Date : 20191104
Dossier : T‑972‑17
Référence : 2019 CF 1356
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
RECOURS COLLECTIF ‒ ENVISAGÉ
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ENTRE :
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DOUGLAS JOST
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demandeur
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et
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
défendeur
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ORDONNANCE ET MOTIFS
Le juge O’REILLY :
I.
Aperçu
[1]
Après avoir pris sa retraite des Forces armées canadiennes (les FAC) en 2015, Monsieur Douglas Jost a dû patienter plusieurs mois avant de recevoir sa pension. D’autres retraités des FAC, tant de la Force régulière que de la Réserve, ont également connu des retards.
[2]
M. Jost sollicite une ordonnance autorisant la présente instance comme recours collectif au nom des retraités des FAC. Il soutient que toutes les conditions juridiques requises pour obtenir une autorisation sont réunies : (i) il y a une cause d’action valable; (ii) il existe un groupe identifiable; (iii) l’affaire soulève des points de droit communs; (iv) l’autorisation est le meilleur moyen de procéder; (v) M. Jost est un représentant approprié pour le groupe (paragraphe 334.16(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106; voir l’annexe pour toutes les dispositions législatives citées).
[3]
Le procureur général du Canada (le PGC) s’oppose à l’autorisation du recours collectif, parce que M. Jost n’a pas satisfait aux cinq conditions préalables susmentionnées.
[4]
Les parties conviennent que l’unique question en litige consiste à établir s’il faut autoriser la présente instance comme recours collectif. J’aborde ci‑dessous chacune des cinq conditions requises.
[5]
Selon moi, M. Jost a satisfait aux exigences relatives à l’autorisation. Par conséquent, je vais accueillir la présente requête en sa faveur.
II.
Le contexte
[6]
Au printemps 2015, alors qu’il envisageait de prendre sa retraite des FAC, M. Jost a dû choisir entre une allocation annuelle, une pension différée ou une valeur de transfert (c.‑à‑d. un montant forfaitaire). Il a choisi la valeur de transfert et a été informé qu’elle s’élevait à 859 980,00 $.
[7]
La libération de M. Jost est entrée en vigueur le 1er juillet 2015. Quelques semaines plus tard, M. Jost a appris que sa valeur de transfert avait été réduite et qu’elle s’élevait maintenant à 726 904,96 $. En octobre 2015, il a été informé d’une autre réduction qui faisait passer sa valeur de transfert à 703 180,00 $. Initialement, il s’était fait dire qu’il commencerait à recevoir des prestations de retraite de 8 à 12 semaines après sa libération, mais le versement des prestations a seulement commencé le 20 janvier 2016, soit 29 semaines après sa libération.
III.
La première condition ‒ Existe‑t‑il une cause d’action valable?
[8]
Le PGC soutient qu’il est clair et évident que les causes d’action sur lesquelles s’appuie M. Jost n’ont aucune chance raisonnable de réussir. Je ne suis pas d’accord.
[9]
M. Jost plaide trois causes d’action : la négligence, le manquement à une obligation fiduciaire et la rupture de contrat. Pour l’instant, je dois présumer de la véracité des faits soutenant ces causes d’action.
[10]
Au moment de formuler une allégation de négligence, le demandeur doit établir l’existence d’une obligation de diligence, un manquement à la norme de diligence, un préjudice et le lien de causalité.
[11]
Le PGC ne conteste sérieusement que le premier critère, c’est‑à‑dire l’existence d’une obligation de diligence. Selon lui, lorsque le lien entre les parties résulte d’un régime législatif, il faut s’appuyer sur les dispositions de la loi en question (Haj Khalil c Canada, 2007 CF 923, au paragraphe 182). De plus, des considérations politiques peuvent nier l’existence d’une obligation de diligence. Selon le PGC, en l’espèce, le régime de pension des FAC est le produit d’une décision politique du gouvernement du Canada, et il est dans l’intérêt public que le montant de tout paiement effectué au titre du régime soit exact. Par conséquent, il faut prendre des mesures pour garantir l’exactitude, et ce, même si de telles mesures prennent du temps.
[12]
En outre, le PGC fait remarquer que, en l’espèce, la loi créant le régime prévoit ses propres redressements. Plus particulièrement, le ministre peut prendre des mesures correctives lorsqu’une personne n’a pas pu effectuer un choix de pension en raison d’un avis erroné ou d’une erreur administrative. De plus, les personnes insatisfaites d’une décision touchant leurs prestations peuvent demander une révision (Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes, LRC 1985, c C‑17, articles 92 et 93).
[13]
Je ne souscris pas aux observations du PGC. Le fait que le régime de retraite découle d’une décision politique ne libère pas automatiquement le gouvernement du Canada de toute obligation de diligence à l’égard des adhérents au régime. En outre, les recours prévus par la loi mentionnés par le PGC ne remplacent pas une réclamation pour négligence. M. Jost a plaidé chacun des éléments requis pour une action fondée sur la négligence, et le PGC n’a pas montré de façon claire et évidente l’impossibilité de prouver de tels éléments. En fait, le PGC fait valoir que, au bout du compte, la réclamation pour négligence échouera, ce qui, à cette étape‑ci, ne constitue pas un motif suffisant pour conclure qu’il n’y a pas de cause d’action raisonnablement valable.
[14]
M. Jost allègue également l’existence d’un manquement à une obligation fiduciaire à l’égard des membres du groupe proposé, en raison de l’engagement du Canada d’agir dans l’intérêt supérieur des membres du groupe. Le PGC fait valoir que l’existence d’une obligation fiduciaire n’a pas été prouvée et que la réclamation liée à une telle obligation échouera inévitablement. Encore une fois, M. Jost a plaidé la présence des éléments essentiels d’une réclamation fondée sur le manquement à une obligation fiduciaire, et il serait inapproprié, dans le cadre de la présente requête, de trancher quant à la probabilité que de tels éléments puissent ou non être prouvés.
[15]
Dans un même ordre d’idées, le PGC fait valoir que M. Jost ne peut pas prouver une rupture quelconque de contrat comme il l’a plaidé dans sa déclaration. Encore une fois, il s’agit d’une question de preuve, et, à ce moment‑ci, il n’est pas clair et évident qu’une telle réclamation n’est pas raisonnablement fondée.
[16]
Par conséquent, je suis convaincu qu’il existe une cause d’action valable.
IV.
La deuxième condition ‒ Existe‑t‑il un groupe identifiable?
[17]
M. Jost soutient qu’il faut reconnaître les personnes suivantes comme membres du groupe proposé :
[traduction]
Tous les membres des Forces canadiennes, participants du Régime de pension de la Force de réserve et du Régime de pension de la Force régulière des Forces canadiennes, qui avaient droit, au moment de leur libération, à une pension immédiate, à une valeur de transfert, à une allocation annuelle ou à une prestation de raccordement entre le 1er mars 2007 et aujourd’hui.
[18]
M. Jost fait valoir que les membres du groupe en question sont facilement identifiables grâce aux dossiers du gouvernement.
[19]
Le PGC fait valoir que les membres de la Force régulière devraient être exclus du groupe proposé. En outre, il prétend que le groupe devrait seulement inclure les personnes dont les prestations de retraite ont été calculées et qui ont signé leur formulaire d’option dans les six ans à compter de l’introduction de l’action (citant le délai de prescription prévu dans la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, paragraphe 39(2)).
[20]
Je conviens avec le PGC qu’il faut limiter le groupe aux membres de la Réserve. Je ne dispose d’aucun élément de preuve faisant état de problèmes rencontrés par les membres de la Force régulière des FAC. Cependant, je ne vois aucune autre raison de limiter les membres du groupe. Si le groupe compte des membres dont les réclamations dépassent le délai de prescription établi, les réclamations en question pourront être traitées en conséquence.
V.
La troisième condition ‒ Existe‑t‑il des points de droit ou de fait communs?
[21]
Le PGC soutient que M. Jost n’a pas fourni de fondement juridique de l’existence de points de droit communs, comme la négligence, le manquement à une obligation fiduciaire et la rupture de contrat. J’ai déjà conclu que de tels points constituaient des causes d’action valables.
[22]
De plus, j’estime que ces points sont communs aux membres du groupe proposé, ce qui ne signifie pas que les évaluations individuelles ne seront pas nécessaires ‒ elles le seront probablement ‒, mais le fondement juridique et factuel des réclamations sera commun aux membres du groupe.
[23]
En outre, des questions comme la responsabilité du Canada à l’égard des dommages et intérêts relativement aux paiements en retard représentent également des points de fait et de droit communs, même s’il faudra peut‑être calculer individuellement le redressement à accorder aux différents membres du groupe.
[24]
Par conséquent, je suis convaincu que cette condition a été remplie.
VI.
La quatrième condition ‒ Un recours collectif est‑il le meilleur moyen de procéder?
[25]
Le PGC soutient que de nombreuses questions exigent une appréciation individuelle quant à la responsabilité de l’État. Selon lui, il serait préférable de trancher de telles réclamations au cas par cas plutôt que dans le cadre d’un recours collectif, ajoutant que les questions sont trop complexes et difficiles pour être tranchées ensemble.
[26]
Je ne souscris pas aux observations du PGC. Il faudra composer avec les aspects complexes de la loi et des faits, et ce, que l’affaire fasse l’objet d’un recours collectif ou qu’il y ait une multitude de réclamations individuelles. Le PGC n’a trouvé aucune solution de rechange plus efficace ou à même d’offrir un redressement équivalent.
VII.
La cinquième condition ‒ M. Jost est‑il un représentant approprié du groupe?
[27]
Le PGC fait valoir que M. Jost n’est pas un représentant approprié, parce qu’il a reçu ses prestations en temps opportun.
[28]
Je ne suis pas d’accord. M. Jost a allégué un retard important dans le cadre du versement de ses prestations de retraite. De plus, il a prouvé son intention de poursuivre vigoureusement la présente action par l’intermédiaire d’un avocat compétent, qui agira en son nom et dans l’intérêt d’autres personnes qui se trouvent dans une situation similaire.
VIII.
Conclusion et dispositif
[29]
Je conclus que M. Jost a satisfait aux exigences juridiques associées à l’autorisation d’un recours collectif au nom des membres de la Force de réserve. Par conséquent, je vais accepter la présente requête en autorisation.
ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T‑972‑17
LA COUR ORDONNE que la requête en autorisation soit accueillie pour le groupe suivant :
Tous les membres de la Force de réserve du Canada, participants du Régime de pension de la Force de réserve, qui avaient droit, au moment de leur libération, à une pension immédiate, à une valeur de transfert, à une allocation annuelle ou à une prestation de raccordement entre le 1er mars 2007 et aujourd’hui.
« James W. O’Reilly »
Juge
OTTAWA (ONTARIO)
Le 4 novembre 2019
Traduction certifiée conforme
Ce 8e jour de novembre 2019
Christian Laroche, traducteur
Annexe
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T‑972‑17
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INTITULÉ :
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DOUGLAS JOST c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TORONTO (ONTARIO)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 18 JUIN 2019
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ORDONNANCE ET MOTIFS :
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LE JUGE O’REILLY
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DATE DE L’ORDONNANCE
ET DES MOTIFS :
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LE 4 NOVEMBRE 2019
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COMPARUTIONS :
Celeste Poltak
Adam Tanel
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POUR LE DEMANDEUR
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Jocelyn Espejo‑Clarke
Jacob Pollice
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Koskie Minsky LLP
Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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