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                                                                                                                                           Date : 20020104

                                                                                                                             Dossier : IMM-1130-01

                                                                                                               Référence neutre : 2002 CFPI 9

OTTAWA (ONTARIO), LE 4 JANVIER 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                    FIAZA BEGUM DILMOHAMED

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                         MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

  • (a)                 La demanderesse, une citoyenne âgée de 39 ans de l'île Maurice, sollicite le contrôle judiciaire d'une décision en date du 19 février 2001 par laquelle la conseillère en immigration Amy Kawamoto a estimé qu'il n'existait pas de raisons d'ordre humanitaire suffisantes pour justifier l'examen au Canada de la demande de résidence permanente de la demanderesse.
  • (b)                 La demanderesse est arrivée au Canada le 29 décembre 1986 avec le statut de visiteur. Elle a demandé une prorogation de son visa qui expirait en juin 1987. Elle est demeurée sans statut au Canada depuis lors.
  
  • (c)                 La demanderesse habite depuis une quinzaine d'années avec sa mère et soeur Leila à New Westminster, en Colombie-Britannique. Sa mère est une citoyenne canadienne, et sa soeur, Leila, est une résidente permanente au Canada. La belle-soeur de la demanderesse, Ferial, est une résidente permanente du Canada et elle vit maintenant aussi à New Westminster. Le frère de la demanderesse, Mansour, réside en France et son autre belle-soeur, Fawzia, qui est également citoyenne canadienne, vit aux États-Unis.
  • (d)                 La demanderesse vit grâce aux revenus de pension de sa mère et à son propre travail. Elle est toutefois sans emploi depuis 1996. Elle s'occupe de sa mère malade de 75 ans qui souffre d'un cancer du sein, du diabète et de la maladie de Parkinson. Elle aide également sa soeur, Leila, qui souffre de dépression clinique. La demanderesse ne désire pas retourner à l'île Maurice parce qu'elle affirme que le seul membre de sa famille qu'elle y a laissé est son père, avec lequel elle a coupé tout contact et qu'elle n'a pas vu depuis plus de vingt ans. La demanderesse affirme en outre qu'elle craint toujours d'être persécutée à l'île Maurice.
  

  • (e)                 La demanderesse a présenté une première demande fondée sur des raisons humanitaires le 5 novembre 1988. Cette demande a été refusée le 19 avril 1999. Sa seconde demande a été reçue le 19 avril 1999 et a été refusée par la conseillère en immigration le 19 février 2001. C'est cette dernière décision qui fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.
  • (f)                   Lors de l'instruction de l'affaire à Vancouver, l'avocat de la demanderesse a affirmé que la décision devait être annulée pour les motifs suivants :

            a)         le défendeur a commis une erreur en fondant sa décision sur les conclusions de fait erronées suivantes, en l'occurrence que les facteurs positifs l'emportaient sur les facteurs négatifs en l'espèce et qu'il n'y avait pas de motifs suffisants pour croire que la demanderesse subirait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si elle devait retourner à l'île Maurice;

b)          le défendeur a commis une erreur de droit en rendant une décision différente de celle qui avait été prise dans le cas de la soeur de la demanderesse, qui avait présenté antérieurement une demande semblable qui avait été acceptée;

            c)          le défendeur a commis une erreur en concluant qu'il n'y avait pas de raisons d'ordre humanitaire suffisantes en l'espèce.


[7]                  À mon avis, la principale question qui est soulevée est celle de savoir si la conseillère en immigration a accordé ou non le poids qu'il convenait aux difficultés que la demanderesse estimait qu'elle subirait si elle était forcée à retourner à l'île Maurice pour y solliciter le droit d'établissement. Elle fait valoir que les difficultés qu'elle subirait seraient les suivantes : être séparée de sa mère et de sa soeur à un moment où elles ont besoin de son aide, être forcée de retourner dans un pays où elle n'a plus de famille et où elle craint d'être persécutée et, finalement, quitter un pays (le Canada) où elle s'est établie et où elle a vécu pendant 14 des 36 années de sa vie.

[8]                  La demanderesse affirme que les facteurs « positifs » devraient être évalués et pondérés en fonction des autres facteurs « négatifs » qui ont été identifiés, conformément aux lignes directrices ministérielles qui ont été établies relativement à cette catégorie de demandes. La demanderesse cite l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Baker c. Canada (M.C.I.), [1999] 2 R.C.S. 817, à la page 862 (paragraphe 72), à l'appui de son argument que les lignes directrices sont une indication utile de ce qui constitue une interprétation raisonnable du pouvoir conféré par le paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration aux fonctionnaires de l'Immigration. La demanderesse soutient qu'en l'espèce, la décision de la conseillère en immigration était contraire aux directives et qu'elle constituait donc un exercice déraisonnable du pouvoir en matière humanitaire. La demanderesse soutient de surcroît que l'application des lignes directrices ministérielles à sa situation amènerait nécessairement à conclure qu'elle subirait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si elle devait retourner à l'île Maurice. Suivant la demanderesse, la conseillère en immigration a en conséquence commis une erreur en tirant une conclusion différente.


[9]                  En toute déférence, je ne puis accepter la prétention de la demanderesse. Les lignes directrices ministérielles sont importantes, mais elles sont conçues pour éclairer ceux qui sont appelés à prendre une décision. On trouve le passage suivant au point vignette 6.1 des lignes directrices ministérielles (dossier de la demanderesse, page 96 de l'onglet 8) qui porte sur la définition de l'expression « difficultés inhabituelles, injustifiées et excessives » :

                                  Les définitions suivantes ne constituent pas des règles strictes. Plutôt, elles ont pour but d'aider à exercer le pouvoir discrétionnaire de déterminer s'il existe des CH justifiant la dispense demandée du A9(1).

[10]            La demanderesse affirme également que la conseillère en immigration a commis une erreur en tirant une inférence négative du fait qu'elle était demeurée au Canada sans statut, qu'elle avait volontairement travaillé au Canada sans permis et qu'elle n'avait entrepris aucune démarche en vue de solliciter le droit d'établissement au cours des 14 dernières années. À mon avis, il était loisible à la conseillère en immigration de tirer une inférence négative de ces faits.


[11]            Il ressort de ses motifs que la conseillère en immigration n'a pas seulement tenu compte des facteurs négatifs, mais aussi des facteurs positifs en l'espèce et notamment de l'attachement de la demanderesse à sa famille et à sa communauté. Elle a correctement apprécié tous les éléments de preuve dont elle disposait et elle a conclu, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, que les facteurs qui militaient contre l'accueil de la demande fondée sur des raisons humanitaires dont elle était saisie l'emportaient sur ceux qui le favorisaient. La Cour n'interviendra pas dans l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire si celui qui l'a exercé a apprécié justement tous les éléments de preuve. Dans le jugement Vidal c. Canada (M.E.I.), (1999), 13 Imm.L.R. (2d) 123, à la page 130 (C.F. 1re inst.), le juge Strayer a déclaré ce qui suit au sujet de l' exercice par un agent d'immigration de son pouvoir discrétionnaire et des lignes directrices ministérielles :

Je ferai remarquer en passant qu'il s'ensuit comme corollaire du raisonnement tenu par le juge en chef adjoint Jérome dans l'arrêt Yhap, qu'un requérant ne peut pas se plaindre si un agent d'immigration omet ou refuse de se conformer aux lignes directrices du ministre. Il ne peut pas non plus se plaindre si un agent d'immigration applique un autre facteur à la place de ceux qui sont prévus dans les lignes directrices dans la mesure où il agit de bonne foi, et à condition que le facteur ne soit pas totalement dénué de lien avec une idée acceptable de ce qui constitue des raisons d'ordre humanitaire. Qui plus est, c'est à l'agent qu'il appartient de décider s'il est convaincu de la véracité des dires du requérant, à moins peut-être qu'il ne formule des conclusions de faits clairement dénués de lien avec tout le dossier dont il est saisi. Il n'appartient pas à la Cour de siéger en appel pour trancher sur les conclusions de faits de l'agent ou la manière dont il a pondéré les différents facteurs.

[12]            Pour parvenir à sa décision, la fonctionnaire de l'Immigration a examiné les lignes directrices ministérielles, de même que la preuve et la situation de la demanderesse en fonction du sens de l'expression « difficultés excessives » , et elle a conclu que la demanderesse ne faisait pas face à une situation qui lui causerait des difficultés excessives. La réponse à cette question dépend du poids que l'on accorde aux faits et aux circonstances de l'espèce. Je suis convaincu que la conseillère en immigration a tenu compte de tous les éléments de preuve pertinents qui lui avaient été présentés et qu'elle a exercé son pouvoir discrétionnaire de bonne foi. Il lui était raisonnablement loisible de tirer cette conclusion.


[13]            Sa décision de ne pas recommander que l'on permette à la demanderesse de présenter sa demande d'établissement à partir du Canada, par exception à l'exigence habituelle prévue par la Loi, ne constitue pas une erreur de droit. Dans l'arrêt Baker c. Canada (M.C.I.), précité, au paragraphe 62, Madame le juge L'Heureux-Dubé a abordé la question de la norme de contrôle que doit appliquer le tribunal saisi de la contestation d'une décision portant sur des considérations humanitaires comme la présente. Elle a déclaré que le tribunal devait faire preuve de beaucoup de retenue envers la façon dont les fonctionnaires de l'Immigration exercent leur pouvoir discrétionnaire et elle a conclu que la norme qu'il convenait d'appliquer était celle de la décision raisonnable simpliciter. Appliquant cette norme aux circonstances de la présente affaire, je conclus que la conseillère a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon raisonnable et je ne vois aucune raison qui justifierait la Cour d'infirmer sa décision.

[14]            L'argument de la demanderesse suivant lequel sa demande devrait être acceptée parce que celle de sa soeur l'a été est mal fondé. Chaque cas est un cas d'espèce. Agir autrement reviendrait à entraver l'exercice du pouvoir discrétionnaire du fonctionnaire.

[15]            Ni l'une ni l'autre des parties n'a proposé de question à certifier, malgré l'occasion qui leur a été donné de le faire. Il n'y a donc pas de question de portée générale à certifier.

ORDONNANCE

1.                    La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                        « Edmond P. Blanchard »        

                                                                                                                                                                Juge                        

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                                   COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                   IMM-1130-01

  

INTITULÉ :                               FIAZA BEGUM DILMOHAMED c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :     VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :    6 DÉCEMBRE 2001

  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE BLANCHARD

DATE DES MOTIFS :          4 JANVIER 2002

   

COMPARUTIONS :

Martin D. Jones                                                              POUR LA DEMANDERESSE

  

Kim Shane                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Martin D. Jones                                                              POUR LA DEMANDERESSE

Kim Shane                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

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