Date : 20021122
Dossier : IMM-4001-01
Référence neutre : 2002 CFPI 1206
Ottawa (Ontario), le 22 novembre 2002
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD
ENTRE :
HORVATH ZSUZSANNA, VARADI ATTILA, VARADI AKOS
demandeurs
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
Dossier : IMM-4002-01
ET ENTRE
VARADI ATTILA
demandeur
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
Les faits :
- 1. La Cour est saisie de deux demandes de contrôle judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Section du statut), datée du 18 juillet 2001, dans laquelle il a été décidé que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.
- 2. Les demandeurs, Attila Varadi, Zsuzsanna Horvath, Attila Varadi (Jr) et Akos Varadu sont des citoyens de la Hongrie. Ils sont arrivés au Canada le 23 octobre 1999 et ont revendiqué le statut de réfugié en prétendant craindre avec raison d'être persécutés du fait de leur origine ethnique, à savoir qu'ils étaient des Rom. Leur audience devant la Section du statut s'est tenue le 6 décembre 2000 et le 1er mai 2000. Zsuzsanna Horvath (la demanderesse) a été désignée pour représenter les intérêts des revendicateurs mineurs, Attila Varadi (Jr) et Akos Varadu.
- 5. Selon le FRP du demandeur principal, un incident similaire est survenu environ deux ans plus tard. Lorsqu'il a été signalé aux policiers, ils se sont rendus sur place et inspecté les lieux, pris des notes et dit qu'ils s'occuperaient des assaillants inconnus, mais ils ne les ont jamais trouvés.
- 6. Le récit que contient le FRP du demandeur principal mentionne également les deux incidents suivants qui sont survenus en octobre 1995 et à l'automne 1996. En 1995, quatre agents de police sont allés chez les demandeurs tôt le matin, ils ont arrêté le demandeur principal et ils l'ont emmené au poste de police. Lorsque sa femme s'est présentée au poste de police, on lui a dit que le demandeur principal n'était pas là et elle a été poussée en bas des escaliers par un agent. Elle était alors enceinte de sept mois. À l'automne 1996, le demandeur principal retournait à la maison avec sa femme après le travail lorsqu'il a été arrêté et sorti de force de sa voiture, menotté et emmené au poste de police où on l'a accusé d'avoir volé une voiture. Il a été mis sous les verrous, interrogé et battu. Il a été détenu jusqu'à trois heures du matin, moment où la police a conclu qu'il n'avait pas volé la voiture.
- 8. Les demandeurs allèguent aussi qu'entre 1996 et 1998, ils ont été continuellement victimes de harcèlement de la part des gardes de sécurité qui gardaient un village de cabanes avoisinant. Lorsque les demandeurs étaient dans le secteur, ces gardes de sécurité lâchaient leurs chiens contre eux. Au printemps 1998, la belle-mère du demandeur a été mordue par l'un de ces chiens.
- 9. Après cet incident, les demandeurs sont déménagés de Bohomye à Lengyeltoti. Rendus là, ils ont continué à avoir une vie difficile. L'aîné, Attila Varadi, s'est fait humilier et a été battu à l'école et il était effrayé d'aller à l'école et d'en revenir seul. Lorsque des plaintes ont été déposées, la seule suggestion de la part des autorités scolaires a été de placer les enfants dans une autre école. Le demandeur déclare que la seule autre école dans le secteur était une école pour les enfants ayant une déficience intellectuelle. En 1999, lorsque le fils a été accusé de vol, les demandeurs l'ont retiré de l'école.
La décision de la Commission
(1) Les demandeurs ont subi la discrimination dans leur vie en Hongrie, mais pas la persécution. De l'avis de la Section du statut, ce qu'ils ont subi ne correspond pas au modèle d'infliction systématique de blessures ou de punitions qui décrit et définit la persécution.
(2) La Section du statut a également conclu que les demandeurs ne se sont pas acquittés du fardeau de présenter des éléments de preuve clairs et convaincants selon lesquels ils n'avaient pas accès à la protection de l'État. La Section du statut a remarqué que, bien que la protection de la police soit loin d'être parfaite en Hongrie, on ne peut s'attendre à la protection parfaite.
Les questions en litige
(1) Est-ce que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve documentaire?
(2) Est-ce que la Commission a commis une erreur en concluant que le demandeur ferait face à de la discrimination et non à de la persécution s'il retournait en Hongrie?
(3) Est-ce que la Commission a commis une erreur en concluant que le revendicateur avait accès à la protection offerte par l'État?
La norme de contrôle
Étant donné que j'ai conclu que la section du statut est un tribunal spécialisé envers lequel la Cour devrait faire preuve d'une grande retenue, lorsqu'elle examine les conclusions tirées sur des questions de droit et sur des questions de fait, la norme de contrôle judiciaire à appliquer est celle du caractère manifestement déraisonnable. Dans l'arrêt Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick [1979] 2 R.C.S. 227, à la page 237, la Cour suprême du Canada a appliqué la norme du caractère manifestement déraisonnable et a donné des précisions sur le sens à lui attribuer :
[...] l'interprétation de la Commission est-elle déraisonnable au point de ne pouvoir rationnellement s'appuyer sur la législation pertinente et d'exiger une intervention judiciaire?
Je suis d'accord avec les motifs susmentionnés et, aux fins de la présente demande de contrôle judiciaire, j'adopterai la norme de contrôle du caractère manifestement déraisonnable pour les questions mixtes de droit et de fait.
Observations et analyse
Est-ce que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve documentaire?
- 14. Les demandeurs soutiennent que la Section du statut ne s'est appuyée que sur la preuve documentaire fournie par l'ACR et qu'elle a complètement écarté la preuve documentaire qu'ils ont eux-mêmes présentée. Je ne suis pas d'accord. Il est reconnu en droit que la Section du statut n'est pas tenue de faire référence dans ses motifs à toute la preuve documentaire qui lui a été présentée. Il existe une présomption selon laquelle toute la preuve documentaire est prise en considération. [Voir Florea c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (CAF) en ligne : QL.] En outre, la Section du statut peut choisir, vu son rôle et son expertise, les éléments de preuve qu'elle considère les plus pertinents. [Voir Tawfik c. M.E.I (1993), 137 F.T.R. 43, le juge MacKay.]
- 15. Les demandeurs prétendent précisément que la Section du statut a écarté un document de 1997 du Département d'État des États-Unis qui rapportait que la violence des skinheads constituait un problème sérieux qui allait en s'amplifiant. Le défendeur prétend, quant à lui, que la Section du statut s'est appuyée sur des renseignements contenus dans le rapport de 1999 du Département d'État des États-Unis, lequel mentionnait que les agressions commises par les skinheads avaient décliné au cours des dernières années. À mon avis, la Section du statut avait raison, compte tenu de son expertise et de son rôle, de choisir cette preuve documentaire plus contemporaine par rapport à d'autres documents relatifs à la situation dans le pays en cause qui lui ont été présentés. Selon moi, il n'y a rien dans le dossier qui corrobore la prétention des demandeurs selon laquelle la Section du statut n'a pas examiné toute la preuve documentaire qui lui a été présentée. Cette preuve n'est pas particulière aux demandeurs, mais plutôt de nature générale et, dans les circonstances, il n'y avait pas d'obligation d'en faire expressément mention dans les motifs.
Est-ce que la Commission a commis une erreur en concluant que le demandeur ferait face à de la discrimination et non à de la persécution s'il retournait en Hongrie?
- 16. Les demandeurs prétendent que la Section du statut a commis une erreur en omettant d'examiner toute la preuve qui lui a été régulièrement présentée et, en particulier, qu'elle a omis d'examiner l'effet cumulatif des incidents dont ont été victimes les demandeurs.
- 17. Dans l'arrêt Sagharichi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1993) 182 N.R. 398, au paragraphe 3, la Cour d'appel fédérale explique la distinction entre les incidents de discrimination et ceux de persécution :
Il est vrai que la ligne de démarcation entre la persécution et la discrimination ou le harcèlement est difficile à tracer, d'autant plus que, dans le contexte du droit des réfugiés, il a été conclu que la discrimination peut fort bien être considérée comme équivalent à la persécution. Il est également vrai que la question de l'existence de la persécution dans les cas de discrimination ou de harcèlement n'est pas simplement une question de fait, mais aussi une question mixte de droit et de fait, et que des notions juridiques sont en cause. Toutefois, il reste que, dans tous les cas, il incombe à la Section du statut de réfugié de tirer sa conclusion dans le contexte factuel particulier, en effectuant une analyse minutieuse de la preuve présentée et en soupesant comme il convient les divers éléments de la preuve, et que l'intervention de cette Cour n'est pas justifiée à moins que la conclusion tirée ne semble arbitraire ou déraisonnable.
[traduction]
[...] L'éducation n'a pas été refusée aux enfants et les parents, dans leur entrevue au point d'entrée (PDE) ont seulement déclaré que les enfants étaient embêtés à l'école. Le tribunal choisit d'admettre en preuve les notes du PDE et la preuve documentaire qui reconnaît qu'il y a de la discrimination dans les écoles en Hongrie et il rejette l'allégation des revendicateurs, dans leur témoignage oral, selon laquelle les enfants étaient persécutés à l'école [...]
Est-ce que la Commission a commis une erreur en concluant que le revendicateur avait accès à la protection offerte par l'État?
- 20. Les demandeurs soutiennent que, dans son analyse, la Section du statut n'a tenu compte que de l'intervention de la police relativement aux incidents impliquant les agressions des skinheads. Ils prétendent qu'elle a omis de prendre en considération le traitement que les demandeurs ont reçu de la part de la police et que l'omission de considérer ces incidents mettant en cause la police, lorsqu'il s'est agi d'analyser la question de la protection offerte par l'État, a mené la Section du statut à commettre une erreur en concluant que les demandeurs avaient accès à la protection de l'État. Cette allégation est sans fondement. La Section du statut a considéré cet aspect de la preuve dans ses motifs. Au paragraphe 3 de sa décision, la Section du statut a noté que le demandeur avait été arrêté et détenu deux fois du fait qu'il était soupçonné d'avoir volé une automobile. La Section du statut a aussi noté que le demandeur principal avait été maltraité pendant sa détention.
- 21. Les demandeurs soutiennent que, malgré les éléments de preuve selon lesquels l'État avait tenté de protéger la minorité rom, la preuve montre également que l'État n'avait pas réellement offert cette protection aux demandeurs. Par conséquent, les demandeurs prétendent que la Section du statut a commis une erreur en omettant d'examiner l'efficacité de la protection offerte par l'État. En outre, les demandeurs prétendent que les policiers n'étaient pas juste incapables de les protéger, mais qu'ils étaient également des agents de persécution selon l'affirmation des demandeurs que [traduction] « [...] les policiers ont les coudées franches et font ce que bon leur semble » .
- 22. Je n'accepte pas les observations des demandeurs concernant la protection offerte par l'État. La Section du statut a examiné dans ses motifs la manière dont le demandeur principal a été traité par la police dans les deux cas où il a été arrêté parce que soupçonné de vol d'automobile. La Section du statut a également analysé de manière bien détaillée les deux incidents, l'un en 1991 et l'autre en 1993, qui impliquaient les skinheads. Je remarque que les policiers se sont rendus sur les lieux et qu'ils ont enquêté. La Section du statut a conclu que la police n'avait pas omis de répondre aux plaintes des demandeurs. La Section du statut a aussi conclu que les demandeurs avaient omis de demander avec diligence la protection offerte par l'État à partir des ressources disponibles en Hongrie. Elle s'est également appuyée sur la preuve documentaire qui décrit les efforts sérieux déployés par le gouvernement hongrois pour réprimer le problème de la violence et de la discrimination raciale à l'encontre des minorités. La Section du statut a conclu qu'il y avait une protection offerte aux demandeurs par l'État en Hongrie.
- 23. Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour suprême du Canada a décidé qu'une crainte subjective de persécution conjuguée à l'incapacité de l'État de protéger le demandeur engendre la présomption que la crainte est justifiée. Le danger que cette présomption ait une application trop générale est atténué par l'exigence d'une preuve claire et convaincante de l'incapacité d'un État de garantir la protection.
- 24. Le juge Hugessen, de la Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Villafranca (1992), 150 N.R. 232, a déclaré qu'aucun gouvernement démocratique ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps. Ainsi donc, il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n'a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation.
- 25. En l'espèce, la Section du statut a pris acte que la « réussite » ne constitue pas le critère par lequel on peut mesurer la protection de la police. Compte tenu de la preuve, je suis d'avis que la Section du statut pouvait raisonnablement en venir à la conclusion à laquelle elle est parvenue concernant la protection offerte aux demandeurs par l'État en Hongrie.
Conclusion
- 26. Je suis convaincu que la Section du statut n'a commis aucune erreur dans l'évaluation du caractère justifié de la crainte de persécution à laquelle elle devait procéder conformément à l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Ward, précitée. À mon avis, la Section du statut pouvait raisonnablement tirer les conclusions qu'elle a tirées au vu du dossier dont elle était saisie. Je conclus aussi que les demandeurs n'ont pas démontré qu'il y a eu quelque omission ou oubli de la part de la Section du statut qui justifierait l'intervention de la Cour.
- 27. Pour les motifs susmentionnés, les deux demandes de contrôle judiciaire seront rejetées.
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ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. Les deux demandes de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, datée du 18 juillet 2001, sont rejetées.
« Edmond P. Blanchard »
Juge
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche, LL.B.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4001-01 et IMM-4002-01
INTITULÉ : Horvath Zsuzsanna et al. c. MCI et Varadi, Attila c. MCI
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 27 août 2002
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE BLANCHARD
DATE DES MOTIFS : Le 22 novembre 2002
COMPARUTIONS :
Elizabeth Jaszi et Thomas Zweibel POUR LES DEMANDEURS
Tamrat Gebeyehu et Neeta Logsetty POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Elizabeth Jaszi POUR LES DEMANDEURS
1267A, avenue St. Clair O.
Unité 1
Toronto (Ontario) M6E 1B8
(416) 656-3999 et (416) 221-9777
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Ministère de la Justice
2 First Canadian Place
Bureau 2400, B.P. 36
Exchange Tower
Toronto (Ontario) M5X 1K6
(416) 973-9665 et (416) 952-6812