Date : 20051017
Dossier : T‑1937‑03
Référence : 2005 CF 1421
Ottawa (Ontario), le 17 octobre 2005
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY
ENTRE :
PFIZER CANADA INC.
et PFIZER INC.
demanderesses
et
APOTEX INC.
et LE MINISTRE DE LA SANTÉ
défendeurs
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s’agit d’une demande formée par Pfizer Canada Inc. et Pfizer Inc. (ci-après désignées collectivement Pfizer) sous le régime de l’article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, modifié par DORS/98-166 et DORS/99-379, en vue d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Apotex Inc. (Apotex) avant l’expiration du brevet canadien 2,148,071. La demande est déposée en réponse à un avis d’all égation formulé par Apotex dans une lettre en date du 29 août 2003. L’avis d’allégation de Pfizer a été signifié au ministre le 17 octobre 2003.
Le contexte
[2] La demande concerne la demande d’avis de conformité déposée par Apotex à l’égard de ses comprimés d’Apo-Azithromycine. Les comprimés d’azithromycine de Pfizer sont commercialisés en Amérique du Nord sous le nom de marque ZITHROMAX. Apotex projette de commercialiser des comprimés administrés par voie orale contenant 250 mg d’isopropanolate monohydrate d’azithromycine. Le ZITHROMAX est une formulation de dihydrate d’azithromycine.
[3] L’azithromycine n’a rien de nouveau en soi. Elle a été mise au point au début des années 1980 en Europe et son utilisation est approuvée au Canada depuis longtemps. L’azithromycine est le premier antibiotique de type macrolide appartenant au groupe des azalides. Les autres macrolides comprennent l’érythromycine, dont est issue l’azithromycine, et la clarithromycine. L’azithromycine est couramment utilisée dans le traitement des infections des voies respiratoires supérieures et inférieures, de la pneumonie, de l’angine streptococcique et des infections génito-urinaires telles que la chlamydiose.
[4] L’azithromycine possède des propriétés uniques qui en font un outil important dans le traitement des infections microbiennes. Bien qu’en raison de sa faible biodisponibilité orale (absorption du médicament dans la circulation sanguine entraînant un effet thérapeutique), ses concentrations dans le sérum sanguin demeurent peu élevées, l’azithromycine se dirige directement vers le foyer de l’infection, possède une longue demi-vie et n’a pas à être administrée aussi longtemps ni aussi souvent que les autres antibiotiques. Contrairement à l’érythromycine, elle est acidorésistante et elle présente une tolérance gastro-intestinale et une capacité d’absorption supérieures.
[5] Le ZITHROMAX a d’abord été commercialisé en Amérique du Nord sous forme de capsules au début des années 1990. Les comprimés n’ont pas été approuvés. Il semble que ce produit ait aussi été offert sous forme de suspension, du moins aux chercheurs, et qu’il ait été prescrit par des médecins sous forme de comprimés, de poudre et de suspension en Europe. Lorsque l’azithromycine est prise sous forme de capsules, sa biodisponibilité orale est affectée par la présence de nourriture dans l’organisme. C’est pourquoi il est indiqué sur l’étiquette du ZITHROMAX que les capsules doivent être prises au moins une heure avant ou deux heures après le repas. Certains patients, particulièrement les jeunes, avaient de la difficulté à respecter le mode d’emploi du médicament. L’inobservation réduisait l’efficacité thérapeutique du médicament.
[6] Dans le cadre de leur recherche sur d’autres formes posologiques, les scientifiques de Pfizer ont observé que l’azithromycine pouvait conserver environ 50 % de sa biodisponibilité si elle était prise en comprimés, en poudre ou en suspension même avec de la nourriture. Pfizer a cherché à protéger cette découverte revendiquée. Une demande de brevet a été déposée au Canada le 27 avril 1995 et le brevet 071 a été délivré le 17 octobre 2000. La date de priorité, fondée sur la demande déposée aux États-Unis, a été fixée au 29 avril 1994.
[7] Le brevet 071 comporte 33 revendications. Certaines des revendications se limitent aux comprimés obtenus par granulation humide, formulation qu’Apotex déclare ne pas utiliser. D’autres revendications se limitent aux poudres pour suspension buvable et aux sachets-dose, qu’Apotex affirme ne pas utiliser non plus. Les revendications sont présentées en entier à l’annexe A ci-jointe.
[8] Les parties conviennent que la seule revendication en cause dans le présent litige est la revendication 23, qui est ainsi rédigée :
[traduction] L’utilisation d’une quantité thérapeutiquement efficace d’azithromycine dans la préparation d’une forme posologique pharmaceutique qui n’a aucune interaction avec les aliments lorsqu’elle est administrée, dans le cadre d’un traitement contre une infection microbienne, à un patient qui a mangé.
[9] Apotex soutient dans son avis d’all égation et dans son énoncé détaillé que son produit, l’Apo‑Azithromycine, ne contrefera pas cette revendication pour les motifs suivants : 1) ses comprimés sont fabriqués conformément à l’état de la technique et relèvent à ce titre de la défense exposée dans Gillette Safety Razor Company c. Anglo‑American Trading Company Ltd., (1913) R.P.C. 465; et 2) si la revendication 23 est déclarée valide et applicable à ses comprimés, elle s’engage à ne pas les commercialiser expressément pour administration à des patients ayant mangé.
[10] Apotex soutient en outre que l ’invention revendiquée dans le brevet 071 se heurte à une antériorité, qu’elle est évidente, ambiguë, de portée excessive et dépourvue d’utilité, qu’elle a pour objet une m éthode de traitement et qu’elle n’est pas inscrite à bon droit au registre des brevets. Elle me demande en conséquence de conclure que le brevet 071 est invalide, qu’il n’est pas inscrit à bon droit au registre (en plus d’être invalide ou subsidiairement à son invalidité) et que rien n’interdit au ministre de délivrer un avis de conformité à l’égard de son produit dénommé Apo‑Azithromycine.
La charge de la preuve
[11] Conformément au principe que la Cour d’appel fédérale a récemment répété au paragraphe 20 de l’arrêt Pfizer Canada Inc. c. Novopharm Limitée, [2005] A.C.F. no 1318, 2005 CAF 270, Apotex n’a aucune obligation de produire des éléments de preuve à l’appui des allégations contenues dans son avis d’allégation et son énoncé détaillé.
[12] Il incombe dans la présente espèce à Pfizer d’établir, suivant la prépondérance de la preuve, que les allégations de l’avis d’Apotex ne sont pas fondées : AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (2002), 22 C.P.R. (4th) 1, 2002 CAF 421 (AB Hassle 2), au paragraphe 35.
[13] Afin de prouver que les allégations d’invalidité ne sont pas fondées, Pfizer a le droit d’invoquer la présomption de validit é établie par le paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4 : Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc. (1995), 60 C.P.R. (3d) 206, à la page 206, 91 F.T.R.181 (C.F. 1re inst.), à la page 216, conf. par (1996), 66 C.P.R. (3d) 329, 195 N.R. 378 (C.A.F.); et Bayer Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (2000), 6 C.P.R. (4th) 285, N.R. 238 (C.A.F.). Apotex a la charge de présentation d’établir l’invalidité du brevet suivant la prépondérance de la preuve : Compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2005] 2 R.C.F. 269, 2004 CAF 393. Si les allégations ne sont pas fondées, l’ordonnance d’interdiction est accordée.
La preuve
Les témoins principaux de Pfizer
[14] M. Robert A. Rapp est professeur de pharmacie et de chirurgie au Collège de pharmacie et de chirurgie de l’Université du Kentucky. Il a été présenté comme témoin expert pour donner un témoignage d’opinion en tant que personne spécialisée dans le domaine de la pharmacie clinique. M. Rapp a de l’expérience dans l’étude clinique de l’azithromycine et il a déjà publié des articles concernant ses applications thérapeutiques. Il connaît bien les interactions aliments-médicaments; d’ailleurs, il est coauteur des lignes directrices de son hôpital universitaire à ce sujet. Il n’a aucune expérience directe en matière de formulations pharmaceutiques, mais il a travaillé comme conseiller pour des entreprises pharmaceutiques, particulièrement Pfizer.
[15] M. Rapp est d’avis que l’objet de la revendication 23 ne se heurte pas à une antériorité et n’est pas évident, compte tenu de l’état général des connaissances des cliniciens et des chercheurs à la date de priorité. Selon lui, la plupart des personnes versées dans l’art croyaient que l’azithromycine interagissait toujours avec les aliments, indépendamment de sa forme posologique. Il a donc été surprenant de constater que les comprimés et les suspensions ne comportaient pas une telle interaction.
[16] Le Dr Vincent Andriole est sp écialiste en médecine interne et en maladies infectieuses et professeur de médecine à l’Université Yale, à New Haven (Connecticut). Il a été rédacteur en chef, membre du comité de rédaction et réviseur d’un grand nombre de revues médicales. Il a également siégé à de nombreux comités consultatifs d’entreprises pharmaceutiques, y compris un comité travaillant sur l’azithromycine pour Pfizer de 1989 au début des années 1990. Le Dr Andriole a donné un témoignage d’ opinion à l’égard d’une question assez limitée concernant l’interprétation de la revendication 23, à savoir si cette revendication est de portée excessive, car de prime abord, elle ne se limite pas aux comprim és, mais s’applique à toutes les formulations d’azithromycine qui peuvent être prises avec de la nourriture.
[17] Madeleine Pesant, employée de Pfizer Canada, a joint à son affidavit des documents concernant le litige en vue d’établir que le brevet 071 est inscrit à bon droit au registre en ce qui a trait aux comprimés de 250 et de 500 mg. Mme Pesant a attesté du succès commercial des comprimés de 250 mg de ZITHROMAX. Elle n’a pas été contre-interrogée sur son affidavit, mais elle a dû répondre à des questions écrites.
Les témoins principaux d’Apotex
[18] M. Robert S. Langer, professeur de génie chimique et biologique au MIT (Département de génie chimique, Collège Whitaker des sciences, des technologies et de la gestion de la santé) et à la Division Harvard-MIT des sciences et des technologies de la santé, a été pré senté comme témoin expert en pharmaceutique et en technologie des formulations pharmaceutiques. M. Langer a re çu un grand nombre de récompenses, y compris quelques-uns des prix les plus prestigieux en médecine, notamment la plus grande distinction canadienne dans le domaine. Auteur de plus de 700 articles, il a été désigné comme inventeur dans des centaines de brevets.
[19] Selon M. Langer, les comprimés d’azithromycine d’Apotex obtenus par granulation non humide ne porteront pas atteinte aux revendications du brevet 071. Il affirme que les comprimés d’azithromycine produits par Apotex sont conformes à l’état antérieur de la technique et qu’ils ne constituent pas une contrefaçon en raison de la défense fondée sur l’arrêt Gillette. Même si la revendication 23 est valide, les comprimés ne seront pas décrits comme pouvant être administrés à un patient qui a mangé. M. Langer appuie également la position d’Apotex, selon laquelle le brevet 071 se heurte à une antériorité et est évident compte tenu de l’état des connaissances en 1994. Il est également d’avis que la revendication 23 est ambiguë, de portée excessive et dépourvue d’utilité.
[20] Jonathan S. Dordick est professeur de génie chimique et biologique à l’Institut polytechnique Rensselaer, à Troy (New York). Il a effectué des recherches sur l’administration de médicaments dans l’organisme et travaille comme consultant pour de nombreuses entreprises des secteurs pharmaceutique et chimique. Il a été présenté comme expert en formulations pharmaceutiques, en chimie biosynthétique et en chimie bioanalytique.
[21] M. Dordick est d’avis que la revendication 23 est invalide pour cause d’antériorité, car les formulations préparées selon la technique anté rieure sont conformes aux exigences de la revendication 23. En ce qui a trait aux essais de dissolution, il affirme que plusieurs brevets nord-américains et européens sont antérieurs aux formulations mises à l’essai. Il cite en exemple le brevet canadien 2,101,466 (brevet 466 ou brevet Catania), qui décrit l’utilisation d’azithromycine sous une forme à goût masqué obtenue par le broyage d’un comprimé ou le saupoudrage d’une poudre sur de la nourriture. M. Dordick croit aussi que le brevet 071 est évident à la lumière du brevet 466.
[22] M. Michael Mayersohn est professeur de sciences pharmaceutiques au Collège de pharmacie de l’Université de l’Arizona. Il a déjà été membre du comité consultatif des sciences pharmaceutiques de la US Federal Drug Administration (FDA). M. Mayersohn a déjà travaillé, bien que cela fasse un certain temps, comme pharmacien-conseil auprès de patients. Il a été présenté comme témoin expert en pharmacocinétique, en biopharmaceutique et en pharmaceutique.
[23] M. Mayersohn a également examiné les résultats des essais de dissolution. Comme il a conclu que le brevet 071 se heurte à une antériorité, il n’a pas traité des autres allégations. Selon lui, les formulations divulguées dans les brevets constituant l’état antérieur de la technique englobent les mêmes formulations à dissolution rapide que celles décrites dans le brevet 071. Il est également d’avis que le brevet 466 divulgue la prise d’azithromycine avec de la nourriture.
[24] M. Eli Shefter est détenteur d’un doctorat en pharmacologie; il est professeur de pharmacie à l’Université du Colorado et professeur auxiliaire à l’Université de la Californie à San Diego. Il est directeur scientifique en chef à IriSys Research and Development LLC et travaille aussi comme consultant auprès d’entreprises pharmaceutiques et biotechnologiques pour des questions ayant trait à la formulation, à la stabilité et à la réglementation des produits. Il a aussi été consultant pour la FDA pendant plus de cinq ans et siégé au comité d’experts de la pharmacopée des États-Unis (USP). M. Shefter a de l’expérience dans la préparation de formes posologiques d’antimicrobiens. Le témoignage de M. Shefter a été similaire à celui de M. Mayersohn.
[25] Stephen Levine est un scientifique spécialisé en formulation à Emerson Pharma Services. Il a préparé trois formulations à partir du brevet américain 4,963,531 (brevet Remington) concernant de l’azithromycine en suspension et deux poids de comprimés. Il a demand é à un laboratoire d’analyses (Chemir Pharma Services) de procéder à des essais de dissolution (conformes à ceux décrits dans le brevet 071) afin de comparer les formulations. Les essais ont montré que, peu importe la forme posologique, au moins 90 % de l’azithromycine est dissoute en 30 minutes de même qu’en 15 minutes. M. Levine a inclus, à titre de pièce 4, les résultats des essais. Lev Fridman est l’employé de Chemir Pharma Services qui a effectué les essais de dissolution. Il a joint aussi les résultats des essais. Il déclare que les directives qu’ il a suivies sont les mêmes que celles du brevet 071. Ni M. Levine ni M. Fridman n’ont été contre-interrogés.
[26] Les experts de Pfizer, M. Rapp et le Dr Andriole, ont de l’expertise dans les applications cliniques de médicaments tels que l’azithromycine et les deux ont participé, à titre de consultants, à la mise au point du médicament. Ils ne sont pas spécialisés dans la formulation de médicaments. Pfizer prétend, qu’en raison de leur qualité de pharmacien praticien et de médecin ayant déjà travaillé directement avec le médicament en cause, il faut accorder plus de poids à leur témoignage qu’à celui des témoins d’Apotex. En revanche, Apotex soutient que l’ avis de spécialistes en sciences pharmaceutiques comme M. Mayersohn et d’experts en matière de formulation comme M. Langer et M. Dordick devrait être préféré à celui de cliniciens, aussi éminents soient-ils.
[27] Bien que tous les témoins experts présentés par les deux parties dans la présente instance possèdent des qualifications impressionnantes, j’ai des réserves quant au témoignage de M. Rapp. D’après son témoignage, il est clair que malgré sa vaste expérience dans les applications thérapeutiques de l’azithromycine, il n’a pris connaissance des nouvelles directives posologiques qu’en 2003, soit lorsqu’il a été invité à témoigner dans le présent litige. Les lignes directrices de son université en ce qui concerne les interactions médicamenteuses, dont il est le coauteur, ne tenaient pas compte des nouvelles directives avant cette année-là. Comme l’a dit le juge Binnie dans Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, (2000) 9 C.P.R. (4th) 129, au paragraphe 74 [Camco], le travailleur versé dans l’art est tenu pour raisonnablement diligent lorsqu’il s’agit de tenir à jour sa connaissance des progrès réalisés dans le domaine dont relève le brevet. Il est permis de mettre en question la diligence de M. Rapp à l’égard des progrès réalisés dans le domaine.
[28] Le contre‑interrogatoire a ré vélé que M. Rapp a des liens importants avec Pfizer : notamment, il possède des actions dans cette société, il donne pour elle des causeries de promotion, il siège à ses comités de consultation et il reçoit d’elle des subventions à la recherche qui influent, au moins indirectement, sur la rémunération que lui verse son université. Il a expliqué que cette situation est la norme pour les personnes exerçant son genre de fonctions, à son université en tout cas. Je veux bien, mais, à mon sens, l’existence de liens si étroits avec l’une des parties compromet l’indépendance qu’on est en droit d’exiger d’une personne pré sentée comme témoin expert par cette partie dans un litige. La lecture du contre‑interrogatoire de M. Rapp m’amène aussi à conclure qu’il paraissait sur la défensive et a parfois abandonné le rôle d’expert indépendant pour jouer celui de défenseur de la thèse de Pfizer.
[29] Je ne trouve rien à redire à la manière dont le Dr Andriole et les experts d’Apotex ont déposé. S’il est vrai que l’avocat de Pfizer m ’a renvoyé à certains passages de la transcription du contre‑interrogatoire de M. Langer où celui-ci a dit ne pas posséder les connaissances nécessaires pour répondre ou avoir besoin d’examiner la preuve en question, j’estime que ces réactions étaient entièrement compatibles avec ce qu’on peut attendre d’un expert indépendant et objectif.
[30] L’examen attentif des affidavits et des contre‑interrogatoires des experts m’a amené, dans les cas de contradiction entre le témoignage de M. Rapp et ceux des experts d’Apotex, à accorder en général la préférence à ces derniers, qui m’ont paru plus approfondis, plus objectifs et plus solidement étayés par les publications scientifiques.
Les questions en litige
[31] Il s’agit dans la présente espèce de savoir si la Cour devrait rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex. Pour ce faire, il faut trancher la question de savoir si les allégations d’invalidité et d’absence de contrefaçon formulées par Apotex dans son avis d’allégation et son énoncé détaillé sont fondées. Après avoir interprété la revendication en cause, j’examinerai les questions particulières suivantes : Le brevet 071 est-il invalide pour le motif que l’invention revendiqu ée se heurte à une antériorité ou qu’elle est évidente du fait de cette antériorit é? La revendication 23 est‑elle ambiguë ou excessive? Est‑ce indûment que l’invention revendiquée fait l ’objet d’un brevet? Est-il exact, comme le soutient aussi la défenderesse, que le brevet en question n’est pas inscrit au registre à bon droit? Est-il exact, comme le fait enfin valoir Apotex, que son produit ne contrefera pas la revendication considérée?
L’interprétation des revendications
[32] Avant de s’attaquer aux questions en litige, il faut interpréter les revendications du point de vue d’une ou de plusieurs personnes versées dans l’art. J’ai fondé mon analyse à cet égard sur les principes qu’a formulés la Cour suprême du Canada dans les arrêts Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, 2000 CSC 66 [Free World Trust], et Camco, précité.
[33] L’objet de l’interprétation des revendications est de donner une définition équitable et raisonnable du but de l’invention. À cette fin, l’aide d’experts peut se révéler nécessaire, mais n’est pas déterminante. Je ne suis pas lié par les interprétations que proposent les parties ou leurs experts. L’analyse doit porter avant tout sur les termes mêmes des revendications : Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. c. RhoxalPharma Inc., (2005) 38 C.P.R. (4th) 193, 2005 CAF 11, aux paragraphes 45 et 53.
[34] Comme je l’ai dit plus haut, c’est la revendication 23 qui forme la partie contestée du brevet 071. Cette revendication est ainsi formulée :
[traduction] L’utilisation d’une quantité thérapeutiquement efficace d’azithromycine dans la préparation d’une forme posologique pharmaceutique qui n’a aucune interaction avec les aliments lorsqu’elle est administrée, dans le cadre d’un traitement contre une infection microbienne, à un patient qui a mangé.
[35] Les revendications 1 à 22 portent sur des formes posologiques, c’est-à-dire des comprimés, des poudres pour suspension buvable et des sachets‑dose. Les revendications 24 à 27 ont pour objet la formulation de comprimés déterminés. Les revendications 28 et 32 portent sur un conditionnement pour le traitement. Les revendications 29 à 31 s’appliquent à des poudres, et la revendication 32 à un sachet‑dose. On trouvera le texte intégral des revendications à l’annexe A du présent exposé des motifs.
[36] Les parties s’entendent quant à l’interprétation appropriée de la revendication 23. Par exemple, elles s’accordent pour dire que le renvoi aux infections « antimicrobial » (« antimicrobiennes ») est simplement une erreur typographique et qu’il est sans importance. Il est clair que la formulation prévue est « microbial » (« microbiennes »). Aucune des deux parties ne conteste non plus l’interprétation de l’expression « a patient that has eaten » (« un patient qui a mangé »). Du point de vue d’une personne versée dans l’art, cette expression désigne un patient qui a mangé dans l’heure précédant la prise de la dose orale d’azithromycine ou qui mangera dans les deux heures qui suivent la prise de cette dose. Les parties conviennent également qu’aucune des formes posologiques ne contient une quantité notable d’oxydes ou d’hydroxydes de métaux alcalino-terreux (mentionnés dans les revendications) et, enfin, que les capsules sont exclues de la revendication.
[37] Je considère que l’expression « une quantité thérapeutiquement efficace d’azithromycine » de la revendication 23 veut simplement dire, comme plusieurs des experts l’ont indiqué, « une quantité suffisante du médicament pour traiter l’infection ». Selon moi, cela est sans conséquence dans la présente instance.
[38] Pfizer est d’avis que la revendication 23 revendique un usage thérapeutique. Dans son interprétation, Pfizer met l’accent sur les parties suivantes de la revendication :
[traduction] L’utilisation d’une quantité thérapeutiquement efficace d’azithromycine dans la préparation d’une forme posologique pharmaceutique qui n’a aucune interaction avec les aliments lorsqu’elle est administrée, dans le cadre d’un traitement contre une infection microbienne, à un patient qui a mangé. [Non souligné dans l’original.]
[39] En d’autres mots, selon Pfizer, la revendication concerne une nouvelle utilisation de l’azithromycine (dans des formes posologiques particulières) à une fin précise : le traitement d’infections microbiennes chez un patient qui a mangé. Selon elle, les composantes essentielles de la revendication 23 sont :
(i) l’administration, par voie orale, d’une forme posologique d’azithromycine;
(ii) dans le but de traiter une infection microbienne;
(iii) sans que la forme posologique orale n’interagisse avec les aliments chez un patient qui a mangé.
[40] Apotex conteste cette interprétation de la revendication 23 parce qu’elle ne tient pas compte d’une grande partie de son libellé. Elle insiste sur l’importance particuliè re des termes soulignés ci-dessous :
[traduction] L’utilisation d’une quantité thérapeutiquement efficace d’azithromycine dans la préparation d’une forme posologique pharmaceutique qui n’a aucune interaction avec les aliments lorsqu’elle est administrée, dans le cadre d’un traitement contre une infection microbienne, à un patient qui a mangé.
[41] Apotex soutient que les termes relatifs à la préparation de la forme posologique n’auraient pas dû être inclus dans la revendication si l’on devait tout simplement ne pas en tenir compte. Il n’est pas plus permis aux experts de retrancher d’une revendication des termes qui s’y trouvent que d’y ajouter des termes qui ne s’y trouvent pas : GlaxoSmithKline Inc. c. Canada (Procureur général), (2005) 40 C.P.R. (4th) 93, 2005 CAF 197, au paragraphe 13.
[42] La thèse d’Apotex, en ce qui concerne l’interprétation de la revendication 23, est donc que, pour en relever les él éments essentiels, il faut mettre l’accent sur la formulation de formes posologiques d’ azithromycine (qui peuvent être utilisées d’une façon particulière), plutôt que sur l’utilisation de la forme posologique elle‑même.
[43] Apotex invoque la revendication 27 à l’appui de sa position :
[traduction] Un comprimé, tel que défini dans l’une des revendications 22 à 26, enrobé d’un film d’hydroxypropylméthylcellulose, d’hydroxypropylcellulose ou de copolymère acrylate-méthacrylate.
Si la revendication 23 dé finit un comprimé (et non l’utilisation d’un comprimé), comme le laisse entendre la revendication 27, elle donne du poids à la théorie d’Apotex voulant que la revendication 23 soit une revendication de formulation. Cependant, je ne consid ère pas que cet argument est concluant.
[44] Pfizer soutient que les experts attribuent aussi l’usage thérapeutique comme objet à la revendication 23. Son témoin, M. Rapp, déclare qu’une personne versée dans l’art conclurait que l’invention décrite dans la revendication 23 est l’administration d’une forme pharmaceutique d’azithromycine à un patient ayant mangé de manière à éviter l’interaction avec les aliments que comporte l’absorption de capsules. Le Dr Andriole a émis une opinion semblable.
[45] Pfizer invoque également à l’appui de son interprétation certaines déclarations des témoins d’Apotex. Ainsi, M. Dordick déclare au paragraphe 40 de son affidavit que la question clé, en ce qui a trait à la revendication 23, est [TRADUCTION] « l’utilisation d’une formulation d’azithromycine qui n’a aucune interaction avec les aliments et l’administration d’une telle formulation à un mammifère qui a mangé » (non souligné dans l’original). Qui plus est, la description qu’il donne au paragraphe 41 de son affidavit, où il décompose la revendication 23 en ses éléments aux fins d’une analyse des antériorités, est analogue à celle que Pfizer voudrait faire accepter par la Cour.
[46] Bien qu’il eût d’abord déclaré qu’une personne de compétence ordinaire dans le domaine n’aurait aucun moyen de définir l’objet divulgué dans la revendication 23, la portée de celle-ci ou l’invention à laquelle elle s’applique, M. Mayersohn a reconnu en contre‑interrogatoire que l’un des objets divulgués était une méthode de traitement des infections microbiennes.
[47] Cependant, le Dr Andriole, témoin de Pfizer, semble souscrire à la thèse d’Apotex au paragraphe 47 de son affidavit, où il déclare que [TRADUCTION] « ce qui est revendiqué dans la revendication 23 est l’utilisation de "formulations pharmaceutiques" ». M. Rapp, au paragraphe 61 de son affidavit, semble lui aussi mettre l’accent sur la préparation d’une forme posologique dans l’interprétation de la revendication 23.
[48] M. Langer, le t émoin expert d’Apotex en chimie pharmaceutique, a dit clairement aux paragraphes 11 et 64 de sa déposition que, selon lui, la revendication 23 a pour objet l’utilisation de l’azithromycine en formes posologiques pharmaceutiques qui n’ont aucune interaction avec les aliments lorsqu’elles sont administrées à des patients qui ont mangé.
[49] Malgré l’apport des experts, je ne puis conclure que la signification juste de la revendication 23 soit évidente à première vue, comme l’ ont soutenu Pfizer et Apotex. L’interprétation téléologique exige donc que cette revendication soit interpré tée en fonction de l’ensemble de la divulgation de l’invention : Schmeiser c. Monsanto Canada Inc., [2004] 1 R.C.S. 902, 2004 CSC 34, au paragraphe 18.
[50] Le brevet est intitulé « Méthode d’administration de l’azithromycine ». Le premier paragraphe de l’exposé de l’invention est ainsi rédigé :
[traduction] L’invention concerne une forme posologique de l’azithromycine ainsi qu’une méthode de traitement des infections microbiennes qui consiste à administrer de l’azithromycine à un mammifère, y compris un humain, qui a besoin de ce traitement. [Non souligné dans l ’original.]
Il est donc raisonnable de s’attendre à ce que les revendications individuelles du brevet s’appliquent soit à la forme posologique de l’azithromycine, soit à l’administration de l’azithromycine comme méthode de traitement.
[51] La section « Résumé de l’invention » de l’exposé de l’invention décrit quatre aspects de l’invention : une forme posologique orale d’azithromycine qui n’interagit pas avec les aliments, des formes posologiques orales d’azithromycine précises (c.-à-d. comprimés, poudres), une méthode de traitement des infections microbiennes et un conditionnement pour le traitement contenant les formes posologiques.
[52] Une forme posologique orale qui n’interagit pas avec les aliments, pour reprendre l’exposé de l’invention, ne devrait pas inhiber l’absorption de l’azithromycine dans le courant sanguin de l’organisme à des fins thérapeutiques.
[53] À la page 5 du brevet, les inventeurs déclarent qu’ils ont été surpris qu’une forme posologique d’azithromycine n’interagissait pas avec les aliments, car l’azithromycine est instable dans les milieux de faible acidité comme l’acide gastrique. Apotex affirme que cette observation est clairement erronée, car les publications scientifiques actuelles ne corroborent pas cette conclusion à l’égard de l’azithromycine contrairement aux autres antibiotiques apparentés du groupe des azalides. Pfizer n’a pas contesté ce fait.
[54] Les inventeurs ajoutent à la page 7 que [traduction] « [on] pense que les formes posologiques de l’invention n’interagissent pas avec les aliments en grande partie soit parce qu’elles délivrent l’azithromycine sous forme rapidement soluble dans le tube digestif, essentiellement immédiatement après l’ingestion (suspensions), soit parce qu’elles se désagrègent rapidement aprè s l’ingestion (comprimés) et délivrent rapidement l’azithromycine pour dissolution. »
[55] À la page 7, les inventeurs concluent que, [traduction] « [s]ans vouloir se limiter à la théorie, on croit que si la forme posologique d’azithromycine délivre l’azithromycine immédiatement après l’ingestion, ou du moins dans un certain intervalle de temps après l’ingestion, pour dissolution dans le tube digestif, l’azithromycine sera absorbée dans la circulation sanguine assez rapidement pour ne pas interagir avec les aliments. »
[56] L’exposé de l’invention décrit comment mesurer la vitesse d’absorption dans la circulation sanguine et comment vérifier si les aliments ne nuisent pas à cette absorption. Pour que la vitesse d’absorption soit suffisante, au moins 90 % de l’azithromycine de la forme posologique devrait être dissoute dans les 30 minutes, préférablement 15 minutes, qui suivent l’ingestion. La dissolution rapide ne suffit toutefois pas à elle seule pour établir la biodisponibilité du médicament. Il existe des formulations de capsules à dissolution rapide dont le taux d’absorption dans les analyses sanguines chez les humains est abaissé par la prise de nourriture. Selon l’exposé de l’invention, les inventeurs visent à établir un degré élevé de fiabilité statistique pour l’hypothèse voulant que la vitesse moyenne d’absorption dans l’ensemble de la population se situerait dans les valeurs déterminées. En général, les témoins experts étaient d’accord avec cette proposition.
[57] On considère qu’il n’y a pas d’interaction avec les aliments si le rapport des surfaces sous la courbe de concentration plasmatique d’ azithromycine en fonction du temps chez un sujet prenant le médicament par voie orale après avoir mangé (AUCfed) comparativement à un sujet prenant le médicament à jeun (AUC fast), AUCfed/AUCfast, est inférieur à 0,8 et si la limite inférieure de confiance à 90 % pour ce rapport est d’au moins 0,75. Selon l’ exposé de l’invention du brevet 071, aucune interaction avec les aliments ne sera détectée par des essais de dissolution in vitro si au moins 90 % de l’azithromycine de la forme posologique est dissoute en environ 30 minutes, et préférablement 15 minutes.
[58] Les paramètres relatifs à la dissolution sont établis dans les revendications 1, 3 et 6 à l’égard des différentes formes posologiques :
[traduction] [...] la forme posologique permettant la dissolution d’au moins environ 90 % de l’azithromycine en l’espace d’environ 30 minutes, lorsqu’une quantité d’une forme posologique équivalant à 200 mg d’azithromycine est mise à l’essai conformément à la méthode USP <711> dans un appareil de dissolution USP-2 dans des conditions satisfaisant aux critères minimaux suivants : 900 mL de solution tampon de phosphate de sodium, pH de 6,0, température de 37 °C, vitesse de rotation de 100 tr/min, pourvu que la forme posologique ne contienne pas d’oxydes ni d’hydroxydes de métaux alcalino-terreux en quantité suffisante pour masquer le goût.
[59] Les inventeurs affirment, aux lignes 9 et 10 de la page 7 de la description détaillée, que si une autre forme posologique qu’une capsule satisfait aux exigences relatives à la dissolution in vitro, ils considèrent que la forme posologique est visée par les revendications. Il existe donc deux manières de déterminer si une forme posologique autre qu’une capsule interagit avec les aliments : par des essais d’absorption et par des essais de dissolution.
[60] Cet élément contredit le témoignage de M. Rapp qui indique, au paragraphe 63 de son affidavit, que la dissolution ne permet pas à elle seule de prédire l’effet des aliments. L’exposé de l’invention est corroboré par l’affidavit de M. Shefter, dans lequel celui-ci déclare au paragraphe 31 :
[traduction] Il a été démontré avant 1995 que la dissolution in vitro présente une corrélation avec la dissolution in vivo. En d’autres termes, la vitesse à laquelle une forme posologique se dissout dans le cadre d’un essai de dissolution donne une idée de la mani ère dont la forme posologique se comportera dans les liquides du tube digestif. Les auteurs du brevet 071 savaient clairement que ce type de corrélation existait pour les comprimés [...]
[61] Ayant examiné attentivement le mémoire descriptif dans son ensemble ainsi que les dépositions des témoins experts, je conclus que l’invention revendiquée dans le brevet 071 avait pour but de résoudre le problème d’interaction avec les aliments associé aux capsules d’azithromycine. Il ne s’agissait pas d’une nouvelle utilisation de l’azithromycine, mais plutôt d’une nouvelle méthode d’administration de l’azithromycine. Les éléments essentiels sont :
1. l’utilisation d’une quantité suffisante d’azithromycine;
2. dans une forme posologique pharmaceutique administrée par voie orale, à l’exception des capsules;
3. dans le but de traiter des infections microbiennes;
4. chez des patients qui ont mangé;
5. sans interaction avec les aliments;
6. telle que mesurée par les paramètres des essais scientifiques standard de dissolution ou d’absorption.
La validité du brevet
L’antériorité
[62] Apotex invoque l’antériorité fondée sur la publication ainsi que sur l’utilisation et la vente. L’avis d’allégation cite comme antériorités le brevet américain no 4,963,531 (le brevet 531 ou brevet Remington), le brevet américain no 4,474,768 (le brevet 768 ou brevet Bright), le brevet canadien no 2,101,466 (le brevet 466 ou brevet Catania), le brevet européen EP-A-307128 (équivalent au brevet 531), des extraits de la Gazetta Ufficiale Della Repubblica Italiana, une fiche de renseignements italienne sur le ZITHROMAX datée de 1992 et une facture espagnole pour une formulation de 250 mg d’azithromycine en date de décembre 1993.
[63] Invoquer l’antériorit é à propos d’une revendication de brevet, c’est faire valoir que l’invention en cause a déj à été divulguée au public et ne possède donc pas le caractère de nouveauté. La m éthode généralement bien établie pour déterminer l’antériorité est celle qu’a formulée le juge Hugessen à la page 297 de Beloit Canada Ltd. c. Valmet Oy, (1986) 8 C.P.R. (3d) 289, [1986] A.C.F. no 87 [Beloit, avec renvois au C.P.R.] :
On se souviendra que celui qui allègue l’antériorité, ou absence de nouveauté, prétend que l’invention était connue du public avant la date pertinente. L’enquête porte sur l’invention litigieuse elle‑même et non, comme dans le cas de l’évidence, sur l’état de la technique et des connaissances générales. De plus [...] l’antériorité doit se trouver dans un brevet particulier ou dans un autre document publié; il ne suffit pas de recueillir des renseignements à partir de diverses publications antérieures et de les ajouter les uns aux autres et d’en arriver à l’invention revendiquée. Il faut en effet pouvoir s’en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication anté rieure doivent être d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée. Lorsque, comme c’est le cas ici, l’invention consiste en une combinaison de plusieurs éléments connus, une publication qui ne révèle pas la combinaison de tous ces éléments ne peut avoir un caractère d’antériorité. [Non souligné dans l’original.]
[64] La Cour suprême du Canada a cité cette méthode en l’approuvant au paragraphe 26 de Free World Trust, précité. Dans ce même arrêt, le juge Binnie met aussi en garde contre la déduction rétrospective lorsqu’il s’agit de décider si l’invention a été devancée par une publication déterminée, étant donné qu’« il n’est que trop facile, après la divulgation d’une invention », de lui constituer un dossier d’antériorité lorsqu’on dispose du recul nécessaire (Free World Trust, précité, au paragraphe 25).
[65] La date de priorité aux fins de l’examen de la question de l’antériorité, selon l’article 28.2 de la Loi sur les brevets, précède d’un an la date du dépôt de la demande de brevet au Canada, qui est en l’occurrence le 27 avril 1994. La différence de deux jours entre cette date et celle du dépôt aux É tats‑Unis, le 29 avril 1994, est sans conséquence dans la présente espèce.
La communication par voie de publication
[66] Le brevet Remington ou brevet 531, invoqué comme antériorité, a été délivré en 1990 et cédé à Pfizer. L’abrégé décrit le brevet comme une méthode d’utilisation de l’azithromycine ou de ses dérivé s dans le traitement d’une infection microbienne (Toxoplasma gondii). Apotex fait valoir que deux des exemples donnés dans le brevet Remington sont des formulations qui sont visées par la revendication 23 du brevet 071, car ils sont, à tous les égards importants, identiques à deux exemples du brevet 071 et doivent en conséquence pré senter les mêmes propriétés. De plus, on a démontré que les formulations présentées par les experts d’Apotex à la suite des deux exemples du brevet Remington satisfont aux critères de dissolution in vitro du brevet 071.
[67] Apotex soutient que le brevet Remington est antérieur au brevet 071, car il décrit et divulgue l’utilisation de poudres pour suspension buvable et de comprimés à dissolution rapide à base d’azithromycine qui, une fois administrés à des patients qui ont mangé, n’interagissent pas avec les aliments, tel que défini dans le brevet 071. Cet argument est repris et examiné en détail par M. Langer aux paragraphes 77 à 81 de son affidavit, par M. Shefter aux paragraphes 21 à 24 de son affidavit, par M. Dordick aux paragraphes 61 à 66 et par M. Mayersohn aux paragraphes 13 à 18.
[68] MM. Shefter et Langer ont tous deux indiqué, lors de leur contre-interrogatoire, que le brevet Remington ne mentionne nullement que ces formes posologiques orales interagissent avec les aliments. Le brevet ne traite pas non plus de la vitesse de dissolution.
[69] Le brevet de base pour l’utilisation de l’azithromycine à des fins antibactériennes est le brevet 768 délivré en 1984 à Gene Bright, chercheur scientifique de Pfizer. Une demande de brevet international, déposée en 1989 par Allen et ses collaborateurs à l’égard d’une nouvelle forme d’azithromycine, est également liée au brevet 768 aux fins de l’allégation d’antériorité d’Apotex. La demande d’Allen, également cédé e à Pfizer, incorpore la demande de Bright. Il n’y a dans les deux demandes aucune restriction quant à l’administration des formulations divulguées, avec ou sans nourriture. Toutefois, aucune de celles-ci ne traite de l’effet des aliments.
[70] Au paragraphe 71 de son affidavit, M. Langer indique que les inventeurs du brevet 768 (appelé brevet 071 par erreur) indiquent une formulation de l’azithromycine utilisant des véhicules pharmaceutiquement acceptables et obtenue par des méthodes classiques de production de comprimés, de suspensions et de solutions. Une personne versée dans l’art comprendrait que la formulation renvoie entre autres à des comprimés à dissolution rapide obtenus par compression directe ou par granulation sèche ou humide et contenant de l’azithromycine et un délitant. En conséquence, selon M. Langer, bien que le brevet 768 ne traite pas explicitement de l’absence d’interaction avec les aliments, il montre l’utilisation d’azithromycine dans la préparation de formes posologiques orales, soit des solutions, des suspensions et des comprimés à dissolution rapide, qui n’interagiraient pas avec les aliments si elles étaient administrées à un patient qui a mangé. M. Langer arrive à une conclusion similaire à l’égard de la demande d’Allen.
[71] Le brevet canadien 466 ou brevet Catania est aussi invoqué comme antériorité. Sa date de priorité est le 30 juillet 1992 et sa date de publication, le 31 janvier 1994. Le brevet Catania traite de la réduction du goût amer des compostions pharmaceutiques, dont l’azithromycine, par l’ajout d’un agent de masquage du goût. L’azithromycine a apparemment un goût particulièrement amer. Le brevet Catania décrit l’utilisation de comprimés à croquer ou de suspensions orales pour l’azithromycine. On y indique que les comprimés peuvent ê tre broyés, mélangés avec des céréales, de la crème glacée et d’autres aliments et boissons ou encore, placés ou saupoudrés sur ceux-ci. Il est également possible de les avaler entiers sans qu’ils soient pré alablement broyés ou mélangés. La suspension peut être mélangée avec des aliments et des boissons. Aucune mention n’est faite d’une interaction avec les aliments. Selon Apotex, ce brevet montre l’utilisation de l’azithromycine dans une forme posologique pouvant être administrée à un patient qui a mangé sans qu’il y ait interaction avec les aliments, dans le but de traiter des infections microbiennes, soit précisément l’une des autres interprétations de la revendication 23 du brevet 071.
[72] Apotex s’appuie encore une fois sur le témoignage de MM. Langer, Shefter, Mayersohn et Dordick pour ce qui est de cette interprétation du brevet Catania. D’après tous ces témoins, les formulations du brevet Catania et du brevet 071 étant à toutes fins pratiques identiques, les résultats devraient être les mêmes. L’incorporation d’agents de masquage du goût dans les formulations divulguées dans le brevet Catania représentent la seule différence. Au paragraphe 99 de son affidavit, M. Langer indique que, selon son expérience, ces agents ne devraient pas influer sur la dissolution des formes posologiques ni sur l’absence d’interaction avec les aliments.
[73] M. Dordick indique d’abord, au paragraphe 51 de son affidavit, que l’agent de masquage du goût du brevet Catania n’aurait aucun effet sur la vitesse de dissolution, car son seul but est de masquer le goût dans la bouche. Il ajoute, au paragraphe 57, qu’il est clair pour toute personne versée dans l’art de la formulation de médicaments, que le brevet Catania montre que l’azithromycine peut être prise avec de la nourriture. Il conclut, au paragraphe 59, qu’il est clair que les formulations d’azithromycine à dissolution rapide sous forme de poudres pour suspension buvable ou de comprimés étaient déjà connues et qu’elles faisaient partie de l’état de la technique avant la date de priorité du brevet 071. De plus, comme la description établit une corrélation entre la dissolution in vitro et la biodisponibilité in vivo, les revendications du brevet 071 concernant la biodisponibilité se heurtent à une antériorité. Enfin, comme l’azithromycine peut être administrée avec des aliments solides, l’indication médicale prétendument nouvelle de l’azithromycine se heurte à une antériorité. Il n’est pas clairement mentionné si les formes posologiques interagissent avec les aliments. M. Mayersohn a déclaré lors de son contre-interrogatoire qu’il savait que les aliments n’exerceraient pas d’effet après avoir pris connaissance des résultats des essais divulgués dans le brevet 071.
[74] Incidemment, toutes les revendications du brevet 071, à l’exception de la revendication 23, excluent la présence d’un oxyde en quantité suffisante pour masquer le goût. Il n’y a aucune exclusion dans la revendication 23.
[75] Au paragraphe 53 de son affidavit, M. Rapp déclare qu’il a toujours été possible d’administrer un composé d’ azithromycine qui interagissait avec les aliments (p. ex. des capsules) s’il était pris avec de la nourriture. Il affirme qu’une personne versée dans l’art saurait qu’il faut administrer une dose plus forte en raison de l’ effet des aliments, mais que ce n’est pas ce qu’indique le brevet Catania. Rien dans le brevet n’indique que des quantités excessives du médicament peuvent être administrées pour prévenir l’effet des aliments. Lors de son contre-interrogatoire, M. Rapp a admis que rien dans le brevet Catania n’appuyait son hypothèse (page 1481 du dossier) concernant les doses plus élevées.
[76] Apotex reconnaît que les brevets décrits dans son avis d’allégation comme des inventions antérieures en raison de leur antériorité par publication ne traitent pas de la résolution du problème de l’interaction avec les aliments dans le cas des comprimés. Cependant, Apotex soutient que les comprimés constituaient une solution de rechange connue et évidente par rapport aux capsules et que toute personne versée dans l’art qui aurait lu et suivi l’un des brevets invoqués se serait immédiatement tournée vers les comprimés dans le cadre de ses fonctions régulières sans l’exercice de quelque génie inventif.
[77] Apotex invoque SmithKline Beecham Pharma Inc. et al. c. Apotex Inc.et al. (2001), 14 C.P.R. (4th) 76 (C.F. 1re inst.), conf. par (2002) 21 C.P.R. (4th) 129, 2002 CAF 216, à l’appui de sa position. Dans SmithKline, le brevet en cause traitait d’un problème dû à la formulation de comprimés de paroxétine par un procédé de granulation humide (les comprimés devenaient roses). Le juge Gibson a conclu que l’invention revendiquée se heurtait à l’anté riorité du brevet principal, qui décrivait d’autres méthodes de formulation sans eau. Il serait donc logique qu’une personne versée dans l’art commence par essayer ces autres méthodes de formulation. Il était possible de trouver dans le brevet principal tous les renseignements nécessaires pour arriver à l’invention revendiqué e, sans recours au génie inventif, mais uniquement grâce à une habileté d’ordre technique.
[78] Dans une décision ultérieure concernant la paroxétine, GlaxoSmithKline Inc. c. Apotex Inc., (2003) 27 C.P.R. (4th) 114, 2003 CFPI 687, le juge Kelen a conclu, comme le juge Gibson, que le brevet complémentaire en cause se heurtait à l’antériorité du brevet principal, car il ne constituait qu’une application d’une des solutions de rechange décrites dans le brevet principal. Le brevet était également invalide pour cause de renouvellement à perpétuité ou de double brevet. L’utilisation d’une formulation sèche comme solution au problème de la coloration rosâtre était évidente pour un formulateur versé dans l’art.
[79] Pfizer soutient que le problème avec les exemples d’antériorités invoqué s est, comme l’ont admis les témoins d’Apotex, MM. Langer et Shefter, lors du contre‑interrogatoire, qu’aucun d’eux ne renvoie à la limite de confiance de 90 % concernant l’absence d’effet des aliments établie dans l’exposé de l’invention du brevet 071. Rien ne démontre qu’une forme posologique ou une autre d’azithromycine, administrée à un patient qui a mangé dans l’intervalle de trois heures précis é n’interagirait pas avec les aliments.
La communication par voie de vente ou d’utilisation
[80] La Cour d’appel fédérale a fait observer que, lorsqu’il s’agit d’analyser la question de l’antériorité dans le contexte de la communication par voie de vente ou d’utilisation sous le régime de l’alinéa 28.2(1)a) de la Loi sur les brevets, il peut se révéler nécessaire « d’ajuster les principes [de Beloit] en fonction des caractéristiques particulières » de ce contexte : Baker Petrolite Corp. c. Canwell Enviro‑Industries Ltd., (2002) 17 C.P.R. (4th) 478, à la page 494, 2002 CAF 158. Au paragraphe 35 de Baker, le juge Rothstein donne comme exemple d’ajustement nécessaire le fait que, dans le contexte de l’antériorité découlant de la publication, la personne versée dans l’art doit lire le document en question, tandis que dans le cadre de l’antériorité fondée sur l’utilisation ou la vente, la lecture n’est pas nécessairement pertinente.
[81] Au paragraphe 42 de Baker, le juge Rothstein énumère un certain nombre de principes ou de facteurs à prendre en compte dans l’analyse de l’antériorité découlant de la communication par voie de vente ou d’utilisation. Premièrement, la vente au public ou l’utilisation par le public ne suffit pas à elle seule à établir l’antériorité; il doit y avoir eu divulgation de l’invention. L’utilisation n’incorpore l’invention à l’état de la technique que dans la mesure où elle rend accessibles les renseignements nécessaires. Deuxièmement, l’utilisation ou la vente antérieure doit équivaloir à une divulgation permettant au public de réaliser l’invention.
[82] Troisièmement, poursuit le juge Rothstein, l’utilisation ou la vente antérieure d’un produit chimique est une divulgation permettant de réaliser l’invention s’il est possible d’en découvrir la composition ou la structure interne au moyen d’une analyse. Apotex soutient qu’il découle de ce principe qu’il y aurait communication antérieure par voie d’utilisation ou de vente si une analyse du produit révélait l’absence d’interaction avec les aliments. Mais ce serait là une communication des proprié tés ou des effets du produit chimique, et non de sa composition ou de sa structure interne.
[83] Le quatrième principe concerne la communication dans les cas où un procédé de rétroingénierie des produits vendus au public est disponible. Le sixième pose qu’il n’est pas nécessaire qu’un membre du public ait effectivement analysé le produit. Selon le septième de ces principes, le temps et l’énergie consacrés à l’analyse n’ont pas valeur concluante. Le huitième, enfin, dit qu’il n’est pas nécessaire que le produit soit susceptible de reproduction exacte. C’ est l’objet des revendications du brevet qui doit être communiqué au moyen de l’analyse.
[84] Apotex soutient qu’il y a eu communication antérieure par voie de vente et d’utilisation de comprimés contenant de l’azithromycine, lesquels étaient accessibles au public avant la date de priorité. Selon elle, la preuve établit que l’analyse de ces formulations révèle qu’elles n’ ont pas d’interaction avec les aliments.
[85] Les éléments de preuve sur lesquels Apotex fonde cette allégation se rapportent principalement à la vente de comprimés d’azithromycine en Italie. Le premier de ces éléments consiste en extraits du Journal officiel de la République italienne, la Gazetta , datés du 5 mai 1992. On trouve aux pages 3199 à 3428 du dossier des traductions de passages de la Gazetta qui font mention de quatre produits – RIBOTREX, ZITHROMAX, AZITROCIN et TREZID – se pré sentant sous les formes de capsules de 250 mg, de poudre pour suspension buvable à usage pédiatrique et de comprimés divisibles de 500 mg de dihydrate d’azithromycine, fabriqués par Pfizer Italiana S.p.A. Les indications thérapeutiques de ces produits sont semblables à celles qui sont citées pour le ZITHROMAX vendu en Amérique du Nord.
[86] Apotex soutient que la poudre pour suspension buvable citée dans la Gazetta est essentiellement le même produit que celui qui est décrit à l’exemple 2 du brevet antérieur 531 et est assimilable à celui de l’exemple 6 du brevet 071 et des tableaux XII et XIII. Quant aux comprimé s, ils sont pratiquement identiques à ceux des exemples 3 à 5 du brevet 071. On trouve à la page 26 du brevet 071 (tableau VII) une liste de comprimés de 500 mg qui n’ont pas d’interaction avec les aliments. On cite à l’appui de cette interprétation des formulations décrites dans la Gazetta le paragraphe 42 de la déposition de M. Langer, où il déclare que de telles formes posologiques remplissent, en situation d’essais ordinaires, les conditions de dissolution que définit le brevet 071. Le même témoin déclare aux paragraphes 88 à 91 que les produits décrits dans la Gazetta sont essentiellement les mêmes, à quelques différences mineures près. MM. Shefter, Dordick et Mayersohn ont témoigné dans le même sens.
[87] On a aussi produit en preuve un extrait d’une fiche de renseignements italienne intitulée « GioFil », datée de 1992, qui contient, au sujet de la composition et des propriétés des comprimés divisibles ZITHROMAX de 500 mg, des informations concordant avec celles de la Gazetta citées ci-dessus. Je note que cette fiche met aussi en garde contre l’administration du médicament après un [TRADUCTION] « repas copieux », laquelle aurait pour effet de réduire de 50 % la biodisponibilité de l’azithromycine.
[88] Il apparaît, à la lecture d’un document présenté par Apotex comme étant une facture établie par une pharmacie de Barcelone et dont on trouve la traduction à la page 1917 du dossier, qu’on vendait en Espagne, en décembre 1993, du ZITHROMAX en sachets de 250 mg. Il n’y a aucune preuve directe quant à la nature de la formulation utilisée dans ces sachets.
[89] Apotex a voulu établir la composition de la formulation espagnole au moyen d’éléments de preuve produits dans une procédure d’opposition européenne à l’équivalent du brevet 071, ce contre quoi Pfizer s’est élevée. Comme on ne m’a pas convaincu que la Cour a été régulièrement saisie de cette preuve, je n’en ai pas tenu compte.
[90] Cependant, Pfizer a refusé de répondre à des questions écrites concernant la fabrication et la commercialisation des produits de marque Pfizer en Europe posées à son témoin Madeleine Pesant (cadre de la société), sauf dans la mesure où elles se rapportaient au Canada, pour le motif qu’elles n’étaient pas pertinentes à l’égard de son affidavit. Apotex soutient que les objections de Pfizer étaient dénuées de fondement, étant donné que ces questions pouvaient légitimement être posées dans le cadre d’un contre‑interrogatoire et que le témoin aurait facilement pu obtenir les renseignements demand és de la société mère de Pfizer Canada Inc. Apotex me demande de déduire de ce refus que les réponses auraient été défavorables à Pfizer et auraient établi que celle-ci fabriquait et vendait en Italie et en Espagne des comprimés et des poudres d’azithromycine conformes aux formulations que mentionne la Gazetta.
[91] Apotex fait valoir à l ’appui de cette proposition le passage de Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), (1995), 60 C.P.R. (3d) 328, 92 F.T.R. 253 [Pharmacia, avec renvois au C.P.R.] où le juge Wetston reprend à son compte le principe de common law suivant lequel toute partie doit produire la preuve relative à une allégation dont elle est le mieux placée pour connaître l’objet. Dans cette affaire, seule la défenderesse connaissait la composition précise de son produit. Apotex fait valoir qu’il en va de même dans la présente espèce : seule Pfizer sait exactement ce qu’elle fabriquait et vendait en Europe avant 1994. Voir aussi : Hoffman‑LaRoche Ltd. c. Apotex Inc., (1983) 41 O.R (2d) 84, 71 C.P.R. (2nd) 20 (H.C. Ont.), à la page 25, conf. par (1984) 47 O.R. (2d) 287, 1 C.P.R. (3rd) 507 (C.A. Ont.); et Eli Lilly and Co. c. Nu‑Pharm Inc, (1996), 69 C.P.R. (3d) 1, à la page 18, [1997] 1 C.F. 3. Pfizer invoque le caractère limité de la portée des contre‑interrogatoires dans les procédures relatives aux MB (AC) et soutient qu’elle n’ était pas tenue de répondre à cette question.
[92] J’estime que Pfizer aurait pu et aurait dû répondre aux questions en cause parce que les renseignements demandés formaient un objet légitime du contre‑interrogatoire de Mme Pesant au sujet de son affidavit et que ces renseignements auraient pu être facilement obtenus à l’intérieur du groupe Pfizer. Je souscris à l’idée qu’il peut être tiré de ce refus une inférence défavorable à Pfizer touchant la fabrication et la vente de produits à base d’azithromycine en Europe avant 1994. Cependant, cette inférence n’ajoute pas grand‑chose à la démonstration qu’Apotex a établie au moyen d’autres éléments de preuve, comme quoi Pfizer vendait en Europe, avant 1994, des comprimés d’azithromycine de formulation pour l’essentiel identique à celle des comprimés que décrit le brevet 071.
[93] Le document intitulé « GioFil » révèle que des comprimés divisibles de 500 mg étaient commercialisés, du moins en Italie, avec un avis signalant la réduction de la biodisponibilité en cas de prise après un repas copieux. Pfizer soutient que ce fait démontre que l’invention revendiquée dans le brevet 071 n’avait pas été communiquée antérieurement par voie d’utilisation ou de vente en Europe. Apotex affirme quant à elle que les avis en soi n’établissent pas que les comprimés ont une interaction avec les aliments, ce que seuls peuvent faire l’examen des formulations de ces comprimés et des essais en laboratoire. M. Shefter a déclaré à ce sujet au paragraphe 79 de son affidavit que, indépendamment du fait que les comprimés aient été ou non vendus avec une mise en garde, ils sont intrinsèquement exempts d’interaction avec les aliments, ce que M. Rapp a admis en contre‑interrogatoire (pages 1312 et 1483 du dossier).
[94] Apotex a cité comme t émoin un médecin italien du nom de Giovanni Donadio, qui a déclaré que, dès avant avril 1994, il prescrivait de l’azithromycine en suspension ou en comprimés à ses patients sans leur préciser s’ils devaient ê tre pris à jeun ou non. C’était là, selon lui, la pratique courante des médecins italiens, et les pharmaciens distribuaient l’azithromycine sans donner d’indications posologiques, lesquelles sont du ressort des médecins en Italie.
[95] Le Dr Donadio a été contre‑interrogé sur son affidavit et a été renvoyé à des éléments qui contredisaient son point de vue. On pourrait interpréter avec indulgence la confusion dont il a fait preuve dans son contre‑interrogatoire en l’attribuant à la mauvaise qualité de la traduction simultanée. En résumé, son témoignage établit dans le meilleur des cas que les médecins italiens n’étaient peut‑être pas informés, ou ne tenaient peut‑être pas compte, des instructions de Pfizer selon lesquelles il convenait de prendre le mé dicament à jeun pour en obtenir l’effet optimal.
Conclusion sur l’antériorité
[96] Comme la Cour l’a fait remarquer dans Beloit, précité, le critère de l’antériorité est très rigoureux. Un brevet sera déclaré invalide pour cause d’antériorité s’il a déjà fait l’objet d’une communication suffisante pour permettre à une personne possédant une compétence et des connaissances ordinaires dans le domaine de comprendre, sans se reporter au brevet même, la nature de l’invention et de la mettre en pratique sans exercer de génie inventif, mais seulement une habileté technique. De plus, ainsi qu’il est dit dans Baker, précité, la vente ou l’utilisation ne suffit pas à remplir le critère de l’antériorité : il doit y avoir eu communication effective de la nature de l’invention.
[97] C’est le brevet Catania qui, à mon sens, serait le plus apte à établir l’antériorité pour cause de publication. Cependant, pour conclure que les comprimés décrits dans ce brevet n’ont pas d’interaction avec les aliments, il faut se reporter aux résultats d’analyse obtenus avec les formes posologiques que décrit le brevet 071. Ce fait a été admis en contre‑interrogatoire par M. Mayersohn, témoin d’Apotex. Par conséquent, le brevet Catania, à lui seul, ne conduit pas directement à l’invention revendiquée. En outre, faute de disposer d’éléments de preuve clairs et incontest és qui rempliraient les conditions énoncées dans Baker, je n’ai pas la conviction que l’antériorité pour cause de vente ou d’utilisation a été établie non plus.
[98] En conséquence, je me vois incapable de conclure que le brevet 071 se heurte à une antériorité. Cependant, les réalisations invoquées au titre de l’antériorité sont également pertinentes à l’égard de la question de l’évidence et, sur cette question, j’arrive à une conclusion différente.
L’évidence
[99] L’article 28.3 de la Loi sur les brevets prévoit que l’objet que définit la revendication d’une demande de brevet déposé e au Canada ne doit pas, à la date de cette revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève cet objet. Comme nous l’avons vu ci-dessus, la date de priorité, aux fins de l’examen de la question de l’évidence touchant le brevet 071, est le 29 avril 1994, date de dépôt de la demande de brevet américain.
[100] Je noterai d’abord à ce propos que Pfizer soutient, au paragraphe 28 de son mémoire, que les réalisations antérieures invoquées par Apotex au titre de l’évidence n’étaient pas facilement accessibles aux personnes versées dans l’art à l’époque pertinente. L’avocat de Pfizer n’a pas insisté sur ce point à l’audience, ce en quoi il a eu raison, Pfizer n’ayant pas mis cette question en litige dans son avis de demande. En effet, l’alinéa 301e) des Règles de la Cour fédérale (1998) porte que l’avis de demande doit contenir un énoncé complet des motifs invoqués. De plus, comme l’a rappelé le juge Wetston à la page 339 de Pharmacia, précitée, il découle de la charge de persuasion imposée par l’article 6 du Règlement au demandeur que ce dernier doit informer le défendeur des « motifs de l’opposition » du breveté, de sorte qu’il puisse, s’il y a lieu, produire des preuves en réponse.
[101] S’agissant de l’ évidence, il n’est pas nécessaire que l’invention ait été communiquée dans le cadre d ’un seul brevet ou d’une seule réalisation antérieure, comme c’est le cas pour l’antériorité. La Cour peut examiner tous les brevets et autres publications qu’une personne du métier pourrait trouver au moyen d’une « recherche raisonnable et diligente » pour établir si leur « combinaison » mène directement à l’invention : Illinois Tool Works Inc. c. Cobra Fixations Cie Ltée (2002), 221 F.T.R. 161, 2002 CFPI 829, confirmée sur ce point et réformée sous le seul rapport des dépens par (2003), 312 N.R. 184, 2003 CAF 358. Il n’a pas été soutenu dans la présente espèce qu’une telle recherche, effectuée par une telle personne, n’aurait pas permis de trouver les réalisations antérieures invoquées par Apotex.
[102] Le critère généralement admis de l’évidence a aussi été formulé par le juge Hugessen (tel était alors son titre) dans Beloit, précité, à la page 294 :
Pour établir si une invention est évidente, il ne s’agit pas de se demander ce que des inventeurs compétents ont ou auraient fait pour solutionner le problème. Un inventeur est par définition inventif. La pierre de touche classique de l’évidence de l’invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d’esprit inventif ou d’imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d’intuition; un triomphe de l’hémisphère gauche sur le droit. Il s’agit de se demander si, compte tenu de l’état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l’invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur‑tout‑le‑monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C’est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.
[Non souligné dans l’original.]
[103] Lorsqu’il s’agit d’établir si une revendication de brevet est évidente, la Cour doit éviter de sacrifier à la sagesse rétrospective. La question à se poser est celle de savoir si la solution enseignée par le brevet serait « claire comme le jour » pour la personne du métier cherchant quelque chose de nouveau, sans qu’elle ait à faire des expériences ou des recherches. L’existence d’indices ou d’indications dans l’é tat antérieur de la technique ne suffit pas à rendre un brevet invalide pour cause d’évidence : Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. (1998), 79 C.P.R. (3d) 193, 145 F.T.R 161 (C.F. 1re inst.), réformée, mais pas sous le rapport de l’évidence, par [2001] 1 C.F. 495 (C.A.), (2000) 10 C.P.R. (4th) 65, conf. par [2002] 4 R.C.S. 153, 2002 CSC 77; Bayer Aktiengesellschaft c. Apotex Inc. (1995), 60 C.P.R. (3d) 58, [1995] O.J. No. 141 (Div. gén. Ont.), réformée pour d’autres motifs (1998), 82 C.P.R. (3d) 526, 11 O.A.C. 1 (C.A. Ont.), autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada refusée [1998] C.S.C.R no 563 (QL); et Fabwerke Hoechst c. Halocarbon (Ont.) Ltd., [1979] 2 R.C.S. 929, 42 C.P.R. (2d) 145.
[104] Pour traiter de l’évidence, il faut comprendre comment l’invention revendiquée représente un progrès par rapport à l’état antérieur de la technique. Ni le composé d ’azithromycine ni sa fonction ne sont revendiqués dans le brevet 071. La structure, la fonction et l’utilisation de l’azithromycine étaient bien connues dans le domaine et la forme exacte d’azithromycine utilisée, le dihydrate d’azithromycine, est décrite dans un brevet remontant à 1984. On connaissait également la quantité th érapeutiquement efficace pour un traitement antimicrobien destiné à des humains et on savait que l’azithromycine a une longue demi-vie, qu’une dose moins forte est nécessaire, que l’azithromycine est acidorésistante et, enfin, qu’elle présente une capacité d’absorption et une tolérance gastro-intestinale supérieures à celles de l’ érythromycine. Les différentes formes posologiques du produit étaient toutes connues. Aucun de ces éléments n’a été contesté dans la présente instance.
[105] C’est l’étendue des connaissances au sujet de l’interaction avec les aliments qui est contestée. Apotex soutient que compte tenu de tout ce qui était connu à l’égard du médicament, de la prévention des effets indésirables dus à la prise de nourriture, des formes posologiques à base d’azithromycine existantes et utilisées et du fait que d’autres macrolides apparentés tels que la clarithromycine étaient déjà administrés sous forme de comprimés sans qu’il y ait d’interaction avec les aliments, le résultat revendiqué dans le brevet était évident.
[106] M. Rapp, té moin expert de Pfizer, a déclaré que, selon lui, en tant que personne versée dans les arts de la mé decine et de la pharmacologie, l’état de la technique antérieur à la publication de l’invention revendiquée dans le brevet 071 était constitué par l’idée que l’azithromycine avait une interaction avec les aliments. Par conséquent, Pfizer soutient que la découverte selon laquelle il était possible d’administrer l’azithromycine en comprimés, en poudres ou en sachets sans qu’elle entre en interaction avec les aliments constituait un progrès par rapport à l’état de la technique, étant donné qu’elle ne concordait pas avec la conception des experts, fondée sur les publications scientifiques disponibles, selon laquelle cette drogue interagissait avec les aliments.
[107] M. Rapp a déclaré que ce point de vue sur l’interaction de l’azithromycine avec les aliments s’était maintenu même après la publication du rapport de 1996 où les scientifiques de Pfizer avaient communiqué leurs conclusions concernant l’absence d’une telle interaction pour les comprimés et les suspensions. Il avait lui‑même cité ce rapport dans un article de 1998 où il avait réitéré la mise en garde contre l’interaction avec les aliments. En fait, cette mise en garde figurait encore en juin 2003 dans les lignes directrices sur les interactions médicamenteuses de son université, dont il était un des auteurs. M. Rapp a expliqué que ce n’était qu’au début du présent litige qu’il s’était rendu compte que les directives de l’étiquette du ZITHROMAX avaient changé.
[108] Comme je l’ai dit plus haut, j’ai du mal à accepter le témoignage de M. Rapp touchant ce qu’une personne de compétence ordinaire dans le domaine aurait su avant la date de priorité, étant donné qu’il apparaît n’avoir pas fait preuve d’une diligence raisonnable pour se tenir au courant de l’évolution des connaissances dans un domaine où il se dit expert.
[109] La section de l’exposé du brevet 071 intitulée [TRADUCTION] « Historique de l’invention » mentionne un article de synthèse de Toothaker et Welling de la Faculté de pharmacie de l’Université du Wisconsin datant de 1980 : « The Effect of Food on Drug Bioavailability ». Pfizer présente cet article comme une illustration de la conception que partageaient alors les personnes versées dans l’art, selon laquelle la formulation utilisée dans l’administration d’une drogue peut influer considérablement sur le degré de son interaction avec les aliments. À la page 176 de leur article (page 267 du dossier), les auteurs notent que [TRADUCTION] « [d]ans le cas des capsules et des comprimés, non seulement la dissolution risque d’être influencée par la présence d’aliments, mais la prolongation du transit gastrique attribuable à la présence d’aliments risque d’exercer un effet plus grand lorsque la drogue est contenue dans une seule dose » (non souligné dans l’original). Ils expliquent cependant plus loin que l’effet des aliments peut varier considérablement selon la forme posologique et d’autres facteurs tels que les vitesses de désintégration et de dissolution.
[110] Selon Apotex, la leçon de l’article de Toothaker et Welling est qu’on ne peut postuler que, une formulation donnée ayant une interaction avec les aliments, une formulation différente du même médicament aura nécessairement le même effet. C’est essentiellement ce qu’ont démontré les scientifiques de Pfizer lorsqu’ils ont testé la biodisponibilité des formes posologiques orales autres que les capsules.
[111] L’exposé du brevet 071 indique, à la page 2, qu’au moins une étude inédite avait montré que l’absorption de l’azithromycine peut être gênée par la présence d’aliments dans l’estomac du patient. Selon la preuve, il semble que cette étude ait été effectuée par un employé de Pfizer nommé Scott Hopkins, qui en a publié un compte rendu en 1991 dans un supplément de l’American Journal of Medicine. Ce compte rendu est cité dans l’affidavit de M. Rapp et a été produit en preuve. Dans l’étude de Hopkins, les patients adultes étaient traités à l’azithromycine en capsules, tandis qu’on administrait cette drogue sous forme de suspensions à ceux de moins de 15 ans. M. Hopkins a constaté que les capsules avaient une interaction avec les aliments. Son compte rendu est muet sur la question de savoir si cet effet se retrouvait chez les enfants et adolescents qui avaient absorbé l’azithromycine sous forme de suspensions.
[112] Selon la preuve, c’est la conclusion de Hopkins associant aux capsules une interaction avec les aliments qui est à l’origine de l’inscription sur l’étiquette du ZITHROMAX d’une mise en garde précisant que ce médicament ne devait pas être pris avec des aliments. D’autres scientifiques, par exemple Drew et Gallis dans leur étude de 1992 sur l’azithromycine, se sont fondés sur cette information et ont réitéré la mise en garde relative à l’interaction avec les aliments. Mais la source de cette information se rapportait seulement à l’utilisation de capsules et non à celle de comprimés ou d’une quelconque autre forme posologique.
[113] Aucune des études citées par M. Rapp à l’appui de sa conception de l’idée généralement reçue chez les personnes versées dans l’art n’était fondée sur de nouveaux essais. M. Rapp a reconnu en contre‑interrogatoire que toutes se fondent, directement ou indirectement, sur Hopkins et le feuillet de renseignements de Pfizer. Il a en outre admis que, avant avril 1994, les seules données relatives à l’interaction de l’azithromycine avec les aliments se rapportaient aux capsules.
[114] M. Langer, témoin expert d’Apotex, a déclaré que, un an avant la date de priorité du brevet 071, la personne versée dans l’art aurait été au courant du fait que l’interaction avec les aliments des formulations destinées à l’administration par voie orale était souvent associée à une forme posologique dé terminée, les formes à dissolution rapide – suspensions ou solutions – se révélant souvent exemptes d’une telle interaction, contrairement aux formes telles que les capsules. M. Shefter exprime la même opinion dans son affidavit.
[115] Selon M. Rapp, cette information générale a été reléguée au second rang par les études particulières sur l’azithromycine. Comme je l’ai noté plus haut, ces études se fondaient seulement sur les essais de Pfizer relatifs aux capsules. Le point de vue de M. Langer, qu’il exprime au paragraphe 118 de son affidavit, est que M. Rapp semble ne pas tenir compte des renseignements dont disposaient les personnes versées dans l’art au début des années 1990 concernant le rapport entre la nature et le type de la forme posologique et la présence ou l’absence d’interaction avec les aliments, ou ne pas entièrement en mesurer ou en comprendre la portée.
[116] M. Shefter, invoquant un texte pharmaceutique de 1980 sur les formes posologiques de comprimés cité dans l’avis d’Apotex, a déclaré au paragraphe 47 de son affidavit que le type d ’essais décrit dans le brevet 071 est généralement connu et d’usage ordinaire dans l’élaboration de formulations, et que l’absence d’interaction avec les aliments des formulations à dissolution rapide dont il y est question aurait é té facilement démontrée comme résultat inévitable d’essais ordinaires pratiqués par une personne versée dans l’art.
[117] M. Langer fait observer que d’autres antibiotiques macrolides présentés en formes posologiques orales, telles que comprimés et suspensions, pouvant être administrées sans égard pour l’absorption d’aliments étaient disponibles dans le commerce avant la date du dépôt du brevet 071. Il cite comme exemples les suspensions et comprimés d’éthylsuccinate d’érithromycine et les comprimés de clarithromycine (BIAXIN), qu’on savait être exempts d’interaction avec les aliments. Langer conclut que ces exemples de drogues apparentées à l’azithromycine auraient amené une personne versée dans l’art à envisager de soumettre à des essais ordinaires les formulations similaires en comprimés contenant de l’azithromycine (paragraphes 55 à 59). Les déclarations de M. Langer à ce sujet sont étayées par celles de M. Dordick (paragraphe 46), ainsi que par des extraits des éditions de 1990 et de 1993 du Physicians’ Desk Reference.
[118] L’argument d’Apotex sur la question de l’évidence est essentiellement que, à la date de priorité, l’état de la technique fournissait à Pfizer tous les renseignements dont elle avait besoin pour conclure que, si les capsules se révélaient avoir une interaction avec les aliments, il suffisait de faire des essais sur les comprimés ou les suspensions, qu’elle avait déjà produits, pour établir s’ils avaient le même effet, ce qui n’avait rien d’une activité inventive. Comme M. Rapp l’a admis en contre‑interrogatoire, les moyens ou les techniques nécessaires pour réaliser ces essais in vivo ou in vitro étaient connus en avril 1994.
[119] Pfizer fait valoir quant à elle que, avant l’invention revendiquée, il y avait dans le domaine un préjugé quant à l’association de l’interaction avec les aliments et des formes posologiques orales de l’azithromycine, ainsi que des enseignements dans les publications spécialisées, qui auraient dissuadé la personne versée dans l’art d’effectuer des essais sur les formes posologiques d’azithromycine autres que les capsules afin d’en établir l’absence d’interaction avec les aliments.
[120] Pfizer demande en fait à la Cour de conclure que le fait qu’elle partait du principe, fondé sur l’étude des effets de ses capsules effectuée par M. Hopkins en 1991, que toutes les formes posologiques orales d’azithromycine interagissaient pareillement avec les aliments, représente l’état de la technique antérieur aux essais par lesquels elle a démontré le contraire. À mon sens, cette prétention n’est pas étayée par la preuve.
Le succès commercial
[121] Comme la Cour d’appel fédérale l’a fait observer dans Diversified Products Corp. c. Tye-sil Corp. (1991), 35 C.P.R. (3d) 350, aux pages 367 et 368, 125 N.R 218, les éléments de preuve tendant à établir le succès commercial d’un produit breveté ne doivent pas être écartés, mais ils n’ont pas valeur concluante sur la question de l’évidence.
[122] Pfizer a produit en preuve les déclarations de Mme Pesant attestant le succès sur le marché des comprimé s ZITHROMAX de 250 mg. Peu après l’introduction de ces comprimés, Pfizer a cessé de commercialiser les capsules du même produit. Les ventes de comprimés ont connu un accroissement régulier. Mme Pesant a joint à son affidavit un graphique comparant les ventes sur ordonnance des capsules et des comprimés de 1993 à 2003. Elle reconnaît que les ventes réalisées depuis l’introduction des comprimés sont en partie attribuables au remplacement des capsules, mais ajoute que l’importance des ventes de comprimés dépasse l’effet de substitution. Cette affirmation repose entièrement sur les prévisions de ventes de capsules établies par Pfizer et la conclusion de celle-ci qu’elle a vendu considérablement plus de comprimés qu’elle n’avait prévu de vendre de capsules.
[123] Apotex a répondu à cet argument par l’affidavit d’Aslam H. Anis, professeur agrégé d’économie de la santé au département des soins de santé et d’épidémiologie de l’Université de la Colombie‑Britannique. M. Anis est un expert de tous les aspects de l’industrie pharmaceutique, en particulier des rapports entre les réglementations de l’État et le comportement des entreprises. Il ne souscrit pas à l’affirmation de Mme Pesant selon laquelle les ventes de comprimés ZITHROMAX constituent un succès commercial. Selon lui, à en juger par les données relatives aux ventes antérieures de capsules, les ventes de comprimés n’ont pas augmenté plus qu’on n’aurait pu le prévoir des ventes de capsules (si elles n’avaient pas été graduellement remplacées).
[124] Pfizer fait valoir qu’Apotex n’a pas dûment établi les faits préalables à l’admission du témoignage d’opinion de M. Anis, étant donné que la fiabilité des données sur lesquelles il a fondé son opinion, notamment les chiffres de vente aux pharmacies et aux hôpitaux et les prix fixés par les régimes étatiques d’assurance‑médicaments pour les capsules et les comprimés d’azithromycine, n’a pas été prouvée au moyen d’éléments admissibles dans la pré sente espèce, ces données relevant du ouï‑ dire. M. Anis a expliqué en contre‑interrogatoire que c’étaient là les données sur lesquelles il se fondait habituellement dans son travail et qu’il avait effectué des contrôles logiques pour en vérifier la cohérence. Cependant, les données utilisées pour son analyse lui avaient été communiquées par les avocats d’Apotex.
[125] Il est de jurisprudence constante que les experts peuvent fonder leurs opinions sur des connaissances de base relevant du ouï‑ dire. Le fait qu’une opinion repose sur des renseignements dont le tribunal ne dispose pas ne la rend pas inadmissible. Le poids attribuable à cette opinion dépendra cependant de la mesure dans laquelle sont prouvés les faits qui la fondent. Il convient que le juge des faits n’accorde aucun poids à une opinion basée sur des faits dont aucun n’a été prouvé : R. c. Abbey, [1982] 2 R.C.S. 24.
[126] En conséquence, je ne puis accorder aucun poids à l’opinion de M. Anis, en dépit du fait qu’elle paraît avoir été formée d’une manière conforme aux principes scientifiques.
[127] Cependant, il ne me paraî t pas non plus que je doive attribuer un grand poids au succès commercial décrit par Mme Pesant pour trancher la question de l’évidence. La thèse du succès n’est basée que sur les prévisions de vente de capsules établies par Pfizer elle‑même et ne fait pas intervenir d’autres variables. L’augmentation des ventes pourrait s’expliquer par la réalisation croissante de la valeur de l’azithromycine chez les cliniciens et par d’autres facteurs. Je ne crois pas que les prévisions de ventes de Pfizer suffisent à établir que la d écouverte revendiquée dans le brevet 071 soit la cause des progrès constatés. En conséquence, bien que je l’aie prise en considération, j’accorde peu de poids à la preuve de Mme Pesant à cet égard.
Conclusion sur l’évidence
[128] Pfizer ne conteste pas que, avant 1994, l’azithromycine était une drogue connue et qu’on en connaissait des formes posologiques de suspensions et de comprimés, ainsi que des délitants pouvant être utilisés dans les formulations de comprimés. Malgré tout cela, soutient‑elle, on s’était depuis longtemps « résigné » à ce que cette drogue, par ailleurs exceptionnellement utile, présente un inconvénient – connu et accepté –, soit son interaction avec les aliments. Personne n ’avait résolu ce problème avant que des inventeurs ne fassent avancer l’état de la technique avec le brevet 071. Aucune publication antérieure n’avait donné à penser que l’azithromycine en comprimés et en d’autres formes posologiques, mis à part les capsules, puissent ne pas avoir d’interaction avec les aliments.
[129] Mais était-il possible à d’autres de faire des recherches et des expériences sur ce problème alors que les brevets de base, tous détenus par Pfizer, étaient encore en vigueur? S’il est vrai que le paragraphe 55(2) de la Loi sur les brevets autorise l’utilisation aux fins d’expérimentation, il doit y avoir une incitation à la recherche. Les capsules ont été introduites en 1992, et la demande du brevet 071 a été déposée en 1994. Il n’y a donc pas eu beaucoup de temps pour faire des recherches sur le problème de l’interaction avec les aliments. Cela étant, je trouve difficile d’accepter l’argument selon lequel, si l’invention ne présentait pas le caractère de nouveauté, on ne voit pas pourquoi quelqu’un d’autre n’y a pas pensé.
[130] Il ressort clairement de la preuve que certaines personnes qui traitaient des patients à l’azithromycine, notamment M. Rapp, ont agi de manière incompatible avec le développement de la technique et ont continué de croire que les comprimés et les suspensions interagissaient avec les aliments même après que les scientifiques de Pfizer eurent prouvé le contraire. L’avocat de Pfizer définit ce fait comme un [TRADUCTION] « préjugé » favorable à l’existence d’une interaction avec les aliments qui régnait dans le domaine. À en juger par les éléments de preuve relatifs à la manière dont les publications ont été influencées par les feuillets de renseignements de Pfizer elle‑même, on ne devrait voir là rien de plus qu’une indication que certaines personnes versées dans l’art n’ont pas mis ces renseignements en question. Cela ne veut pas dire qu’une personne de compétence ordinaire, versée dans l’art, n’aurait pas été menée directement à l’invention.
[131] À mon sens, le critère de l’évidence n’exclut pas les essais ordinaires visant à recenser les caractéristiques des composés connus. Je conclus que les essais effectués sur les comprimés et les autres formes posologiques, capsules mises à part, pour établir qu’ils n’interagissaient pas avec les aliments constituaient une activité entièrement évidente et de nature courante dont la possibilité se présentait au formulateur de drogues versé dans l’art et dépourvu de génie inventif et ne constituaient pas une expérimentation excessive. Les éléments tendant à établir le succès commercial ultérieur des comprimés de 250 mg de la demanderesse ne me convainquent pas que l’invention revendiquée présentait un authentique caractère de nouveauté. En conséquence, j’estime que la défenderesse a établi suivant la prépondérance de la preuve que l’objet du brevet 071 était évident et que celui-ci est invalide pour ce motif.
L’ambiguïté
[132]
Le paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets prévoit que le mémoire descriptif doit se terminer par une ou plusieurs revendications définissant distinctement et en des termes explicites l ’objet de l’invention dont on revendique la propriété ou le privilège exclusif.
[133] Apotex soutient que le passage suivant de la revendication 23 est ambigu : [TRADUCTION] « qui n’a aucune interaction avec les aliments lorsqu’elle est administrée, dans le cadre d’un traitement contre une infection microbienne, à un patient qui a mangé », étant donné qu ’il peut signifier, soit a) que la revendication n’est contrefaite que lorsqu’une forme posologique d’azithromycine est administrée à un patient qui a mangé sans avoir d’interaction avec les aliments, soit b) qu’elle est contrefaite par l’administration de n’importe quelle forme posologique d’azithromycine. Selon Apotex, la revendication est ainsi ambiguë selon la première interprétation parce qu’elle n’est pas suffisamment explicite pour informer le lecteur de sa portée exacte, et, selon la seconde, parce qu’elle revendique plus que la nouvelle utilisation que l’inventeur pré tend avoir découverte pour la forme posologique déjà connue. Elle invoque l’arrêt Hoffman‑LaRoche Ltd. c. Apotex Inc., (1989), 24 C.P.R. (3d) 289, 23 C.I.P.R. 1 (C.A.F.) à l’appui de sa thè se de l’ambiguïté.
[134] Pfizer réplique qu’ une revendication ne peut être dite ambiguë simplement parce qu’une de ses parties est susceptible de plus d’une interprétation. Cependant, quoi qu’il en soit, le passage attaqué n’est pas ambigu puisque la revendication 23 ne serait contrefaite que par l’administration à un patient ayant mangé, dans le cadre du traitement d’ une infection microbienne, d’une forme posologique d’azithromycine n’ayant pas d’interaction avec les aliments. On peut dire qu’une forme posologique n’a pas d’interaction avec les aliments si les essais révèlent qu’elle atteint les niveaux de confiance minimaux dont il a été question plus haut. L’arrêt Hoffman, poursuit Pfizer, n’étaye pas la thèse d’Apotex puisqu’il portait sur une revendication ayant pour objet une composition thérapeutique, alors que la revendication 23 porte sur une nouvelle utilisation de l’azithromycine.
[135] Dans l’arrêt Hoffman, précité, le passage attaqué était : « efficace pour le traitement des infections à bactéries résistantes au SMX ». Le fait qu’il s’agssait d’une revendication portant sur une combinaison ne me paraît pas pertinent. La Cour d’appel a conclu que ce passage pouvait recevoir au moins deux interprétations. On pouvait considérer que ces termes limitaient la portée de la revendication de sorte qu’elle s’appliquait à la combinaison dans le cas, et seulement dans le cas, où elle se révélait efficace dans le traitement des infections en question. Suivant cette interprétation, il était impossible de savoir si l’utilisation de la combinaison contreferait la revendication avant que son efficacité n ’eût été démontrée. Selon l’autre interprétation, ce passage voulait dire qu’ une telle combinaison était efficace pour le traitement des infections, mais il ne limitait pas la revendication au cas où la combinaison serait fabriquée ou vendue à cette fin. La Cour d’appel a par conséquent déclar é ce passage ambigu et invalide pour le motif qu’il n’était pas suffisamment explicite pour informer le lecteur de la portée exacte de la revendication.
[136] Dans la présente espèce, la revendication 23 se limite aux formes posologiques d’azithromycine qui n’ont aucune interaction avec les aliments lorsqu’elles sont administrées, dans le cadre du traitement d’une infection, à un patient qui a mangé. Mais il est possible de répondre à la question de savoir s’il y a ou non interaction avec les aliments au moyen d’essais ordinaires, in vivo ou in vitro, de la forme posologique. Or, ainsi que l’ont déclaré les témoins d’Apotex, ce sont là des opérations normales de préformulation. Je ne puis donc conclure que la revendication 23 est ambiguë ou invalide pour cause d’insuffisance.
La portée excessive
[137] Est considérée comme excessive, et par consé quent invalide, la revendication qui réclame la propriété ou le privilège exclusif d’un objet que l’inventeur n’a pas effectivement inventé ou qui a une portée plus large que l’invention divulguée dans le brevet : Farbwerke Hoechst AG. c. Canada (Commissaire des brevets), (1965), 50 C.P.R. 220, à la page 222, [1966] R.C.É. 91, conf. par (1966), 50 C.P.R. 220, [1966] R.C.S. 604.
[138] Apotex soutient que la revendication 23 a une portée plus large que l’invention divulguée, qui est limitée par les restrictions établies dans l’exposé de l’invention. Ces restrictions comprennent l’utilisation de délitants, l’utilisation d’une quantité d’oxyde alcalin qui ne masque pas le goût, l’exclusion de capsules, l’utilisation d ’épaississants (pour les suspensions) et le fait qu’elle se limite aux formes posologiques orales. La revendication en soi ne comprend pas ces restrictions. Bien que, dans l’exposé de l’invention, on prétende avoir inventé une nouvelle utilisation des formulations d’azithromycine qui n’interagissent pas avec les aliments, la revendication en soi vise toute formulation non associée à une telle interaction. Tel que l’a reconnu M. Rapp en contre-interrogatoire (dossier de la demande, pages 1280, 1286), la revendication 23 engloberait toute formulation de comprimé d’azithromycine qui n’a aucune interaction avec les aliments. De plus, la revendication est muette quant aux ingr édients nécessaires pour la forme posologique et aux détails concernant la préparation des formes posologiques.
[139] Pfizer convient que, mis à part les capsules, la revendication 23 ne renferme aucune restriction concernant les formes posologiques orales qui pourraient servir à traiter une infection microbienne avec de l’azithromycine chez un patient qui a mangé. La demanderesse prétend que, pour avoir une valeur pratique, le brevet doit viser toutes les versions pouvant donner le résultat souhaité, sans quoi n’importe qui pourrait utiliser l’invention dans les limites du domaine laissé « inoccupé » et le brevet aurait aussi si peu de valeur que s’il était invalide : Burton Parsons Chemicals, Inc. c. Hewlett-Packard (Canada) Ltd., [1976] 1 R.C.S. 555, (1974) 17 C.P.R. (2d) 97.
[140] À la page 8 du brevet, il est indiqué que les comprimés issus de l’invention doivent comprendre comme ingrédient, en plus de l’azithromycine, un délitant afin de favoriser la dissolution du médicament dans le tube digestif. Apotex soutient que la revendication 23 englobe tous les comprimés d’azithromycine, y compris ceux qui peuvent être préparés sans délitant. La revendication ne précise pas non plus si la forme posologique doit être orale ou s’il est possible d’utiliser une capsule.
[141] Selon mon interprétation de la revendication à la lumière de l’exposé de l’invention, il est clair que les formes posologiques doivent ê tre orales et que les capsules sont exclues. M. Mayersohn a été contre‑interrogé au sujet des déclarations de son affidavit selon lesquelles il n’était pas possible de déterminer ou de délimiter la nature des formes posologiques dans la revendication 23. Il a admis que l’interaction avec les aliments serait incompatible avec l’administration de formes posologiques autres qu’orales. Suivant mon interprétation du brevet, le but de l’invention était de résoudre le problème causé par les capsules. Or, il est concevable qu’on puisse élaborer sans délitant une capsule ou un comprimé qui n’aurait pas d’interaction avec les aliments. M. Rapp l’a laissé entendre dans son contre‑interrogatoire.
[142] Je reconnais la force de l’argument selon lequel la revendication 23 serait excessive parce qu’elle revendiquerait la propriété de toutes les formes posologiques d’azithromycine n’ayant pas d’interaction avec les aliments. Mais la présente espèce ne me paraît pas relever du cas que le juge Binnie a défini dans Free World Trust, précité, par l’exemple bien trouvé d’une revendication qui s’appliquerait à n’importe quel moyen de faire repousser les cheveux. Je ne suis pas disposé à conclure à l’ invalidité au seul motif de la portée excessive.
L’objet inadéquat
Une méthode de traitement
[143] Au Canada, comme dans d’autres pays du Commonwealth, les tribunaux ont statué que les méthodes de traitement médical ne sont pas visées par la définition que donne du terme « invention » l’article 2 de la Loi sur les brevets. L’arrêt le plus souvent cité à l’appui de cette proposition est Tennessee Eastman Co. et al. c. Commissaire des brevets, [1974] R.C.S. 111, (1972), 8 C.P.R. (2nd) 202.
[144] Selon Apotex, la revendication 23 ne constitue qu’une méthode expliquant aux médecins et aux pharmaciens comment traiter des patients avec de l’azithromycine et, en conséquence, n’est pas brevetable en vertu du principe énoncé dans Tennessee Eastman. Les autres composantes de la revendication ne sont pas nouvelles, soit l’utilisation de l’azithromycine dans le traitement des infections microbiennes et la formulation d’azithromycine en différentes formes posologiques.
[145] L’avocat de Pfizer fait valoir que la conclusion formulée dans Tennessee Eastman était fondée sur une disposition abrogée de la Loi sur les brevets. Le paragraphe 41(1) de la Loi en vigueur en 1972 prévoyait que ne pouvaient être revendiquées les substances destinées à l’alimentation ou à la médication, excepté dans le cadre d’une revendication de produit par procédé. Étant donné l’abrogation de cette disposition, il faudrait considérer comme ouverte la question de savoir si l’exception applicable aux méthodes de traitement devrait être maintenue. Quoi qu’il en soit, soutient Pfizer, la jurisprudence récente établit clairement le caractère brevetable d’une nouvelle utilisation d’une drogue connue : Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2001] 1 C.F. 495, (2000) 10 C.P.R. (4th) 65 (C.A.F.), conf. par [2002] 4 R.C.S. 153, [2002] CSC 77.
[146] Apotex attire l’attention de la Cour sur des décisions britanniques et australiennes portant sur le changement du régime de dosage de drogues connues. Dans une affaire relative au Taxol, la Cour d’appel du Royaume‑Uni a déclaré non brevetable la découverte qu’une infusion de trois heures produisait les mêmes résultats thérapeutiques, avec moins de neutropénie, qu’une infusion de 24 heures : Bristol‑Myers Squibb Co. c. Baker Norton Pharmaceuticals Inc., [1999] R.P.C. 253, aux paragraphes 43 et 44 [Bristol‑Myers].
[147] En ce qui concerne l’alendronate, utilisé pour traiter l’ostéoporose, on prescrivait 10 mg par jour en suivant une posologie stricte et difficile à respecter, particulièrement pour les personnes âgées. Le régime thérapeutique quotidien causait d’importants effets secondaires digestifs chez certains patients. Or, on a découvert que l’administration de 70 mg une fois par semaine permettait de réduire considérablement les effets secondaires du médicament tout en préservant sa valeur thérapeutique. La Cour d’appel, remplaçant le terme « alendronate » par « Taxol » dans son analyse, est arrivée à la même conclusion que dans Bristol-Myers, tout comme la Cour d’appel fédérale d’Australie : Instituto Gentili SpA. c. Teva Pharmaceutical Industries Ltd., [2003] All E.R. 62, par. 59 (C.A.F.); Arrow Pharmaceuticals Ltd., c. Merck & Co., Inc . [2004] C.A.F. 1282, par. 80-97 (Austrl.).
[148] Dans Merck & Co. Inc. c. Apotex Inc., (2005) 41 C.P.R. (4th) 35, 2005 CF 755, j’ai refusé de conclure que le brevet canadien concernant une dose hebdomadaire d’alendronate était invalide en tant que méthode de traitement pour le motif que les brevets sont considér és hors de la portée de Tennessee Eastman du moment que les revendications peuvent être distinguées des tâches d’un médecin nécessitant l’exercice d’une compétence spécialisée.
[149] Il ressort du libellé de la revendication 23 que celle-ci ne fait qu’aviser les mé decins et les pharmaciens que les comprimés d’azithromycine peuvent être administrés pour traiter des infections microbiennes sans qu’il soit nécessaire de vérifier si le patient a mangé ou non. La revendication n’explique pas comment traiter le patient. En conséquence, je ne vois aucun motif d’invalider la revendication en vertu du principe énoncé dans Tennessee Eastman.
Une simple découverte
[150] Apotex soutient que les prétendus inventeurs du brevet 071 n’ont fait qu’exposer les caractéristiques intrinsèques de formulations en comprimés et en suspensions qui étaient déjà entièrement divulguées et intégrées à l’état de la technique, ce qui constitue une découverte et non une activité inventive. La défenderesse explique que si la découverte découlait inévitablement de l’application d’instructions appartenant à l’état de la technique, il importe peu qu’elle ait ou non été réalisée par le lecteur compétent des publications antérieures.
[151] Pfizer réplique qu’ en invoquant cet argument, Apotex essaie tout simplement de plaider l’évidence une deuxième fois. Il ne s’agit pas ici d’une revendication portant simplement sur un comprimé. Nous avons affaire à une nouvelle utilisation de l’azithromycine. Celle-ci peut désormais être utilisée pour traiter des patients à qui on aurait dit auparavant qu’ils ne pouvaient en prendre à moins d’être à jeun. La découverte d’une nouvelle utilisation d’un composé connu est inventive et brevetable en tant qu’elle présente « le caractère de la nouveauté et de l’utilité » : Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2001] 1 C.F. 495, aux paragraphes 64 et 65, (2000) 10 C.P.R. (4th) 65 (C.A.F.); et Shell Oil Co. c. Canada (Commissaire des brevets), [1982] 2 R.C.S. 536, aux pages 548 et 549 [Shell Oil].
[152] Apotex invoque Sharpe & Dohme Inc. c. Boots Pure Drug Co.Ltd, (1928), 45 R.P.C. 53 (C.A.), aux pages 191 et 192, où la Cour d’appel d’Angleterre a statué que l’établissement des propriétés salutaires de certaines résines alkydes, malgré son importance et son utilité, ne constituait pas une invention brevetable, mais tout au plus une vérification. Pfizer invoque de son côté l’arrêt Shell Oil, précité, où la Cour suprême du Canada a conclu à la brevetabilité d’une nouvelle utilisation d’un composé connu.
[153] À la page 335 de Riello Canada Inc. c. Lambert (1986), 9 C.P.R. (3d) 324, 8 C.I.P.R. 286 (C.F. 1re inst), le juge Strayer cite, comme expression classique de la distinction entre la « découverte » et l’« invention », les observations suivantes formulées par lord Buckley dans Reynolds c. Herbert Smith & Co., Ltd. (1902), 20 R.P.C. 123 (Ch.D) :
[traduction] La découverte ajoute à la connaissance humaine mais elle ne le fait qu’en levant le voile et montrant quelque chose qui jusqu’alors n’avait pas été vu ou à peine distingué. L’invention ajoute aussi à la connaissance humaine mais pas seulement en découvrant quelque chose. L’invention exige nécessairement aussi l’accomplissement d’un acte et il doit s ’agir d’un acte qui donne un nouveau produit, un nouveau résultat, un nouveau procédé, ou une nouvelle combinaison pour produire un ancien produit ou un ancien résultat.
[154] Dans le cas qui nous occupe, l’utilisation est la même. La seule différence réside dans l’état du patient qui fait l’objet du traitement. La preuve n’indique pas que l’interaction avec les aliments présentait un problème important. Il y avait tout au plus le désagrément de devoir éviter de prendre les capsules pendant l’heure précédant l’absorption d’aliments ou pendant deux heures après avoir mangé. Ce n’est pas là un problème dont on a impatiemment attendu la solution durant de nombreuses années.
[155] Au paragraphe 59 de Bristol-Myers, précité, la Cour d’appel du Royaume‑Uni a fait observer ce qui suit à propos de la découverte qu’une infusion de Taxol de trois heures était tout aussi efficace qu’une infusion de 24 heures et produisait moins d’effets indésirables : [TRADUCTION] « il ne s’agit pas ici du tout d’une seconde utilisation médicale. L’utilisation est la même. La seule nouveauté du brevet est un supplément d’information sur cette utilisation. »
[156] À mon sens, le brevet 071 n’a pas pour objet une nouvelle utilisation médicale de l’azithromycine. L’utilisation, à savoir le traitement d’une infection microbienne, reste la même. Les formes posologiques étaient connues. La quantité thérapeutiquement efficace de la drogue est la même. La biodisponibilité de la drogue est maintenue. La seule nouveauté est la découverte que l’azithromycine, sous forme de comprimés ou de suspensions, peut être prise sans effet indésirable par un patient qui a mangé. Ce n’est pas là un nouveau résultat ou un nouveau proc édé, mais une simple découverte des propriétés existantes de la drogue lorsqu’elle est administr ée sous une forme posologique différente.
La contrefaçon
[157] De ma conclusion selon laquelle le brevet 071 est invalide pour le motif que son objet est évident et constitue une simple découverte, il suit que le produit d’Apotex, soit le comprimé de 250 mg d’isopropanolate monohydrate d’azithromycine, ne contrefera pas la revendication considérée.
[158] Cependant, pour le cas où l’on jugerait que mes conclusions sont erronées, je traiterai brièvement des questions relatives à la contrefaçon.
La défense fondée sur l’arrêt Gillette
[159] Le moyen de défense défini par la Chambre des lords dans Gillette Safety Razor, précité, peut être invoqué lorsque le produit qu’on déclare contrefaire le brevet en question est fabriqué conformément à l’état de la technique. Si le produit contrefait le brevet tel qu’il est formulé, celui-ci se heurte nécessairement à une antériorité et est par consé quent invalide. Le recours par Apotex à ce moyen de défense se fonde sur la thèse que sa formulation est la préparation de comprimé décrite à l’exemple 4 du brevet 531.
[160] Pfizer ne conteste pas le fait que le comprimé d’Apotex sera formulé conformément à l’état de la technique. Elle soutient cependant que la défense Gillette est ici dénuée de pertinence parce que l’invention faisant l’objet de la revendication 23 est la nouvelle utilisation de l’azithromycine pour traiter un patient qui a mangé, et non une formulation de comprimé considérée abstraitement. Or, comme je l’ai dit plus haut, je rejette cette interprétation de la revendication 23.
[161] Les deux experts de Pfizer, M. Rapp et le Dr Andriole, voient l’objet de la revendication 23 du brevet 071 comme étant l’utilisation de l’azithromycine dans la préparation d’une formulation pharmaceutique n’ayant pas d’interaction avec les aliments (paragraphe 47 de l’affidavit d’Andriole, page 968 du dossier des demanderesses; paragraphe 61 de l’affidavit de Rapp, pages 51 et 52 du même dossier). Ce point de vue concorde avec mon interprétation de la revendication. En conséquence, je conclurais que, comme elle appartient à l’état de la technique – le brevet 531 – , la formulation d’Apotex ne contreferait pas la revendication 23 du brevet 071, à moins que ce dernier ne soit invalide pour cause d’antériorité.
L’absence de contrefaçon directe ou indirecte
[162] Apotex soutient que son produit, l’Apo‑Azithromycine, ne contrefera ni directement ni indirectement les revendications du brevet 071. Pour ce qui concerne la contrefaçon directe, Apotex, en tant qu’elle ne prescrit ni ne prépare de médicaments, ne peut absolument pas contrefaire directement le brevet si la revendication 23 porte bien, comme l’affirme Pfizer, sur une utilisation thérapeutique. Qui plus est, les comprimés ne seront pas expressément désignés comme conçus pour être administrés à un patient ayant mangé. La monographie de produit accompagnant l’avis de conformité ne stipulera pas que les comprimés seront absorbés après que le patient aura mangé, sous réserve que le brevet soit déclaré valide. Quoi qu’il en soit, fait valoir Apotex, aucun élément de preuve ne tend à établir que ses comprimés, s’ils sont administrés à des patients ayant mangé, n’auront pas d’interaction avec les aliments. Les seuls essais de son produit figurant au dossier sont des essais de bioéquivalence effectués sur des sujets à jeun. Par conséquent, il n’a été produit devant la Cour aucun élément de preuve selon lequel l’approbation de sa version de l’azithromycine entraînera une contrefaçon directe du brevet 071.
[163] Pfizer n’a pas explicitement abordé la question de la contrefaçon directe, mais soutient que la contrefaçon indirecte est inévitable. Comme le produit d’Apotex sera bioéquivalent au ZITHROMAX, l’engagement ou la monographie de produit n’empêchera pas les médecins de prescrire, ni les pharmaciens de préparer, le produit d’Apotex pour administration à des patients ayant mangé.
[164] Pfizer a produit à l ’appui de sa thèse de la contrefaçon les témoignages de M. Spiridon Groussios, pharmacien licencié, et du Dr Frank Martino, médecin de famille, obstétricien et médecin des urgences, qui tous deux exercent actuellement en Ontario.
[165] Le Dr Martino a déclaré prescrire fréquemment du ZITHROMAX, mais il a ajouté qu’il prescrirait volontiers un équivalent générique. Si la monographie de produit était muette sur la question de l’interaction avec les aliments, il en conclurait que la drogue peut être prise avec des aliments. Il ne pouvait, certes, parler au nom de tous les médecins, il n’avait pas lu la monographie de produit d’Apotex et il n’était pas au fait de la réglementation applicable aux présentations de drogue nouvelle; il a en outre admis en contre‑interrogatoire que les différences dans les formulations de comprimés pouvaient avoir des effets notables sur la maniè re dont ils réagiraient à la présence d’aliments. En fin de compte, il a répondu par la négative à la question, posée en contre‑interrogatoire, de savoir si, incertain des propriétés d’un médicament générique, il prescrirait celui-ci ou autoriserait le pharmacien à remplacer le produit de marque par un produit générique.
[166] M. Groussios a déclaré que la promesse formelle d’Apotex de ne pas commercialiser son azithromycine expressément à l’intention des patients ayant mangé ne veut pas dire grand‑chose, étant donné la pratique des pharmaciens. L’absence d’instructions explicites à cet égard amènerait le pharmacien soit à supposer l’absence d’interaction avec les aliments, soit à consulter l’article relatif au ZITHROMAX du Compendium des produits et spécialités pharmaceutiques. Contre-interrogé sur son affidavit, M. Groussios a reconnu que si le produit d’Apotex n’était approuvé que pour certaines utilisations, il en serait vraisemblablement informé et ne le préparerait pas pour les usages non approuvés.
[167] Pour obtenir gain de cause dans une demande d’interdiction formée sous le régime du Règlement relativement à un brevet dit « d’utilisation » dont il allègue la contrefaçon indirecte, le breveté doit prouver que des tiers soumettraient effectivement le produit de la seconde personne à une utilisation revendiquée dans le brevet de la première personne, et que la seconde personne a activement incité ou encouragé des tiers à une telle utilisation : AB Hassle Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (2002), 22 C.P.R. (4th) 1, aux paragraphes 47 à 59, 2002 CAF 421. Pour inciter ou amener une autre personne à contrefaire un brevet, il faut faire quelque chose d’actif. La simple passivité ne suffit pas : Beloit, précité, aux pages 46 et 47.
[168] Le dossier ne contient aucun élément tendant à établir qu’Apotex a activement encouragé ou encouragerait activement des tiers à contrefaire le brevet de Pfizer, dans le cas où celui-ci serait déclaré valide et où il serait délivré à Apotex un avis de conformité l’autorisant à commercialiser son produit avec la monographie proposée. On ne peut postuler que des médecins et des pharmaciens dignes de confiance prescriront ou prépareront une drogue pour administration à des patients ayant mangé si cette utilisation n’est pas indiquée. Par conséquent, malgré l’apparence d’invraisemblance que je trouve à la position d’Apotex, je ne puis conclure que Pfizer s’est acquittée de sa charge d’établir suivant la prépondérance de la preuve que l’intention de la d éfenderesse de vendre son Apo‑Azithromycine contrefera le brevet de la demanderesse, et je dois conclure que l’allégation d’absence de contrefaçon est fondée.
L’admissibilité à l’inscription au registre des brevets
[169] Apotex soutient que le brevet 071 est indûment inscrit au registre des brevets au titre des comprimés d’azithromycine de 250 mg parce qu’il a été inscrit hors délai sous le régime du Règlement et ne se rapportait pas aux demandes d’avis de conformité avec lesquelles il a été inscrit. Pfizer fait valoir que, dans l’hypothèse où l’inscription ferait l’objet d’une préoccupation légitime, il aurait fallu en saisir la Cour par voie de requête préliminaire en vertu du paragraphe 6(5) du Règlement.
[170] L’article 3 du Règlement prévoit que le ministre tient un registre des brevets à l’égard des drogues contenant un médicament pour lesquelles un avis de conformité a été délivré. Les paragraphes 4(3) et (4) régissent la chronologie de l’inscription des brevets au registre :
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LISTE DE BREVETS
4. (1) La personne qui dépose ou a déposé une demande d'avis de conformité pour une drogue contenant un médicament ou qui a obtenu un tel avis peut soumettre au ministre une liste de brevets à l'égard de la drogue, accompagnée de l'attestation visée au paragraphe (7) [...] |
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PATENT LIST
4. (1) A person who files or has filed a submission for, or has been issued, a notice of compliance in respect of a drug that contains a medicine may submit to the Minister a patent list certified in accordance with subsection (7) in respect of the drug.... |
(3) Sous réserve du paragraphe (4), la personne qui soumet une liste de brevets doit le faire au moment du dépôt de la demande d'avis de conformité. |
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(3) Subject to subsection (4), a person who submits a patent list must do so at the time the person files a submission for a notice of compliance. |
(4) La première personne peut, après la date de dépôt de la demande d'avis de conformité et dans les 30 jours suivant la délivrance d'un brevet qui est fondée sur une demande de brevet dont la date de dépôt est antérieure à celle de la demande d'avis de conformité, soumettre une liste de brevets, ou toute modification apportée à une liste de brevets [...] |
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(4) A first person may, after the date of filing of a submission for a notice of compliance and within 30 days after the issuance of a patent that was issued on the basis of an application that has a filing date that precedes the date of filing of the submission, submit a patent list, or an amendment to an existing patent list... |
[171] La question du délai se pose parce que Pfizer a déposé sa présentation originale de drogue nouvelle pour ses comprimés de 250 mg le ou vers le 15 septembre 1994 (l’avis de conformité a été délivré le 21 février 1996), alors que le brevet 071 n’a été délivré que le 17 octobre 2000. La présentation de 1994 portait sur un régime de dosage de cinq jours : 500 mg (deux comprimés de 250 mg) le premier jour, puis 250 mg respectivement les quatre autres jours. Pfizer a par la suite déposé une demande d’AC supplémentaire à l’égard d’un comprimé de 500 mg, ainsi que d’un régime de dosage accéléré d’azithromycine pour adultes prévoyant l’administration quotidienne de 500 mg pendant trois jours. L’AC supplémentaire a été délivré le 5 août 2003. Le 13 août 2003, le brevet 071 a été inscrit au registre à l’égard des comprimés de 250 aussi bien que de 500 mg.
[172] Par conséquent, selon Apotex, le brevet 071 a été indûment inscrit au registre à l’égard des comprimés de 250 mg puisqu ’il était hors délai au 13 août 2003. Pfizer aurait dû prendre des mesures pour faire inscrire le brevet dans les 30 jours suivant sa délivrance en octobre 2000. Comme l’AC supplémentaire ne se rapportait pas aux comprimés de 250 mg, mais à ceux de 500 mg et au régime de dosage accéléré, le brevet 071 ne pouvait ê tre à bon droit inscrit dans le cadre de cette demande d’avis de conformité. Ce cas, fait valoir Apotex, rel ève à tous égards de la décision rendue par le juge Huguessen dans Novopharm Ltd. c. Canada (1998), 78 C.P.R. (3d) 54 (C.F. 1re inst.).
[173] Manifestement, le comprimé de 500 mg pourrait être utilisé soit le premier jour du premier régime de dosage (au lieu des deux comprimés de 250 mg), soit chacun des trois jours du nouveau régime. En quoi cela justifie-t-il l’inscription du brevet 071 à l ’égard des comprimés de 250 mg si longtemps après l’expiration du délai? Je ne puis voir aucune justification à ce qui paraît avoir été fait. En réponse à une question écrite, Mme Pesant, employée de Pfizer, a expliqué que les comprimés de 250 mg avaient été inscrits relativement au nouveau traitement de trois jours. Mais ces comprimés avaient été approuvés longtemps auparavant et n’étaient pas visés par la présentation de drogue nouvelle. En réponse à une autre question, Pfizer a refusé de produire la monographie de produit antérieure à la présentation du 30 août 2001, qui aurait peut‑être contribué à la résolution de ce problème.
[174] Convient-il de permettre à Apotex de soulever cette question à la présente étape de la procédure MB(AC)?
[175] Le paragraphe 6(5) du Règlement prévoit que, lors de l’instance relative à la demande en interdiction de délivrer un AC visée au paragraphe 6(1), le tribunal peut, sur requête, rejeter cette demande s’il estime que les brevets en question ne sont pas admissibles à l’inscription au registre. Cela permet au défendeur à la demande visée au paragraphe 6(1) d’exercer, si les conditions nécessaires sont réunies, un recours procédural semblable à une requête en radiation d’actes de procédure : Compagnie pharmaceutique Procter & Gamble c. Ministre de la Santé (2003) 26 C.P.R. (4th) 180, au paragraphe 14.
[176] L’objet principal de la radiation d’actes de procédure sous le régime de l’article 221 des Règles de la Cour fédérale (1998) (et des recours similaires tels que le jugement sommaire visé à l’article 213 des mêmes Règles) est d’éviter les pertes de temps et le gaspillage de ressources aux plaideurs et aux tribunaux. Lorsque la procédure peut être simplifiée, elle doit l’être, et les mesures nécessaires doivent être prises dès que possible. Je note que, selon l’article 213 des Règles, une requête en jugement sommaire ne peut être présentée après que la date de l’instruction a été fixée, et qu’ est irrecevable la requête en radiation que le requérant a tardé indûment à former : Radil Bros. Fishing Co. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) (2003), 230 F.T.R. 228, 2003 CFPI 79.
[177] Apotex aurait pu présenter une requête sous le régime de l’alinéa 6(5)a) du Règlement avant l’ audience portant sur la présente demande. Elle fait valoir qu’il eût été imprudent de le faire, que temps et ressources auraient probablement été ainsi gaspillés en raison des conditions rigoureuses auxquelles est subordonnée la radiation d’une demande, et que l’inscription au registre était si manifestement irrégulière qu’elle n’avait aucune chance d’être sanctionnée : David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc. et al., [1995] 1 C.F. 588, 58 C.P.R. (3d) 209 (C.A.). Le dépôt d’une telle requête à la présente étape – à supposer qu’il soit possible – procurerait un avantage tactique à Apotex, la charge de réfuter les allégations incombant alors aux demanderesses, alors qu’elle aurait dû supporter elle‑même cette charge dans une requête préliminaire en rejet.
[178] Je conclus qu’Apotex peut présenter son allégation dans le cadre de la présente instance et n’est pas tenue de former une requête sous le régime du paragraphe 6(5) avant l’audience sur la demande visée au paragraphe 6(1). J’estime en outre que Pfizer n’a pas établi suivant la prépondérance de la preuve que le brevet 071 a été inscrit à bon droit au registre, étant donné qu’il était hors délai lorsqu’a été délivré l’avis de conformité relatif au régime de dosage accéléré des comprim és de 500 mg.
Conclusion
[179] Pour les motifs qui précèdent, j’estime que le brevet 071 est invalide pour cause d’évidence et parce qu’il revendique une simple découverte. Je tiens également pour établi que le produit d’Apotex désigné « Apo‑Azithromycine » ne contrefera pas les revendications de ce brevet. Par conséquent, Pfizer ne s’est pas acquittée de la charge de prouver que les allégations d’invalidité et de contrefaçon ne sont pas fondées, et la présente demande sera rejetée.
LES DÉPENS
[180] Les parties conviennent qu’il n’y a aucune raison de s’écarter du barème ordinaire des dépens de la colonne III. Elles demandent qu’il soit tenu compte de la présence d’un second avocat à l’audience, et j’accède à cette demande. Le ministre de la Santé n’ayant pas formulé d’observations dans la présente espèce, je ne rends pas d’ordonnance en sa faveur pour ce qui concerne les dépens.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la requête soit rejetée et que les dépens, calculés suivant le barème ordinaire et compte tenu de la présence d’un second avocat à l’audience, soient adjugés à la défenderesse.
« Richard G. Mosley »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne Bolduc, LL.B.
ANNEXE A
Les revendications
[TRADUCTION]
1. Une forme posologique orale d’azithromycine sous forme de comprimé obtenu par granulation humide, qui peut être administré a un mammifère ayant mangé, qui contient de l’azithromycine et un délitant et qui n’a aucune interaction notable avec les aliments, la forme posologique permettant la dissolution d’au moins environ 90 % de l’azithromycine en l’espace d’environ 30 minutes, lorsqu’une quantité de la forme posologique équivalant à 200 mg d’azithromycine est mise à l’essai conformément à la méthode USP <711> dans un appareil de dissolution USP-2 dans des conditions satisfaisant aux critères minimaux suivants : 900 mL d’un tampon de phosphate de sodium, pH de 6,0, température de 37 °C, vitesse de rotation de 100 tr/min, pourvu que la forme posologique ne contienne pas d’oxydes ni d’hydroxydes de métaux alcalino-terreux en quantité suffisante pour masquer le goût.
2. Une forme posologique telle que définie à la revendication 1, le mammifère visé étant ici un humain.
3. Une forme posologique orale d’azithromycine sous forme de poudre pour suspension buvable, qui peut être administrée à un mammifère ayant mangé, qui contient de l’azithromycine, un ou plusieurs agents épaississants et un tampon anhydre et qui n’a aucune interaction notable avec les aliments, la forme posologique permettant la dissolution d’au moins environ 90 % de l’azithromycine en l’espace d’environ 30 minutes, lorsqu’une quantité de la forme posologique équivalant à 200 mg d’azithromycine est mise à l’essai conformément à la méthode USP <711> dans un appareil de dissolution USP-2 dans des conditions satisfaisant aux critères minimaux suivants : 900 mL d’un tampon de phosphate de sodium, pH de 6,0, température de 37 °C, vitesse de rotation de 100 tr/mn, pourvu que la forme posologique ne contienne pas d’oxydes ni d’hydroxydes de métaux alcalino-terreux en quantité suffisante pour masquer le goût.
4. Une forme posologique telle que définie dans la revendication 3, le mammifère visé étant ici un humain.
5. Une forme posologique, telle que définie dans la revendication 4, sous forme de suspension produite à partir de la poudre.
6. Une forme posologique orale d’azithromycine sous forme de sachet-dose, qui peut être administrée à un mammifère ayant mangé, qui contient de l’azithromycine et un agent dispersant et qui n’a aucune interaction notable avec les aliments, la forme posologique permettant la dissolution d’au moins environ 90 % de l’azithromycine en l’espace d’environ 30 minutes, lorsqu’une quantité de la forme posologique équivalant à 200 mg d’azithromycine est mise à l’essai conformément à la méthode USP <711> dans un appareil de dissolution USP-2 dans des conditions satisfaisant aux critères minimaux suivants : 900 mL d’un tampon de phosphate de sodium, pH de 6,0, température de 37 °C, vitesse de rotation de 100 tr/min, pourvu que la forme posologique ne contienne pas d’oxydes ni d’hydroxydes de métaux alcalino-terreux en quantité suffisante pour masquer le goût.
7. Une forme posologique telle que définie dans la revendication 6, le mammifère visé étant ici un humain.
8. Une forme posologique, telle que définie dans la revendication 7, sous forme de suspension produite à partir du sachet-dose.
9. Une forme posologique orale d’azithromycine sous forme de comprimé produit par granulation humide, qui peut être administrée à un mammifère ayant mangé, qui contient de l’azithromycine et un délitant et qui n ’a aucune interaction notable avec les aliments, la forme posologique présentant une valeur (AUCfed)/AUCfst) d’au moins 0,80 et une limite inférieure de confiance à 90 % d’au moins 0,75, pourvu que la forme posologique ne contienne pas d’oxydes ni d’hydroxydes de métaux alcalino-terreux en quantité suffisante pour masquer le goût.
10. Une forme posologique telle que définie dans la revendication 9, le mammifère visé étant ici un humain.
11. Une forme posologique orale d’azithromycine sous forme de poudre pour suspension buvable, qui peut être administrée à un mammifère ayant mangé, qui contient de l’azithromycine, un ou plusieurs agents épaississants et un tampon anhydre et qui n’a aucune interaction notable avec les aliments, la forme posologique présentant une valeur (AUCfed)/AUCfst) d’au moins 0,80 et une limite inférieure de confiance à 90 % d’au moins 0,75, pourvu que la forme posologique ne contienne pas d’oxydes ni d’hydroxydes de métaux alcalino-terreux en quantité suffisante pour masquer le goût.
12. Une forme posologique telle que définie dans la revendication 11, le mammifère visé étant ici un humain.
13. Une forme posologique telle que définie dans la revendication 12, le mammifère visé étant ici est un humain.
14. Une forme posologique orale d’azithromycine sous forme de sachet-dose, qui peut être administrée à un mammifère ayant mangé, qui contient de l’azithromycine et un agent dispersant et qui n’a aucune interaction notable avec les aliments, la forme posologique présentant une valeur (AUCfed)/AUCfst) d’au moins 0,80 et une limite inférieure de confiance à 90 % d’au moins 0,75, pourvu que la forme posologique ne contienne pas d’oxydes ni d’hydroxydes de métaux alcalino-terreux en quantité suffisante pour masquer le goût.
15. Une forme posologique telle que définie dans la revendication 14, le mammifère visé étant ici un humain.
16. Une forme posologique telle que définie dans la revendication 15, sous forme de suspension produite à partir du sachet-dose.
17. Un conditionnement pour le traitement, qui comprend un contenant, une forme posologique orale d’azithromycine, telle que définie dans l’une des revendications 1 à 16 du présent brevet, et une documentation écrite ne se limitant pas à indiquer si la forme posologique peut être prise ou non avec de la nourriture.
18. Un conditionnement pour le traitement, tel que défini dans la revendication 17, dans lequel la forme posologique est un comprimé.
19. Un conditionnement pour le traitement, tel que défini dans la revendication 17, dans lequel la forme posologique est une poudre pour suspension buvable.
20. Un conditionnement pour le traitement, tel que défini dans la revendication 19, dans lequel la forme posologique est une suspension produite à partir de la poudre.
21. Un conditionnement pour le traitement, tel que défini dans la revendication 17, dans lequel la forme posologique est un sachet-dose.
22. Un conditionnement pour le traitement, tel que défini dans la revendication 21, dans lequel la forme posologique est une suspension produite à partir du sachet-dose.
23. L’utilisation d’une quantité thérapeutiquement efficace d’azithromycine dans la préparation d’une forme posologique pharmaceutique qui n’a aucune interaction avec les aliments lorsqu’elle est administrée, dans le cadre d’un traitement contre une infection microbienne, à un patient qui a mangé.
24. Un comprimé d’azithromycine destiné à un patient humain, peu importe qu’il ait mangé ou non, qui contient :
une quantité de 25 mg à 3 g d’azithromycine
une quantité d’agent délitant correspondant à 1 à 25 % du poids total du comprimé, et
au moins un excipient pharmaceutiquement acceptable, pourvu que le comprimé ne contienne pas d’oxydes ni d’hydroxydes de métaux alcalino-terreux ou qu’il n’en contienne pas en quantité suffisante pour masquer le goût,
le comprimé n’ayant aucune interaction notable avec les aliments, qu’il présente une valeur (AUCfed)/AUCfst) d’au moins 0,80 et une limite inférieure de confiance à 90 % entre 0,75 et 1,40 et qu’il soit produit par granulation humide.
25. Un comprimé tel que défini dans la revendication 24, qui contient, comme agent délitant, au moins un des produits suivants, à raison de 3 à 15 % du poids total du comprimé : croscarmellose sodique, glycolate d’amidon sodique, cellulose microcristalline et polyvinylpyrrolidone réticulée.
26. Un comprimé tel que défini dans la revendication 25, qui contient, comme agents délitants, de la croscarmellose sodique et de l’amidon prégélatinisé.
27. Un comprimé tel que défini dans l’une des revendications 22 à 26, enrobé d’un film d’hydroxypropylméthylcellulose, d’hydroxypropylcellulose ou de copolymère acrylate-méthacrylate.
28. Un conditionnement pour le traitement qui sera vendu dans le commerce et qui comprend un contenant, le comprimé tel que défini dans l’une des revendications 24 à 27 du présent brevet et un message écrit indiquant si le comprimé peut être pris ou non avec de la nourriture.
29. Une poudre d’azithromycine à écoulement fluide, qui ne forme pas de grumeaux, conçue pour ê tre préparée par un pharmacien dans une suspension orale destinée à un patient humain, peu importe qu’il ait mangé ou non, qui contient une dose d’azithromycine efficace contre les microbes, au moins un agent épaississant (de 0,1 à 2 %) et un tampon anhydre ou un agent modificateur du pH assurant un pH d’environ 10 dans la suspension (de 0,1 à 2,5 % du poids total de la poudre), pourvu que la poudre ne contienne pas d’oxydes ni d’hydroxydes de métaux alcalino-terreux ou qu’elle n’en contienne pas en quantité suffisante pour masquer le goût, qu’ elle n’ait aucune interaction notable avec les aliments et qu’elle présente une valeur (AUCfed)/AUCfst) entre 0,80 et 1,25 et une limite inférieure de confiance à 90 % entre 0,75 et 1,40.
30. Une poudre telle que définie dans la revendication 29, dans laquelle l’agent épaississant comprend au moins un des produits suivants : gomme de xanthane, gomme de guar, gomme de caroube, gomme adragante, carboxyméthylcellulose sodique, polyvinylpyrrolidone et hydroxypropylcellulose.
31. Une poudre telle que définie dans la revendication 30, qui contient, comme agent dispersant, de la silice sublimée à raison de 0,2 à 2,0 % du poids total de la poudre.
32. Un sachet-dose qui contient la poudre décrite dans la revendication 29, 30 ou 31 et censée être versée dans de l’eau ou dans un jus de fruits naturel ou artificiel pour produire la suspension buvable.
33. Un conditionnement pour le traitement qui sera vendu dans le commerce et qui comprend un contenant, le sachet-dose, tel que d éfini dans la revendication 32 du présent brevet, et un message écrit indiquant si la suspension peut être prise ou non avec de la nourriture.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T‑1937‑03
INTITULÉ : PFIZER CANADA INC. et PFIZER INC.
et
LE MINISTRE DE LA SANTÉ et APOTEX INC.
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : DU 25 AU 27 JUILLET 2005
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE MOSLEY
DATE DES MOTIFS : LE 17 OCTOBRE 2005
COMPARUTIONS :
Sheila Block POUR LES DEMANDERESSES
Andrew Shaughnessy
Andrew Bernstein
Harry Radomski POUR LES DÉFENDEURS
Andrew Brodkin
Sorelle Simmons
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Sheila Block POUR LES DEMANDERESSES
Andrew Shaughnessy
Andrew Bernstein
Torrys LLP
Toronto (Ontario)
Harry Radomski POUR LES DÉFENDEURS
Andrew Brodkin
Sorelle Simmons
Goodmans LLP
Toronto (Ontario)
John H. Sims, c.r. POUR LES DÉFENDEURS
Sous‑procureur général du Canada
Toronto (Ontario)