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Date : 20041008

Dossier : IMM-4522-03

Référence : 2004 CF 1392

ENTRE :

                                                                SIMON MUHAZI

                                                                                                                                      demandeur

                                                                            et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

INTRODUCTION

[1]                La présente espèce soulève essentiellement la question du contenu de l'obligation d'agir équitablement qu'assumait l'agente des visas à l'égard de Simon Muhazi (le demandeur), au cours de l'entrevue qu'elle a eue avec ce dernier relativement à sa demande de reconnaissance du statut de réfugié outre-frontières cherchant à se réinstaller.


[2]                Le demandeur est citoyen du Rwanda, d'origine Tutsi. Il s'est marié en 1992 et, jusqu'en 1994, sa femme et lui ont vécu dans la République démocratique du Congo (Congo), pays où était né le demandeur. En 1994, le couple s'est installé au Rwanda en dépit du conflit qui y persistait. Ils y sont demeurés jusqu'en 1999, puis ont fui au Kenya, parce que deux des frères du demandeur auraient été tués au Rwanda, l'un en 1997 et l'autre en 1998.

[3]                Par la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur conteste la décision rendue le 26 mars 2003 par la deuxième secrétaire du Haut-Commissariat du Canada (HCC) à Nairobi, au Kenya, refusant la demande de résidence permanente au Canada qu'il avait présentée pour lui et sa famille, dans la catégorie réglementaire des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières.

[4]                M. Muhazi a soumis sa demande de résidence permanente sous le régime de la partie 8 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés (le Règlement), intitulée « Catégories de réfugiés » et, plus particulièrement, de la section 1 de cette partie, intitulée « Réfugiés au sens de la Convention outre-frontières et personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières » .

[5]                L'article 145 du Règlement prévoit qu'est un réfugié au sens de la Convention outre-frontières et appartient à la catégorie des réfugiés au sens de cette convention l'étranger à qui un agent a reconnu la qualité de réfugié alors qu'il se trouvait hors du Canada.


LA DÉCISION DE L'AGENTE DES VISAS

[6]                La lettre par laquelle l'agente des visas a transmis la décision au demandeur indique que celui-ci a été rencontré le 11 décembre 2002 au HCC à Nairobi. L'agente renvoie d'abord à la définition de réfugié au sens de la Convention énoncée à l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la Loi) et explique ensuite la teneur de l'article 145 et du paragraphe 139(1) du Règlement. Le paragraphe 139(1) établit les conditions de délivrance du visa de résident permanent aux étrangers ayant besoin de protection.

[7]                C'est au premier paragraphe de la page 2 de la lettre de décision en date du 26 mars 2003 que se trouve en substance la décision de l'agente des visas. Voici ce paragraphe :

[traduction] Après un examen minutieux des facteurs applicables à votre demande, je conclus que vous ne faites partie d'aucune des catégories réglementaires, pour les raisons suivantes : je ne suis pas convaincue que vous craigniez avec raison d'être persécuté au Rwanda si vous y retournez. Vous avez vécu au Rwanda de 1994 à 1999. Vous avez attendu plusieurs mois après la mort de vos frères, en 1997 et en 1998, pour partir au Kenya. À ce moment-là, le conflit inter-ethnique s'atténuait au Rwanda, et on procédait au rapatriement des réfugiés. À présent, la situation politique et économique s'est stabilisée dans ce pays, et on estime que les réfugiés peuvent y retourner en sécurité. De plus, vous et votre famille possédez des passeports rwandais valides, et vous avez déclaré à l'entrevue que vous n'êtes pas un réfugié. Par conséquent, vous ne correspondez pas à la définition de réfugié au sens de la Convention énoncée précédemment. [Non souligné dans l'original]

[8]                Comme on peut le voir, la décision de l'agente des visas ne reposait pas sur l'évaluation de la crédibilité du demandeur.


LES FAITS

(1)        L'affidavit du demandeur

[9]                Simon Muhazi a déposé un affidavit à l'appui de sa demande de contrôle judiciaire. Il n'a pas été contre-interrogé. Voici les paragraphes 4 et 5 de cet affidavit :

[traduction] 4.        À l'entrevue, j'avais compris qu'on nous demandait si nous jouissions du statut de réfugié au Kenya, et j'ai répondu non. J'ai été très surpris de lire dans la décision : « Vous avez dit à l'entrevue que vous n'êtes pas un réfugié » . Ma famille et moi demandions d'être reconnus comme réfugiés au sens de la Convention. Nous craignions pour notre vie si nous retournions au Rwanda parce que nous avions été menacés par les milices Hutus. Le gouvernement n'est pas capable d'assurer notre protection. Certains membres de notre famille ont été tués par les milices en 1997; d'autres ont disparu depuis et nous ne savons pas ce qu'ils sont devenus. J'ai peur qu'il nous arrive la même chose si nous retournons. Nous n'avons jamais dit que nous n'étions pas réfugiés. Il est clair que soit l'agente des visas s'est complètement méprise au sujet de notre réponse soit nous n'avons pas compris la question.

5.             À l'entrevue, nous n'avons jamais eu la possibilité de donner des renseignements sur la situation de ceux qui retournent au Rwanda. Je suis très surpris que l'agente des visas affirme que la situation s'est stabilisée et qu' « on estime que les réfugiés peuvent y retourner en sécurité » . Je ne sais pas sur quoi elle se base parce que d'après tous les renseignements dont je dispose, il serait très dangereux pour moi et ma famille de retourner au Rwanda. Les milices Hutus continuent d'attaquer et de tuer la minorité tutsie. Au cours du génocide de 1994, plus de 600 000 Tutsis ont été tués. Le pays ne s'est jamais remis complètement, et les relations entre Hutus et Tutsis demeurent extrêmement tendues et violentes. C'est pour cette raison que nous avons quitté le Rwanda et que nous ne pouvons pas y retourner. [Non souligné dans l'original]

(2)        L'affidavit de l'agente des visas


[10]            L'agente des visas a déposé un affidavit en réponse. Elle n'a pas été contre-interrogée. Elle a commencé par y faire état de ses compétences en déclarant qu'elle s'est occupée des réfugiés du Rwanda, du Burundi et de la République démocratique du Congo qui se trouvaient dans des camps de réfugiés ou des villes du Kenya, de la Tanzanie ou de l'Ouganda et qui voulaient se réinstaller au Canada.

[11]            Elle décrit son expérience en matière d'évaluation de revendications de statut de réfugié émanant de Rwandais : elle a passé deux ans à la Section de l'immigration du HCC, elle se spécialise dans le traitement des réfugiés depuis son arrivée au HCC et, depuis le mois de décembre 2002, elle occupe le poste de coordonnatrice à la réinstallation des réfugiés dans l'unité du HCC spécialisée en cette matière. Elle est régulièrement en contact avec [traduction] « nos collègues du HCNUR, de l'OIM et de diverses ONG, qui m'informent régulièrement au sujet des mouvements de réfugiés en Afrique de l'Est, dans la Corne de l'Afrique et dans les pays de la région des Grands Lacs. Je suis au courant de l'évolution du rapatriement et de la réintégration des réfugiés rwandais » .

[12]            Elle a attesté que les notes versées dans le Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration (STIDI) qui figurent au dossier certifié du tribunal sont les siennes et qu'elle ont été prises pendant le processus de sélection, et elle confirme qu'elle a rencontré M. Muhazi et sa famille le 11 décembre 2002 et qu'elle leur a dit qu'elle leur poserait des questions pour déterminer s'ils répondaient aux conditions applicables en matière de réinstallation au Canada en qualité de réfugiés.

[13]            Voici ce qu'elle déclare au paragraphe 14 de son affidavit :


[traduction] 14.      Le demandeur s'est dit surpris d'être traité en tant que réfugié puisqu'il n'est pas un réfugié. Il m'a montré les passeports rwandais de sa famille, et a ajouté que sa famille au Canada avait organisé le parrainage, mais qu'il ignorait qu'il s'agissait du parrainage de réfugiés. [Non souligné dans l'original]

[14]            Elle a confirmé que le demandeur et sa femme sont Tutsis, qu'ils avaient vécu au Congo jusqu'en 1994 et qu'ils avaient déménagé au Rwanda, où ils étaient demeurés de 1994 à 1999.

[15]            Au paragraphe 16 de son affidavit, elle écrit que M. Muhazi a déclaré que deux de ses frères avaient été tués au Rwanda en 1997 et en 1998. Elle ajoute : [traduction] « toutefois, ce n'est qu'au mois de février 1999 qu'il a quitté le Rwanda avec sa famille » . Elle indique que les deux soeurs du demandeur ainsi que la mère, la soeur et les frères de sa femme vivent encore au Rwanda.

[16]            On peut lire, au paragraphe 18, qu'elle a donné la possibilité au demandeur, pendant l'entrevue, d'expliquer pourquoi il était parti du Rwanda, et qu'il avait alors relaté son histoire. Elle lui a exposé que, parce que la situation s'était améliorée au Rwanda, elle n'était pas convaincue qu'il craignait avec raison d'y retourner. Elle ajoute : [traduction] « [j]'ai expressément dit que le rapatriement des réfugiés se poursuivait et que le pays était politiquement stable » .

[17]            Au paragraphe 19, elle indique qu'à la fin de l'entrevue elle a demandé à l'intéressé s'il avait quelque chose à ajouter et qu'il a répondu non.


[18]            Au paragraphe 20, elle écrit qu'elle n'était pas convaincue que le demandeur et sa famille craignaient avec raison d'être persécutés s'ils retournaient au Rwanda. Elle répète que la famille avait vécu dans ce pays de 1994 à 1999, et que c'est plusieurs mois après la mort des deux frères du demandeur qu'ils ont décidé de partir pour le Kenya. Elle affirme que le conflit inter-ethnique au Rwanda avait alors diminué et qu'on procédait au rapatriement des réfugiés. Elle conclut ainsi son affidavit :

[traduction] 20.       . . . À présent, la situation politique et économique au Rwanda s'est stabilisée et on estime que les réfugiés peuvent y retourner en sécurité. De plus, le demandeur principal et sa famille possèdent des passeports rwandais valides et ils ont affirmé qu'ils n'étaient pas des réfugiés. Par conséquent, j'ai refusé la demande.

3)         L'affidavit de Glynis Williams

[19]            Il appert de l'affidavit souscrit le 20 juin 2003 par Glynis Williams, directrice depuis 1994 d'une ONG, Action Réfugiés Montréal, qui aide les réfugiés et qui représente le diocèse anglican de Montréal au Conseil canadien pour les réfugiés, que le Rwanda figure sur la liste des pays vers lesquels le Canada n'effectue plus de renvois même en cas de refus de demande d'asile, exception faite du renvoi des personnes reconnues coupables de crimes graves.

[20]            Mme Williams confirme que le gouvernement du Canada a pour principe de ne pas renvoyer de ressortissants étrangers au Rwanda.


LES PRÉTENTIONS DU DEMANDEUR

[21]            Voici l'énumération des motifs de contestation invoqués par l'avocat du demandeur au cours de l'audience, auxquels l'avocate du défendeur s'est opposé pour diverses raisons d'ordre juridique ou factuel :

(a)        La conclusion de l'agente des visas selon laquelle on estimait que les réfugiés pouvaient retourner sans danger au Rwanda est entachée d'une erreur de droit, du fait qu'elle a été tirée sans égard à la preuve documentaire, notamment celle du moratoire pratiqué par le Canada, lequel empêche les renvois vers les pays non sécuritaires, dont le Congo.

(b)        L'agente des visas a tenu compte d'un élément non pertinent en refusant de reconnaître la qualité de réfugié au demandeur parce qu'il possédait un passeport valide. Selon l'avocate, cela signifierait que seuls les détenteurs de faux passeports pourraient obtenir le statut de réfugié. Elle a soutenu en outre que la possession d'un passeport valide est sans rapport avec la crainte des Hutus. De plus, l'agente des visas n'a pas tenu compte du fait que le passeport avait été délivré en 1999, l'année où le demandeur s'est enfui.

(c)        L'avocate a relevé les manquements suivants à l'obligation d'agir équitablement au cours de l'audience :


premièrement, avant d'accepter sans autre examen la déclaration du demandeur qu'il n'était pas un réfugié et de s'appuyer sur elle pour tirer sa conclusion qu'il n'en était pas un, l'agente des visas avait l'obligation de clarifier ce point ou de pousser l'interrogatoire du demandeur à ce sujet, compte tenu des circonstances de l'affaire, notamment le fait que personne n'assistait le demandeur à l'entrevue, le fait que l'agente des visas savait que l'entrevue visait à déterminer si le demandeur était un réfugié au sens de la Convention, le fait que la demande était parrainée par Action Réfugiés à Montréal et le fait que les notes du STIDI comportaient un exposé circonstancié, c'est-à-dire le fondement factuel de la crainte du demandeur d'être persécuté;

deuxièmement, l'agente des visas n'a pas confronté le demandeur aux éléments de preuve extrinsèques sur lesquels elle s'était appuyée pour conclure que le conflit inter-ethnique au Rwanda s'était atténué, en 1999, au point qu'il était sans danger pour le demandeur de retourner dans ce pays.

(d)        L'agente des visas n'a pas évalué ce que signifiait le départ du demandeur du Rwanda. Elle avait l'obligation d'examiner les causes du retard.

(e)        L'agente des visas n'a pas fourni au demandeur la possibilité de dissiper ses doutes au sujet du risque personnel qu'ils couraient en retournant au Rwanda.

ANALYSE                                                                              

[22]            J'ai quelques remarques à faire sur le dossier certifié du tribunal avant de procéder à l'analyse.


[23]            Premièrement, le dossier indique que, contrairement à la pratique établie, l'agente des visas n'a pas pris en note la séquence des questions et réponses lors de l'entrevue. Les notes de l'agente des visas versées au STIDI ont plutôt été rédigées le 16 décembre 2002 alors que l'entrevue avait eu lieu le 11 décembre.

[24]            Deuxièmement, les notes de l'agente des visas versées au STIDI ne visent pas à exposer dans le détail les questions posées et les réponses données pendant l'entrevue; elles ne font que résumer ce qui s'est dit selon elle pendant l'entrevue.

[25]            Troisièmement, les notes du STIDI révèlent une incohérence interne. Après avoir étudié le dossier le 16 décembre 2002, l'agente des visas a déclaré qu'il ne contenait pas d'exposé circonstancié, ce qui est inexact puisque la page 8 du dossier certifié indique qu'elle avait inscrit l'exposé circonstancié du demandeur.

[26]            Quatrièmement, la lettre de refus officielle a été transmise quelque trois mois et demi après l'entrevue et après la décision de l'agente des visas de refuser la demande.

[27]            Cinquièmement, les notes du STIDI n'indiquent pas clairement si l'agente des visas a demandé à l'intéressé ses commentaires au sujet du rapatriement des réfugiés qui avait lieu au Rwanda.


[28]            L'effet cumulatif de ce qui ressort du dossier certifié du tribunal me fait conclure, dans les circonstances, que les notes de l'entrevue sont entachées d'une erreur substantielle, en dépit de l'affidavit de l'agente des visas.

[29]            Dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la juge L'Heureux-Dubé a résumé les principes jurisprudentiels applicables au contenu de l'obligation d'agir équitablement, laquelle est « éminemment variable et son contenu [...] tributaire du contexte particulier de chaque cas » , compte tenu de l'ensemble des circonstances.

[30]            Pour bien marquer que le contenu de l'équité procédurale varie en fonction des dispositions législatives applicables et des droits en cause, la juge L'Heureux-Dubé a souligné que l'objet des droits de participation faisant partie de l'obligation d'équité procédurale est de « garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d'une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leur points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu'ils soient considérés par le décideur » .

[31]            Elle a énuméré cinq facteurs à prendre en considération pour déterminer quel est le contenu de l'obligation de common law en matière d'équité procédurale dans une situation donnée :

(1)        la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir;

(2)        la nature du régime législatif et les termes de la loi en vertu de laquelle agit l'organisme en question;

(3)        l'importance de la décision pour les personnes visées (plus la décision est importante pour la vie des personnes visées et plus ses répercussions sont grandes pour ces personnes, plus les protections procédurales requises seront rigoureuses);

(4)        les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision;

(5)        les choix de procédure que l'organisme fait lui-même, particulièrement quand la loi laisse au décideur la possibilité de choisir ses propres procédures.

[32]            La juge a indiqué que cette liste n'était pas exhaustive et elle a souligné que les valeurs qui sous-tendent l'obligation d'équité procédurale relèvent du principe selon lequel les personnes visées doivent avoir la possibilité de présenter entièrement et équitablement leur position et ont droit à ce que « les décisions touchant leurs droits, intérêts ou privilèges soient prises à la suite d'un processus équitable, impartial et ouvert, adapté au contexte légal, institutionnel et social de la décision » .

[33]            L'avocate du défendeur a cité plusieurs décisions de notre Cour qui, toutes, établissent qu'un agent des visas saisi d'une demande de résidence permanente émanant d'une personne qui veut se faire reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller assume l'obligation d'agir équitablement (voir par exemple Jallow c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 122 F.T.R. 40; Smajic et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1904; Oraha et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 788).

[34]            Selon l'avocate du défendeur, toutes ces décisions ont en commun d'établir une distinction entre la situation du revendicateur de statut de réfugié qui cherche à se réinstaller de celle du revendicateur se trouvant au Canada, à propos de laquelle la Cour suprême a déclaré dans son arrêt de principe Singh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1985] 1 R.C.S. 177, que la justice fondamentale exigeait, sous le régime de la Charte comme sous celui de la Déclaration des droits, que la décision relative à une revendication de statut de réfugié soit rendue après la tenue d'une audience.

[35]            Comme le juge Gibson l'a signalé dans la décision Oraha, précitée, le revendicateur du statut de réfugié cherchant à se réinstaller ne risque pas, en cas de rejet de sa demande, l'expulsion par les autorités canadiennes vers le pays où il craint d'être persécuté.

[36]            Le juge Gibson, faisant remarquer qu'un agent des visas avait rencontré M. Oraha, a estimé que cette rencontre équivalait à une audience et a conclu que, compte tenu de la preuve présentée, rien ne lui permettait de conclure que l'audience n'avait pas été « complète et équitable » .

[37]            Appliquant ce critère à la preuve dont je dispose, je conclus que le demandeur n'a pas eu droit à l'audition complète et équitable de sa demande de réinstallation à titre de réfugié, pour les motifs suivants.

[38]            Premièrement, l'agente des visas, pour déterminer que le demandeur n'éprouvait pas de crainte subjective de retourner au Rwanda, n'aurait pas dû prendre en considération la prétendue déclaration de celui-ci selon laquelle il n'était pas un réfugié, sans tenter auparavant de clarifier ce point, car cette réponse était manifestement illogique, à mon avis, compte tenu de l'ensemble des circonstances. L'agente des visas savait que le demandeur et sa famille étaient parrainés par Action Réfugiés, à titre de réfugiés. La lettre du HCC en date du 7 novembre 2002, qui convoquait le demandeur à une entrevue, indiquait que le but de la rencontre était de déterminer [traduction] « si vous pouvez satisfaire aux conditions d'admission au Canada à titre de réfugié » (dossier certifié du tribunal, page 23). De plus, l'agente des visas avait par la suite préparé un exposé circonstancié.

[39]            Ainsi qu'il appert de l'affidavit du demandeur, si l'agente des visas avait demandé à ce dernier de clarifier sa réponse, elle se serait aperçue qu'elle avait mal compris la réponse ou bien que le demandeur avait mal compris la question.

[40]            Deuxièmement, l'équité exigeait, dans les circonstances, que l'agente des visas fournisse au demandeur la possibilité de soumettre des commentaires au sujet de l'opinion de cette dernière que la situation s'était améliorée au Rwanda, que le pays connaissait une stabilité politique et que le rapatriement des réfugiés était en cours, opinion qu'elle n'avait pas non plus exposée au demandeur (suivant le dossier contradictoire soumis en preuve).

[41]            La présente espèce diffère de l'affaire Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 3 C.F. 461, dans laquelle la Cour d'appel fédérale a jugé qu'un agent d'immigration effectuant un examen sous le régime des règles relatives aux membres de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (les règles) ne violait pas le principe de l'équité lorsqu'il ne révélait pas, avant de rendre sa décision, sur quels documents de sources publiques il s'appuyait en ce qui concernait la situation générale dans le pays.


[42]            De toute évidence, l'agente des visas s'es fondée sur sa propre expérience ainsi que sur des éléments de preuve extrinsèques ne provenant pas de sources publiques, puisqu'ils émanaient de « nos collègues du HCNUR, de l'OIM et de diverses ONG, qui m'informent régulièrement au sujet des mouvements de réfugiés [...] je suis au courant de l'évolution du rapatriement et de la réintégration des réfugiés rwandais » . En outre, le dossier certifié n'indique pas que l'agente des visas ait consulté des documents de sources publiques relatifs à la situation existant au Rwanda.

[43]            À mon avis, il s'agit en l' espèce de la situation décrite par le juge Décary dans l'arrêt Mancia, précité, où l'agent d'immigration entend se fonder sur une preuve qu'on ne peut normalement obtenir et où « l'équité exige que le demandeur soit informé de toute information inédite et importante faisant état d'un changement survenu dans la situation générale d'un pays si ce changement risque d'avoir une incidence sur l'issue du dossier » .

[44]            Troisièmement, les notes relatives à l'entrevue ne me convainquent pas que celle-ci a été complète et équitable.

[45]            Quatrièmement, l'examen des notes du STIDI ne me convainc pas que l'agente s'est suffisamment penchée sur la question du délai entre l'assassinat des deux frères du demandeur et le moment auquel ce dernier a fui le Rwanda, au début de 1999. Le demandeur et sa famille ont pu vivre dans la clandestinité, par exemple. De plus, il n'existe pas de preuve tangible au sujet de la longueur de ce délai.

[46]            Compte tenu des circonstances de l'espèce, je conclus que l'agente des visas n'a pas satisfait aux exigences de l'équité procédurale.

[47]            Bien que les motifs qui précèdent soient suffisants pour annuler la décision, j'ajouterais que je conviens avec l'avocat du demandeur que l'agente des visas a tenu compte d'une considération non pertinente - c'est-à-dire du fait que le demandeur possédait un passeport rwandais - pour rendre sa décision.

[48]            Pour tous ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l'agente des visas est annulée et la demande de réinstallation à titre de réfugié est renvoyée pour examen par un autre agent des visas. Aucune question n'a été soumise pour certification.

« François Lemieux »

                                                                                                                                                                             

                                                                                                J U G E                       

OTTAWA (ONTARIO)

8 OCTOBRE 2004

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L. Trad. a.


                                     COUR FÉDÉRALE

                                                     

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                             IMM-4522-03

INTITULÉ :                            SIMON MUHAZI

c.

MCI     

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :      Montréal

DATE DE L'AUDIENCE :    20 juillet 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE LEMIEUX

DATE DES MOTIFS :           8 octobre 2004

COMPARUTIONS :

Me Mitchell Goldberg    POUR LE DEMANDEUR

Me Martine Valois                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

507, Place D'Armes                  POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Min. de la Justice                       POUR LE DÉFENDEUR

Montréal (Québec)


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