait été témoin. C’est à cette occasion qu’elle a appris que M. Fustos était lié à une organisation criminelle en Hongrie, ce qui lui a donné encore plus de raisons de craindre pour la sécurité des membres de sa famille s’ils devaient retourner dans ce pays.
[16]
La SPR ne renvoie pas expressément, dans ses motifs de décision, à la demande d’octroi du statut de réfugié sur place. La SPR ne semble faire allusion à cet élément de la demande d’asile qu’au paragraphe 40 : « Compte tenu de cette conclusion de manque de crédibilité concernant le témoignage de la demandeure d’asile, tel qu’il a été relevé précédemment, et le document qui serait l’autorisation de son ex‑époux, le tribunal n’est pas en mesure de poursuivre l’examen des autres allégations présentes dans la demande d’asile de la demandeure d’asile. »
Dans cet extrait, la SPR reconnaît qu’elle fait reposer son analyse uniquement sur la question de la crédibilité, et qu’elle ne tiendra pas compte de la demande d’octroi du statut de réfugié sur place.
[17]
L’examen du dossier certifié du tribunal permet à la Cour de constater que les demandeurs ont sollicité le statut de réfugié sur place. Certes, il ressort clairement de la décision de la SPR qu’elle n’a ajouté foi aux allégations sur lesquelles les demandeurs avaient fait reposer leur demande d’asile, mais elle avait néanmoins l’obligation d’évaluer leur demande d’octroi du statut de réfugié sur place, malgré les doutes qu’elle avait exprimés. D’ailleurs, elle y est tenue même dans le cas où les demandeurs ne sollicitent pas expressément le statut de réfugié sur place, ainsi que l’a fait remarquer le juge O’Keefe dans Hannoon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 448, au paragraphe 47 :
Il est de jurisprudence constante que, même si un demandeur ne présente pas explicitement une demande de réfugié sur place, sa demande doit néanmoins être examinée en tant que demande de réfugié sur place si le dossier laisse voir d’une manière perceptible que des activités susceptibles d’engendrer des conséquences négatives en cas de retour ont eu lieu au Canada [...] Si la demande de réfugié sur place est appuyée par une preuve digne de foi, cette analyse doit être faite, quand bien même le décideur jugerait‑il le demandeur non crédible […]
[18]
Comme je l’ai déjà fait observer, la demande d’octroi du statut de réfugié sur place a été présentée, en l’espèce, lors de l’audience devant la SPR. Cependant, la SPR n’a manifestement pas abordé cet élément de la demande d’asile dans sa décision. Cette omission constitue une erreur de droit.
[19]
Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour que celui‑ci rende une nouvelle décision.
Jugement dans le dossier IMM‑6291‑18
LA COUR accueille la présente demande de contrôle judiciaire et renvoie l’affaire afin qu’une nouvelle décision soit rendue. Il n’y a aucune question à certifier.
« Ann Marie McDonald »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 19e jour de novembre 2019
Julie Blain McIntosh, LL.B., t. a.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑6291‑18
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INTITULÉ :
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TIBOR LAKATOS ET AUTRES c LE MINISTRE de la citoyenneté et de l’immigration
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Lieu de l’audience :
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Toronto (Ontario)
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Date de l’audience :
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Le 14 août 2019
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Jugement et motifs :
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LA juge MCDONALD
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DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
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Le 17 septembre 2019
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COMPARUTIONS :
Joanna Berry
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Pour les demandeurs
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Stephen Jarvis
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Waldman & Associates
Avocats
Toronto (Ontario)
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Pour les demandeurs
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Procureur général du Canada
Ministère de la Justice
Toronto (Ontario)
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Pour le défendeur
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