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Date : 20191015


Dossier : IMM-1510-18

Référence : 2019 CF 1294

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 octobre 2019

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

SWASTIKA KARKI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a rejeté la demande d’asile de Mme Swastika Karki (la demanderesse) au motif que cette dernière manquait de crédibilité. La demanderesse soutient que la SAR, lorsqu’elle a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR), a manqué à son obligation d’équité procédurale à son égard et a tiré des conclusions déraisonnables quant à la crédibilité, ce qui constituait des erreurs.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée.

I.  Le contexte factuel

[3]  La demanderesse est citoyenne du Népal où elle a été militante sociale, journaliste et animatrice d’une émission de radio sur la station Radio Nepalbani. Dans cette émission, elle passait en entrevue des politiciens, des responsables des droits de la personne et des militants sociaux; les entrevues portaient sur des enjeux politiques et traitaient de questions de corruption et d’autres préoccupations sociales. Elle critiquait souvent les politiciens.

[4]  La demanderesse était favorable au retour de la monarchie au Népal. En juillet 2015, elle a été harcelée par deux hommes à un arrêt de bus qui ont déclaré être membres du parti maoïste. Ils ont craché sur la demanderesse, l’ont agressée verbalement et l’ont avertie de cesser de plaider pour le retour du roi.

[5]  En novembre 2015, les deux mêmes hommes ont agressé sexuellement la demanderesse. Le lendemain matin, accompagnée de sa mère, elle est allée voir un médecin, qui l’a examinée et a constaté qu’elle avait été violée. Le médecin a remis à la demanderesse un livret médical dans lequel figurait le numéro de permis de pratique médicale du médecin. Le médecin a apposé une note manuscrite dans le livret, selon laquelle la demanderesse avait été physiquement et sexuellement abusée [TRADUCTION] « durant l’insurrection maoïste par des rebelles ». On lui a conseillé de subir une analyse de sang et un test de grossesse et elle a reçu son congé de l’hôpital.

[6]  Après son congé, la demanderesse et sa mère ont déposé une plainte auprès de deux commissariats de police et ont informé diverses organisations d’intérêt public de l’agression, dont la Federation of Nepalse Journalists [Fédération des journalistes népalais] (la FNJ). La FNJ a ensuite publié un communiqué de presse, condamnant l’agression contre la demanderesse et plus généralement contre les journalistes.

[7]  Craignant pour sa sécurité, la demanderesse a obtenu un visa de résident temporaire au Canada et a fui le Népal le 20 décembre 2015. Son visa a expiré en juin 2016.

[8]  En août 2016, la demanderesse a appris – lors d’une rencontre avec un parajuriste – que son statut avait expiré. Elle a ensuite consulté son avocat actuel et a présenté sa demande d’asile en septembre 2016.

II.  La décision de la SPR

[9]  La SPR a entendu la demande d’asile de la demanderesse les 15 et 24 mars 2017. La décision du tribunal a été rendue publique le 24 mai 2017. La SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas qualité de réfugiée au sens de la Convention, ni de personne à protéger.

[10]  La SPR a jugé que la question cruciale était la crédibilité. Bien qu’un certain nombre de conclusions défavorables quant à la crédibilité aient été formulées, il suffira d’analyser trois d’entre elles ainsi que le traitement que la SPR a accordé au rapport psychiatrique.

A.  Le livret médical

[11]  L’identité de la demanderesse en tant que citoyenne du Népal a été acceptée, mais le livret médical qu’elle a présenté à l’appui de son allégation d’agression sexuelle a été jugé fabriqué de toutes pièces et aucun poids ne lui a été attribué.

[12]  Deux autres constatations ont mené à cette conclusion. La première était que l’insurrection maoïste a pris fin en 2006, ce qui était « tout à fait incompatible » avec l’inscription de 2015 dans le livret faisant référence aux maoïstes. L’autre était que le numéro de permis de pratique médicale figurant dans le livret n’avait pas été attribué au médecin qui a examiné la demanderesse et signé le livret.

[13]  Ces deux problèmes combinés ont amené le tribunal à conclure que la crédibilité de l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle avait été agressée sexuellement était minée, du fait que le livret médical était frauduleux.

B.  Le communiqué de presse de la FNJ

[14]  En outre, la SPR a conclu que le communiqué de presse de la FNJ avait été fabriqué de toutes pièces, car deux des noms sur l’en-tête de la lettre étaient mal orthographiés : « Fedration » au lieu de « Federation » et « Neplese » au lieu de « Nepalese ». Comme le nom de la FNJ avait changé en 2008, le tribunal a conclu qu’il était difficile de croire que ces erreurs dans l’en-tête de la lettre auraient subsisté pendant des années.

[15]  La SPR a conclu que, comme la lettre de la FNJ avait été fabriquée de toutes pièces, la demanderesse n’avait pas informé son directeur de station de l’agression et ce dernier ne l’avait pas signalée à la FNJ. Elle a également conclu qu’il était peu plausible que la FNJ croie sur parole les dires d’un directeur d’une station de radio selon lesquels une employée avait été violée, et qu’elle publie ensuite un communiqué de presse identifiant la demanderesse par son nom sans communiquer avec elle pour vérifier les détails ou obtenir la permission de divulguer son nom.

[16]  La SPR s’est penchée sur le fait que la demanderesse a dit qu’elle s’était rendue au bureau de la FNJ pour aller chercher le communiqué de presse auprès du chef de la fédération. Le tribunal a conclu que, contrairement à la preuve documentaire selon laquelle la FNJ offre un suivi, un soutien et une aide aux journalistes et à leur famille à la suite d’une agression, aucune question n’avait été posée à la demanderesse et aucun suivi ou soutien ne lui avait été offert.

[17]  Le tribunal de la SPR a ensuite mentionné que la lettre contrefaite de la FNJ, lorsque combinée au livret médical frauduleux présenté à l’appui de son agression, l’a amené à conclure que l’agression contre la demanderesse n’avait pas eu lieu. Le tribunal a conclu que cette combinaison a miné la crédibilité de la demanderesse et l’ensemble de ses allégations.

C.  Les enregistrements d’entrevues radiophoniques

[18]  Une autre conclusion importante est que la demanderesse n’a pas été en mesure d’obtenir des enregistrements de ses entrevues radiophoniques avec des dirigeants maoïstes. Elle a affirmé que le directeur de la station serait exposé à un danger si elle lui disait qu’elle se trouvait au Canada. Elle a appuyé cette affirmation en expliquant qu’il y avait des espions maoïstes partout, y compris dans la station de radio.

[19]  Le tribunal a jugé l’explication déraisonnable, parce qu’elle était conjecturale et qu’aucune preuve corroborante n’avait été fournie pour en établir la véracité. Le tribunal a tiré une inférence défavorable quant à savoir si la demanderesse avait effectivement animé sa propre émission de radio politique.

D.  Le rapport psychiatrique

[20]  La demanderesse avait présenté un rapport psychiatrique attestant son trouble de stress post-traumatique (TSPT), sa dépression et son anxiété. Elle a demandé au tribunal d’en tenir compte dans l’appréciation de sa crédibilité. La SPR a conclu qu’étant donné qu’elle n’avait pas cru aux éléments essentiels de sa demande d’asile, le rapport du médecin, qui était fondé sur les déclarations de la demanderesse, ne devrait pas se voir accorder beaucoup de poids. Le tribunal a également fait remarquer que le rapport psychiatrique n’indiquait pas que le témoignage de la demanderesse serait affecté par son état.

III.  La décision de la SAR

[21]  La Section d’appel des réfugiés a confirmé la décision de la SPR.

[22]  La SAR a reconnu que, dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, la Cour d’appel fédérale a établi qu’elle doit examiner les décisions de la SPR au moyen d’une évaluation indépendante de la preuve dont la SPR disposait. La SAR doit appliquer la norme de la décision correcte aux conclusions de la SPR, à moins que la SPR n’ait joui d’un avantage certain pour ce qui est d’apprécier et de soupeser les témoignages de vive voix.

[23]  Lorsqu’elle a conclu que la demanderesse n’était pas crédible, la SAR a examiné essentiellement les mêmes documents et facteurs que ceux dont disposait la SPR. Elle n’a pas jugé que la SPR avait joui d’un avantage dans l’appréciation des témoignages entendus de vive voix.

A.  Le livret médical

[24]  La SAR a pris note de l’argument de la demanderesse selon lequel la SPR avait commis une erreur en concluant que la description de l’insurrection maoïste était incompatible avec la situation au Népal en 2015, parce qu’elle n’avait pas réussi à démontrer une appréciation du fait que, bien que les insurgés aient conclu un accord de paix en 2006, les membres étaient toujours actifs et perpétuaient la violence.

[25]  La SAR a pris acte des éléments de preuve documentaire présentés par la demanderesse selon lesquels d’anciens combattants maoïstes continuent de commettre des crimes dans certaines régions du Népal. La demanderesse a demandé à la SAR de conclure que le fait de qualifier les auteurs de l’agression d’« insurgés maoïstes » n’était pas « tout à fait incompatible » avec la situation politique au Népal en 2015, car des groupes issus de l’ancienne insurrection maoïste étaient toujours en activité.

[26]  La SAR a fait remarquer que la demanderesse n’avait pas allégué avoir été attaquée par des membres des factions maoïstes, mais plutôt par deux hommes du parti maoïste dominant. Elle a également conclu que la SPR n’avait pas tort de conclure que la mention dans le document médical d’une insurrection maoïste par des rebelles, ces derniers décrits comme étant ses agresseurs, était incompatible avec le cartable national de documentation sur le Népal. La SAR a conclu que cette anomalie minait l’authenticité du document médical, la crédibilité de la demanderesse et la crédibilité de ses allégations.

[27]  La SAR a conclu que le fait que le nom associé au numéro du permis figurant dans le livret n’était pas celui du médecin nommé dans le livret minait davantage la preuve. La SAR a jugé que la prévalence des titres de compétences frauduleux au Népal utilisés par des personnes se faisant passer pour des médecins rendait le livret médical moins fiable, et non plus crédible.

B.  Le communiqué de presse de la FNJ

[28]  La SAR a examiné l’analyse faite par la SPR au sujet des fautes d’orthographe dans l’en‑tête d’un communiqué de presse de la FNJ et a tenu compte de l’explication de la demanderesse selon laquelle les erreurs typographiques pourraient avoir été causées par des changements apportés au nom de l’organisme en 1995 et 2008. Elle a également tenu compte de l’argument de la demanderesse selon lequel la SPR s’est livrée à des conjectures en concluant qu’il était difficile de croire que le modèle d’en-tête de l’organisme soit erroné pendant au moins sept ans.

[29]  La demanderesse a également soutenu devant la SAR que la SPR s’était livrée à des conjectures en concluant que la FNJ n’avait pas communiqué directement avec elle. La FNJ est un organisme privé et, si elle a comme pratique habituelle de faire un suivi auprès de journalistes qui ont subi une injustice, cette pratique n’est pas consacrée dans une politique et ne découle pas d’une obligation imposée par la loi. Elle a soutenu que c’est une erreur de porter préjudice à sa demande d’asile en fonction du comportement irrégulier d’une organisation tierce.

[30]  La SAR n’a pas souscrit aux arguments de la demanderesse. Elle a conclu que l’orthographe erronée du nom de l’organisme dans l’en-tête de la lettre minait son authenticité, d’autant plus que le mot « Association » a été retiré du nom en 1995. Cette conclusion a été renforcée par les autres anomalies et la prévalence de documents frauduleux en provenance du Népal.

C.  Les enregistrements d’entrevues radiophoniques

[31]  La SAR a examiné les conclusions de la SPR et les explications données par la demanderesse pour justifier pourquoi elle n’avait pas été en mesure d’obtenir d’enregistrements de ses entrevues radiophoniques, à savoir, qu’elle craignait que des espions soient présents à la station de radio et qu’elle ne voulait pas que quiconque sache qu’elle était venue au Canada, au cas où les maoïstes l’apprendraient.

[32]  La SAR a tenu compte de l’argument de la demanderesse voulant que la conclusion de la SPR, selon laquelle son explication était hypothétique et inadéquate, constituait une conclusion en matière de vraisemblance quant à la rationalité de sa crainte subjective et que, par conséquent, le rapport psychiatrique devait être pris en considération. Ce rapport a confirmé qu’elle est atteinte d’un TSPT et qu’elle est aux prises avec des images du passé, des cauchemars, de l’anxiété et de la panique. Elle a soutenu que le fait de communiquer avec son ancien employeur pourrait déclencher d’autres actions violentes envers sa famille ou son employeur, et que cela concorde avec son niveau élevé d’anxiété.

[33]  La SAR a déclaré qu’elle « accord[ait] une grande importance aux enregistrements des prétendues entrevues radiophoniques de [la demanderesse] avec des chefs maoïstes à l’appui de ses allégations ». Elle a fait remarquer que la jurisprudence de la Cour a établi qu’il incombe à la demanderesse d’établir le bien-fondé de sa demande d’asile et que, ce faisant, elle doit apporter tous les éléments de preuve qu’elle a à offrir et qu’elle estime nécessaires afin d’établir sa demande d’asile.

[34]  La SAR a conclu que la demanderesse n’a présenté aucun élément de preuve crédible laissant croire que quelqu’un risquerait de subir un préjudice si elle demandait qu’on lui transmette les enregistrements de ses entrevues. La SAR a souligné que la demanderesse avait demandé à d’autres organismes des documents à l’appui et les avait présentés à la SPR sans conséquence évidente. Elle a conclu que cela réfutait donc son allégation selon laquelle le fait de demander d’obtenir les enregistrements de ses entrevues exposerait des personnes à un risque.

D.  Le rapport psychiatrique

[35]  La SAR a conclu que le rapport psychiatrique de la demanderesse ne tenait pas compte de son absence d’effort pour obtenir les enregistrements. Elle a souligné que le rapport indiquait que la demanderesse était obsédée par des pensées envahissantes et persistantes concernant le viol et les menaces à son égard au Népal. Il indiquait toutefois que son jugement, sa conscience et ses fonctions complexes du cortex semblaient tous normaux, ce qui laissait croire à la SAR que la demanderesse était en mesure d’essayer d’obtenir des éléments de preuve corroborants pour appuyer sa demande d’asile, comme ses entrevues radiophoniques.

[36]  La SAR a estimé que l’évaluation qu’avait faite la SPR du rapport psychiatrique se fondait principalement sur l’information donnée par la demanderesse et sur le fait que le psychiatre avait accepté son récit. La SAR a examiné l’argument de la demanderesse selon lequel la SPR n’avait pas tenu compte du fait que son TSPT affectait sa perception du monde objectif et a confirmé qu’elle revoit encore des images du passé et qu’elle éprouve toujours des problèmes de cauchemars, d’anxiété et de panique.

[37]  La SAR a reconnu que la demanderesse souffrait d’un TSPT, d’un trouble d’adaptation avec anxiété et dépression et de crises de panique et d’anxiété avec agoraphobie, comme il est indiqué dans le rapport psychiatrique. Elle a mentionné que l’examen de l’ensemble des témoignages et des éléments de preuve lui avait permis de relever des « anomalies importantes » dans les éléments de preuve fournis par la demanderesse – comme les irrégularités contenues dans le rapport médical et le communiqué de presse de la FNJ – qui n’étaient pas expliquées par le rapport psychiatrique. Elle a également conclu que l’absence d’effort pour obtenir les enregistrements ne pouvait s’expliquer par son état psychiatrique ni être attribuée à celui-ci.

[38]  La SAR a constaté, d’après l’enregistrement de l’audience à la SPR, que la demanderesse était en mesure de se souvenir « d’un grand nombre de renseignements sur son passé ». Comme le rapport psychiatrique mentionnait que le débit de la parole de la demanderesse était très élevé et qu’elle ne semblait pas avoir de problème à s’exprimer, la SAR a conclu que le rapport ne tenait pas compte de son témoignage incohérent ou irrégulier.

[39]  La SAR a également fait remarquer que le rapport psychiatrique n’indiquait pas que la demanderesse présentait de trouble de la perception. Le rapport mentionnait qu’elle était consciente de sa personne, de l’espace et du temps, qu’elle était alerte et que ses réponses étaient cohérentes, quoiqu’excessivement détaillées, mais pas trop difficiles à suivre. Lorsque la SAR a constaté la présence de nombreuses anomalies dans la preuve de la demanderesse en ce qui concerne des questions importantes et qui ne pouvaient s’expliquer par le rapport, elle a accordé peu de poids au rapport psychiatrique.

[40]  La SAR a conclu que, malgré l’allégation de la demanderesse selon laquelle la SPR avait tiré des inférences non fondées en matière de vraisemblance et avait jugé qu’elle n’avait pas de crainte subjective, les conclusions tirées par la SPR quant à la crédibilité de la demanderesse étaient exhaustives et fondées sur la preuve. La SAR est parvenue à la même conclusion que la SPR et a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur dans son évaluation de la preuve ni dans ses conclusions.

[41]  L’effet cumulatif des anomalies relevées dans les éléments de preuve fournis par la demanderesse a amené la SAR à conclure que cette dernière n’était pas crédible et que les événements importants qu’elle a décrits dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (formulaire FDA) et qu’elle a relatés lors de l’audition de sa demande d’asile ne se sont pas produits de la façon décrite. Selon la prépondérance des probabilités, elle n’avait pas animé d’émission de radio politique au Népal et n’avait pas été prise pour cible ou agressée par les maoïstes. Elle n’avait pas été menacée par des individus au Népal du fait de son militantisme, de ses activités journalistiques ou de son sexe et il n’y avait aucune possibilité sérieuse de persécution si elle retournait au Népal.

IV.  Les questions en litige

[42]  La demanderesse soulève deux questions.

[43]  La première est qu’il était injuste d’un point de vue procédural que la SAR ne l’informe pas de ses préoccupations quant à savoir pourquoi le directeur de la station, ou quelqu’un d’autre, ne serait pas en mesure d’obtenir discrètement ses enregistrements radio.

[44]  La deuxième question est de savoir si le traitement de la preuve par la SAR était raisonnable.

V.  La norme de contrôle

[45]  La Cour examine la décision de la SAR siégeant en appel d’une décision de la SPR selon la norme de la décision raisonnable : Huruglica, au paragraphe 35.

[46]  La SPR et la SAR ont toutes deux conclu qu’une grande partie de la preuve présentée par la demanderesse n’était pas crédible. La norme de contrôle qui s’applique à la Cour lorsqu’elle examine les conclusions relatives à la crédibilité est également celle de la décision raisonnable : Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1020, au paragraphe 7.

[47]  Le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir].

[48]  Les motifs, lus comme un tout, « répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16.

[49]  La norme de contrôle en matière d’équité procédurale est depuis longtemps celle de la décision correcte. Le juge Rennie a récemment examiné et précisé les principes fondamentaux de l’équité procédurale dans l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [CFCP]. Il a conclu que pour déterminer s’il y a eu équité procédurale, il n’est pas nécessaire d’effectuer une analyse de la norme de contrôle applicable, mais la « cour doit être convaincue que le droit à l’équité procédurale [a] été respecté ». Ainsi, la question qu’il faut se poser en définitive demeure celle de savoir si la demanderesse connaissait la preuve à réfuter et si elle a eu possibilité complète et équitable d’y répondre : CFCP, aux paragraphes 49, 50 et 56.

[50]  L’examen de l’équité procédurale consiste à se demander si un processus juste et équitable a été suivi en tenant compte de toutes les circonstances, y compris la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne : CFCP, aux paragraphes 53 et 54.

[51]  La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur. La cour de révision entreprend à sa propre analyse : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 50.

VI.  Analyse

[52]  Dans l’arrêt Siad c Canada (Secrétaire d’État), [1997] 1 CF 608, la Cour d’appel fédérale a ainsi défini le point de départ de l’examen des décisions fondées sur la crédibilité et les exigences auxquelles le décideur doit satisfaire lorsqu’il rejette une demande pour manque de crédibilité :

[…] Le tribunal se trouve dans une situation unique pour apprécier la crédibilité d’un demandeur du statut de réfugié. Les décisions quant à la crédibilité, qui constituent « l’essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits » doivent recevoir une déférence considérable à l’occasion d’un contrôle judiciaire, et elles ne sauraient être infirmées à moins qu’elles ne soient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve. […]

[53]  Un indicateur important de crédibilité est la constance des dires d’un témoin quant à un récit en particulier : Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c Dan-Ash) (1988), 93 NR 33 (CAF).

[54]  Lorsqu’un tribunal rejette une demande d’asile au motif que le demandeur n’est pas crédible, il doit l’indiquer clairement : Ababio c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), ACF no 250 (CAF). Il doit motiver sa conclusion quant à la crédibilité : Armson c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 800 (CAF).

[55]  Il est également important de se rappeler qu’il y a lieu de faire preuve de retenue judiciaire à l’égard des conclusions concernant la crédibilité tirées par la SAR et par la SPR, et que ces décisions ne doivent pas être modifiées à la légère, puisque la Cour d’appel fédérale a conclu que les conclusions de fait et les décisions quant à la crédibilité relèvent de l’expertise de la SPR : Giron c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 143 NR 238 (CAF).

A.  La SAR n’a pas manqué à l’équité procédurale à l’égard de la demanderesse

[56]  La demanderesse affirme que ni la SPR ni la SAR ne l’ont informée des préoccupations quant à la crédibilité liées à son incapacité d’obtenir des copies des enregistrements radio. Ce défaut de l’informer était inéquitable sur le plan procédural, car la SAR a accordé beaucoup d’importance à son incapacité de fournir les enregistrements et elle n’a pas eu l’occasion d’aborder cette préoccupation.

[57]  La demanderesse affirme que si une telle possibilité lui avait été offerte, elle aurait fourni l’explication détaillée dans l’affidavit qu’elle a présenté dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire.

[58]  Je ne suis pas persuadée que le processus était injuste sur le plan procédural. La question de la capacité de la demanderesse d’obtenir les enregistrements n’a pas été soulevée pour la première fois devant la SAR. La SPR l’a soulevée auprès de la demanderesse à l’audience. La décision de la SPR, au paragraphe 17, indique la raison invoquée par la demanderesse pour ne pas obtenir les enregistrements des entrevues radiophoniques :

[traduction]

La demandeure d’asile a déclaré qu’elle n’était pas en mesure d’obtenir les enregistrements des entrevues radiophoniques qu’elle aurait effectuées avec des chefs maoïstes, car elle ne voulait pas être obligée d’informer son directeur de station qu’elle était au Canada et le mettre ainsi en danger, et elle ne voulait pas que quiconque en dehors de sa famille sache qu’elle s’était rendue au Canada, de façon à empêcher les maoïstes de l’apprendre. Interrogée à savoir pourquoi une telle demande mettrait son directeur de station en danger, elle a répondu que des espions maoïstes se trouvaient partout, et que des espions auraient pu être présents à la station de radio et voir le directeur recevoir des copies de ses cassettes.

[59]  Dans son affidavit, la demanderesse affirme que ni la SAR ni la SPR ne lui ont demandé comment le directeur de la station pourrait attirer l’attention des espions en tentant d’obtenir les enregistrements. Si les deux tribunaux lui avaient posé une telle question, la demanderesse aurait précisé qu’elle avait contacté le directeur de la station pour obtenir de l’aide afin de recueillir des preuves et des copies des entrevues, mais que ce dernier était réticent, hésitait et semblait avoir peur. Il lui a expliqué le processus, à savoir qu’il y avait un protocole à suivre, et il avait peur qu’un technicien lui pose des questions permettant de découvrir qu’il aidait la demanderesse au Canada.

[60]  La demanderesse aurait pu fournir cette réponse plus complète à la SPR lorsque celle‑ci lui a d’abord demandé pourquoi elle n’avait pu obtenir les enregistrements d’entrevues. Le fait qu’elle n’ait pas fourni de réponse complète, alors qu’elle en avait apparemment une, ne peut être imputé à la SPR ou à la SAR. La question a été examinée par la SPR et la demanderesse n’a pas donné de réponse complète. Il n’y a rien d’inéquitable sur le plan procédural dans cette situation.

[61]  La demanderesse affirme également que la conclusion de la SAR, selon laquelle elle n’avait pas expliqué pourquoi le directeur de la station n’aurait pas été en mesure d’obtenir discrètement les enregistrements, était injuste, car elle n’a pas eu l’occasion de fournir une explication complète.

[62]  La demanderesse a été autorisée à présenter à la SPR des observations de 17 pages après l’audience. Elle y déclarait qu’elle [traduction] « ne voudrait pas s’adresser au directeur de la station pour demander l’enregistrement de son entrevue de peur que l’on découvre qu’elle était au Canada ». Cette affirmation est directement contredite par la déclaration qu’elle a faite dans son affidavit où elle dit ceci, en parlant du directeur de la station : [traduction] « Je l’ai contacté pour lui demander s’il pouvait m’aider à obtenir des preuves et des copies des entrevues ». Ces affirmations ne peuvent être toutes deux vraies. Étant donné que la SAR ne disposait que de la première affirmation, c’est de celle-ci dont elle devait tenir compte.

[63]  Il était important, pour la demanderesse, d’obtenir les enregistrements des entrevues radiophoniques pour étayer l’élément central de sa demande d’asile. L’une des entrevues était avec une chef maoïste qui n’était pas satisfaite de son entrevue. Si la demanderesse avait pleinement répondu à la question initiale sur l’obtention des enregistrements – soit pendant l’interrogatoire principal mené par la SPR, soit pendant les questions de suivi posées par son avocat – elle aurait pu dissiper toute inquiétude quant à la possibilité d’obtenir les enregistrements. Son défaut de faire une telle chose donnait l’impression qu’elle avait fourni sa seule réponse.

[64]  La demanderesse savait quelle preuve elle devait produire. Elle a eu une possibilité complète et équitable d’y répondre. Il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale à l’égard de la demanderesse.

B.  L’appréciation de la preuve par la SAR était raisonnable

[65]  La demanderesse affirme que la SAR a commis une erreur en concluant lorsqu’elle avait déclaré que des hommes du parti « maoïste dominant » l’avaient attaquée. Elle souligne que dans son formulaire FDA, elle a nommé le CPNUML, qui est un parti qui se livre à des activités illégales et violentes.

[66]  La demanderesse soutient également que, dans son témoignage vive voix, elle n’a pas utilisé le mot « dominant », elle a simplement fait référence aux « maoïstes » sans mentionner de parti politique particulier. Elle affirme que le terme « maoïstes » est d’usage courant pour décrire ceux qui participent à des activités violentes et illégales.

[67]  Un examen de l’exposé circonstancié du formulaire FDA de la demanderesse montre qu’elle a nommé le CPNUML en faisant référence à l’une des personnes qu’elle avait interviewées à la radio. Elle a ensuite déclaré que le CPNUML et le parti maoïste étaient deux choses différentes.

[68]  Dans son exposé circonstancié, la demanderesse qualifie les deux hommes qui l’ont attaquée alors qu’elle attendait le bus de [traduction] « cadres maoïstes ». Lors de sa visite ultérieure au poste de police pour demander leur arrestation, elle les a décrits comme [traduction] « deux hommes du parti maoïste ». En outre, les documents corroborants présentés par la demanderesse, y compris la lettre d’évaluation du médecin du Centre canadien pour victimes de torture, les communiqués de presse et de nombreux documents faisant état d’attaques contre des journalistes, font référence au « Parti maoïste ». Ils ne font pas mention du CPNUML.

[69]  Je conclus, d’après les déclarations précises faites par la demanderesse et les documents corroborants qu’elle a présentés, que le fait que la SAR a fait référence au parti maoïste dominant était conforme à la preuve dont elle disposait. C’était raisonnable d’après le dossier.

[70]  La même analyse s’applique à l’argument de la demanderesse selon lequel la mention contenue dans le livret médical au sujet des insurgés maoïstes qui l’ont attaquée n’est pas « tout à fait incompatible » avec la situation au Népal en 2015, parce qu’il existe encore des factions maoïstes poursuivant leurs activités dans un cadre illégal. La SAR a conclu, pour les motifs qui viennent d’être exposés, que la demanderesse avait fait référence à des membres du parti maoïste dominant, et non à des insurgés. Cette conclusion était raisonnable, compte tenu de la preuve.

[71]  En ce qui concerne les deux fautes d’orthographe dans l’en-tête d’un document de la FNJ, la demanderesse soutient que la SAR a tiré des conclusions quant à la vraisemblance des pratiques éditoriales des journaux népalais en l’absence de preuve claire à l’appui de ses conclusions.

[72]  Je ne vois pas comment deux fautes importantes dans le nom de la FNJ, toutes deux commises dans l’en-tête, peuvent être considérées comme une pratique éditoriale ou une conclusion en matière de vraisemblance. La conclusion tirée par la SAR n’est pas conjecturale et ne comporte pas d’inférences inadmissibles – les fautes d’orthographe sont visibles à la lecture du document. Elles ont trait au nom de l’organisation. Le bon sens nous dit qu’une organisation épellerait correctement son propre nom sur l’en-tête officiel. La SAR a conclu que les irrégularités évidentes dans l’en-tête du document de la FNJ minaient l’authenticité du communiqué de presse qui aurait été publié ainsi que la crédibilité de la demanderesse et de ses allégations. La conclusion de la SAR à cet égard est fondée sur la preuve et sur le dossier. Elle est raisonnable.

[73]  La demanderesse soutient également que le fait que le numéro de permis de pratique médicale n’appartenait pas au médecin qu’elle a consulté peut soulever des doutes sur la compétence de la personne ayant procédé au diagnostic, mais cela ne change rien au fait que la demanderesse a demandé une assistance médicale après avoir été agressée. Elle affirme qu’elle ne savait pas que le médecin était un faux médecin.

[74]  La demanderesse implore la Cour d’adopter un point de vue différent sur l’effet de l’utilisation frauduleuse du numéro de permis de pratique médicale dans le livret médical. Bien qu’il existe une autre interprétation possible, elle ne remplace pas l’interprétation de la SAR. Une interprétation tout aussi valable est que le numéro de permis frauduleux minait l’authenticité du livret médical, ce qui inclut le diagnostic selon lequel la demanderesse a été violée.

[75]  La SAR a jugé que la demanderesse n’était pas crédible en raison des problèmes cumulatifs de la preuve qu’elle avait produite. Elle a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur dans son appréciation de la preuve ni dans ses conclusions. Bien que la demanderesse ne soit pas d’accord avec les constatations et conclusions de la SPR et de la SAR, je conclus, après examen du dossier, que les constatations de la SAR sont raisonnables et étayées par la preuve.

[76]  La SPR avait formulé d’autres conclusions quant à la crédibilité que la SAR a confirmées, mais qui n’ont pas été examinées dans les présents motifs. Par exemple, le ministre est intervenu, parce que la demanderesse avait tardé à présenter sa demande d’asile après son arrivée au Canada. La SPR et la SAR ont conclu que les raisons pour lesquelles la demanderesse n’avait pas présenté de demande d’asile n’étaient pas crédibles, en grande partie parce qu’elles ne croyaient pas que la demanderesse ignorait tout du régime de protection des réfugiés à son arrivée au Canada.

VII.  Conclusion

[77]  Les motifs de la SAR sont clairs et les conclusions générales sont bien étayées par les éléments de preuve. La demanderesse a demandé à la Cour de tirer des conclusions différentes à partir de la preuve, mais les conclusions de la SAR sont fondées sur le dossier de preuve et la Cour doit faire preuve de déférence à l’égard de la SAR. Rien n’indique que les conclusions relatives à la crédibilité aient été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve dont les tribunaux disposaient.

[78]  Lorsque la décision est considérée comme un tout, elle est raisonnable. Elle satisfait aux critères de justification, de transparence et d’intelligibilité énoncés dans l’arrêt Dunsmuir. La décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[79]  La demande est rejetée.

[80]  Aucune des parties n’a proposé de question grave de portée générale à certifier, et les faits en l’espèce n’en soulèvent aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1510-18

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 5e jour de novembre 2019

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

IMM-1510-18

 

 

INTITULÉ :

SWASTIKA KARKI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 octobre 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

Le 15 octobre 2019

 

COMPARUTIONS :

Luke McRae

 

Pour la demanderesse

 

Catherine Vasilaros

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Luke McRae

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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