Date : 20050531
Dossier : IMM-2747-02
Référence : 2005 CF 783
Toronto (Ontario), le 31 mai 2005
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL
ENTRE :
ISTVAN VODICS
demandeur
et
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] En l'espèce, la Section du statut de réfugié (SSR), agissant en vertu de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (la Loi), a appliqué des stéréotypes ethniques pour conclure que le demandeur n'est pas rom, comme il le soutient. Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision à l'étude est entachée d'une erreur manifeste.
[2] Le demandeur, citoyen hongrois âgé de 24 ans, demande l'asile en raison de son origine ethnique rome. Lors de la présentation de sa demande devant la SSR, il a témoigné de son origine ethnique et a établi que, parce qu'il est rom, il a été persécuté par la population d'origine ethnique hongroise en Hongrie. La SSR a donc été amenée à trancher la question de savoir si le demandeur ferait face à plus qu'une simple possibilité de persécution s'il devait retourner en Hongrie.
[3] L'une des caractéristiques importantes de la preuve déposée par le demandeur au soutien de sa demande est que, bien que pour certains observateurs son apparence ou sa situation personnelle puissent ne pas correspondre à l'image rome stéréotypée, il a toutefois été persécuté par des personnes d'origine ethnique hongroise qui l'ont identifié comme rom. Ce fait constitue le fondement de sa crainte subjective et de sa crainte objective de persécution.
[4] Dans sa décision du 21 mai 2002, le tribunal de la SSR, composé de deux commissaires, a choisi de ne pas croire le témoignage sous serment du demandeur selon lequel il est rom. En effet, dans un amalgame de considérations disparates, la SSR a conclu, suivant la prépondérance de la preuve, que le demandeur est d'origine ethnique hongroise. Je constate qu'en concluant ainsi, la SSR s'est fondée de façon injuste et erronée sur une preuve de perception de l'origine ethnique du demandeur afin d'établir qu'il ment lorsqu'il affirme sous serment être d'origine ethnique rom. Mettre en doute l'origine ethnique d'une personne, qui est un trait fondamental de son humanité, est une question des plus graves qui exige une extrême prudence et un examen minutieux. À mon sens, la SSR a manqué à ces deux exigences.
[5] Il importe de mentionner que, dans sa décision rendue de vive voix après l'audience et transcrite par la suite, la SSR n'a examiné que brièvement les incidents de discrimination vécus par le demandeur lorsqu'il était enfant et ne lui a pas demandé quel était l'objet de ses craintes maintenant qu'il est adulte.
[6] Dans son FRP, le demandeur décrit les souffrances qu'il a endurées dans sa jeunesse à cause du harcèlement, du ridicule et des mauvais traitements reçus parce qu'il est rom (dossier du tribunal, p. 20-22). Cette discrimination, à défaut d'être de la persécution, a culminé dans des événements récents qui ont forcé le demandeur à quitter la Hongrie, comme il le relate dans le passage suivant de son FRP :
[traduction] J'ai finalement obtenu un emploi chez McDonald. Le magasin n'appartient pas à un Hongrois et, en raison de la loi sur la discrimination, j'ai pu y avoir l'emploi. Vers la même époque, j'ai hérité de l'appartement de mes grands-parents. Je croyais que ma vie allait finalement pour le mieux, mais ma joie fut de courte durée. Je suis rentré à la maison un jour pour y découvrir la porte de mon appartement couverte de graffiti qui disaient « TZIGANE, FOUS LE CAMP » . Mes carreaux étaient brisés. J'ai cessé de les remplacer parce que c'était inutile. Dès que je les remplaçais, ils les brisaient à nouveau. Il y avait parfois un gang qui m'attendait à l'extérieur du McDonald lorsque je quittais le travail. Ils m'abreuvaient d'insultes et d'injures. J'ai enduré tout cela parce que j'avais un emploi et je savais que j'étais chanceux. Après deux ans et demi chez McDonald, j'ai été promu gérant. J'étais très fier de moi. Mais c'était trop beau pour être vrai. Il y a eu un cambriolage au McDonald, et les gens qui me harcelaient sont allés voir mon patron pour lui dire que j'étais responsable. Mon patron m'a dit alors qu'il ne voulait aucun problème et que le fait que je travaille là serait source d'ennuis, il m'a donc congédié. La même semaine, mon appartement a été cambriolé et saccagé. Il était écrit sur le mur, la prochaine fois on te tuera. Je n'avais pas d'ami et ne pouvais alerter la police. Je ne savais que faire. J'ai vendu mon appartement et je me suis caché. J'ai rencontré quelqu'un de sympathique à mon sort, et il m'a dit qu'il savait comment je pouvais me procurer un passeport.
(Dossier du tribunal, p. 23)
[7] Au lieu de tenir compte de la valeur de cette preuve passée afin d'établir la nécessité éventuelle de lui accorder l'asile, la SSR a choisi de fonder intégralement sa décision sur l'origine ethnique du demandeur et de rejeter la preuve de l'origine ethnique qu'il avait produite, ne se fondant que sur des conclusions d'invraisemblance se rapportant à des facteurs physiques, culturels et économiques à partir desquels elle a tiré des conclusions subjectives. À mon avis, la décision de la SSR est manifestement déraisonnable parce que celle-ci n'applique pas des règles de droit bien définies relativement à la façon de tirer des conclusions appropriées quant à la crédibilité.
A. Le droit
[8] La crédibilité est en cause dans toute demande d'asile. Bien que les conclusions relatives à la crédibilité constituent « l'essentiel de la compétence de la [SSR] » (R.K.L. c. Canada (M.C.I.), [2003] A.C.F. no 162) et que la norme de contrôle applicable est donc le caractère manifestement déraisonnable (Aguebor c. Canada (M.E.I.), [1993] A.C.F. no 732), elles doivent être conformes au droit. En outre, comme l'indique la section D ci-dessous, la décision est également entachée d'erreurs révisables en raison de l'omission de la SSR de décider s'il avait été satisfait au critère de la crainte possible de persécution.
[9] À mon avis, la SSR n'a pas appliqué le droit existant de quatre façon : elle n'a pas respecté le principe suivant lequel le témoignage sous serment est présumé vrai, et toute conclusion contraire doit reposer sur des motifs précis; elle n'a pas motivé clairement sa conclusion défavorable sur la crédibilité; elle n'a pas appliqué la loi de façon régulière en ne donnant pas au demandeur la possibilité de réfuter les connaissances spécialisées du décideur avant d'invoquer celles-ci dans sa décision; elle a utilisé des stéréotypes injustes dans le processus décisionnel.
1. L'application de la présomption de véracité
[10] En ce qui a trait aux conclusions défavorables sur la crédibilité en général et les conclusions d'invraisemblance en particulier, le juge Muldoon a énoncé, dans la décision Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1131, la norme à appliquer :
6. Le tribunal a fait allusion au principe posé dans l'arrêt Maldonado c. M.E.I., [1980] 2 C.F. 302 (C.A.), à la page 305, suivant lequel lorsqu'un revendicateur du statut de réfugié affirme la véracité de certaines allégations, ces allégations sont présumées véridiques sauf s'il existe des raisons de douter de leur véracité. Le tribunal n'a cependant pas appliqué le principe dégagé dans l'arrêt Maldonado au demandeur et a écarté son témoignage à plusieurs reprises en répétant qu'il lui apparaissait en grande partie invraisemblable. Qui plus est, le tribunal a substitué à plusieurs reprises sa propre version des faits à celle du demandeur sans invoquer d'éléments de preuve pour justifier ses conclusions
7. Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu'il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l'invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c'est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s'attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le demandeur d'asile le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu'il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les demandeur d'asiles proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu'on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu'on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur [voir L. Waldman, Immigration Law and Practice (Markham, ON, Butterworths, 1992) à la page 8.22].
[Non souligné dans l'original.]
[11] Il n'est pas difficile de comprendre que, en toute justice pour la personne qui jure de dire toute la vérité, des motifs concrets s'appuyant sur une preuve forte doivent exister pour qu'on refuse de croire cette personne. Soyons clairs. Dire qu'une personne n'est pas crédible, c'est dire qu'elle ment. Donc, pour être juste, le décideur doit pouvoir exprimer les raisons qui le font douter du témoignage sous serment, à défaut de quoi le doute ne peut servir à tirer des conclusions. La personne qui rend témoignage doit bénéficier de tout doute non étayé.
2. Fournir des motifs clairs
[12] La Cour d'appel fédérale impose à la SSR l'obligation de suivre un processus décisionnel, dans l'arrêt Hilo c. Canada (M.E.I.), [1991] A.C.F. no 228, (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.) (paragraphe 6) :
Selon moi, la Commission se trouvait dans l'obligation de justifier, en termes clairs et explicites, pourquoi elle doutait de la crédibilité de l'appelant. L'évaluation précitée que la Commission a faite au sujet de la crédibilité est lacunaire parce qu'elle est exposée en termes vagues et généraux.
En outre, comme l'indique la décision Leung c. Canada (M.E.I.) (1994), 81 F.T.R. 303 (paragraphe 14), l'obligation d'être clair est lié à l'exigence d'énoncer la preuve :
[...] la Commission est clairement tenue de justifier ses conclusions sur la crédibilité en faisant expressément et clairement état des éléments de preuve.
[Non souligné dans l'original.]
3. L'utilisation des connaissances spécialisées
[13] La norme applicable aux conclusions d'invraisemblance, telle qu'énoncée par le juge Muldoon dans Valtchev, exige, avant que la preuve du demandeur d'asile ne soit jugée invraisemblable, le défaut de satisfaire aux attentes raisonnables. Il n'est que juste que les attentes raisonnables soient exposées au demandeur d'asile avant que la décision ne soit rendue afin qu'il puisse les réfuter, puisque les attentes raisonnables qui existent dans l'esprit du décideur constituent la preuve sur laquelle il se fonde pour rendre la décision. En fait, ce principe d'application régulière de la loi est maintenant codifié dans les dispositions de l'article 18 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 :
CONNAISSANCES SPÉCIALISÉES
Avis aux parties
18. Avant d'utiliser un renseignement ou une opinion qui est du ressort de sa spécialisation, la Section en avise le demandeur d'asile ou la personne protégée et le ministre -- si celui-ci est présent à l'audience -- et leur donne la possibilité de :
a) faire des observations sur la fiabilité et l'utilisation du renseignement ou de l'opinion;
b) fournir des éléments de preuve à l'appui de leurs observations. [Non souligné dans l'original.] |
SPECIALIZED KNOWLEDGE
Notice to the parties
18. Before using any information or opinion that is within its specialized knowledge, the Division must notify the claimant or protected person, and the Minister if the Minister is present at the hearing, and give them a chance to
(a) make representations on the reliability and use of the information or opinion; and
(b) give evidence in support of their representations.
[Emphasis added] |
[14] Même si l'article 18 des Règles n'existait pas au moment où la décision à l'étude a été rendue, je conclus, sur le fondement de la décision Valtchev, que la pratique maintenant énoncée à l'article 18 était nécessaire en tant qu'élément de l'application régulière de la loi lorsque la décision de la SSR a été rendue. Par conséquent, par souci de commodité, dans l'analyse de la décision de la SSR qui suit, j'entends, par obligation de respecter le principe de l'application régulière de la loi, l'obligation de respecter l'article 18 des Règles sur les connaissances spécialisées.
4.L'utilisation de stéréotypes
[15] L'utilisation des connaissances spécialisées dans le processus décisionnel, qui est en fait l'utilisation de connaissances personnelles acquises par le décideur, est acceptable, mais elle est assortie d'une contrainte très importante lorsqu'il s'agit de l'utilisation de stéréotypes. Cette question est abordée par les juges L'Heureux-Dubé et McLachlin (alors juge) dans l'arrêt R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484 :
_29. À notre avis, le test développé par la jurisprudence quant à la crainte raisonnable de partialité reflète cette réalité qui veut que si le juge ne peut jamais être tout à fait neutre, c'est-à-dire parfaitement objectif, il peut et il doit, néanmoins, s'efforcer d'atteindre l'impartialité. Ce test suppose donc qu'il est inévitable et légitime que l'expérience personnelle de chaque juge soit mise à profit et se reflète dans ses jugements, à condition que cette expérience soit pertinente, qu'elle ne soit pas fondée sur des stéréotypes inappropriés, et qu'elle n'entrave pas la résolution juste et équitable de l'affaire à la lumière des faits mis en preuve.
L'arrêt R. c. S. (R.D.) portait sur le test de la crainte raisonnable de partialité d'un juge, mais le commentaire concernant les notions de neutralité, d'impartialité et de prudence qui doivent guider l'utilisation des stéréotypes s'applique également aux décideurs de la SSR.
[16] Le Canadian Oxford Dictionary (2004) définit stereotype (stéréotype) comme une impression préconçue, uniformisée et simpliste à l'excès des caractéristiques d'une personne ou d'une situation. L'utilisation d'un stéréotype présente un risque : la personne qui fait exception à cette impression simpliste à l'excès n'est pas à l'abri de l'application erronée de l'impression.
[17] Lorsque la SSR se prononce en matière d'origine ethnique, il semble évident que le fait qu'un demandeur d'asile particulier ne correspond pas à un profil stéréotypé particulier ne peut être retenu contre lui si l'on n'est pas certain, avec un certain degré de certitude que, selon la preuve, la personne devrait correspondre au profil stéréotypé. Il est juste de dire, je crois, qu'il est très difficile si ce n'est impossible d'en arriver à ce niveau de certitude. En fait, avant que la présente décision ne fût rendue, l'utilisation de stéréotypes avait fait l'objet d'un commentaire important de la part du juge Kelen dans Tubacos c. Canada (M.C.I.), [2002] A.C.F. no 290 :
ANALYSE
[12] La décision de la SSR selon laquelle le demandeur n'est pas d'origine rom parce qu'il ne correspond pas au profil typique d'un Rom est manifestement déraisonnable et justifie l'intervention de la Cour. Le caractère déraisonnable de la décision est évident à la lumière du dossier. La SSR n'aurait pas dû conclure qu'une personne n'est pas un Rom parce qu'elle ne correspond pas à un profil comportant des caractéristiques comme la peau foncée, l'absence d'études et d'emploi, une famille nombreuse et le mariage à un jeune âge.
Peau foncée
[13] La description des Roms comme des personnes ayant la peau foncée est abusive à la lumière du dossier. D'après la preuve documentaire provenant de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié elle-même, la couleur de la peau peut être différente d'un Rom à l'autre en raison des intermariages causés par l'esclavage auquel les Roms ont été contraints dans le passé en Roumanie. Cette preuve est décrite comme suit dans l'affidavit du demandeur (paragraphe 22) ainsi qu'à la pièce « F » :
[TRADUCTION] Après tout, nous sommes un peuple indien et de nombreux Roms ont la peau foncée. C'est un facteur d'identification que j'essaie de comprendre parce que, après sept siècles et demi passés dans l'ouest, il y a eu des intermariages, parfois forcés dans le cas des esclaves; néanmoins, nous trouvons de nos jours des Roms de toutes les couleurs de peau. Par conséquent, l'apparence physique n'est pas toujours un facteur, mais c'est un facteur.
Éducation, emploi et taille de la famille
[14] Au cours de son témoignage, le demandeur a donné des explications allant à l'encontre de la décision de la SSR selon laquelle il n'était pas un Rom parce qu'il n'avait pas le profil correspondant, c'est-à-dire, absence d'études et d'emploi et famille nombreuse. Toutefois, la SSR a ignoré ces explications.
Connaissances concernant les Roms
[15] La SSR a statué que le demandeur n'avait pas suffisamment de connaissances au sujet des Roms. Cette conclusion est également manifestement déraisonnable, compte tenu du témoignage du demandeur au sujet de la culture et des traditions des Roms. La SSR n'a pas tenu compte de cette preuve.
Appartenance au parti rom
[16] La SSR a conclu que le demandeur n'était pas membre du parti rom. Cette conclusion est manifestement déraisonnable, compte tenu du témoignage du demandeur et de la preuve documentaire, qui comprenait la carte de membre du demandeur et une lettre dans laquelle le président du parti a attesté que celui-ci est un Rom.
Persécution
[17] La SSR a rejeté les explications du demandeur au sujet des risques de persécution auxquels il était exposé, parce qu'elle a statué que la preuve qu'il a présentée relativement à son origine ethnique n'était pas crédible. Compte tenu de la conclusion à laquelle j'en arrive, la décision de la SSR ne comporte aucune conclusion valable en ce qui a trait à la crainte de persécution du demandeur.
Si l'ont présume donc de la véracité du témoignage sous serment portant sur l'origine ethnique, le fait que le déclarant ne correspond pas à la façon dont le décideur comprend l'origine ethnique ne constitue pas, en l'absence du niveau de certitude exigé, une preuve digne de foi permettant de réfuter la présomption. Par conséquent, le simple fait qu'une personne fait exception à un profil ethnique, même pour plusieurs facteurs, ne permet pas de conclure qu'elle n'est pas la personne qu'elle prétend être. Il se pourrait fort bien que, en l'absence d'une preuve admissible et digne de foi contraire à l'allégation de l'origine ethnique, par exemple une évaluation digne de foi du lignage ethnique, des aveux ou une autre preuve contraire directe, il faille accepter la déclaration sous serment de la personne même ou son origine ethnique.
B. La décision de la SSR
[18] Avant de citer la décision de la SSR, une parenthèse s'impose quant à la terminologie.
[19] Sauf au paragraphe 3 de sa décision, la SSR applique le terme rom au demandeur pour décrire son origine ethnique et des indicateurs de son origine ethnique. Par exemple, elle s'exprime ainsi : « Votre revendication repose sur votre origine ethnique rom » ; « Vous prétendez que votre mère est d'origine rom » ; « Le tribunal a développé des connaissances spécialisées sur certains noms roms en particulier » ; « vous ne parlez pas la langue rom » .
[20] Toutefois, selon le Canadian Oxford Dictionary (2004), Roma est le pluriel de Rom, qui signifie Tzigane, et la forme adjectivale de Roma est Romani (en anglais). Ainsi, si nous reprenons les exemples précités de la décision de la SSR avec cette terminologie, nous avons les phrases suivantes : « Votre revendication repose sur votre origine ethnique rom » ; « Vous prétendez que votre mère est d'origine rom » ; « Le tribunal a développé des connaissances spécialisées sur certains noms roms » ; « vous ne parlez pas la langue roma »
[en français, la traduction reste la même].
[21] Bien que la terminologie utilisée par la SSR soit d'usage courant, j'ai utilisé la terminologie du Canadian Oxford Dictionary (2004) dans les présents motifs. [Cette observation est sans objet dans la version française de la présente décision.]
[22] Pour rendre sa décision, la SSR s'est fondée sur le Formulaire de renseignements personnels du demandeur (FRP), une preuve documentaire des conditions en Hongrie et le témoignage oral sous serment du demandeur. La décision intégrale des commissaires Siddiqui et Tahiri, de la SSR, est citée ci-dessous; comme les conclusions figurent dans plusieurs paragraphes, et afin de faciliter la consultation pour l'analyse de la décision qui suit à la section C des présents motifs, les paragraphes sont numérotés :
[1] Commissaire Siddiqui : M. Vodics, nous avons eu l'occasion d'examiner la preuve présentée à l'égard de votre revendication et nous sommes prêts à trancher. Malheureusement, notre décision est négative.
[2] Votre revendication repose sur votre origine rom. Vous êtes un citoyen hongrois de 24 ans et des incidents découlant de votre origine ethnique sont allégués dans votre FRP. Le tribunal a demandé au conseil et à l'agent chargé de la revendication de vous interroger sur cet aspect, car il se trouve au coeur de votre revendication. Il appartient au revendicateur d'établir, selon la prépondérance des probabilités, une crainte fondée de persécution pour un motif énoncé dans la Convention.
[3] Le tribunal conclut à l'insuffisance de preuves crédibles ou dignes de foi pour déterminer que vous êtes rom.
[4] Vous prétendez que votre mère est d'origine rom et que votre père l'est par l'un de ses deux parents seulement. Vous affirmez que c'est par votre habillement, votre accent, votre démarche ainsi que vos fréquentations que les gens vous tiennent pour un Rom. Vous avez affirmé que votre mère vous rendait visite à l'institution dans laquelle vous avez vécu à partir de l'âge de quatre ans, et que vos amis étaient des Roms.
[5] Je commencerai par votre nom. Votre nom de famille est Vodics, que vous dites être un nom d'origine serbe de Yougoslavie. Vous ignorez l'origine du nom de votre mère et vous ne savez pas si le nom Pohancsenyi est un nom rom. Le tribunal a développé des connaissances spécialisées sur certains noms roms en particulier, comme Horvath, Kalampour et Lazloni, qui sont typiquement roms, ou considérés comme typiquement roms. Nous reconnaissons qu'il y a toujours des exceptions. Cependant, le tribunal remarque que le nom de fille de votre mère n'est pas typiquement rom.
[6] Vous affirmez que, dans toute votre famille, c'est votre mère qui ressemble le plus à une Rom, car elle a les cheveux et le teint foncés. Pourtant, vous ne nous avez fourni aucune photographie de votre mère, que vous prétendez avoir ici avec vous au Canada. Une preuve crédible n'a pas nécessairement besoin d'être corroborée, mais le tribunal s'attend à ce qu'un revendicateur comparaisse à une audience muni de toutes les preuves disponibles, dans une mesure raisonnable, pour établir sa revendication. Le tribunal tire une conclusion négative de l'absence de photographie de votre mère, car il estime que vous auriez facilement pu produire cette preuve à l'audience, sans déployer d'efforts démesurés.
[7] Le tribunal constate que vous ne parlez pas la langue rom. Vous ne pratiquez pas les coutumes roms. Vous avez déclaré que cela n'était pas surprenant étant donné que vous avez été placé en institution à l'âge de quatre ans. Cependant, au vu de toutes les autres caractéristiques permettant de déterminer qu'une personne est rom, vous semblez être l'exception.
[8] Vous avez 14 années de scolarité. En règle générale, la majorité des Roms de Hongrie s'arrêtent à la fin du primaire. La taille de votre famille est relativement plus petite que celle de la plupart des familles roms. Vous travaillez depuis la fin de vos études et avez gravi les échelons jusqu'au poste de gérant d'un McDonald, ce qui est également inhabituel. Les documents indiquent un taux de chômage élevé parmi les Roms. Par surcroît, vous connaissez très peu les associations et groupes roms de Hongrie. Vous ne pouvez nommer aucun personnage public rom. D'après les connaissances de la Commission, le secteur de Budapest dans lequel vous habitiez n'est pas reconnu comme étant précisément un secteur rom.
[9] Pour ce qui est de décrire comment vous pourriez être considéré comme un Rom, vous avez admis avoir le teint très pâle. Vous avez affirmé que vos cheveux sont bruns et que vos yeux le sont également. Le tribunal a entendu de nombreuses revendications de Hongrois qui ont également les cheveux et les yeux bruns. Ce ne sont pas là des caractéristiques typiquement roms.
[10] Vous avez affirmé que vous étiez perçu comme un Rom à cause des vêtements que vous portiez - un survêtement et des chaussures colorées, du genre à enfiler/sandale. Vous avez déclaré que ces vêtements vous avaient été donnés par l'institution lorsque vous aviez 10 ou 11 ans. Vous avez toutefois ajouté que ces vêtements avaient été donnés à des enfants hongrois ainsi qu'à des enfants roms. Compte tenu de votre témoignage, le tribunal n'est pas convaincu que votre habillement vous ferait passer pour un Rom. Vous avez allégué que votre accent ou votre intonation indiquait que vous étiez un Rom. Le tribunal n'est pas convaincu que vous pourriez avoir une telle intonation étant donné que vous avez prétendument été placé dans une institution hongroise dès l'âge de quatre ans et que vos éducateurs étaient hongrois. Pour ce qui est de votre démarche et de votre façon « décontractée » de bouger, le tribunal estime qu'il s'agit là de signes plutôt ténus pour établir l'origine d'une personne. Le tribunal remarque également que ces mêmes caractéristiques qui, à votre avis, font que les gens vous perçoivent comme un Rom ne vous ont pas été très utiles lorsque vous avez soi-disant tenté de vous joindre à un groupe de musique rom. Le groupe vous a tenu pour un Blanc.
[11] Le tribunal est au courant d'une preuve documentaire démontrant que certains Roms ont le teint pâle et que d'autres ont réussi à contrer la discrimination. Cependant, le tribunal estime que la prépondérance de la preuve dans le cadre de votre revendication n'établit pas, selon la prépondérance des probabilités, que vous êtes d'origine rom. En fait, de l'avis du tribunal, la preuve donne plutôt à penser que vous êtes hongrois.
[12] Par conséquent, comme le fondement même de votre revendication n'a pas été établi - vous n'avez pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que vous êtes rom - chacun des commissaires de la Section du statut qui a entendu la présente revendication est d'avis que vous n'êtes pas un réfugié au sens de la Convention et estime qu'il n'existe aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel il aurait pu se fonder pour vous reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention.
[13] Par conséquent, la Section du statut conclut que vous, Istvan Vodics (alias Istvan Geza Vodics) n'êtes pas un réfugié au sens de la Convention et, conformément au paragraphe 69.1(9.1) de la Loi sur l'immigration, conclut à l'absence d'un minimum de fondement de la présente revendication. Avant de lever l'audience, je demanderai à mon collègue s'il a des commentaires à formuler.
[14] Commissaire TAHIRI : Non, Madame la présidente. Je souscris à votre raisonnement ainsi qu'à votre décision, et comme nous déterminons que le revendicateur n'est pas rom et ne serait pas perçu comme un Rom, je détermine donc qu'il n'est pas un réfugié au sens de la Convention et, conformément au paragraphe 69.1(9.1) de la Loi sur l'immigration, je conclus également à l'absence d'un minimum de fondement de sa revendication.
(Dossier du tribunal, p. 4-6)
C. Conclusions erronées quant à l'origine ethnique
[23] La SSR a rejeté la preuve sous serment du demandeur selon laquelle il est rom en se fondant sur sa compréhension de ce à quoi un Rom correspond, norme à laquelle le demandeur ne satisfait pas. À mon avis, l'application de la compréhension de la SSR a entraîné plusieurs conclusions erronées qui ont été tirées abstraction faite du droit applicable précisé plus haut.
1.Caractéristiques physiques
[24] Le demandeur a témoigné de son origine ethnique rome de la façon suivante :
[Traduction]
Conseil : Vous considérez-vous comme tzigane?
Demandeur d'asile : Oui.
Conseil : Pourquoi vous considérez-vous comme tzigane?
Demandeur d'asile : Parce que ma mère était tzigane. Ses parents étaient tziganes.
Conseil : Et est-ce que la population en général vous considère-t-elle, selon vous, comme tzigane?
Demandeur d'asile : Oui.
Conseil : Votre apparence physique que nous voyons aujourd'hui, elle n'est pas typiquement tzigane?
Demandeur d'asile : Non.
Conseil : Mais avez-vous des caractéristiques tziganes?
Président d'audience : Pourrais-je entendre ce qu'il a dit en premier? Il a dit quelque chose?
Interprète : Oh, mentalité.
Président d'audience : Mentalité?
Interprète : Et je - caractéristiques. J'ai traduit le mot.
Président d'audience : Je sais, mais je dois entendre d'abord mentalité. Votre conseil vous interrogeait au sujet de vos caractéristiques physiques, je pense.
Conseil : Et-
Président d'audience : Et rien d'autre.
Conseil : Bien. Puis madame l'interprète a donné les caractéristiques physiques, la traduction était donc exactement ce qu'elle a dit. Au début, il a dit mentalité et ensuite il a mentionné les caractéristiques physiques, puis l'interprète a demandé si je voulais dire plus de caractéristiques physiques.
M. Tahiri : Alors, selon son témoignage, ses caractéristiques physiques sont romes ou?
Conseil : Non, d'abord il a dit mentalité mais il avait mal compris parce qu'il ne parlait pas du physique. Je pensais plus aux aspects physiques, et je traiterai des aspects se rapportant à la mentalité plus tard.
M. Tahiri : D'accord.
Conseil : Alors je demanderai bientôt - je voulais simplement qu'il me donne des indications sur ses caractéristiques physiques qu'il considère comme tziganes.
Demandeur d'asile : Mes cheveux, mes yeux, ma démarche, ma gestuelle.
(Dossier du tribunal, p. 284-285)
[25] Il ressort clairement de ce passage que l'accent était sur les caractéristiques physiques du demandeur. En ne cherchant pas à en savoir davantage sur la preuve du demandeur concernant son état d'esprit, la SSR a omis un facteur important de l'identité ethnique du demandeur : il pense comme un Rom. Ce facteur est important pour l'allégation de crainte subjective de persécution du demandeur.
[26] Deux types de questions ont été posées au demandeur au sujet de ses caractéristiques physiques : les autres habitants de la Hongrie pourraient-ils identifier le demandeur comme un Rom? Pourquoi n'avait-il pas apporté une photographie de sa mère à l'audience?
[27] Cette partie de l'interrogatoire se retrouve dans les passages suivants :
[traduction]
Conseil : Lorsque vous marchez dans la rue à Budapest, y a-t-il quelque chose qui permet de voir que vous êtes rom ou de vous distinguer d'une autre personne?
Demandeur d'asile : Oui.
Conseil : Qu'est-ce que c'est?
Demandeur d'asile : La façon dont je m'habille, la façon dont je marche et, si je peux parler, la façon dont je m'exprime.
(Dossier du tribunal, p. 286)
[...]
M. Tahiri : D'accord. Maintenant , vous dites que votre mère ressemble physiquement à une Rome.
Demandeur d'asile: Oui.
M. Tahiri : Avez-vous une photo d'elle?
Demandeur d'asile : Pas ici.
Président d'audience : L'avez vous quelque part?
Demandeur d'asile : Je crois avoir une ou deux photos d'elle, oui, à la maison.
Président d'audience : Où -ce, à la maison?
Demandeur d'asile : Ici au Canada.
Président d'audience : Avez-vous pensé que vous pourriez en avoir besoin à l'audience?
Demandeur d'asile : Je ne croyais pas que j'en aurais besoin ici.
Président d'audience : Pourquoi?
Interprète : Pourriez-vous répéter?
Président d'audience : Pourquoi? Pourquoi?
Demandeur d'asile : Parce que je ne sais pas comment ma mère pourrait être impliquée dans cette histoire. Après tout, je suis ici.
Président d'audience : Je comprends cela, mais votre demande d'asile se fonde sur votre origine ethnique, et tout ce qui est de nature à établir l'origine ethnique, par exemple l'apparence de votre mère, est important pour votre demande d'asile. Il revient au demandeur d'établir -
Interprète : Pourriez-vous répéter?
Président d'audience : Il revient au demandeur d'asile de faire valoir -
Interprète : Pourriez-vous répéter?
Président d'audience : De produire toute la preuve nécessaire à l'établissement d'une demande d'asile.
Interprète : Quoi?
Président d'audience : Nécessaire à l'établissement d'une demande d'asile.
M. Tahiri : D'accord. Monsieur, vous avez déclaré que lorsque vous avez approché un organisme rom, il ne vous a pas accepté à titre de Rom?
Demandeur d'asile : C'est exact.
M. Tahiri : En raison de tous ces - - votre allégation à propos de votre façon de vous exprimer, de votre démarche, de la couleur de vos cheveux et de vos yeux, pourquoi croyez-vous avoir été refusé par ce groupe?
Demandeur d'asile : Tout le monde ne m'a pas rejeté, seulement ceux qui auraient dû, quelques personnes ont effectivement commencé à me parler, mais je ne suis pas resté longtemps parce que je ne pouvais adhérer à cette association.
M. Tahiri : D'accord, mais il - - mais selon votre témoignage, vous avez approché ce groupe, mais qu'il ne vous a pas accueilli parce qu'il ne vous considérait pas comme un Rom?
Demandeur d'asile : C'est exact, mais je n'ai pas dit que personne ne me parlait.
M. Tahiri : Non, je n'ai pas dit que personne ne vous avait parlé. J'ai dit - - -
Président d'audience : Une minute.
M. Tahiri : D'accord, mais au moins c'est l'impression que m'a donnée votre témoignage. Corrigez-moi si je me trompe, mais selon votre témoignage, vous avez approché ce groupe rom, mais il ne vous a pas accepté comme membre parce que vous ne ressemblez pas - - selon eux, vous ne ressemblez pas à un Rom.
Demandeur d'asile : C'est exact.
M. Tahiri : D'accord. Bon, maintenant, si vous soutenez que vous marchez comme un Rom, que vous ressemblez à un Rom et que vous avez un nom qui n'est pas familier, lequel peut dans certains cas être perçu comme un nom rom, comment se fait-il que ce groupe ne vous ait pas accepté à titre de Rom?
Demandeur d'asile : Parce que si vous regardez mon visage, je suis blanc.
(Dossier du tribunal. p. 298-300)
[28] Ainsi, le demandeur a témoigné de la façon dont son origine ethnique peut être la source d'erreurs; il ne correspond pas au stéréotype de la peau foncée. En fait, il était sincère lorsqu'il a expliqué que même des Roms font cette erreur. À mon sens, la franchise du demandeur et le contenu de sa déclaration auraient dû donner à réfléchir à la SSR; il est très facile de commettre une erreur lorsqu'il s'agit d'établir l'origine ethnique.
[29] En fait, je conclus que la SSR a erré de quatre façons dans son analyse des caractéristiques physiques.
[30] Selon la preuve citée, il n'y pas de contradiction dans la preuve du demandeur selon laquelle il est rom. La preuve établit seulement que, étant donné qu'il fait exception au stéréotype physique rom, les personnes qui voient ses caractéristiques physiques peuvent avoir une perception différente. La SSR n'a pas reconnu cette distinction capitale.
[31] Au paragraphe 9, la SSR a peut-être dit qu'il n'est pas certain que les cheveux bruns et les yeux bruns puissent être acceptés comme une preuve que le demandeur est rom parce que ces caractéristiques peuvent aussi s'appliquer au stéréotype des personnes d'origine ethnique hongroise. Prise isolément, cette déclaration peut être considérée comme une observation neutre, mais considérée conjointement avec le fait (que la SSR a reconnu) que le demandeur a le teint clair, cela semble devenir une observation utilisée pour réfuter la preuve du demandeur, ce qui donne lieu à la conclusion contenue au paragraphe 11. Ainsi, la SSR a reconnu apparemment que le demandeur fait exception au stéréotype rom, mais elle a conclu, semble-t-il, qu'en raison de ses cheveux et de ses yeux bruns, le demandeur est probablement d'origine ethnique hongroise. Ce raisonnement est impossible à comprendre sans une analyse définitive, laquelle n'a pas été fournie. Je conclus donc que la SSR n'a pas satisfait au critère énoncé dans Hilo, parce qu'elle n'a pas fait preuve de clarté en tirant une conclusion de cette importance.
[32] Il importe également de noter que, contrairement à l'article 18 des Règles, la SSR n'a pas informé le demandeur qu'elle soupçonnait, se fondant sur ses propres connaissances spécialisées sur les caractéristiques physiques des Roms et des personnes d'origine ethnique hongroise, que le demandeur était Hongrois.
[33] En outre, en affirmant au paragraphe 6 de sa décision qu'elle a tiré une « conclusion négative » du défaut du demandeur de produire une photo de sa mère, la SSR affirme en fait que le demandeur avait quelque chose à cacher en ne produisant pas la photographie. Je considère que c'est très injuste et que de telles paroles, replacées dans leur contexte, équivalent à un manquement à l'application régulière de la loi.
[34] Avant l'audience, la SSR n'a pas avisé le demandeur que son origine ethnique était en cause. Le demandeur avait été invité à seulement produire la preuve pertinente, dans une lettre type exposant les étapes du processus de détermination du statut de réfugié (dossier du tribunal, p. 26). Ce n'est qu'au début de l'audience que la SSR a informé le demandeur que son origine ethnique était en cause et ce n'est que pendant celle-ci qu'elle a fait savoir que l'origine ethnique de la mère du demandeur était en cause. Il est donc raisonnable de conclure que le demandeur n'avait aucune raison de s'attendre à produire la photographie.
[35] Je ne vois rien de mal à ce que la SSR veuille vérifier la véracité de l'origine ethnique du demandeur, mais elle doit en aviser celui-ci et lui permettre de produire une preuve sur la question. En effet, en l'absence d'une preuve pour contredire la preuve d'un demandeur, la SSR commet une erreur en exigeant une preuve documentaire corroborant celle qu'il vient de produire (Ahortor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 65 F.T.R. 137 (C.F. 1re inst.); Lachowski c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 134 (C.F. 1re inst.); Akhigbe c. Canada (M.C.I.), [2002] A.C.F. no 332). En l'espèce, la seule preuve que le demandeur n'est pas rom existait dans l'esprit des commissaires de la SSR. Le demandeur ne l'a su que lorsque la décision a été rendue. Si la photographie était si importante, les commissaires de la SSR auraient dû en aviser le demandeur et lui permettre de se la procurer et de la verser au dossier.
2. Démarche et tenue vestimentaire
[36] Comme nous l'avons déjà cité (dossier du tribunal, p. 134), l'audience, la nature de la démarche du demandeur, ses vêtements sa façon de s'exprimer sont devenus des éléments de l'enquête qui permettait de déterminer s'il était perçu comme un Rom. Il s'agit d'une question importante parce qu'elle porte sur la crainte de persécution future. Toutefois, cette enquête n'a absolument rien à voir avec la véracité de l'origine ethnique du demandeur.
[37] Si la SSR avait accepté le témoignage sous serment du demandeur selon lequel il est rom, il incombait toujours à ce dernier de prouver qu'il avait droit à l'asile. Lorsqu'il s'agit de décider de cette question, la perception pourrait être importante. Toutefois, dans sa décision, la SSR ne s'est jamais livrée à l'examen de la crainte de persécution future parce qu'elle a conclu que le demandeur n'est pas rom.
[38] Au paragraphe 10 de sa décision, la SSR examine la preuve assez en détail pour commenter la possibilité que le demandeur soit perçu comme rom en raison de sa démarche, de ses vêtements et de sa façon de s'exprimer, comme il en a témoigné. Cependant, comme elle posait ces questions par ailleurs légitimes, elle a fait la déclaration suivante qui est, à mon sens, ambiguë :
Pour ce qui est de votre démarche et de votre façon « décontractée » de bouger, le tribunal estime qu'il s'agit là de signes plutôt ténus pour établir l'origine d'une personne.
Bien que le paragraphe 10 porte sur la perception, et cette déclaration se situe dans ce contexte, on ne peut nier que, par sa décision, la SSR refuse l'asile au demandeur sur le fondement d'une décision défavorable sur la crédibilité. Encore une fois, je conclus qu'il n'a pas été satisfait au critère énoncé dans Hilo; la SSR n'a pas été claire.
3. Nom de famille de la mère
[39] Comme il peut être utile d'établir le lignage d'une personne afin de déterminer son origine ethnique, l'explication du processus décisionnel énoncé au paragraphe 4 de la décision de la SSR est importante. La SSR conclut que le nom de jeune fille de la mère du demandeur n'est pas typiquement rom, et a recours, à cette fin, à ses connaissances spécialisées. Par conséquent, cette conclusion est importante, en ce qu'elle peut être considérée comme une preuve servant à réfuter la preuve sous serment du demandeur selon laquelle il est rom. Toutefois, selon moi, avant de considérer cette conclusion comme une preuve pouvant être utilisée de cette façon, la SSR doit être convaincue que ses connaissances spécialisées sont complètes. La SSR admet qu'elle possède des connaissances spécialisées sur de « certains noms roms en particulier » et, par conséquent, je juge raisonnable de conclure qu'elle ne possède pas des connaissances spécialisées précises sur tous les noms roms, si une telle chose est même possible. L'affirmation de la SSR selon laquelle le nom de jeune fille de la mère du demandeur n'est pas typiquement rom n'est pas pertinente pour déterminer l'origine ethnique du demandeur. Il s'agit d'une conjecture utilisée en guise de preuve. À ce titre, la SSR n'aurait pas dû l'invoquer pour tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité.
[40] En outre, à mon sens, l'enquête sur le nom de jeune fille de la mère du demandeur a été menée contrairement à l'article 18 des Règles. Le passage qui suit représente l'intégralité de la preuve déposée à l'audience à partir de laquelle la SSR a tiré sa conclusion figurant au paragraphe 5 de la décision. D'après les questions sibyllines suivantes, le demandeur ne pouvait être au courant des connaissances spécialisées dont les commissaires de la SSR disposaient et qui seraient finalement utilisées contre lui :
[traduction]
Président d'audience : Très bien. Et le nom de votre mère est - - -
Demandeur d'asile : Bohan Chenya (ph) [Pohancsenyi].
Président d'audience : C'est bien, merci.
Interprète : Vous avez dit?
Demandeur d'asile : Bohan Chenya.
Président d'audience : Maintenant, Bohan Chenya, quel genre de nom est-ce?
Demandeur d'asile : Je ne sais pas.
(Dossier du tribunal, p. 304)
4. Langue et traditions romes
[41] Au paragraphe 7, la SSR conclut effectivement que, parce que le demandeur ne parle pas la langue rome et ne pratique pas les coutumes romes, c'est une preuve à l'appui de la conclusion qu'il n'est pas rom.
[42] Au paragraphe 7, la SSR « constate » que le demandeur ne parle pas la langue rome. Il ressort à l'évidence que ce facteur a été pris en considération dans la décision de ne pas accepter sa preuve sous serment. En fait, la preuve documentaire versée au dossier permet de s'attendre à ce que le demandeur ne parle pas la langue rome. Il est, semble-t-il, très fréquent chez les jeunes Roms de Budapest de ne pas parler la langue rome, et l'écrasante majorité des Roms vivant en Hongrie ne parlent que le hongrois (dossier du tribunal, p. 90 et p. 151). Il ressort également que le système scolaire hongrois ne dispense peu ou pas d'enseignement se rapportant à la culture rome (dossier du tribunal p. 157 et p. 196).
[43] Par conséquent, je conclus que la suggestion de la SSR selon laquelle on pouvait s'attendre à ce que le demandeur parle la langue rome est manifestement déraisonnable.
[44] Il importe de noter que la question de savoir si le demandeur pratique les coutumes romes n'a jamais été posée au demandeur, en fait il n'y a aucune preuve au dossier de ce que la SSR croyait qu'étaient ces traditions, ou de la raison pour laquelle il ne les pratiquait pas, et cette question est pertinente. À mon avis, cette omission contrevient à l'article 18 des Règles.
[45] En outre, bien qu'il puisse être établi que le défaut de pratiquer des coutumes est pertinent pour la perception qu'ont les autres de l'origine ethnique du demandeur, je conclus qu'on ne peut invoquer un tel fait pour prouver ou réfuter la véracité de son origine ethnique. Le fait de ne pas pratiquer les coutumes d'un groupe ethnique ne prouve rien quant à l'appartenance ethnique à ce même groupe. Encore une fois, la SSR n'est pas claire au sujet de ce qu'elle voulait dire lorsqu'elle affirme qu' « au vu de toutes les autres caractéristiques permettent de déterminer qu'une personne est rom, vous semblez être l'exception » . Il n'est pas clair que cette observation porte sur la véracité de l'origine ethnique du demandeur ou la perception de son origine ethnique par les autres. Si la crédibilité du demandeur est en cause, le critère énoncé dans Hilo ne permet pas ce genre d'ambiguïté.
5. Études et expérience professionnelle
[46] Je considère que les affirmations portant sur les études et l'expérience professionnelle, au paragraphe 8 de la décision de la SSR, sont particulièrement préoccupantes. Lorsqu'elle affirme que le fait que le demandeur travaillait comme gérant est « inhabituel » , je crois qu'elle veut dire que la discrimination sérieuse bien reconnue, équivalant éventuellement à de la persécution, dont les Roms de Hongrie sont l'objet, ce qui empêche la population rome de s'instruire ou de travailler, est une norme tellement élevée qu'une personne exceptionnelle devrait être perçue avec suspicion lorsqu'elle jure être rome. Pour justifier cette affirmation, la SSR aurait dû atteindre un niveau de preuve virtuellement impossible, c'est-à-dire qu'il est impossible pour un Rom de réussir. Cela n'a pas été fait.
6.Logement
[47] Au paragraphe 8 de sa décision, la SSR a conclu que le demandeur vivait dans un secteur de Budapest qui n'est pas rom. Dans sa déposition, le demandeur a vigoureusement contesté cette conclusion :
[traduction]
Président d'audience : Dans quel arrondissement de Budapest votre famille vivait-elle?
Demandeur d'asile : Dans le 9e arrondissement, rue Farans (ph), il s'agit d'une zone tzigane.
Président d'audience : Et vous avez hérité d'un appartement de votre grand-mère. Dans quel arrondissement était-il situé?
Demandeur d'asile : Dans le 9te arrondissement, où mon grand-père vivait. C'était une colonie appelée (inaudible).
Président d'audience : Quel arrondissement était-ce?
Demandeur d'asile : Le 9te.
Président d'audience : C'était aussi le 9e?
Demandeur d'asile : Oui.
(Dossier du tribunal, p. 306)
[48] Il faut se demander quelle est la pertinence de l'affirmation de la SSR lorsque celle-ci dit que « le secteur de Budapest dans lequel vous habitiez n'est pas reconnu comme étant précisément un secteur rom » . La conclusion la plus raisonnable est que, puisque le demandeur ne satisfait pas à la norme de logement prévue, il n'est pas un Rom ni perçu, à tout le moins, comme tel. Cette affirmation pose plusieurs problèmes. En premier lieu, la SSR n'a pas versé au dossier ses connaissances spécialisées des arrondissements roms de Budapest pour permettre au demandeur d'en prendre connaissance avant qu'elle ne rende sa décision comme l'exige l'article 18 des Règles et, en second lieu, il n'est pas raisonnable de la part de la SSR de tirer des conclusions sur l'origine ethnique du demandeur, ou même la perception de son origine ethnique, en se fondant sur l'emplacement de son logement, à moins que l'on puisse prouver que tous les Roms vivent dans des arrondissements exclusifs et que le demandeur ne vit pas dans l'un d'eux. Comme cette preuve n'existe pas, je conclus qu'il est injuste de la part de la SSR de tirer des conclusions relatives à l'emplacement du logement du demandeur, puisqu'elle se livre ainsi à des spéculations sans fondement.
[49] Il importe également de noter que, en ce qui a trait à la preuve au dossier, la SSR a commis une erreur de fait qui a contribué à la nature erronée de la conclusion relative au logement. Dans le témoignage précité du demandeur, ce dernier affirme clairement qu'il vivait dans le neuvième arrondissement et qu'il s'agit d'une [traduction] « zone tzigane » ; la SSR n'a apparemment pas tenu compte de cette affirmation. Selon la preuve documentaire, le neuvième arrondissement de Budapest est considéré comme une [traduction] « zone tzigane » et, bien que la plupart des Tziganes ont tendance à vivre près les uns des autres en raison de la violence des voisins non tziganes, il y a un brassage ethnique à Budapest (dossier du tribunal, p. 91 et p. 127).
7. Accent rom
[50] Au paragraphe 10, la SSR a conclu que le demandeur ne parle pas avec un accent rom, ce que ce dernier a réfuté :
[traduction]
M. Tahiri : D'accord. Maintenant, l'autre question est votre façon de vous exprimer. Vous avez dit que vous seriez identifié par la façon dont vous vous exprimez?
Demandeur d'asile : Oui.
M. Tahiri : D'accord, et qui y a t il dans votre façon de vous exprimer qui vous distingue des autres Hongrois?
Demandeur d'asile : La façon dont je parle, dont je prononce.
Président d'audience : Monsieur, combien de temps êtes vous resté dans cette institution?
Demandeur d'asile : Quatorze ou quinze ans.
Président d'audience : Et à partir de quel âge?
Demandeur d'asile : À partir de l'âge de quatre ans.
Président : Et la plupart de vos enseignants étaient Hongrois? Professeurs.
Demandeur d'asile : Oui, il n'y avait pas de professeurs tziganes.
Président d'audience : Alors, je me demande pourquoi, si on vous a retiré d'un environnement rom, votre accent ou votre façon de vous exprimer serait rom?
Demandeur d'asile : Cela ne nous quitte pas. Ce n'est pas facile de nous l'enlever. Ce n'est pas comme apprendre une autre langue.
Président d'audience : D'accord.
(Dossier du tribunal, p. 296)
Si la SSR possédait des connaissances spécialisées portant sur les accents inhérents à la façon de parler le hongrois des Roms, elle ne l'a pas dit. La SSR semble en être arrivée à ses propres conclusions, sans s'appuyer sur une preuve documentaire ou d'expert selon laquelle un Rom ayant vécu dans une institution de langue hongroise, séparé de sa famille rome pendant plus de 14 ans, n'aurait pas d'accent discernable. Il s'agit d'une conclusion manifestement déraisonnable.
8. Taille de la famille
[51] Au paragraphe 8 de sa décision, la SSR a conclu également que la famille du demandeur, qui comptait quatre enfants, était plutôt réduite pour une famille rome. Voici l'échange sur cette question :
[traduction]
Président d'audience : Maintenant, les familles romes sont habituellement plutôt nombreuses. Diriez-vous que votre famille est une exception à cette règle?
Demandeur d'asile : Selon (inaudible) non pas quelques-unes en Hongrie.
Président d'audience : C'est peut-être votre opinion, Monsieur, mais habituellement, selon nos documents, les Roms ont plutôt six, sept enfants. Considérez-vous votre famille comme une famille rome peu nombreuse?
Demandeur d'asile : Bien, selon ce que vous dites, oui.
(Dossier du tribunal, p. 304)
Il ressort de ce passage que le demandeur n'était pas d'accord avec la caractérisation qui fut faite de sa famille, à savoir qu'elle était d'une taille exceptionnelle. À mon avis, le recours, par la SSR, à la taille de la famille pour juger de l'origine ethnique du demandeur est très injuste. De toute évidence, de nombreuses raisons peuvent expliquer pourquoi, au sein d'une population, des personnes ont ou n'ont pas d'enfants; le fait de n'en avoir aucun, d'en avoir quatre plutôt que deux ou six ne prouve rien. Je conclus que la prise en compte de ce facteur est une erreur de fait révisable.
D. Le défaut de la SSR de rendre une décision sur la crainte de persécution future
[52] La SSR a rendu une décision sur l'origine ethnique du demandeur; elle a conclu qu'il est d'origine ethnique hongroise. Par conséquent, même si elle refusait de croire le témoignage sous serment du demandeur relatif à son origine ethnique rome, elle devait quand même examiner le reste de la preuve et décider si le critère de la crainte de persécution future s'appliquait. Elle a plutôt choisi de clore l'audience en concluant, en vertu du paragraphe 69.1(9.1) de la Loi, à l'absence d'un minimum de fondement. Je souscris à la conclusion rendue par le juge Kelen dans la décision Tubacos, précitée, selon laquelle trancher uniquement la question de l'origine ethnique sans évaluer le reste de la preuve et se prononcer ne constitue pas une conclusion valide sur l'allégation de crainte de persécution du demandeur. Cela dit, en l'espèce, bien que la SSR ait conclu que le demandeur était d'origine ethnique hongroise, elle aurait dû examiner son témoignage sur les souffrances qu'il a endurées toute sa vie. Elle ne l'a pas fait.
E.Conclusion
[53] Compte tenu des erreurs importantes commises dans l'application régulière de la loi et des erreurs tant de fait que de droit, je conclus que la décision rendue par la SSR est entachée d'erreurs révisables.
ORDONNANCE
Par conséquent, j'infirme la décision de la SSR et renvoie l'affaire pour qu'un tribunal différemment constitué statue de nouveau sur l'affaire.
« Douglas R. Campbell »
Juge
Traduction certifiée conforme
Michèle Ali
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-2747-02
INTITULÉ : ISTVAN VODICS
et
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
DATE DE L'AUDIENCE : LE 19 AVRIL 2005
LIEU DE L'AUDITION : TORONTO (ONTARIO)
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET
ORDONNANCE : LE JUGE CAMPBELL
DATE DES MOTIFS : LE 31 MAI 2005
COMPARUTIONS :
Thomas Zwiebel POUR LE DEMANDEUR
Karen Dickenson POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Zwiebel & Associates
North York (Ontario) POUR LE DEMANDEUR
John H. Sims, c.r.
Sous-procureur général du Canada POUR LE DÉFENDEUR