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Date : 20191011


Dossier : T‑314‑19

Référence : 2019 CF 1290

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 octobre 2019

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

SATINDER DHILLON ET EMMET PIERCE, EN SA QUALITÉ D’AGENT PRINCIPAL

demandeurs

et

LE DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS, MAXIME BERNIER, CHRISTIAN ROY, EN SA QUALITÉ D’AGENT PRINCIPAL, ET LE PARTI POPULAIRE DU CANADA

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Le 15 février 2019, les demandeurs ont intenté la demande sous‑jacente visant le contrôle judiciaire de la décision prise, le 17 janvier 2019, par le directeur général des élections [le DGE] d’enregistrer le Parti populaire du Canada, dont le chef est monsieur Maxime Bernier, à titre de parti enregistré, au sens de l’article 390 de la Loi électorale du Canada, LC 2000, c 9 [la LEC].

[2]  Dans l’avis de demande, les demandeurs allèguent que le DGE n’a pas rempli ses obligations prévues par la LEC à leur égard lorsqu’il a omis de s’assurer de [TRADUCTION] « l’exactitude de la demande d’enregistrement faite par le parti de M. Bernier » (article 385) ou, subsidiairement, lorsqu’il a omis [TRADUCTION] « de réexaminer l’admissibilité du parti de M. Bernier, compte tenu de l’existence des droits de propriété intellectuelle du demandeur » (sous‑alinéa 387a)(i)).

[3]  Le DGE a sollicité une ordonnance en vue de la radiation de l’avis de demande, aux motifs que les demandeurs n’avaient pas qualité pour présenter la demande ou, subsidiairement, que la procédure est prescrite. M Bernier, M. Christian Roy, en sa qualité d’agent principal, et le Parti populaire du Canada [conjointement, le PPC] leur ont emboîté le pas au moyen d’une requête similaire.

[4]  Pour les motifs exposés ci‑dessous, je conclus que la procédure devrait être rejetée.

I.  Contexte

[5]  Le 4 octobre 2018, le DGE a reçu une demande de M. Bernier en vue de l’enregistrement d’un parti politique qui serait nommé, en français, le « Parti populaire du Canada », et, en anglais, the « People’s Party of Canada ».

[6]  Le 13 novembre 2018, la Direction du financement politique d’Élections Canada a avisé le DGE que la demande de M. Bernier contenait tous les éléments exigés par la LEC. Elle a aussi avisé le DGE que le nom prévu pour le parti, sa forme abrégée et son logo ne créeraient vraisemblablement pas de confusion avec un autre parti enregistré ou admissible, en conformité avec le sous‑alinéa 387a)(i) de la LEC.

[7]  Le 14 novembre 2018, Élections Canada a avisé M. Bernier que le DGE avait déterminé que le Parti populaire du Canada était un parti admissible à l’enregistrement, en conformité avec l’article 387 de la LEC. Élections Canada a aussi déclaré que le Parti populaire du Canada serait enregistré à titre de parti lorsque’aurait été confirmée la candidature d’au moins un candidat soutenu par lui pour une élection, en conformité avec le paragraphe 390(1) de la LEC.

[8]  Le 15 novembre 2018, l’admissibilité du Parti populaire du Canada a été communiquée aux demandeurs, qui avaient précédemment présenté une demande en vue de l’enregistrement d’un parti politique portant le même nom.

[9]  Le 17 janvier 2019, Élections Canada a confirmé la nomination (pour une élection partielle) d’un candidat du Parti populaire du Canada dans la circonscription de Burnaby Sud. Le DGE a enregistré le Parti populaire du Canada à titre de parti politique le jour même.

II.  Historique des procédures

[10]  Comme je l’ai déjà mentionné, les demandeurs ont intenté la procédure sous‑jacente par le dépôt, le 15 février 2019, d’un avis de demande. Le 12 mars 2018, le DGE a transmis une copie certifiée conforme du dossier du tribunal, en conformité avec l’article 318 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, faisant valoir en même temps que la demande présentée par les demandeurs avait une portée excessive et manquait de précision.

[11]  Après avoir signifié un affidavit en réponse à la demande, le DGE a présenté la présente requête le 13 mai 2019, pour qu’elle soit examinée lors d’une séance spéciale devant être fixée par la Cour. Le PPC a déposé une requête distincte le 4 juillet 2019.

[12]  Le 15 juillet 2019, la protonotaire Mandy Aylen a ordonné que la procédure soit gérée à titre d’instance à gestion spéciale, et que les requêtes en rejet soient tranchées par le ou la juge responsable de la gestion de l’instance. Elle a aussi ordonné que les demandeurs fournissent à la Cour et aux défendeurs une mise à jour sur les efforts qu’ils ont déployés pour retenir les services d’un avocat, au plus tard le 19 juillet 2019.

[13]  Le 18 juillet 2019, j’ai été nommé à titre de juge responsable de la gestion de l’instance. Le 24 juillet 2019, il a été ordonné aux demandeurs de déposer et de signifier un avis de nomination d’avocat, au plus tard le 8 août 2019, ou autrement de proposer une date d’échéance en août pour la signification et le dépôt de leurs dossiers de requête en réponse. Les demandeurs ne se sont pas conformés aux directives de la Cour.

[14]  Le 9 août 2019, j’ai ordonné que les requêtes des défendeurs soient transmises sans délai à la Cour pour qu’elles soient jugées sur dossier, au cas où les demandeurs ne déposeraient pas de documents en réponse au plus tard le 12 août 2019.

[15]  Le 11 août 2019, le demandeur, Emmet Pierce, a présenté une lettre par laquelle il demandait une prorogation du délai pour répondre aux requêtes en radiation des défendeurs. M. Pierce a affirmé que les demandeurs avaient retenu les services de l’avocate Rahma Saidi, et que Me Saidi serait responsable de la conduite de l’affaire.

[16]  Me Saidi a par la suite avisé le greffe qu’elle n’avait pas été engagée pour agir pour le compte des demandeurs dans la présente affaire. Les requêtes des défendeurs ont donc été transmises à la Cour pour qu’elles soient jugées sur dossier.

[17]  Avant qu’il ne soit statué sur les requêtes, Me Saidi a déposé un avis de sa nomination à titre d’avocate. En conséquence, une audience de gestion de l’instance a été prévue pour la présente affaire et deux affaires connexes concernant les mêmes parties.

[18]  Après avoir entendu les avocats des parties le 9 septembre 2019, j’ai accordé aux demandeurs une dernière prorogation de délai jusqu’au 16 septembre 2019, afin qu’ils déposent et signifient leurs documents de requête en réponse.

[19]  Le 16 septembre 2019, les demandeurs ont présenté un document de deux pages intitulé « Réponse ». Le dépôt du document a été accepté; il devait être traité comme étant la réponse des demandeurs aux requêtes des défendeurs.

[20]  Le 18 septembre 2019, le DGE a présenté une demande informelle en vue d’obtenir l’autorisation de modifier son avis de requête, afin de réclamer des dépens de 2 000 $. En l’absence de toute objection des demandeurs, l’autorisation de modifier est accordée.

A.  Requêtes des défendeurs et réponse du demandeur

[21]  Le DGE soutient que les demandeurs n’ont pas la qualité pour contester la décision du 17 janvier 2019 faisant l’objet du contrôle, parce qu’ils ne sont pas directement touchés par celle‑ci. En outre, ils n’ont avancé aucun fondement pour que leur soit reconnue la qualité pour agir dans l’intérêt public. Le DGE affirme, de manière subsidiaire, que la décision qui touchait les droits des demandeurs était celle par laquelle le DGE avait décidé que le parti de M. Bernier était admissible à l’enregistrement, laquelle avait été communiquée aux demandeurs par une lettre datée du 15 novembre 2018. Le DGE soutient que le contrôle judiciaire de cette décision antérieure n’a pas été sollicité dans le délai de 30 jours prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, et que les demandeurs ne peuvent plus contester la décision, qui est donc frappée de prescription.

[22]  Le PPC se joint au DGE dans sa demande visant le rejet de la demande de contrôle judiciaire, aux motifs que les demandeurs n’ont pas qualité pour agir et que l’affaire est prescrite. Le PPC réitère les arguments du DGE selon lesquels les demandeurs n’ont pas de droits procéduraux, parce que la LEC n’exige pas, lors de l’examen de la demande de M. Bernier, que le DGE consulte les demandeurs ou tienne compte des droits de propriété intellectuelle qu’ils revendiquent. Même si les droits de propriété intellectuelle accordent une certaine qualité pour agir, le PPC ajoute que les droits de propriété intellectuelle revendiqués par les demandeurs sont indéfendables, comme la Cour l’a décidé dans Dhillon c Bernier, 2019 CF 573.

[23]  Dans leur réponse succincte, les demandeurs soutiennent qu’ils [traduction« croient qu’ils ont qualité pour donner suite à l’affaire », qu’il y a [traduction« une possibilité que leur demande soit accueillie, du fait du statut actuel de leur demande d’enregistrement de la marque de commerce », et que [traduction« l’admissibilité du parti du défendeur à l’enregistrement doit être contestée ». Ils n’examinent pas de manière substantielle les questions liées au caractère justiciable de la décision contestée, à leur qualité pour déposer la demande ou au respect des délais pour la demande.

III.  Analyse

[24]  La Cour a compétence pour radier un avis de demande du fait de sa compétence absolue de restreindre le mauvais usage ou l’abus des procédures judiciaires : Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc, 2013 CAF 250, aux par. 47 et 48. Toutefois, le critère pour la radiation d’un avis de demande est strict; il doit être manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli. En d’autres termes, la Cour doit être en présence d’« un vice fondamental et manifeste qui se classe parmi les moyens exceptionnels qui infirmeraient à la base sa capacité à instruire la demande ».

[25]  En général, un moyen fondé sur la prescription ne constitue pas un fondement pour la radiation d’une demande et devrait être soulevé de manière appropriée dans la défense et plaidé à l’audience relative à la demande. Cela étant dit, la Cour a radié des demandes intentées après la période de prescription, lorsqu’il n’y avait pas de questions défendables concernant le moment de la décision ou la communication de celle‑ci au demandeur. Tel est le cas en l’espèce.

[26]  La preuve dont je dispose établit clairement que la décision relative à l’admissibilité qui a touché aux droits des demandeurs a été communiquée à ces derniers dans une lettre du DGE datée du 15 novembre 2018. Les demandeurs n’ont pas sollicité le contrôle judiciaire de cette décision.

[27]  Le paragraphe 390(1) de la LEC dispose que : « Le parti admissible est enregistré lorsqu’a été confirmée la candidature d’au moins un candidat soutenu par lui pour une élection, s’il n’a pas retiré sa demande d’enregistrement et si celle‑ci a été présentée au moins soixante jours avant la délivrance du bref […] ». La prétendue « décision » prise le 17 janvier 2019 visant l’enregistrement du Parti populaire du Canada à titre de parti enregistré n’était rien d’autre que la manifestation d’une application automatique de la loi.

[28]  Pour l’essentiel, au moyen de la présente demande, les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du DGE du 14 novembre 2018. Le délai pour se faire est écoulé, et aucune prorogation du délai n’a été demandée. Dans de telles circonstances, je n’ai aucun motif d’autoriser l’instruction de la présente demande, étant donné qu’elle n’a aucune chance d’être accueillie.

[29]  Compte tenu de ma conclusion susmentionnée, il n’est pas nécessaire que j’examine les autres arguments des défendeurs.

IV.  Dépens

[30]  Les défendeurs sollicitent leurs dépens. À mon avis, vu les circonstances, rien ne justifierait de s’écarter de la règle habituelle selon laquelle les dépens devraient suivre l’issue de la cause.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T‑314‑19

LA COUR ORDONNE :

  1. L’autorisation est accordée au défendeur, le directeur général des élections, de modifier son avis de requête afin de solliciter l’adjudication des dépens.

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  3. Les dépens de sa requête et de la procédure sont adjugés au défendeur, le directeur général des élections; leur montant est fixé par les présentes à 2 000 $, y compris les débours et les taxes, et doit être payé sans délai par les demandeurs.

  4. Les dépens de leur requête et de la procédure sont adjugés aux défendeurs, Maxime Bernier, Christian Roy, en sa qualité d’agent principal, et le Parti populaire du Canada; leur montant est fixé par les présentes à 2 000 $, y compris les débours et les taxes, et doit être payé sans délai par les demandeurs.

« Roger R. Lafrenière »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 6e jour de novembre 2019.

Julie Blain McIntosh, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑314‑19

 

INTITULÉ :

SATINDER DHILLON ET EMMET PIERCE, EN SA QUALITÉ D’AGENT PRINCIPAL c LE DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS, MAXIME BERNIER, CHRISTIAN ROY, EN SA QUALITÉ D’AGENT PRINCIPAL, ET LE PARTI POPULAIRE DU CANADA

 

REQUÊTES EXAMINÉES SUR DOSSIER À OTTAWA (ONTARIO)

Ordonnance et motifs :

Le juge LAFRENIÈRE

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

Le 11 octobre 2019

 

OBSERVATIONS ÉCRITES PAR :

Rahma Saidi

 

Pour les demandeurs

 

Erin Collins

James Plotkin

Camille Aubin

Catherine Thall Dubé

Pour le défendeur

LE DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS

 

POUR LES DÉFENDEURS

MAXIME BERNIER

CHRISTIAN ROY, EN SA QUALITÉ D’AGENT PRINCIPAL, ET LE PARTI POPULAIRE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Saidi Law Corporation

Surrey (Colombie‑Britannique)

 

Pour les demandeurs

 

Erin Collins

Élections Canada

Caza Saikaley

Ottawa (Ontario)

Robic, S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

LE DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS

 

Pour le défendeur

LE DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS

POUR LES DÉFENDEURS

MAXIME BERNIER

CHRISTIAN ROY, EN SA QUALITÉ D’AGENT PRINCIPAL, ET LE PARTI POPULAIRE DU CANADA

 

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