Date : 20040901
Dossier : IMM-6982-03
Référence : 2004 CF 1186
Ottawa (Ontario), le 1er septembre 2004
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN
ENTRE :
ZABIT HUSSAIN
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Le demandeur est un musulman chiite de 35 ans, originaire du Pakistan. Il prétend qu'avant son arrivée au Canada, il a été un membre exécutif du Tehreek-e-Fiqa Jaferia (TFJ), un parti religieux chiite, lequel, c'est maintenant connu, entretient des liens avec des organisations terroristes; il aurait aussi été membre exécutif de l'Anjuman Imamia Asna Ashria (AIAA), un organisme communautaire qui fait la promotion des droits démocratiques chez les citoyens chiites du Pakistan.
[2] En raison de son engagement, il prétend avoir été agressé à maintes reprises par des membres du Sipah-e-Sahaba (SSP), notamment lors d'un incident survenu en 1999 au cours duquel il y a eu des coups de feu. Il prétend aussi que le SSP a embauché un assassin bien connu sous le nom de Zaka, pour le tuer. Après l'échec de la tentative de meurtre de Zaka, le demandeur dit s'être enfui à Karachi. Toutefois, il prétend aussi avoir été suivi et harcelé dans cette ville et il aurait subi des blessures en juillet 2001, à la suite d'une attaque perpétrée contre sa mosquée. Après cette attaque, il prétend que des chefs religieux lui ont dit qu'il ne serait plus en sécurité au Pakistan; par conséquent, il s'est enfui au Canada, où il a demandé l'asile.
[3] Dans ses motifs datés du 1er août 2003, la Section de la protection des réfugiés a rejeté la demande du demandeur. Elle a conclu qu'il n'avait pas le profil d'un chiite qui s'expose à la persécution au Pakistan. De plus, elle a conclu qu'à plusieurs égards, son récit n'était ni crédible ni plausible. Enfin, elle a conclu que, puisque le gouvernement avait récemment pris des mesures, telle l'interdiction du SSP, l'État offrait une protection adéquate au Pakistan. Le demandeur cherche maintenant à obtenir le contrôle judiciaire de cette décision.
QUESTIONS EN LITIGE
[4] Essentiellement, le demandeur soulève trois questions :
1. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le profil du demandeur ne correspondait pas au profil d'une personne qui s'expose à la persécution?
2. La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant des conclusions défavorables sur la crédibilité en raison d'incompatibilités entre le Formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur et son témoignage?
3. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que l'État était en mesure de protéger le demandeur de façon adéquate?
NORME DE CONTRÔLE
[5] Le demandeur conteste des conclusions de fait et des conclusions sur la crédibilité, pour lesquelles la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable (Sivasamboo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 1 C.F. 741; Conkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 300).
ANALYSE
Question 1 : La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le profil du demandeur ne correspondait pas au profil d'une personne qui s'expose à la persécution?
[6] Le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur en concluant qu'il ne s'exposait pas à un risque parce qu'il n'était ni un professionnel ni un chef chiite bien en vue. On a prétendu qu'il s'exposait au risque en tant que chef local. De plus, on a avancé que la preuve documentaire, y compris un rapport délivré par Amnistie internationale, montrait qu'un éventail important de la société chiite s'exposait présentement à la persécution, y compris des non-professionnels comme le demandeur.
[7] Aux pages 6 et 7 des motifs, la Commission a conclu que le demandeur n'avait pas le profil d'une personne qui serait exposée à la persécution parce qu'il avait dit que son rôle au sein du Tehreek-e-Fiqa Jaferia (TJP) et de l'AIAA était surtout de nature administrative et parce que la preuve documentaire donnait à penser que c'était surtout des chefs et des professionnels qui étaient ciblés par le SSP. Le demandeur a mal compris la conclusion de la Commission; elle n'a pas conclu que c'était uniquement des chefs et des professionnels qui étaient ciblés, mais elle a simplement dit que le demandeur n'avait pas le profil d'une personne qui serait ciblée par le SSP.
[8] Cela ne constitue pas une erreur. Vu le témoignage du demandeur lui-même concernant son engagement politique et vu la preuve au dossier, y compris le rapport d'Amnistie internationale (auquel on renvoie dans une note en bas de page à la page 7 des motifs), il était loisible à la Commission de conclure qu'il était peu probable que le demandeur soit remarqué de manière précise par le SSP.
Question 2 : La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant des conclusions défavorables sur la crédibilité en raison d'incompatibilités entre le Formulaire de renseignements personnels du demandeur (FRP) et son témoignage?
[9] Le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable de son omission de mentionner l'AIAA dans son FRP. On prétend qu'au cours de l'audience, le demandeur a expliqué de manière raisonnable que son avocat avait omis d'inclure des détails concernant son engagement dans son FRP, et qu'il ne s'en est rendu compte qu'au moment où il se préparait pour l'audience. À cet égard, on prétend aussi que la Commission ne possédait aucun élément de preuve que le demandeur avait inventé le récit de son engagement dans l'AIAA de manière à minimiser son rôle au sein du TJP. Enfin, le demandeur plaide qu'au cours de l'audience, il a simplement fourni des détails supplémentaires concernant Zaka qui étaient venus au jour uniquement après qu'il eut soumis son FRP.
[10] Lorsqu'un demandeur a omis des éléments importants de son récit dans son FRP, il est loisible à la Commission de tirer des conclusions défavorables (Basseghi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1867). Dans la présente affaire, l'omission du demandeur était reliée à des éléments au coeur de son récit : en l'occurrence, son engagement au sein de l'AIAA et les tentatives de meurtre contre lui par l'assassin connu sous le nom de Zaka. Par conséquent, il était raisonnable que la Commission s'attende à ce que ces détails soient compris dans son exposé des faits et qu'elle tire une conclusion défavorable de leur omission.
[11] Même si l'on doit donner foi au témoignage non contredit d'un demandeur (Maldonado c. Canada (Ministre de la'Emploi et de l'Immigration), [1980] 2 C.F. 302), la Commission n'a pas l'obligation d'accepter un témoignage lorsqu'il existe des raisons valables de douter de sa véracité (Goshi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 735). Dans la présente affaire, la connaissance de l'anglais du demandeur et ses antécédents constituaient une raison valable de douter de son explication concernant l'omission relative à l'AIAA dans son FRP. Il était donc loisible à la Commission de conclure que le demandeur avait inventé la question de l'engagement au sein de l'AIAA uniquement dans le but de servir sa demande d'asile. De plus, il n'était pas manifestement déraisonnable que la Commission conclue que le témoignage du demandeur concernant Zaka était fabriqué et invraisemblable.
Question 3 : La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que l'État était en mesure de protéger le demandeur de façon adéquate?
[12] Le demandeur prétend que le tribunal a mal compris les éléments de preuve se rapportant à la protection de l'État et qu'il s'y est appuyé de manière sélective. On prétend que le poids de la preuve montre que des mesures mises en place pour freiner l'activité des groupes armés sunnites se sont avérées infructueuses et que la violence à l'endroit des chiites continue. De plus, on prétend que le tribunal a commis une erreur en concluant que la police aurait été en mesure de protéger le demandeur dans le passé étant donné qu'elle a récemment entrepris des procédures contre des organisations paramilitaires sunnites.
[13] En l'absence d'éléments de preuve clairs et convaincants du contraire, la Commission est présumée avoir tenu compte de tous les éléments de preuve au dossier (Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317). De plus, il est loisible à la Commission de soupeser la preuve et de tirer les conclusions et les inférences qu'elle estime appropriées (Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315; Lubeya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 2009).
[14] Dans la présente affaire, les éléments de preuve sont de nature variée mais on ne peut dire que la Commission n'a pas tenu compte de certains d'entre eux ou que les conclusions qu'elle a tirées étaient manifestement déraisonnables. La preuve montre que, même si l'État n'avait pas toujours réussi à empêcher la violence sectaire, le demandeur pourrait obtenir une protection adéquate s'il rentrait au Pakistan. Voir à l'appui, Conkova c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration [2000], A.C.F. no 300:
La question litigieuse en l'espèce porte sur l'appréciation que la SSR a faite de la preuve, un aspect de l'affaire qui relevait clairement de son mandat et son champ d'expertise. Le point de vue que la SSR a adopté à l'égard de la preuve était raisonnable, tout comme l'aurait été le point de vue opposé. La preuve, comme c'est si souvent le cas, est ambiguë et équivoque. Certains éléments de preuve étayent le point de vue des demandeurs, alors que d'autres le minent. Il incombe à la SSR de tenir compte de tous les éléments de preuve (ce qui ne l'oblige toutefois pas à mentionner expressément chaque élément de preuve qu'elle examine), de les soupeser, et de parvenir à une conclusion. Toute conclusion qu'elle tire qui n'est pas erronée à première vue n'est pas manifestement déraisonnable. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, (1996) 144 D.L.R. (4th) 1. En l'espèce, la conclusion que la SSR a tirée n'est pas erronée à première vue, même si d'autres personnes seraient peut-être parvenues à une autre conclusion. Aucun motif n'appelle l'intervention de notre Cour.
[15] Ces observations s'appliquent également à la présente affaire.
CONCLUSION
[16] Pour ces motifs, la présente demande ne saurait être accueillie.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE
La présente demande est rejetée.
« K. von Finckenstein »
Juge
Traduction certifiée conforme
Caroline Raymond, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-6982-03
INTITULÉ : ZABIT HUSSAIN
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE MERCREDI 25 AOÛT 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE von FINCKENSTEIN
DATE DES MOTIFS : LE 1er SEPTEMBRE 2004
COMPARUTIONS :
Andrew Brouwer POUR LE DEMANDEUR
Hadayt Nazami
Tamrat Gebeyehu POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Jackman & Associates POUR LE DEMANDEUR
Avocats
Toronto (Ontario)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous procureur général du Canada
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Date : 20040901
Dossier : IMM-6982-03
ENTRE :
ZABIT HUSSAIN
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE