Date : 19981126
Dossier : IMM-1979-97
ENTRE :
SANTIAGO BENITEZ VASQUEZ,
demandeur,
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,
défendeur.
MOTIFS D"ORDONNANCE
LE JUGE ROTHSTEIN
[1] Il a été conclu, le 23 avril 1992, que la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention déposée par le demandeur n"avait pas le minimum de fondement requis. En conséquence, il a quitté le Canada. Il est revenu au pays en 1994 pour présenter une nouvelle revendication, qui a été rejetée par la Section du statut de réfugié (la SSR) le 25 avril 1997. La présente demande de contrôle judiciaire porte sur cette dernière décision.
[2] La seule question en litige est de savoir si l"appréciation de la revendication du demandeur doit être fondée sur des éléments de preuve ultérieurs à la date du rejet pour manque de fondement de sa revendication initiale, soit le 23 avril 1992.
[3] L"avocat du demandeur s"est fondé sur le paragraphe 46.01(5) de la Loi sur l"immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, pour étayer son argument selon lequel le demandeur, qui s"était trouvé à l"extérieur du pays pendant plus de quatre-vingt dix jours, avait le droit de présenter une nouvelle revendication du statut de réfugié au sens de la Convention au Canada. Cependant, le paragraphe 46.01(5) ne s"applique pas en l"espèce. En effet, son application dépend de l"applicabilité de l"alinéa 46.01(1)c ). Il ne s"applique pas parce que la revendication initiale du demandeur a été appréciée par un tribunal chargé de statuer sur le minimum de fondement et non par la Section du statut de réfugié. L"alinéa 46.01(1)c ) et le paragraphe 46.01(5) prévoient :
46.01 (1) La revendication de statut n'est pas recevable par la section du statut si l'intéressé se trouve dans l'une ou l'autre des situations suivantes_: |
[...] |
c) depuis sa dernière venue au Canada, il a fait l'objet_: |
(i) soit d'une décision de la section du statut lui refusant le statut de réfugié au sens de la Convention ou établissant le désistement de sa revendication, |
(ii) soit d'une décision d'irrecevabilité de sa revendication par un agent principal; |
[...] |
(5) La rentrée au Canada de l'intéressé après un séjour à l'étranger d'au plus quatre-vingt-dix jours n'est pas, pour l'application de l'alinéa (1)c), prise en compte pour la détermination de la date de la dernière venue de celui-ci au Canada. |
[4] C"est le paragraphe 44(1) qui s"applique en l"espèce. Ce paragraphe prévoit :
44 (1) Toute personne se trouvant au Canada peut revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention en avisant en ce sens un agent d'immigration, à condition de ne pas être frappée d'une mesure de renvoi qui n'a pas été exécutée, à moins que la mesure n'ait été annulée en appel. |
Le demandeur se trouve au Canada. Les exemptions ne s"appliquent pas à lui étant donné qu"il a quitté le pays et qu"il y est revenu. Je ne vois aucune raison l"empêchant de déposer une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention en vertu du paragraphe 44(1).
[5] Cependant, cela ne répond toujours pas à la question de savoir s"il peut soulever des questions qu"il a soulevées ou qu"il aurait pu soulever devant le tribunal chargé de statuer sur le minimum de fondement. Dans l"instance devant la SSR, le demandeur a fait valoir qu"il devrait avoir le droit de se fonder sur des faits et de présenter des arguments ayant trait à ce qu"il a vécu au El Salvador avant le 23 avril 1992, date à laquelle il a été statué que sa revendication n"avait pas le minimum de fondement requis, y compris des éléments de son vécu qui font intervenir le paragraphe 2(3) de la Loi sur l"immigration. Ce paragraphe prévoit :
(3) Une personne ne perd pas le statut de réfugié pour le motif visé à l'alinéa (2)e) si elle établit qu'il existe des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures de refuser de se réclamer de la protection du pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d'être persécutée. |
Certains des faits et arguments sur lesquels il voulait se fonder ont été soumis au tribunal chargé de statuer sur le minimum de fondement, mais certains des autres faits et arguments qui auraient pu être soumis à ce tribunal, comme les arguments fondés sur le paragraphe 2(3), ne l"ont pas été.
[6] Le fait qu"une détermination avait déjà été faite par un tribunal chargé de statuer sur le minimum de fondement soulève la question de la chose jugée. Voici les conditions de l"" issue estoppel " (ce que le juge Dickson considérait, dans l"arrêt Angle c. Le Ministre du Revenu National , [1975] 2 R.C.S. 248, comme une deuxième forme du principe de la chose jugée, l"autre étant le " cause of action estoppel ") :
1) la même question a été décidée.
2) la décision était finale.
3) les parties aux deux instances sont les mêmes.
J"estime que ces conditions sont réunies en l"espèce.
[7] Le principe pertinent est bien connu. Dans Town of Grandview v. Doering (1975), 61 D.L.R. (3d) 455, à la p. 458, le juge Ritchie, s"exprimant au nom des juges majoritaires, a renvoyé avec approbation à la décision Fenerty v. The City of Halifax (1920), 50 D.L.R. 435, aux pp. 437 et 438, dans laquelle la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse a dit :
[TRADUCTION] La doctrine de la chose jugée se fonde sur le concept de l"ordre public de façon à pouvoir mettre fin à un litige et empêcher qu"un individu soit poursuivi une deuxième fois au regard d"une même affaire. Selon moi, la jurisprudence a établi la règle qu"un jugement entre les mêmes parties est final et concluant, non seulement à l"égard des questions examinées, mais également à l"égard des questions que les parties auraient pu soulever. Il est clairement établi que le demandeur doit faire toute sa preuve dans la première action puisqu"il ne lui sera pas permis, en cas d"échec, d"intenter une deuxième action fondée sur une preuve additionnelle. Pour intenter une deuxième action, il doit être en mesure d"affirmer: "je vais vous démontrer que ce fait modifie entièrement l"aspect du litige, et je vais également vous démontrer que je ne le connaissais pas et qu"il m"était impossible, malgré l"exercice d"une diligence raisonnable, de connaître l"existence de ce fait plus tôt". |
[8] Le principe veut qu"une partie, après avoir reçu une décision définitive, ne peut porter de nouveau une affaire en justice, même si elle a trouvé des arguments supplémentaires qu"elle aurait pu invoquer à l"époque du litige initial. C"est ce que le demandeur a tenté de faire devant la SSR. Cependant, le tribunal chargé de statuer sur le minimum de fondement a conclu que la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention déposée par le demandeur n"avait pas le minimum de fondement requis. Il a essentiellement conclu que le demandeur ne pouvait obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention au Canada, soit la même question dont était saisie la SSR en 1997. De nouveaux arguments concernant le paragraphe 2(3) auraient pu être présentés au tribunal chargé de statuer sur le minimum de fondement, mais ils ne l"ont pas été. Cela n"en fait pas pour autant des arguments pouvant convenablement être présentés devant la SSR. La SSR a examiné les arguments du demandeur fondés sur le paragraphe 2(3), mais ceux-ci ne l"ont pas convaincue. À mon avis, ces arguments n"auraient pas dû être examinés par la SSR. Quoi qu"il en soit, le résultat est le même.
[9] Aucune circonstance spéciale ne justifie la production d"éléments de preuve qui étaient auparavant disponibles.
[10] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Marshall Rothstein
J U G E
OTTAWA (ONTARIO)
LE 26 NOVEMBRE 1998.
Traduction certifiée conforme
Bernard Olivier, LL.B.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
NO DU GREFFE : IMM-1979-97
INTITULÉ DE LA CAUSE : SANTIAGO BENITEZ VASQUEZ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION
LIEU DE L"AUDIENCE : CALGARY (ALBERTA)
DATE DE L"AUDIENCE : LE 18 NOVEMBRE 1998
MOTIFS DE L"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE ROTHSTEIN
EN DATE DU : 26 NOVEMBRE 1998
ONT COMPARU :
CHARLES DARWENT POUR LE DEMANDEUR
BRAD HARDSTAFF POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
CHARLES R. DARWENT POUR LE DEMANDEUR
CALGARY (ALBERTA)
MORRIS ROSENBERG POUR LE DÉFENDEUR
SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA