Date : 20190905
Dossier : IMM‑1421‑18
Référence : 2019 CF 1139
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Toronto (Ontario), le 5 septembre 2019
En présence de monsieur le juge Diner
ENTRE :
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PIOTR MAREK KACZOR
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ASSOCIATION CANADIENNE DES AVOCATS ET AVOCATES EN DROIT DES RÉFUGIÉS
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ
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intimé
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ORDONNANCE ET MOTIFS
[1]
La Cour est saisie d’une requête par laquelle le ministre sollicite une ordonnance rejetant la demande au motif qu’elle est théorique, étant donné qu’il a retiré, le 17 mai 2019, tous les pays figurant sur la liste des pays d’origine désignés. Pour les motifs qui suivent, la requête du ministre ne sera pas accueillie. L’instance sera plutôt suspendue pour une période de six mois, et un juge responsable de la gestion de l’instance sollicitera l’avis des parties concernant le statut du dossier et les prochaines mesures à prendre. Pour fournir le contexte à l’origine du litige, un résumé des faits précède l’analyse des arguments soulevés dans la présente requête.
I.
Le contexte
[2]
M. Kaczor, citoyen de la Pologne, est arrivé au Canada le jour de l’An 2018 et a obtenu le statut de réfugié en raison de son orientation sexuelle. Comme la Pologne était alors un pays d’origine désigné [POD], M. Kaczor ne pouvait obtenir un permis de travail avant qu’une période de 180 jours se soit écoulée, en application du paragraphe 206(2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement].
[3]
M. Kaczor a donc présenté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire sous‑jacente, faisant valoir que le paragraphe 206(2) du Règlement violait les droits que lui confèrent l’article 7 et le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés [la Charte]. Le 16 octobre 2018, le juge Brown a autorisé la présentation d’une demande de contrôle judiciaire.
[4]
M. Kaczor a bénéficié d’un financement accordé par Aide juridique Ontario [AJO] pour les causes types. Le dossier a été soumis à la gestion de l’instance. L’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés [ACAADR] a présenté une requête en vue d’obtenir la qualité pour agir dans l’intérêt public (plutôt que la qualité d’intervenant) et elle a été constituée codemanderesse par une ordonnance du protonotaire Aalto datée du 15 mai 2019. Les délais initialement prévus dans l’ordonnance d’autorisation du juge Brown ont été annulés lorsque la demande a été soumise à la gestion de l’instance.
[5]
Le 17 mai 2019, le ministre a annoncé la révocation de la désignation de tous les POD. Cette annonce est jointe à la présente ordonnance en tant qu’annexe A. Dans son annonce, le ministre a affirmé que la révocation de la désignation « suspend concrètement l’application de la politique des POD, adoptée en 2012, jusqu’à ce qu’elle puisse être abrogée par des modifications législatives ultérieures »
.
[6]
Le ministre a également souligné que d’autres éléments du régime des POD avaient été déclarés inconstitutionnels par la Cour, faisant observer que « [l]a politique des POD n’a pas atteint son objectif d’éviter que le système d’octroi de l’asile soit utilisé à mauvais escient et que les demandes d’asile des citoyens de ces pays soient traitées plus rapidement. En outre, plusieurs décisions de la Cour fédérale ont invalidé certaines dispositions de la politique des POD, la Cour estimant qu’elles ne se conformaient pas à la Charte canadienne des droits et libertés. »
[7]
Puisque les ressortissants de POD qui ont présenté une demande d’asile avant le 17 mai 2019 demeurent assujettis à la période d’attente pour l’obtention d’un permis de travail, la politique d’intérêt public accompagnant l’annonce du ministre [la politique] prévoit que les agents « peuvent »
accorder une dispense de l’exigence liée à la période d’attente pour des considérations d’intérêt public.
II.
Les questions en litige et les arguments soulevés
[8]
Dans la présente requête, le ministre cherche à faire rejeter la demande au motif qu’elle est théorique. Le critère du caractère théorique comporte une analyse en deux temps (Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342 [Borowski]). À la première étape de l’analyse, il faut se demander s’il reste un litige actuel entre les parties, ou bien si le différend a disparu et si la question est devenue purement théorique, auquel cas l’instance serait théorique. S’il est établi à cette étape que la question est théorique, la Cour peut tout de même exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l’affaire. À cette deuxième étape de l’analyse, la Cour est guidée par les trois raisons d’être de la politique en matière de causes théoriques, qui sont liées : (i) à la présence d’un contexte contradictoire; (ii) à l’économie des ressources judiciaires et (iii) à la question de savoir si la Cour empiéterait sur la sphère législative. De plus, la Cour suprême a plus tard fait observer que le critère global à appliquer pour déterminer si un tribunal devrait entendre une affaire théorique consiste à savoir s’il est « dans l’intérêt de la justice d’entendre un appel »
(Doucet‑Boudreau c Nouvelle‑Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, au par. 17 [Doucet‑Boudreau]).
A.
La position des parties
1)
La première partie du critère énoncé dans l’arrêt Borowski : l’existence d’un litige actuel entre les parties
[9]
Le ministre soutient que la demande de M. Kaczor est théorique en raison de l’annonce du ministre et du changement de la politique. Puisqu’il n’y a plus de POD, la période d’attente de six mois ne s’applique plus aux nouvelles demandes de permis de travail, et les personnes qui ont présenté une demande d’asile au cours des six derniers mois peuvent présenter une demande de permis de travail immédiatement. L’intimé fait valoir que la période d’attente ne viole donc plus les droits garantis par la Charte à M. Kaczor et aux autres demandeurs d’asile au nom de qui l’ACAADR s’exprime.
[10]
Plus précisément, le ministre soutient que, par suite de la révocation de la désignation des POD et du changement de la politique en découlant, aucun nouveau demandeur d’asile ne devra attendre six mois avant d’être admissible à un permis de travail. Cela met fin à tout litige entre les parties, puisque les demandeurs ont obtenu la réparation qu’ils recherchaient.
[11]
Le ministre ajoute que ce n’est pas parce que les demandeurs auraient peut‑être préféré obtenir cette réparation par la voie d’une déclaration d’inconstitutionnalité qu’il existe un litige concret entre les parties, puisque « [l]’effet recherché a été obtenu »
(Doucet‑Boudreau).
[12]
Les demandeurs ne sont pas d’accord. Ils soutiennent que le litige entre les parties, et le problème sous‑jacent pour les demandeurs d’asile comme M. Kaczor, persiste en raison de la disposition en cause. Les demandeurs font valoir que, tant qu’il est possible qu’un demandeur d’asile provenant d’un POD soit assujetti à une période d’attente pour obtenir un permis de travail, la question constitutionnelle demeure non résolue, et, suivant l’arrêt Doucet‑Boudreau, il y a un litige actuel.
[13]
En outre, les demandeurs signalent que l’ACAADR a été ajoutée à titre de partie au présent litige pour faire en sorte que les questions constitutionnelles importantes qui ont été soulevées soient dûment étudiées afin de faire avancer les intérêts des demandeurs d’asile provenant de POD de façon générale, comme l’a conclu le protonotaire Aalto dans son ordonnance accordant à l’ACAADR la qualité pour agir dans l’intérêt public.
2)
La deuxième partie du critère énoncé dans l’arrêt Borowski : le pouvoir discrétionnaire de la Cour
[14]
Premièrement, le ministre prétend que la nouvelle désignation de pays d’origine est hypothétique et qu’il ne s’agit pas d’un motif justifiant qu’une instance longue, prolongée et coûteuse soit tenue sur une question théorique. Aucun des trois facteurs qui pourraient permettre à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire et d’entendre l’affaire ne milite en faveur de la poursuite de l’action, en ce sens (i) qu’il n’existe plus de contexte contradictoire, étant donné qu’aucun particulier n’est actuellement incapable d’obtenir un permis de travail ou assujetti à une période d’attente pour en obtenir un; (ii) que la poursuite de l’action minerait l’économie des ressources judiciaires étant donné la longueur et la complexité du litige; et (iii) que cela empiéterait sur la sphère législative. Le ministre soutient que le gouvernement a clairement affirmé son intention d’abroger la disposition dans le cadre de modifications législatives ultérieures. L’hypothèse selon laquelle un gouvernement futur pourrait adopter une politique qui porterait atteinte aux droits constitutionnels d’une personne ne donne pas lieu à un contexte contradictoire.
[15]
Deuxièmement, le ministre estime que la présente affaire ne soulève pas de questions importantes échappant à un examen judiciaire qui pourraient justifier l’utilisation de ressources. Si les craintes hypothétiques des demandeurs devaient se matérialiser un jour, il serait loisible aux personnes touchées de présenter une contestation constitutionnelle à ce moment‑là, et rien n’empêcherait alors l’ACAADR ou une autre organisation de demander la qualité de partie.
[16]
Troisièmement, si la Cour devait autoriser la poursuite du litige et invalider le paragraphe 206(2) du Règlement, cela écarterait les intentions affirmées du ministre et empiéterait sur le rôle du législateur.
[17]
Les demandeurs soutiennent pour leur part que, jusqu’à ce que l’article 206 du Règlement soit officiellement abrogé, les POD peuvent faire l’objet d’une nouvelle désignation en tout temps. Le cas échéant, les parties ne pourraient pas recommencer le litige qui a échappé jusqu’ici à l’examen judiciaire.
[18]
Les demandeurs font ressortir les éléments de preuve au dossier selon lesquels, en raison de coupes budgétaires annoncées récemment par le gouvernement provincial, AJO n’offrira plus de financement pour les causes types, mais honorera les certificats déjà délivrés. En l’espèce, le comité des causes types a conclu que la contestation de M. Kaczor méritait un financement. Les demandeurs soulignent qu’aucune autre affaire contestant le délai de six mois pour l’obtention d’un permis de travail – qu’il s’agisse d’une cause type ou non – n’a été autorisée. Je tiens à préciser que, le 12 août 2019, c’est‑à‑dire après que la présente requête a été débattue, le gouvernement fédéral a annoncé qu’il remettrait un versement unique à AJO.
III.
La demande de suspension des demandeurs
[19]
Ainsi, les demandeurs font valoir que la demande devrait être non pas rejetée, mais plutôt suspendue temporairement, conformément à l’article 50 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 [Loi]. Ils demandent que la demande soit mise en suspens jusqu’à ce que l’article 206 soit abrogé. Ils font valoir que la suspension de l’affaire permettra d’éviter l’utilisation inutile d’autres ressources par les parties et la Cour, tout en veillant à ce que les ressources utilisées à ce jour, notamment le financement des causes types, ne soient pas gaspillées. Ainsi, la violation constitutionnelle n’échapperait pas à l’examen judiciaire advenant que le ministre procède à des ajouts à la liste de POD.
[20]
Le ministre s’oppose à la suspension, signalant que la Cour suprême n’a jamais accordé, à titre de réparation subsidiaire, la mise en suspens d’une affaire en prévision de l’évolution hypothétique d’une situation. Il affirme que les demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve pour montrer que le gouvernement rétablira les dispositions relatives aux POD, et dans le cas improbable où un gouvernement futur déciderait de le faire, ils auraient le temps de présenter une contestation constitutionnelle.
IV.
Analyse
[21]
Je suis partiellement convaincu par les arguments des deux parties. Par rapport à la première partie du critère énoncé dans l’arrêt Borowski, je suis d’accord avec le ministre pour dire que la question pratique des ressortissants de POD qui doivent attendre pour obtenir un permis de travail est théorique. Par contre, je vais exercer le pouvoir discrétionnaire qui revient à la Cour et entendre la demande. Les demandeurs conviennent que, lorsque le délai de six mois qui fait l’objet de la contestation sera abrogé, le cas échéant – comme le prévoit le ministre dans son annonce – les facteurs énoncés dans l’arrêt Borowski ne justifieront plus l’instruction de l’affaire, car la déclaration d’inconstitutionnalité qui est recherchée ne serait plus pertinente. Toutefois, la disposition en question n’a pas encore été abrogée, et elle ne le sera pas avant les prochaines élections générales.
A.
La première partie du critère énoncé dans l’arrêt Borowski : l’existence d’un litige actuel entre les parties
[22]
Le ministre a raison de dire que, pour M. Kaczor et pour tout ressortissant d’un POD dans une situation semblable, l’affaire est théorique, car d’après son annonce et la politique, les nouvelles demandes de permis de travail ne seront plus assujetties au délai de 180 jours. L’annonce du ministre indique clairement que les ressortissants de POD qui ont présenté une demande d’asile moins de six mois avant l’annonce du 17 mai 2019, et qui sont donc assujettis au délai de 180 jours, peuvent présenter immédiatement une demande de permis de travail. Tous les réfugiés en provenance de POD qui ont décidé, pour quelque raison que ce soit, de ne pas se prévaloir de l’annonce et présenter une nouvelle demande pourront obtenir leur permis de travail d’ici la mi‑novembre environ.
B.
La deuxième partie du critère énoncé dans l’arrêt Borowski : le pouvoir discrétionnaire de la Cour
[23]
La Cour a toujours le pouvoir discrétionnaire de trancher l’affaire compte tenu (i) du contexte contradictoire; (ii) de l’économie des ressources judiciaires et (iii) de l’empiétement législatif.
1)
Le contexte contradictoire
[24]
Manifestement, il existe toujours un contexte contradictoire, étant donné les arguments présentés par les deux parties et la demande sous‑jacente. Les demandeurs ont toujours cherché à faire invalider la disposition. Dans l’arrêt Borowski, la Cour suprême a affirmé que le contexte contradictoire demeure dans les circonstances où, « même si la partie qui a engagé des procédures en justice n’a plus d’intérêt direct dans l’issue, il peut subsister des conséquences accessoires à la solution du litige qui fournissent le contexte contradictoire nécessaire »
, et que l’intérêt des intervenants dans l’issue du litige peut fournir le contexte contradictoire nécessaire (aux pages 359‑360). De toute évidence, la présence d’une partie défendant l’intérêt public – en l’occurrence l’ACAADR – remplit ce critère.
2)
L’économie de ressources judiciaires
[25]
Dans l’arrêt Borowski, la Cour a affirmé que « [l]a saine économie des ressources judiciaires n’empêche pas l’utilisation de ces ressources, si limitées soient‑elles, à la solution d’un litige théorique, lorsque les circonstances particulières de l’affaire le justifient »
(à la p. 360) [non souligné dans l’original].
[26]
Comme il est mentionné ci‑dessus, l’arrêt Borowski parle de « circonstances particulières »
et précise qu’il s’agit notamment de « causes théoriques qui sont de nature répétitive et de courte durée. Pour garantir que sera soumise aux tribunaux une question importante qui, prise isolément, pourrait échapper à l’examen judiciaire, on peut décider de ne pas appliquer strictement la doctrine du caractère théorique »
(à la p. 360).
[27]
Le deuxième facteur énoncé dans l’arrêt Borowski a souvent été expliqué et appliqué dans le contexte d’affaires qui, vu la brièveté de la situation sous‑jacente, sont généralement devenues théoriques avant de pouvoir être soumises à un tribunal. On dit souvent que ces affaires « échappent à l’examen judiciaire »
. En l’espèce, il pourrait s’agir d’une des raisons pour lesquelles le délai de six mois pour l’obtention d’un permis de travail n’a jamais fait l’objet d’un examen par la Cour.
[28]
Toutefois, les affaires jugées comme « échappant à l’examen judiciaire »
ne sont pas les seules affaires dans lesquelles la prise en considération de l’économie des ressources judiciaires milite en faveur de l’instruction d’une affaire théorique. En l’espèce, les ressources déjà investies dans l’affaire et les obstacles auxquels un autre demandeur serait confronté pour engager une procédure semblable sont des considérations qui militent fortement contre le rejet de l’affaire en raison de son caractère théorique.
[29]
La Cour a reconnu, dans le contexte d’un autre contrôle judiciaire mettant en cause un demandeur d’asile originaire d’un POD, que les demandeurs d’asile sont généralement défavorisés sur le plan économique et qu’il serait difficile pour eux de présenter une contestation constitutionnelle (Médecins Canadiens pour les soins aux réfugiés c Canada (Procureur général), 2014 CF 651, aux par. 345 et 350).
[30]
La présente affaire a déjà été désignée comme véhicule pour faciliter l’accès à la justice pour une catégorie de demandeurs d’asile qui ne bénéficieraient autrement pas des ressources nécessaires. Plus précisément, dans son ordonnance du 15 mai 2019 par laquelle il a accordé à l’ACAADR la qualité pour agir dans l’intérêt public, le protonotaire Aalto a affirmé ce qui suit :
[traduction]
La présente demande constitue un véhicule pour favoriser l’accès à la justice pour les demandeurs d’asile qui, malgré qu’ils manquent de temps et d’argent, auront l’occasion de se faire entendre devant le tribunal et enfin d’obtenir un jugement sur la constitutionnalité de la période d’interdiction de six mois relative à l’obtention d’un permis de travail par un demandeur d’asile provenant d’un POD. Par conséquent, l’ACAADR doit se voir accorder la qualité pour agir dans l’intérêt public.
[31]
De plus, comme je l’ai déjà mentionné, selon les éléments de preuve présentés à la Cour par AJO, le financement offert pour les causes types, qui a servi à financer le présent litige constitutionnel, ne sera pas accessible pour une nouvelle contestation constitutionnelle advenant le rejet de l’affaire.
[32]
Je mentionne en passant que le juge en chef a récemment invoqué ce facteur de l’économie des ressources judiciaires lorsqu’il a dit que « l’intérêt du public à résoudre l’incertitude persistante concernant ces questions joue également en faveur de leur résolution »
(Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1126, au par. 53). Même si l’incidence finale de la réparation recherchée par les demandeurs en l’espèce ne serait pas l’examen immédiat du fond du contrôle judiciaire, étant donné la demande de suspension temporaire, la demande demeurerait à tout le moins « active »
dans le registre de la Cour.
3)
L’empiétement politique
[33]
Dans l’arrêt Borowski, le tribunal a fait la mise en garde suivante : « [a]u moment de décider d’exercer le pouvoir discrétionnaire d’entendre une affaire théorique, la Cour doit être consciente de la mesure dans laquelle elle pourrait s’écarter de son rôle traditionnel »
, en empiétant sur la sphère législative (à la p. 363). L’octroi d’une suspension temporaire en attendant de voir comment la situation évoluera par suite de l’annonce et de la politique, dans le contexte des élections à venir, ne pourrait être perçu comme un empiétement sur la sphère législative. Une pause temporaire pour toutes les parties, dont la durée sera examinée à la prochaine section, n’empiète aucunement sur le rôle du législateur en matière d’élaboration de politiques et d’adoption de lois ni ne l’usurpe.
V.
La suspension des procédures
[34]
Compte tenu de l’ensemble des circonstances décrites ci‑dessus, la marche à suivre la plus prudente consiste à mettre le litige en suspens pour une période de six mois, ce qui est relativement court, conformément à l’alinéa 50(1)b) de la Loi. En vertu de l’alinéa 50(1)b), la Cour a un pouvoir discrétionnaire très vaste de suspendre les procédures lorsque l’intérêt de la justice l’exige; tout dépend des circonstances factuelles (Clayton c Canada (Procureur général), 2018 CAF 1, au par. 24). Selon moi, le fait d’ordonner une pause temporaire ne cause aucun préjudice au ministre, particulièrement compte tenu de la gestion de l’instance qui est déjà en cours et qui reprendra dans six mois.
VI.
Conclusion
[35]
En résumé, étant donné les facteurs énoncés dans l’arrêt Borowski et abordés ci‑dessus, notamment le contexte contradictoire, l’état d’avancement du litige, l’investissement de ressources à ce jour, l’inclusion d’une partie défendant l’intérêt public, le financement des causes types, le contexte actuel, les obstacles à la reprise future, l’absence d’empiétement politique et la gestion active de l’instance, l’intérêt de la justice favorise la suspension de la demande pour une période de six mois.
ORDONNANCE dans l’affaire IMM‑1421‑18
LA COUR ORDONNE :
La requête en rejet de l’instance est rejetée.
La demande est mise en suspens pour une période de six mois, après quoi une conférence de gestion de l’instance sera convoquée.
« Alan S. Diner »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 17e jour de septembre 2019
Julie Blain McIntosh
ANNEXE A
ANNEXE B
Politique d’intérêt public concernant les restrictions en matière de permis de travail pour les demandeurs d’asile de pays d’origine désignés
Contexte et considérations liées à la politique d’intérêt public
Le Canada est résolu à créer un système de migration bien géré, doté d’un système d’octroi de l’asile équitable qui offre une protection opportune aux réfugiés et qui aide à renvoyer rapidement les demandeurs d’asile déboutés. Le gouvernement du Canada a retiré tous les pays de la liste des pays d’origine désignés. Il s’agit là d’un pas de plus vers l’amélioration du système d’octroi de l’asile.
L’objectif stratégique initial du régime des pays d’origine désignés était d’accélérer le traitement des demandeurs d’asile provenant de pays généralement considérés comme sûrs pour empêcher que le système d’octroi de l’asile soit utilisé à d’autres fins. En vertu des dispositions initiales, les demandeurs d’asile de certains pays étaient assujettis à des délais d’audience réglementés plus courts, avaient un accès limité aux recours après la demande d’asile et devaient attendre 180 jours avant de demander un permis de travail. Toutefois, deux évaluations du système d’asile ainsi que des changements apportés au traitement des demandes à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada ont démontré que les demandes d’asile des ressortissants des pays d’origine désignés n’étaient pas traitées plus rapidement que celles des autres demandeurs d’asile. De plus, des éléments clés du régime ont été invalidés par la Cour fédérale pour violation de la Charte canadienne des droits et libertés.
La liste des pays d’origine désignés a donc été supprimée par arrêté du ministre. Même si les personnes qui présentent une demande d’asile après la date de la révocation de la désignation ne seront plus assujetties à la restriction de 180 jours pour la présentation d’une demande de permis de travail, la révocation ne peut pas s’appliquer rétroactivement aux fins de la restriction relative au permis de travail, qui est fondée sur le fait qu’un pays était désigné au moment où une demande d’asile a été présentée. Cela signifie que la restriction concernant le permis de travail continuerait d’être en vigueur pour les personnes provenant de pays qui figuraient auparavant sur la liste et qui ont présenté une demande d’asile au cours des six derniers mois. Par souci de cohérence avec ce changement de désignation, les demandeurs d’asile qui sont ressortissants d’un pays d’origine désigné le jour où leur demande d’asile est présentée peuvent maintenant se voir délivrer un permis de travail immédiatement après que leur demande d’asile a été déférée, sans avoir à attendre 180 jours après qu’elle a été déférée.
Ainsi, par la présente, j’établis que l’intérêt public justifie l’octroi, aux termes de l’article 25.2 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, d’une dispense des exigences ci‑après du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés.
Conditions (critères d’admissibilité)
Pour des considérations d’intérêt public, les agents délégués peuvent accorder la dispense des exigences et des critères énumérés ci‑dessous aux ressortissants étrangers qui répondent aux conditions (critères d’admissibilité) suivantes :
- Le demandeur d’asile est un ressortissant d’un pays d’origine désigné à la date à laquelle sa demande d’asile a été présentée.
Dispositions du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés pour lesquelles un agent délégué peut accorder une dispense :
- Paragraphe 206(2) – un permis de travail ne peut être délivré à un demandeur visé au paragraphe 111.1(2) de la Loi que si au moins cent quatre‑vingts jours se sont écoulés depuis que sa demande d’asile a été déférée à la Section de la protection des réfugiés.
Entrée en vigueur et expiration
Cette politique d’intérêt public temporaire entre en vigueur à la date de signature et prend fin lorsque le traitement de toutes les demandes admissibles à cette politique d’intérêt public est terminé.
___________(signature)
L’honorable Ahmed Hussen
Ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté
Fait à Ottawa, le 10 mai 2019
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑1421‑18
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INTITULÉ :
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PIOTR MAREK KACZOR, ASSOCIATION canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c le ministre de l’immigration, des réfugiés et de la citoyenneté
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LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 14 AOÛT 2019
|
ORDONNANCE ET MOTIFS :
|
LE JUGE DINER
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DATE DES MOTIFS :
|
LE 5 SEPTEMBRE 2019
|
COMPARUTIONS :
Ashley Fisch
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POUR LE DEMANDEUR
PIOTR MAREK KACZOR
|
Benjamin Liston
|
POUR LA DEMANDERESSE
ASSOCIATION CANADIENNE DES AVOCATS ET AVOCATES EN DROIT DES RÉFUGIÉS
|
Christopher Crighton
|
POUR L’INTIMÉ
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Kaminker & Associates
Avocats
Toronto (Ontario)
|
POUR LE DEMANDEUR
PIOTR MAREK KACZOR
|
Refugee Law Office
Avocats
Toronto (Ontario)
|
POUR LA DEMANDERESSE
ASSOCIATION CANADIENNE DES AVOCATS ET AVOCATES EN DROIT DES RÉFUGIÉS
|
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
|
POUR L’INTIMÉ
|