Date : 20040521
Dossier : IMM-6090-03
Référence : 2004 CF 722
Ottawa (Ontario), le 21 mai 2004
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY
ENTRE :
SHUREMA VALENSIA (VALENSI) JAFFIER
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Madame Shurema Valensia Jaffier (la demanderesse) sollicite le contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission). Les motifs de cette décision portent la date du 10 juillet 2003. Dans la décision, la Commission a conclu que la demanderesse n'est pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[2] Bien que l'affaire soulève des questions quant à la crédibilité, elle peut être décidée sur la question de savoir si la Commission a commis une erreur en concluant que la demanderesse pouvait se prévaloir de la protection de l'État.
[3] Pour les motifs que j'expose ci-dessous, je réponds par la négative et, par conséquent, je rejetterai la demande.
LES FAITS
[4] La demanderesse allègue craindre avec raison d'être persécutée du fait de son appartenance à un groupe social, soit celui des femmes victimes d'une relation marquée par la violence à la Grenade. Les faits sont tirés du Formulaire sur les renseignements personnels (FRP) de la demanderesse. En juillet 1998, la demanderesse a fait la connaissance de Jude Charles. Ils ont noué une relation. Cet homme faisait consommation de drogues et buvait de façon excessive. Environ un an après avoir fait sa connaissance, M. Charles s'est présenté chez la demanderesse en état d'intoxication et dégageant une odeur de marijuana. Il a vu la demanderesse parler à un ami et il s'en est pris à elle, la frappant avec ses poings et ses pieds. La demanderesse a eu une lèvre fendue et des coupures au dos et au front. Elle porte toujours des cicatrices. La soeur de la demanderesse a appelé la police, qui est arrivée dix minutes plus tard. Quand les policiers ont vu dans quel état était la demanderesse et ont su ce qui était arrivé, ils ont arrêté M. Charles et l'ont accusé. Il a par la suite été déclaré coupable et condamné à la prison. À sa sortie de prison, il est retourné chez la demanderesse. Ivre et drogué, M. Charles a eu un affrontement avec la demanderesse et l'a coupée à la main gauche. Elle porte encore une cicatrice. Après ce dernier incident, M. Charles a continuellement menacé la demanderesse de lui infliger des blessures. Elle a expliqué qu'elle avait essayé de se protéger à la Grenade. Elle s'est présentée à la police et a fait emprisonner M. Charles, mais il continue de la menacer. Avec l'aide de sa famille à la Grenade et d'un ami au Canada, la demanderesse a acheté un billet d'avion et est arrivée au Canada en février 2001. Elle a présenté sa demande du statut de réfugiée le 29 décembre 2001.
LA DÉCISION CONTESTÉE
[5] La Commission a affirmé que la demanderesse n'était pas crédible et a finalement conclu qu'elle « n'ajoute donc pas foi au récit de la demandeure selon lequel elle entretenait une liaison qui a débouché sur le procès au criminel de son ex-ami » et que la lettre qu'elle avait présentée comme venant de la police était un faux. Les onze mois qu'elle a attendu avant de demander protection n'ont fait qu'amplifier le problème de crédibilité. La Commission a conclu que, même si elle avait cru la demanderesse, ce qui n'était pas le cas, elle aurait quand même rejeté sa demande au motif que la demanderesse pouvait se réclamer d'une protection suffisante de l'État.
ANALYSE
[6] La présente demande soulève des questions quant à la crédibilité et quant à la protection de l'État, qui sont des questions de fait. Par conséquent, la Cour ne peut intervenir que si la Commission a rendu une décision manifestement déraisonnable.
[7] J'ai lu la décision de la Commission avec beaucoup d'attention et je suis d'avis qu'elle a eu raison de conclure que la crédibilité de la demanderesse avait été sapée par ce qui était manifestement une lettre faussement attribuée à la police et un délai de onze mois dans la présentation de sa demande du statut de réfugiée. Vu qu'elle avait conclu que la demanderesse n'était pas crédible, la Commission avait le pouvoir discrétionnaire de ne guère accorder de poids au rapport psychologique de même qu'à la note médicale, qui ne faisaient que décrire l'état médical et psychologique actuel de la demanderesse et ne pouvaient en soi prouver les faits que la demanderesse avait allégués. Il n'est pas nécessaire que je m'attarde sur la question de la crédibilité étant donné que la conclusion que je tire sur la question de la protection de l'État est en soi suffisante pour que je rejette la demande.
[8] Sauf le cas d'un effondrement complet de la structure étatique, il faut généralement présumer qu'un pays peut protéger ses citoyens. Il revient donc au demandeur de réfuter cette présomption (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689). En l'espèce, tant la preuve documentaire que l'expérience personnelle de la demanderesse tendent à prouver que le gouvernement de la Grenade considère la violence conjugale comme un délit et que la demanderesse pourrait à son retour au pays s'adresser à la justice si elle avait besoin de le faire. Comme la Commission l'a noté, la preuve documentaire montre que la Grenade est une démocratie parlementaire dotée d'une magistrature indépendante. Une loi sur la violence conjugale a été adoptée en mai 2001 et est entrée en vigueur plus tard en juin (la Commission a écrit par erreur mai 2000, mais cette erreur n'est pas capitale étant donné que cela fait quand même plus que deux ans depuis l'adoption de la loi et que cette loi n'est que l'un des éléments de la preuve). En outre, la Legal Aid and Counselling Clinic et la Caribbean Association for Feminist Research and Action ont dispensé une formation en matière de violence conjugale à l'intention des policiers et des travailleurs sociaux en octobre 2001.
[9] Ce qui est encore plus important, c'est que la demanderesse elle-même a affirmé avoir reçu la protection de la police en 1999. Elle dit que, après qu'elle eut porté plainte au sujet des coups qu'il lui avait portés, son ex-ami avait été accusé, déclaré coupable et envoyé en prison. La Commission a conclu que si elle retournait à la Grenade, elle pourrait se prévaloir de la même protection. Je suis d'avis que la demanderesse n'a présenté aucun élément de preuve qui permette de contester cette conclusion.
[10] La Commission pouvait raisonnablement conclure que la demanderesse peut se prévaloir de la protection de l'État. Il me faut donc conclure au rejet de sa demande.
[11] Les avocats n'ont présenté aucune question aux fins d'une certification même s'ils ont eu l'occasion de le faire. Par conséquent, je ne certifierai aucune question au motif qu'elle serait une question grave de portée générale.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE : La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.
« Michel Beaudry »
Juge
Traduction certifiée conforme
Jacques Deschênes
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-6090-03
INTITULÉ : SHUREMA VALENSIA (VALENSI) JAFFIER
c.
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 27 AVRIL 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE BEAUDRY
DATE DES MOTIFS : LE 21 MAI 2004
COMPARUTIONS :
Daniel M. Fine POUR LA DEMANDERESSE
Ladan Shahrooz POUR LE DEMANDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Daniel M. Fine
Toronto (Ontario) POUR LA DEMANDERESSE
Morris A. Rosenberg
Sous-procureur général du Canada
Toronto (Ontario) POUR LE DÉFENDEUR