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Date : 20021119

Dossier : T-443-01

Référence neutre : 2002 CFPI 1198

ENTRE :

ADAM HUTTON

demandeur

et

MICHAEL PROVAN, EN SA QUALITÉDE

DIRECTEUR DE L'ÉTABLISSEMENT DE FENBROOK

défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE HENEGHAN

INTRODUCTION


[1]                 M. Adam Hutton (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision prise par M. Michael Provan en sa qualité de directeur de l'établissement de Fenbrook (le défendeur). La décision en litige, qui a été prise le 27 février 2001 ou vers cette date, consistait à procéder au transfèrement non sollicité du demandeur de l'établissement de Fenbrook à l'établissement de Joyceville.

LES FAITS

[2]                 Le demandeur purge une peine d'emprisonnement à perpétuité pour meurtre. Il a commencé à purger sa peine le 30 juin 1992 et est devenu admissible à la semi-liberté le 9 octobre 2002. Il sera admissible à la libération conditionnelle totale le 9 octobre 2005.

[3]                 À la suite de sa condamnation, le demandeur a été conduit à l'unité d'évaluation de l'établissement de Millhaven pour être finalement incarcéré à l'établissement de Joyceville au début de 1993. Il est demeuré à Joyceville jusqu'au 29 septembre 1998, date à laquelle il a été parmi les premiers détenus à être transféré au nouvel établissement de Fenbrook. Suivant le demandeur, l'établissement de Joyceville est considéré comme un établissement à sécurité « moyenne élevée » , tandis que l'établissement de Fenbrook est considéré comme une établissement à sécurité « moyenne réduite » .

[4]                 En décembre 2000, le demandeur avait la cote de sécurité minimum. Il travaillait à la chapelle de l'établissement de Fenbrook comme commis, dans le cadre du programme de l'aumônerie catholique.


[5]                 Le 28 décembre 2000, le demandeur a eu une altercation avec un codétenu. Au cours de cette dispute, il a agrippé l'autre détenu par la manche. À la suite de cet incident, l'établissement de Fenbrook a fait enquête sur les allégations que le demandeur était un prédateur homosexuel et qu'il se livrait au trafic de stupéfiants à l'intérieur des murs de l'établissement.

[6]                 Par suite de ces allégations et en raison de cette enquête, le demandeur a été mis en isolement non sollicité. Suivant l'établissement, cette mesure était nécessaire pour garantir la sécurité personnelle du demandeur. Son isolement non sollicité a commencé le 4 janvier 2001 et a duré 63 jours. Il a perdu son emploi à l'aumônerie.

[7]                 Avant l'isolement non sollicité qui lui a été imposé le 4 janvier 2001, le demandeur avait sollicité lui-même l'isolement parce qu'il craignait pour sa sécurité. Il a demandé d'être mis en isolement le 31 décembre 2000 et le 1er janvier 2001. On lui a accordé la possibilité de dormir ailleurs que dans son unité résidentielle habituelle.

[8]                 L'incident survenu avec le codétenu le 28 décembre 2000 a fait l'objet d'une enquête. L'autre détenu a d'abord qualifié l'incident de simple dispute, mais quelques jours plus tard, le 3 janvier 2001, il l'a qualifié de voies de fait. Le demandeur a admis qu'il s'était disputé avec l'autre détenu et qu'il l'avait empoigné par le bras, mais il a constamment nié, tant au cours de l'enquête qu'avant et après, s'être livré à des voies de fait sur l'autre détenu. Il a maintenu fermement que sa version des faits était exacte et que l'autre détenu ne disait pas la vérité.


[9]                 L'enquête qui a été menée au sujet des allégations d'exploitation sexuelle et de trafic de stupéfiants n'a pas permis de recueillir suffisamment d'éléments de preuve pour étayer les allégations en question. Toutefois, dans l'affidavit qu'il a souscrit dans le cadre de la présente instance, le défendeur a affirmé que l'enquête avait démontré que le demandeur s'était livré à des voies de fait sur un codétenu. Le défendeur a en outre affirmé que, conformément à l'article 41 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la Loi), [TRADUCTION] « la question a été réglée de façon informelle, sans qu'il soit nécessaire de prendre d'autres mesures disciplinaires » .

[10]            Au cours de l'enquête, le défendeur a toutefois conclu que le demandeur ne répondait plus au profil des personnes incarcérées à l'établissement de Fenbrook. Le classement « adaptation au milieu carcéral » du demandeur a été modifié de manière à remplacer la cote « faible » par celle de « modérée » . Sa cote de risque pour la sécurité du public a aussi passé de « faible » à « modérée » . Suivant le défendeur, par suite de ces changements, le demandeur n'était plus admissible à un classement comme détenu dit « à sécurité minimale » .


[11]            Le 19 février 2001, le demandeur a reçu signification d'un avis de transfèrement non sollicité. Il était toujours en isolement au moment où un agent de probation, M. Darrio Yellina, lui a signifié cet avis. Le demandeur a exercé son droit de répliquer à l'avis de transfèrement non sollicité en déposant une longue réplique. Suivant l'affidavit du défendeur, des consultations ont eu lieu avec le directeur par intérim, M. Robert MacLean, et il a été décidé de donner suite à la recommandation de classer le demandeur comme détenu dit à « sécurité moyenne » et d'ordonner son transfèrement non sollicité à l'établissement de Joyceville.

[12]            Le demandeur a été transféré à Joyceville le 28 février 2001 ou vers cette date. Suivant les faits que son avocat a admis lors de l'instruction de la demande et d'après l'exposé conjoint des faits que les avocats des deux parties ont subséquemment déposé, l'établissement de Joyceville a, peu de temps après son admission, attribué de nouveau au demandeur la cote de détenu dite « à sécurité minimale » . Toutefois, selon le demandeur, ce reclassement ne rend pas la présente demande théorique. Le fait que l'établissement de Fenbrook ait dans un premier temps fait passer sa cote de sécurité de « minimum » à « moyenne » risque en effet selon lui de nuire à l'avenir à son admissibilité à la libération conditionnelle.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DU DEMANDEUR

[13]            Le demandeur soutient que les décisions en litige, en l'occurrence celles de faire passer sa cote de sécurité de « minimum » à « moyenne » et de le transférer sans qu'il le demande à un établissement à sécurité moyenne, ont été prises de façon injuste et au mépris des principes d'équité procédurale.


[14]            Le demandeur soutient que ces deux décisions, qui sont étroitement liées, constituent une réponse disproportionnée de la part du défendeur à l'incident qui s'est produit le 28 décembre 2000 avec un codétenu de l'établissement de Fenbrook. Il affirme qu'il n'y a aucun élément de preuve qui appuie les allégations relatives à de présumées activités homosexuelles ou à du présumé trafic de stupéfiants à l'intérieur des murs de la prison et il ajoute que ces questions n'ont rien à voir avec la décision de modifier sa cote de sécurité et de le transférer sans qu'il le demande. Le seul fondement sur lequel ces deux décisions pouvaient être prises était les présumées voies de fait commises envers un codétenu.

[15]            Suivant le demandeur, les présumées voies de fait étaient une affaire sans importance, étant donné qu'aucune accusation criminelle n'a été portée et qu'aucune autre mesure disciplinaire n'a été prise contre lui en vertu de la Loi. Il affirme que la façon dont l'établissement a réagi à cet incident en ne portant pas d'accusations au criminel et en ne prenant pas d'autres mesures disciplinaires permet de penser que l'incident était mineur. Suivant le demandeur, la maxime de minimis non curat lex s'applique, de sorte que la décision constitue une mesure disproportionnée par rapport à l'infraction commise.

[16]            Le demandeur soutient qu'une réponse disproportionnée constitue un manquement à l'obligation d'agir avec équité dans le processus de prise de décision administratif.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DU DÉFENDEUR

[17]            Le défendeur affirme que la décision de reclasser le demandeur, décision qui s'est soldée par son transfèrement non sollicité, est une décision administrative au sujet de laquelle la Cour doit faire preuve de retenue. Le défendeur cite à cet égard le jugement Faulkner c. Canada (Solliciteur général) et al. (1992), 62 F.T.R. 19, à la page 24.


[18]            Le défendeur soutient plus précisément que, tant qu'il n'a pas été démontré que la décision en question est inéquitable, la Cour ne doit pas intervenir. Il cite à l'appui de cette proposition le jugement Hay c. Commission nationale des libérations conditionnelles (1985), 13 Admin. L.R. 17 (C.F. 1re inst.).

[19]            Le défendeur affirme qu'il y a des éléments de preuve qui justifient la décision de faire passer la cote de sécurité du demandeur de « minimum » à « moyenne » , compte tenu de la nature de l'établissement de Fenbrook, qui est conçu expressément pour favoriser une vie commune moins restrictive chez les détenus. La réussite de ce modèle de vie communautaire dépend de la faible incidence d'interactions négatives entre les détenus et, si le comportement d'un détenu change, l'établissement est justifié de réagir.

[20]            Le défendeur affirme que l'attribution de la cote de sécurité et le transfèrement non sollicité étaient des mesures équitables sur le plan procédural. Le demandeur a eu l'occasion de répondre tant à la modification de sa cote de sécurité qu'à son transfèrement non sollicité.

[21]            Le défendeur reconnaît que la modification de la cote de sécurité a une incidence directe sur le droit du demandeur à la liberté de sa personne. Parce que ce droit est en cause, les concepts d'équité procédurale s'appliquent (voir le jugement Zarzour c. Canada (Procureur général) (2000), 176 F.T.R. 252).

[22]            Le défendeur soutient que le demandeur s'est vu accorder la possibilité de présenter une défense raisonnable pour répondre à la décision de modifier sa cote de sécurité et qu'il a effectivement exercé ce droit.


[23]            Suivant le défendeur, le transfèrement non sollicité est également assujetti à l'obligation d'agir équitablement. Le défendeur affirme que cette obligation a été respectée, étant donné que l'avis de transfèrement envoyé le 19 février exposait les motifs du transfèrement projeté et offrait au demandeur la possibilité de répondre. Or, le demandeur s'est effectivement prévalu de cette possibilité.

[24]            Le défendeur soutient en outre que toutes les étapes à suivre pour procéder au transfèrement non sollicité du demandeur ont été respectées, conformément aux directives applicables, en l'occurrence la directive 540 du Commissaire.

ANALYSE

[25]            Le sort de la présente demande dépend de la norme de contrôle applicable. Dans le jugement Hay, précité, la Cour a défini comme suit ce critère, à la page 27 :

Les tribunaux hésitent habituellement, et à juste titre, à infirmer les décisions administratives des autorités des pénitenciers de transférer des détenus d'un établissement à l'autre ou d'un niveau de sécurité à l'autre. Tant qu'il n'est pas possible de démontrer que ces décisions sont inéquitables, il faut les laisser à ceux qui ont la lourde responsabilité de préserver le bon ordre et la discipline parmi les détenus. Habituellement, les détenus ne peuvent se plaindre de ces décisions, si elles ne sont pas inéquitables, étant donné qu'ils sont à juste titre mis au ban de la société parce qu'ils ont été reconnus coupables d'un comportement choquant, sinon franchement répréhensible, pour la société et dangereux pour leurs victimes qui ont parfaitement le droit de bénéficier de la protection qu'offre la société libre et démocratique qu'est le Canada. En fait, les détenus eux-mêmes, bien qu'ils ne soient pas tout à fait libres de leurs mouvements, ont droit à ce que le système carcéral leur assure la protection de leur droit à la vie, à une liberté très restreinte et à la sécurité de leur personne, entre autres droits de l'individu.


Qu'elle ait été prise de bonne foi ou non, la décision de ramener le requérant de la ferme du pénitencier de la Saskatchewan au pénitencier était arbitraire et inéquitable. Compte tenu du concept bien établi de la « prison au sein de la prison » , il peut y avoir lieu d'appliquer les articles 7 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés lorsque des détenus passent d'une garde en milieu ouvert à une garde en milieu fermé ou sous surveillance très étroite. La décision d'effectuer un tel transfèrement sans le consentement du détenu et sans qu'il n'y ait faute ou mauvaise conduite de sa part, comme ce fut manifestement le cas pour le requérant, constitue l'exemple par excellence de la partialité et de l'arbitraire.

[26]            Fort de ce précédent, j'estime que la norme de contrôle applicable est celle de la retenue judiciaire. La Cour ne peut intervenir pour modifier la décision administrative de modifier la cote de sécurité du demandeur que si l'on peut démontrer que cette décision était inéquitable.

[27]            Dans le jugement Hay, précité, la Cour a conclu qu'aucune cause factuelle ne justifiait la décision qui avait été prise dans cette affaire. Toutefois, en l'espèce, le demandeur a été impliqué dans un incident à la suite duquel une enquête a été ouverte. C'est l'incident et non l'enquête qui est la cause immédiate de la décision de modifier sa cote de sécurité et de procéder à son transfèrement non sollicité.

[28]            Si je ne m'abuse, la thèse du demandeur est que les autorités carcérales ont accordé trop d'importance à l'incident et que les mesures qu'elles ont prises pour y répondre étaient disproportionnées. C'est le fondement de son argument au sujet de l'applicabilité de la maxime de minimis non curat lex, à savoir que l'enquête qui a été menée au sujet de l'incident ne justifiait pas l'imposition de mesures disciplinaires en vertu de la Loi. Il laisse entendre que l'enquête ne justifiait pas les graves allégations formulées à son sujet et que l'incident survenu avec le codétenu n'était pas assez grave pour justifier la modification de sa cote de sécurité.


[29]            À mon avis, par cet argument, le demandeur invite la Cour à soupeser les éléments de preuve portés à la connaissance des autorités carcérales et à rendre sa propre décision. Si elle agissait ainsi, la Cour irait au-delà du rôle qu'elle est appelée à jouer dans le cadre de la présente demande, compte tenu de la norme de contrôle de la retenue judiciaire énoncée dans le jugement Hay, précité.

[30]            Il ressort du dossier qu'un incident s'est produit. C'est au défendeur qu'il incombe d'évaluer la gravité de cet incident et d'en déterminer les répercussions sur le demandeur. Il n'appartient pas à la Cour de le faire. Les répercussions futures que l'attribution d'une nouvelle cote de sécurité par l'établissement de Fenbrook peut avoir sur l'admissibilité du demandeur à une libération conditionnelle est une question qu'il appartiendra à la Commission nationale des libérations conditionnelles d'examiner plus tard. Cette question n'est pas soumise à la Cour dans le cadre de la présente instance.

[31]            La demande de contrôle judiciaire est rejetée. En vertu de mon pouvoir discrétionnaire, je n'adjuge aucuns dépens.


                                           ORDONNANCE

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                         « E. Heneghan »     

                                                                                                             Juge             

OTTAWA (ONTARIO)

Le 29 novembre 2002

  

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

DOSSIER :                                            T-443-01

INTITULÉ :                                          Adam Hutton c. Michael Provan, en sa qualité de directeur de l'établissement de Fenbrook

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                 le 26 juin 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                         MADAME LE JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :                       le 19 novembre 2002

  

COMPARUTIONS :

Derek Edwards                                                    POUR LE DÉFENDEUR

John Hill                                                                POUR LE DEMANDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Derek Edwards                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

John Hill                                                                POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

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