Date : 20020927
Dossier : IMM-1988-01
Référence neutre : 2002 CFPI 1011
Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2002
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE
ENTRE :
EMILE YIMBI OMBE
demandeur
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision, rendue en date du 22 mars 2001, par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.
[2] Le demandeur sollicite l'annulation de la décision de la Commission.
Les faits
[3] Le demandeur est âgé de 24 ans et est citoyen de la République démocratique du Congo (RDC). Le demandeur prétend être une personne qui craint avec raison d'être persécutée du fait de ses opinions politiques.
[4] Les prétentions du demandeur sont exposées ci-après. Le demandeur s'est opposé au « Comité du pouvoir populaire » (CPP) lors d'une assemblée tenue à l'Université de Kinshasa le 6 janvier 2000. Il a été arrêté le 10 janvier 2000 et emprisonné dans la ville de Ngombe. Il a reconnu parmi les détenus de nombreux autres étudiants de l'université qui avaient participé au débat du 6 janvier. Le demandeur a prétendument été battu et torturé au cours de sa détention.
[5] Le 19 janvier 2000, l'oncle du demandeur, un commandant des forces armées congolaises, a organisé son évasion de prison. Après avoir passé la nuit chez son oncle, le demandeur s'est enfui de la RDC le 20 janvier 2000 et est entré au Canada en passant par Brazzaville le 23 janvier 2000.
[6] À son arrivée au Canada, le demandeur a déclaré qu'il avait l'intention de revendiquer le statut de réfugié. La Commission a tenu l'audition de la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention présentée par le demandeur le 23 octobre 2000 et le 31 janvier 2001.
[7] Dans sa décision du 22 mars 2001, la Commission a conclu ce qui suit :
Après un examen minutieux de toute la preuve et pour les motifs exposés précédemment, le tribunal n'est pas convaincu, par la prépondérance des probabilités, de la crédibilité du récit des événements fait par le revendicateur. Par conséquent, le tribunal n'est pas convaincu qu'il y a une possibilité raisonnable ou sérieuse que le revendicateur soit persécuté pour les motifs énumérés, dans l'éventualité de son retour en RDC.
[8] La Commission a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention. La présente demande vise le contrôle judiciaire de la décision de la Commission.
Les prétentions du demandeur
[9] Le demandeur prétend que les conclusions quant à l'invraisemblance tirées par la Commission sont fondées en totalité sur une erreur quant aux faits.
[10] Le demandeur prétend qu'il n'a jamais témoigné qu'il avait laissé [TRADUCTION] « ses documents les plus récents chez ses parents » . Il admet qu'il n'y a pas de différence entre la maison de ses parents et celle de sa femme.
[11] Le demandeur prétend que la Commission n'a pas mis en doute l'authenticité du relevé de notes d'université, émis en mars 1999, qu'il a fourni. Il prétend que, par conséquent, il n'existait aucun motif de mettre en doute son témoignage selon lequel il était encore étudiant en janvier 2000.
[12] Le demandeur prétend que la Commission a affirmé que son témoignage sur la question de savoir si la présence du CPP sur le campus datait de janvier 1999 ou de janvier 2000 était embrouillé. Le demandeur allègue que son témoignage sur cette question n'était pas vague ou contradictoire. Le demandeur allègue qu'il a témoigné que la présence du CPP sur le campus datait de 1999. Il a témoigné que le débat de janvier 2000 avait pour but de discuter l'arrivée du CCP sur le campus. Le demandeur prétend que les motifs de la Commission étaient arbitraires étant donné que son témoignage n'était pas embrouillé.
[13] Le demandeur soumet qu'il n'est pas raisonnable de s'attendre à ce que toutes les arrestations faites en RDC soient documentées par les groupes qui défendent les droits de la personne.
[14] Le demandeur soumet que la Commission n'a pas pris en compte son témoignage selon lequel le professeur Mubake appuyait le gouvernement. Il allègue qu'il n'existe aucune preuve que le professeur Mubake ait pris position contre le CPP. Il prétend que la Commission a commis une grave erreur quant aux faits sur cette question.
[15] Le demandeur soumet que la commissaire a ajourné l'audience pendant trois mois et que lors de la reprise de l'audience elle était mal préparée et qu'elle ne savait clairement plus où elle en était. Le demandeur allègue que la commissaire se trompait en pensant qu'il y avait une deuxième commissaire qui avait été nommée pour entendre l'affaire et que cette commissaire était en congé de maternité.
[16] Le demandeur soumet que même si aucun nouvel élément de preuve important n'a été présenté le 31 janvier 2001, la Commission n'a pas pu trancher.
[17] Le demandeur prétend qu'il n'a pas eu une audition équitable. Il prétend que les erreurs quant aux faits dans la décision et que l'allégation erronée selon laquelle l'avocat et l'ACR étaient mêlés quant à la composition du tribunal le démontrent. Le demandeur allègue que les erreurs dans les motifs révèlent un manque d'attention au cours de l'audience.
Les prétentions du défendeur
[18] Le défendeur allègue que la Commission a tiré des conclusions quant à la crédibilité et quant à la vraisemblance qu'elle pouvait raisonnablement tirer compte tenu du dossier.
[19] Le défendeur allègue que la décision ne soulève pas une crainte raisonnable de partialité.
[20] Le défendeur allègue que la Commission a le droit de trancher défavorablement quant à la crédibilité d'un revendicateur en se fondant sur les contradictions et les incohérences de son récit et sur les contradictions et les incohérences entre son récit et les autres éléments de preuve dont elle dispose.
[21] Le défendeur allègue que si la Commission a commis des erreurs quant aux faits, ce qu'il n'admet pas, de telles erreurs ne sont pas déterminantes dans la décision au point de justifier l'annulation de cette décision.
[22] Le défendeur allègue que le critère qui doit être utilisé pour décider s'il existe une crainte raisonnable de partialité est celui qui permet d'établir si une personne renseignée, après avoir examiné la question de façon réaliste et pratique et après avoir réfléchi à fond sur la question, penserait qu'il est fort probable qu'un décideur trancherait, consciemment ou non, la question de façon non équitable (voir Committee for Justice and Liberty et Al. c. L'Office national de l'énergie (1976), 68 D.L.R. (3d) 716 (C.S.C.)).
[23] Le défendeur allègue que lors de la deuxième séance de l'audience, il y avait une certaine confusion quant à la question de savoir s'il y avait un ou deux commissaires qui entendaient l'affaire au moment où l'audience avait débuté. La transcription mentionne que le demandeur lui-même avait rappelé à tous que depuis le début de l'audience, il y avait une seule commissaire. Le défendeur prétend qu'il n'existe aucun fondement permettant de dire que la confusion qui régnait d'abord au sein de la Commission amènerait la commissaire à trancher l'affaire de façon non équitable.
[24] Le défendeur allègue qu'il n'existe pas de preuve que le demandeur ait soulevé, lors de l'audience, la question de la crainte de partialité. Le défendeur prétend qu'une partie qui souhaite alléguer une crainte de partialité doit soulever la question dès qu'elle en a la possibilité et ne peut pas la soulever pour la première fois lors d'une demande de contrôle judiciaire (voir Affaire intéressant un tribunal des droits de la personne c. Énergie atomique du Canada, [1986] 1 C.F. 103, aux pages 110, 112 et 113 (C.A.F.); Bourouisa c. Canada (M.C.I.) [1997] A.C.F. no 887 (QL) (C.F. 1re inst.), par M. le juge Nadon; et Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor [1990] 3 R.C.S. 892, à la page 942)).
[25] Questions en litige
1. La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu'elle a tiré des conclusions quant à la crédibilité et quant à la vraisemblance qu'elle ne pouvait pas raisonnablement tirer?
2. La décision de la Commission soulève-t-elle une crainte raisonnable de partialité?
Les dispositions législatives et les règlements pertinents
[26] La Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, définit l'expression « réfugié au sens de la Convention » comme suit :
« réfugié au sens de la Convention » Toute personne : |
"Convention refugee" means any person who |
a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques_: |
(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion, |
(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, |
(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, or |
(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner; [...] |
(ii) not having a country of nationality, is outside the country of the person's former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to return to that country, and [...] |
Analyse et décision
[27] La première question en litige
La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu'elle a tiré des conclusions quant à la crédibilité et quant à la vraisemblance qu'elle ne pouvait pas raisonnablement tirer?
J'ai examiné les extraits de la transcription auxquels l'avocat a renvoyé et je suis d'avis que la preuve dans son ensemble n'amène pas à conclure que le demandeur a déclaré que la première présence du CPP à l'université datait de l'année 2000. Dans son Formulaire de renseignements personnels, le demandeur a déclaré en partie ce qui suit :
[TRADUCTION]
Une assemblée a été convoquée pour le 6 janvier 2000 pour débattre de la situation politique à l'université. Une des questions importantes était l'arrivée du CPP (Comité du pouvoir populaire).
Selon moi, la déclaration du demandeur signifie qu'il y avait des problèmes liés à la situation politique à l'université et que l'arrivée du CPP était l'un des problèmes. Cela pouvait signifier que le CPP était présent à l'université avant l'année 2000, ce qui est conforme à ce que le demandeur a déclaré dans son témoignage. Le tribunal n'aurait pas dû utiliser la prétendue contradiction pour conclure que le demandeur n'était pas digne de foi.
[28] La Commission a en outre déclaré qu'il n'était pas logique que le demandeur ait laissé certains de ses documents à ses parents alors qu'il vivait seul pendant qu'il étudiait à l'université et qu'il visitait son épouse les fins de semaine. Un examen du témoignage du demandeur établit qu'il laissait ses documents à son épouse et non pas à ses parents. La Commission a commis une erreur en fondant une conclusion quant à la crédibilité sur cette déclaration.
[29] Pour les motifs énoncés, je suis d'avis que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle.
[30] La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission est annulée et l'affaire est renvoyée à la Commission à un tribunal différemment constitué pour qu'il entende à nouveau l'affaire.
[31] Compte tenu de ma conclusion sur la première question en litige, il n'y a pas lieu de trancher l'autre question en litige soulevée en l'espèce.
[32] Aucune des parties n'a soumis de question aux fins de la certification.
ORDONNANCE
[33] LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée à la Commission à un tribunal différemment constitué pour qu'il entende à nouveau l'affaire.
« John A. O'Keefe »
Juge
Ottawa (Ontario)
Le 27 septembre 2002
Traduction certifiée conforme
Danièle Laberge, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1988-01
INTITULÉ : EMILE YIMBI OMBE
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : Le jeudi 6 juin 2002
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE O'KEEFE
DATE DES MOTIFS : Le vendredi 27 septembre 2002
COMPARUTIONS :
David Yerzy
POUR LE DEMANDEUR
David Tyndale
POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
David Yerzy
14, avenue Prince Arthur
Bureau 108
Toronto (Ontario) M5R 1A9
POUR LE DEMANDEUR
Ministère de la Justice
Bureau 3400, Case postale 36, The Exchange Tower
130, rue King Ouest
Toronto (Ontario) M5X 1K6
POUR LE DÉFENDEUR
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
Date : 20020927
Dossier : IMM-1988-01
ENTRE :
EMILE YIMBI OMBE
demandeur
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE