Dossier : IMM-5348-18
Référence : 2019 CF 1284
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 9 octobre 2019
En présence de monsieur le juge Ahmed
ENTRE :
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CHUNBO LIN
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
Monsieur Chunbo Lin (le « demandeur »
), qui est citoyen chinois, a présenté une demande de résidence permanente dans le cadre du Programme Candidats immigrants pour la Saskatchewan (« PCIS »
). Le 18 octobre 2018, un agent des visas canadien (l’« agent »
) du bureau d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (« IRCC »
) à Hong Kong a rejeté sa demande en raison d’une présentation erronée sur un fait important, en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (« LIPR »
), ce qui a entraîné une interdiction de territoire de cinq ans au titre de l’alinéa 40(2)a) de la LIPR. Selon le paragraphe 40(3) de la LIPR, le demandeur ne peut demander le statut de résident permanent pendant la durée de cette interdiction.
II.
Faits
A.
Période antérieure à la première demande de visa
[2]
Le demandeur a reçu une formation de soudeur et d’ingénieur électricien en Chine. Il a beaucoup d’expérience comme soudeur. Il a obtenu son certificat de soudeur en juillet 2005 et a travaillé comme soudeur pour trois sociétés différentes avant de demander la résidence permanente au Canada. Le demandeur a travaillé pour Yuanhai Shenglin Repair Company de février 2007 à avril 2010, pour Qingao Hailunka Shipbuilding Company de septembre 2012 à mai 2013 et pour Shandong Haiqing Chemical Machinery Company de décembre 2013 à mars 2015. De plus, il a obtenu un diplôme en génie électrique et automatisation en janvier 2015.
B.
Première désignation de la province et demande de visa
[3]
Avec l’aide de M. Zengtao Lui, consultant en immigration, le demandeur a obtenu une offre d’emploi de HB Welding, une entreprise de la Saskatchewan. En septembre 2014, le demandeur a présenté une demande dans le cadre du PCIS. Il a fondé sa demande sur son expérience en tant que soudeur et sur l’offre d’emploi qu’il avait reçue de HB Welding, un employeur admissible au PCIS. La Saskatchewan a approuvé la demande du demandeur et a délivré un certificat de désignation le 21 janvier 2015.
[4]
En mars 2015, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente dans laquelle il mentionnait son épouse, Hua Moa, et son enfant, Runnan Lin, comme personnes à charge. La demande comprenait son certificat de désignation provincial et des lettres de deux employeurs, soit Yuanhai Shenglin Repair Company et Shandong Haiqing Chemical Machinery Company. Peu après avoir présenté sa demande, le demandeur a quitté son emploi chez Shandong Haiqing Chemical Machinery Company.
[5]
Le demandeur a commencé à chercher un emploi temporaire qui lui permette de subvenir aux besoins de sa famille en attendant l’approbation de leur demande de résidence permanente. En juillet 2015, le directeur de production de Qingdao Aiborui Vibration Isolation Technology Co. Ltd. (« Qingdao Aiborui »
), M. Xu Xihua, a embauché le demandeur. Ils ont convenu que celui‑ci serait un travailleur « non enregistré »
. Le demandeur a travaillé à Qingdao Aiborui de juillet 2015 à octobre 2016.
[6]
En août 2015, peu après l’embauche du demandeur par Qingdao Aiborui, le défendeur a demandé au demandeur de fournir des documents supplémentaires. Le demandeur a donné suite à cette demande en septembre 2015. Sa réponse comprenait une « Annexe A »
mise à jour, où il était indiqué qu’il avait commencé à travailler à Qingdao Aiborui en juillet 2015. Sa réponse comprenait également une lettre du directeur de production de Qingdao Aiborui, M. Xihua, confirmant l’emploi du demandeur.
[7]
Entre-temps, IRCC est devenu sceptique à l’égard de l’offre d’emploi de HB Welding parce que l’entreprise avait offert un emploi au demandeur sans lui faire passer d’entrevue. La communication entre HB Welding et le demandeur avait été effectuée exclusivement par l’intermédiaire de son consultant en immigration. IRCC a demandé au consultant en immigration de fournir de nouveaux documents liés à l’offre d’emploi. Le consultant en immigration a fourni les documents, mais la province de la Saskatchewan a néanmoins révoqué le certificat de désignation provincial du demandeur le 15 décembre 2015. Son certificat de désignation ayant été révoqué, la demande de résidence permanente du demandeur a été refusée le 4 janvier 2016.
C.
Demande initiale de contrôle judiciaire
[8]
Le demandeur a demandé le contrôle judiciaire de la décision de la province de la Saskatchewan de révoquer son certificat de désignation et de la décision du défendeur de rejeter sa demande de résidence permanente. Le défendeur et le demandeur sont parvenus à un règlement quant à la demande de contrôle judiciaire relative au visa de résident permanent, et la décision a été renvoyée, sur consentement, pour nouvel examen. Peu après, le 9 mai 2016, la province de la Saskatchewan a délivré un nouveau certificat de désignation provincial.
D.
Deuxième désignation de la province et nouvel examen de la demande de visa
[9]
Le 23 juin 2016, le défendeur a communiqué avec le demandeur et lui a demandé de se présenter à une entrevue le 27 juillet 2016. Lors de l’entrevue, le demandeur a fourni certains détails sur son travail à Qingdao Aiborui.
[10]
À la suite de cette entrevue, le défendeur a communiqué avec diverses personnes pour confirmer les détails de la demande du demandeur. Le défendeur a continué de correspondre avec HB Welding pour vérifier si l’offre d’emploi était toujours valide et pour savoir pourquoi elle avait été faite au demandeur en premier lieu. Entre août et septembre 2016, le défendeur a vérifié les titres de compétence du demandeur, son emploi auprès de la Shandong Haiqing Chemical Machinery Company et son emploi auprès de Qingdao Aiborui, bien que M. Xihua ait déclaré que le demandeur était en congé à ce moment-là.
[11]
Le 10 octobre 2016, le demandeur a démissionné de Qingdao Aiborui. Le 3 novembre 2016, il a écrit au défendeur pour l’informer du changement de sa situation d’emploi.
E.
Visite sur place de 2017
[12]
Le 13 février 2017, le défendeur a demandé à Qingdao Aiborui de visiter les lieux afin de déterminer si le demandeur y travaillait véritablement. Le demandeur maintient que la raison pour laquelle le défendeur souhaitait effectuer cette visite n’était pas claire. Toutefois, selon une note du Système mondial de gestion des cas datée du 14 février 2017, le défendeur s’est mis à douter de la légitimité de la demande du demandeur parce qu’IRCC avait découvert que le consultant en immigration du demandeur, M. Lui, avait fait de fausses déclarations dans deux autres demandes. Ces fausses déclarations ont été mises au jour lors de visites sur place auprès de prétendus employeurs dans le cadre de ces autres demandes, ce qui a amené le défendeur à effectuer également une visite sur place auprès de l’employeur du demandeur.
[13]
Le 27 février 2017, le défendeur a demandé au demandeur de fournir une « Annexe A »
mise à jour. Le 21 mars 2017, le demandeur a fourni le document mis à jour, qui indiquait qu’il avait travaillé à Qingdao Aiborui de juillet 2015 à octobre 2016.
[14]
Le défendeur a effectué une visite sur place auprès de Qingdao Aiborui le 26 juin 2017. Le défendeur s’est rendu au siège social de l’entreprise, plutôt qu’à ses installations de production, où le demandeur prétendait avoir travaillé. Le défendeur a fait remarquer que le demandeur n’était pas présent sur les lieux et qu’aucun membre du personnel n’avait reconnu son nom ou sa photographie. Il n’y avait aucun relevé d’emploi du demandeur. Lorsque le défendeur a demandé s’il était possible que le demandeur ait été embauché temporairement à titre d’employé « non enregistré »
, le personnel a répondu par l’affirmative, mais n’a pas été en mesure de fournir plus de détails.
F.
Première mise en demeure et lettre relative à l’équité procédurale
[15]
Le demandeur a ensuite commencé à travailler pour Qingdao Izumi Giken Refrigerating Co. Ltd. en juillet 2017, et il a fourni, en septembre 2017, une annexe A mise à jour à cet effet. Compte tenu du retard dans le traitement de sa demande, le demandeur a écrit au défendeur le 3 novembre 2017 pour lui demander de rendre une décision dans un délai de 45 jours.
[16]
Au lieu de faire l’objet d’une décision, le demandeur a reçu une lettre relative à l’équité procédurale le 7 novembre 2017. Cette lettre faisait état des conclusions détaillées tirées par le défendeur à la suite de la visite sur place à Qingdao Aiborui. Le défendeur s’est dit préoccupé par la possibilité que le demandeur ait fait de fausses déclarations au sujet de son expérience de travail et présenté une lettre de recommandation frauduleuse.
[17]
Le demandeur a répondu à la lettre relative à l’équité procédurale le 17 mars 2018. La réponse du demandeur comprenait des observations écrites portant qu’il n’y avait pas eu de fausse déclaration et que, même si tel était le cas, il n’y avait aucune incidence en raison de sa vaste expérience en soudure; une déclaration solennelle selon laquelle il avait travaillé chez Qingdao Aiborui; une lettre de M. Xihua confirmant que le demandeur avait été un employé « non enregistré »
; une lettre d’un collègue de Qingdao Aiborui confirmant que le demandeur avait été un employé « non enregistré »
; le livret d’enregistrement des ménages indiquant que le demandeur travaillait pour Qingdao Aiborui; et une demande écrite de congé présentée par le demandeur à l’époque où il travaillait à Qingdao Aiborui.
G.
Deuxième mise en demeure
[18]
Le défendeur ne s’est pas manifesté pendant les sept mois suivants. Le 11 octobre 2018, le demandeur a envoyé une deuxième mise en demeure demandant au défendeur de rendre une décision dans un délai de 45 jours. Par lettre datée du 18 octobre 2018, l’agent a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur.
III.
Décision faisant l’objet du contrôle
[19]
L’agent a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur pour présentation erronée sur un fait important au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. L’agent a conclu que le demandeur avait fait de fausses déclarations au sujet de son emploi à Qingdao Aiborui. L’agent a pris acte des documents fournis par le demandeur en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, mais il les a jugés insuffisants.
[20]
De plus, l’agent a conclu que les fausses déclarations auraient pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. Selon l’agent, une fausse déclaration concernant l’emploi du demandeur aurait pu faire en sorte que la province de la Saskatchewan offre à tort un parrainage provincial, puisque la désignation du demandeur dans le cadre du PCIS reposait en partie sur son expérience de travail comme soudeur.
IV.
Questions en litige
[21]
Deux questions font l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire :
Le demandeur s’est-il vu refuser injustement la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agent?
La conclusion de l’agent quant à l’existence d’une présentation erronée sur un fait important était-elle raisonnable?
V.
Norme de contrôle
[22]
La cour de justice détermine s’il y a eu manquement à l’équité procédurale ou déni de la justice naturelle selon la norme de la « décision correcte »
: Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au par. 79. La cour détermine si « un processus juste et équitable a été suivi »
par le décideur. Dans son analyse, la cour doit, dans une certaine mesure, faire preuve de retenue à l’égard des choix faits par le décideur en matière de procédure. Toutefois, il incombe à la cour de révision de déterminer « si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre »
: Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, aux par. 54 à 56.
[23]
Les conclusions de fausses déclarations au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR sont de nature factuelle et commandent la retenue dans les procédures de contrôle judiciaire. Par conséquent, elles doivent être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable : Khorasgani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1177, au par. 8; Kobrosli c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 757, au par. 24; Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47.
VI.
Analyse
A.
Le demandeur s’est-il vu refuser injustement la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agent?
[24]
Le demandeur soutient qu’il avait droit à un degré relativement élevé d’équité procédurale. Une conclusion de fausse déclaration au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR entraîne des conséquences graves, à savoir une interdiction de territoire de cinq ans aux termes des paragraphes 40(2) et 40(3) de la LIPR. Le demandeur soutient que la gravité de ces conséquences entraîne une obligation d’équité procédurale qui est d’autant plus élevée (Lamsen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 815, au par. 24 [Lamsen]; Bao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 268, aux par. 17 et 18 [Bao]).
[25]
Je souscris à la thèse du demandeur. Toute personne devrait bénéficier d’un degré élevé d’équité procédurale lorsqu’elle risque d’être frappée d’interdiction de territoire. Comme l’écrivait le juge Southcott dans la décision Ge c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 594, au par. 28 :
Une conclusion d’interdiction de territoire nécessite un haut degré d’équité procédurale de la part de l’agent (Mehreen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 533, au paragraphe 24; Menon c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CF 1273, au paragraphe 15).
[26]
Le demandeur soulève des préoccupations en matière d’équité procédurale au sujet de la façon dont le défendeur a effectué la visite sur place de juin 2017 et évalué la réponse du demandeur à la lettre relative à l’équité procédurale. Dans cette lettre, le défendeur s’est dit préoccupé par le fait que personne au siège social de Qingdao Aiborui ne reconnaissait la photographie ou le nom du demandeur. Dans sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, le demandeur a fourni des explications détaillées, à savoir qu’il n’avait jamais travaillé au siège social de l’entreprise; qu’il ne travaillait pas à Qingdao Aiborui au moment de la visite sur place; que le gestionnaire de bureau, que le défendeur a interrogé, n’avait été embauché que le mois où le demandeur a démissionné; et que M. Xihua, qui avait fourni de nombreuses lettres confirmant son emploi, n’a pas été questionné à cet égard. Le demandeur soutient qu’il était particulièrement injuste que le défendeur n’ait pas posé de questions à M. Xihua étant donné que le demandeur a transmis une lettre de M. Xihua dans sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale. Le demandeur soutient que le défaut de l’agent de vérifier les références précises d’emploi qu’il avait fournies constituait un manquement à l’équité procédurale : Shah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1012, au par. 17.
[27]
Le demandeur soutient que l’agent a complètement écarté les explications qu’il a fournies en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale : Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 219, aux par. 26 à 29. Il soutient en outre que l’agent a rejeté à tort ses éléments de preuve et privilégié les conclusions tirées à la suite de la visite sur place, ce qui dénote un esprit étroit, de l’indifférence envers la preuve documentaire et l’absence de véritable pondération des éléments de preuve : Rong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 364, aux par. 27 et 31. Le demandeur affirme que la décision de l’agent n’indique pas que sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale a été raisonnablement évaluée : Chhetry c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 513, au par. 34 [Chhetry].
[28]
Le défendeur soutient qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale. Le défendeur souligne qu’il existe une jurisprudence abondante à l’appui du principe selon lequel les agents peuvent conclure que les réponses aux lettres relatives à l’équité procédurale sont insuffisantes sans mener d’autres enquêtes. Une fois que le demandeur a eu la possibilité de dissiper les doutes, l’agent n’est pas tenu de demander qu’une meilleure preuve soit produite : Sinnachamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1092, au par. 17; Tofangchi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 427, au par. 45; Heer c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2001 CFPI 1357, au par. 19; He c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 33, au par. 30; Kandasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 266, aux par. 46 à 48.
[29]
Le défendeur affirme qu’il était raisonnable de la part de l’agent de conclure que la réponse du demandeur était insuffisante pour dissiper ses doutes. Il n’incombait pas à l’agent de faire état de ses préoccupations particulières à l’égard de la réponse du demandeur et de lui donner la possibilité d’y répondre : Sharma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 786, au par. 8. L’obligation d’équité procédurale n’oblige pas l’agent à donner au demandeur de multiples occasions de répondre à ses préoccupations : Thandal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 489, au par. 9 [Thandal]; Nabin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 200, aux par. 7 à 10.
[30]
Bien que je sois d’accord avec le défendeur pour dire qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale puisque l’agent a donné au demandeur la possibilité de répondre à la lettre relative à l’équité procédurale, j’estime que la décision de l’agent était déraisonnable. L’agent était tenu d’évaluer la preuve présentée par le demandeur en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale : Chhetry, au par. 34. Le demandeur a fourni une confirmation supplémentaire de M. Xihua selon laquelle il travaillait à Qingdao Aiborui, et d’autres documents établissant son emploi. Cependant, le dossier ne démontre pas que l’agent a procédé à une évaluation valable de ces éléments de preuve. L’agent n’explique pas pourquoi la preuve provenant de la visite sur place a été préférée à la preuve documentaire présentée par le demandeur, de sorte qu’il n’y a pas eu de véritable appréciation des éléments de preuve.
B.
La conclusion de l’agent quant à l’existence d’une présentation erronée sur un fait important était-elle raisonnable?
[31]
Les fausses déclarations emportent interdiction de territoire en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, lequel est libellé comme suit :
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[32]
La juge McDonald énonce, dans la décision Geng c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 1155, au par. 22, le critère en trois étapes permettant de déterminer s’il y a eu fausse déclaration au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR :
L’alinéa 40(1)a) prévoit un processus en trois étapes pour l’évaluation de la fausse déclaration : 1) il y a une fausse déclaration de la part de la demanderesse; 2) la fausse déclaration porte sur des faits importants relatifs à une question pertinente; et 3) la fausse représentation entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR (Kazzi v Canada (Citizenship and Immigration), 2017 CF 153 (CanLII), au paragraphe 32 [Kazzi]).
(1)
Y a-t-il eu fausse déclaration?
[33]
Le demandeur soutient qu’il n’y a pas eu de fausse déclaration parce qu’il avait en fait travaillé à Qingdao Aiborui pendant la période qu’il a déclarée. De plus, le demandeur soutient qu’il était déraisonnable pour l’agent de conclure qu’il avait fait une fausse déclaration à la lumière des éléments de preuve fournis en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale. Selon le demandeur, l’agent a effectué un examen déraisonnable des fausses déclarations alléguées, d’une manière compartimentée, sans tenir compte de l’ensemble de la preuve : Lamsen, au par. 24, et Bao, au par. 18. La visite sur place de juin 2017 était inadéquate pour tous les motifs susmentionnés, et la nouvelle preuve documentaire du demandeur aurait dû permettre de répondre adéquatement aux préoccupations de l’agent. Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de conclure qu’il n’avait pas travaillé à Qingdao Aiborui, d’autant plus que le défendeur avait déjà confirmé l’emploi du demandeur à Qingdao Aiborui en août 2016. Par conséquent, il était déraisonnable pour l’agent de conclure qu’il y avait eu fausse déclaration.
[34]
Le défendeur soutient que le demandeur demande simplement à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve dont disposait l’agent, ce qui n’est pas permis dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Le défendeur soutient qu’il était raisonnable que l’agent accorde plus de poids à la visite sur place qu’à la preuve du demandeur.
[35]
Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que la conclusion de fausse déclaration tirée par l’agent était déraisonnable. On ne voit pas pourquoi les doutes de l’agent quant à la véracité de l’emploi du demandeur à Qingdao Aiborui n’ont pas été dissipés par la preuve documentaire fournie par celui-ci. L’agent n’a pas tenu compte de plusieurs autres documents à l’appui de la prétention du demandeur selon laquelle il travaillait à Qingdao Aiborui. De plus, bien qu’il ait accordé plus de poids à la preuve relative à la visite sur place, l’agent n’a fourni aucune justification pour cette pondération préférentielle. Les motifs de l’agent manquaient de transparence et d’intelligibilité, celui‑ci ayant rejeté des éléments de preuve potentiellement corroborants sans fournir de justification, comme des problèmes de crédibilité. D’ailleurs, aucun problème de crédibilité n’a été soulevé en l’espèce.
(2)
S’agit-il d’une présentation erronée sur un fait important?
[36]
Même si l’agent a conclu à l’existence d’une fausse déclaration, celle‑ci doit néanmoins porter sur un fait important. Dans la décision Oloumi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 428 [Oloumi], la juge Danièle Tremblay‑Lamer a déclaré que, « pour se rapporter à un fait important, une fausse déclaration n’a pas à être décisive ou déterminante. Il suffit qu’elle ait une incidence sur le processus amorcé »
: au par. 25.
[37]
Le demandeur soutient que s’il avait fait une fausse déclaration au sujet de son emploi à Qingdao Aiborui, il ne s’agirait pas d’une présentation erronée sur un fait important parce qu’il avait déjà satisfait aux exigences du PCIS, selon lequel les demandeurs sont tenus de compter une année d’expérience de travail dans la profession qu’ils choisissent. Lorsque le demandeur a présenté sa demande dans le cadre du PCIS en septembre 2014, il avait déjà plus de quatre ans d’expérience comme soudeur. L’agent n’a exprimé aucune préoccupation au sujet des antécédents professionnels du demandeur, hormis son expérience à Qingdao Aiborui. En fait, le défendeur avait vérifié les autres antécédents professionnels du demandeur. L’agent n’a pas expliqué pourquoi la fausse déclaration alléguée concernant Qingdao Aiborui portait sur un fait important, même si le demandeur répondait aux exigences du PCIS grâce à ses autres expériences de travail.
[38]
Le demandeur soutient que sa situation est analogue à celle en cause dans l’affaire Bao. Dans cette affaire, la demanderesse avait présenté une demande de résidence permanente dans le cadre du PCIS fondée sur le fait qu’elle travaillerait dans un restaurant de sushi en Saskatchewan. La demanderesse avait plus de deux ans d’expérience dans un restaurant, ce qui la rendait admissible au PCIS. L’expérience de travail de la demanderesse a été confirmée par le défendeur. Pendant le traitement de la demande, la demanderesse a commencé à travailler dans un autre restaurant. Le défendeur a effectué une visite sur place de ce nouvel employeur et a découvert que la demanderesse avait fait une fausse déclaration. Cependant, la Cour a finalement tranché en faveur de la demanderesse et a conclu que les fausses déclarations alléguées « ne constituaient pas des fausses représentations sur des faits importants de sorte qu’elles auraient pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR »
(Bao, au par. 20).
[39]
Le défendeur soutient que la conclusion concernant l’existence de fausses déclarations portait sur un fait important. Le défendeur souligne qu’il existe une abondante jurisprudence à l’appui de la proposition selon laquelle pour se rapporter à un fait important, une fausse déclaration n’a pas à être décisive ou déterminante : Appiah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1043, au par. 15; Cao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 450, au par. 28; Oloumi, au par. 25. Le défendeur affirme que la Cour a déjà conclu que les fausses déclarations concernant les antécédents professionnels des candidats des provinces étaient importantes, malgré le fait que ces candidats possédaient par ailleurs une expérience de travail suffisante : Paashazadeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 327, aux par. 22, 25 et 26 [Paashazadeh]; Mehreen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 533, au par. 26 [Mehreen]).
[40]
À mon avis, les décisions rendues par la Cour dans les affaires Bao et Chhetry fournissent des indications applicables en l’espèce, car elles traitent des conséquences pratiques et contextuelles d’une fausse déclaration. La décision rendue dans l’affaire Bao est particulièrement utile, car elle porte sur le même programme provincial de mise en candidature et sur une allégation de fausse déclaration concernant l’emploi obtenu après la délivrance du certificat de désignation provincial initial.
[41]
La conclusion de fausse déclaration tirée par l’agent ne portait pas sur un fait important. La catégorie des candidats des provinces est régie par l’article 87 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (RIPR), donc je reproduis le paragraphe (1) (non souligné dans l’original) :
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[42]
Même si l’agent n’a pas reconnu l’authenticité de l’emploi du demandeur à Qingdao Aiborui, le demandeur a néanmoins fourni une preuve suffisante d’emploi vérifié pour satisfaire aux exigences du PCIS et pour démontrer sa « capacité à réussir [son] établissement économique au Canada »
.
(3)
La fausse déclaration risque-t-elle d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi?
[43]
L’agent a déclaré que les fausses déclarations alléguées risquaient d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi parce que les antécédents professionnels du demandeur constituaient un facteur pertinent pour le PCIS. Pour les mêmes motifs que ceux exposés ci‑dessus au sujet de la notion de fait important, la fausse déclaration alléguée n’aurait eu aucune incidence sur la question de savoir si le demandeur était un candidat provincial légitime au titre du PCIS et de l’article 87 du RIPR.
VII. Question en vue de la certification
[44]
On a demandé à l’avocat de chacune des parties s’il y avait des questions à certifier; chacun a indiqué qu’il n’y avait pas de questions à soulever à des fins de certification et je suis d’accord.
VII.
Conclusion
[45]
Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.
JUGEMENT dans le dossier IMM-5348-18
LA COUR STATUE que :
La décision est annulée et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen par un autre agent.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Shirzad A. »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 31e jour d’octobre 2019
Julie Blain McIntosh
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-5348-18
|
INTITULÉ :
|
CHUNBO LIN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Toronto (Ontario)
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 2 JUILLET 2019
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE AHMED
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 9 OctobRE 2019
|
COMPARUTIONS :
Mario Bellissimo
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Kareena Wilding
|
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Bellissimo Law Group PC
Avocats
Toronto (Ontario)
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
|
POUR LE DÉFENDEUR
|