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Date : 20051014

Dossier : T-2039-02

Référence : 2005 CF 1411

ENTRE :

DANIEL ASSH

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HUGHES

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision datée du 6 novembre 2002 au dernier palier de la procédure de grief introduite par Daniel Assh auprès du ministère des Anciens Combattants, décision portant que le demandeur ne devrait pas recevoir un legs de 5 000 $ prévu en sa faveur dans le testament de feue Maria Adrienne Orn.

[2]                Pendant toute la période pertinente, le demandeur, un fonctionnaire, travaillait comme avocat-conseil des pensions au ministère des Anciens Combattants. Ce poste est un peu curieux en ce sens que, tout en travaillant pour le gouvernement, qui le rémunère, son titulaire a pour mandat d'agir comme défendeur des anciens combattants qui désirent obtenir du ministère ou faire bonifier une pension ou d'autres prestations. La description de travail pour ce poste prévoit notamment ce qui suit :

[traduction]

Conseiller les clients, leurs représentants et les témoins sur le processus des pensions, notamment quant à la preuve documentaire, orale et sous forme d'opinion devant être présentée au Tribunal au soutien de la cause en vue d'obtenir une décision favorable. Recommander les sources possibles de tels renseignements, pour que les clients puissent entreprendre les démarches pour parvenir à se faire accorder des prestations légitimes, et les diriger vers d'autres services au besoin. Fournir aux clients et à leurs représentants des opinions juridiques montrant la nécessité d'étayer les demandes de pension au moyen de renseignements supplémentaires, et quant à la probabilité qu'ils obtiennent gain de cause.

***

Développer, de vive voix et par écrit, des arguments au soutien de la demande de pension et d'autres prestations du client et les présenter au Tribunal pour que celui-ci juge de l'affaire sous son jour le plus favorable.

[3]                On confère à l'intéressé, au paragraphe 6.2(2) de la Loi sur le ministère des Anciens Combattants, L.R.C. 1985, ch. V-1, un privilège semblable au privilège des communications entre client et avocat.

(2) Les rapports entre le Bureau et quiconque demande son aide sont ceux qui existent entre un avocat et son client et le Bureau ne peut être contraint, dans aucune procédure devant le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), à communiquer des renseignements ou pièces en sa possession qui concernent cette personne.

[4]                Par conséquent, le titulaire du poste par conséquent, bien qu'il soit rémunéré par le gouvernement, veille comme avocat d'anciens combattants (ses clients) à obtenir pour eux du gouvernement le maximum de ce à quoi ils ont droit en termes de pension et d'autres prestations.

[5]                Entre 1993 et 1996, le demandeur a prêté assistance à Mme Maria Orn, comme avocat-conseil des pensions, relativement à certaines prestations de pension demandées. D'après la preuve irréfutée, le demandeur n'a été ni en rapport ni en communication avec Mme Orn depuis 1996.

[6]                Le 8 juillet 2001, Mme Orn a fait un testament, avec l'assistance d'un avocat, où elle prévoyait un certain nombre de legs particuliers pour des montants, par exemple, de 50 000 $, 1 000 $, 500 $ et 40 000 $, dont un legs de 500 $ à l'intention du demandeur. D'après la preuve irréfutée, encore une fois, le demandeur n'a pas cherché à obtenir un tel legs ni n'a eu connaissance de son existence avant que l'avocat de Mme Orn ne communique avec lui après le décès de cette dernière. Mme Orn est décédée quelque vingt-deux jours après avoir établi ce testament.

[7]                L'avocat de feue Mme Orn a échangé des lettres avec le demandeur au sujet de ce legs et, en réponse à une demande de précisions quant aux circonstances dans laquelle le legs avait été fait, il a déclaré ce qui suit dans une lettre au demandeur datée du 4 avril 2002 :

[traduction]

En réponse à votre lettre du 13 mars 2002, je désire vous informer par la présente que j'ai passé en revue les testaments de Mme Orn, à partir du testament conjonctif qu'elle avait fait avec feu son époux. Jusqu'au dernier testament de Mme Orn, établi quelques semaines avant son décès, il n'était fait aucune mention de vous dans son testament.

C'est à l'hôpital que Mme Orn m'a donné ses dernières instructions pour son testament. Elle m'a informé à ce moment-là qu'elle désirait vous faire un legs en raison de l'aide apportée pour qu'elle puisse obtenir les prestations auxquelles feu son époux avait droit. Elle m'a exprimé sa profonde gratitude à l'endroit des nombreuses personnes qui leur avaient prêté assistance, à elle et à son époux Joe, tout au long de leur existence et, à mon avis, la somme de 5 000 $ constituait une marque de reconnaissance pour l'aide que vous lui aviez apportée.

[8]                Le demandeur a rapidement signalé qu'on lui avait fait ce legs. Il a ainsi déclaré ce qui suit dans un courriel envoyé à son superviseur le 24 août 2001 :

[traduction]

Le secrétaire d'un certain M. Odishaw, avocat, m'a téléphoné ce matin pour m'informer qu'une ancienne cliente de ce dernier, Maria A. Orn (A.C. 4133005), avait eu une pensée pour moi dans son testament. Le legs en cause est de 5 000 $ et je ne vois là aucun conflit d'intérêts, puisque ne lui survit aucune personne à charge à qui je pourrais être utile à l'avenir et qu'elle-même n'attend assurément rien de moi, comme elle est décédée en juillet. J'ajouterai que je n'ai pas eu connaissance de ce legs avant la présente date du 24 août 2001. Je compte accepter ce legs.

[9]                En signalant le legs, le demandeur se conformait à la directive suivante du minstère des Anciens Combattants :

7. Les employés sont tenus, conformément à la politique du Conseil du Trésor régissant les conflits d'intérêts et l'après-mandat dans la fonction publique, de signaler immédiatement au fonctionnaire compétent, c.-à-d. le sous-ministre, les situations où il est démontré qu'un employé a été nommé à titre de bénéficiaire dans le testament d'un client. La procédure relative aux conflits d'intérêts s'applique.

[10]            La « procédure relative aux conflits d'intérêts » indiquée en l'espèce consistait en l'application par l'administration du Code régissant les conflits d'intérêts du Conseil du Trésor. Toutes les parties conviennent que les dispositions pertinentes du Code sont l'alinéa 6e) et les articles 27 et 28, qui se lisent comme suit :

Principes

6. Chaque employé doit se conformer aux principes suivants :

***

e)          mis à part les cadeaux, les marques d'hospitalité et les autres avantages d'une valeur minime, il lui est interdit de solliciter ou d'accepter les transferts de valeurs économiques, sauf s'il s'agit de transferts résultant d'un contrat exécutoire ou d'un droit de propriété;

***

Cadeaux, marques d'hospitalité et autres avantages

27. Les employés doivent refuser tout cadeau, marque d'hospitalité ou autre avantage qui risque d'avoir une influence sur leur jugement ou l'exercice de leurs fonctions officielles. Il est interdit aux employés d'accepter directement ou indirectement un cadeau, une marque d'hospitalité ou un avantage, offert par une personne, un groupe ou un organisme qui entretient des rapports avec le gouvernement.

28. Cependant, les employés peuvent, à l'occasion d'activités liées à leurs fonctions officielles, accepter des cadeaux, des marques d'hospitalité ou d'autres avantages d'une valeur peu importante, si ceux-ci :

a) sont conformes aux règles de la bienséance, de la courtoisie ou de l'hospitalité;

b) ne sont pas de nature à laisser planer des doutes quant à leur objectivité ou à leur impartialité; et

c) ne compromettent aucunement l'intégrité du gouvernement.

[11]            L'employeur du demandeur a informé ce dernier, par lettre envoyée le 15 avril 2002, qu'il ne pouvait accepter le legs. Le motif essentiel en était le suivant :

[traduction]

On ne peut raisonnablement estimer qu'un legs de 5 000 $ est conforme aux règles de la courtoisie. L'acceptation par des fonctionnaires de cadeaux ou de legs de clients peut soulever certains doutes et laisser croire à la population qu'on peut bénéficier d'un régime de faveur en en payant le prix, ce qui compromet l'intégrité du gouvernement. La population doit estimer que les fonctionnaires dispensent à tous des services équivalents.

[12]            Le demandeur a déposé un grief. Il fait connaître sa position dans une lettre du 26 juin 2002, dont voici un extrait :

[traduction]

En l'espèce, il est impossible de concevoir que j'aie pu être influencé par un legs n'ayant existé que cinq ans après qu'ont cessé mes fonctions officielles à l'endroit de feue l'ancienne cliente concernée. Selon moi, l'objet et le but duCode régissant les conflits d'intérêts et l'après-mandat s'appliquant à la fonction publique sont d'empêcher qu'on obtienne, contre rémunération, un régime de faveur et qu'il y ait même apparence d'une telle obtention. Compte tenu des faits de l'espèce, ni l'un ni l'autre cas de figure n'est possible.

[13]            On a rejeté le grief du demandeur aux premier et dernier paliers de la procédure de grief. Voici un extrait de la décision au premier palier :

[traduction]

Il ressort clairement de l'examen des faits que la seule relation entre vous et Mme Orn était celle existant entre un avocat et son client. Cette relation a découlé de fonctions exercées par vous pour le compte du ministère des Anciens Combattants, fonctions pour lesquelles le ministère vous a pleinement rémunéré conformément aux stipulations de votre convention collective. Il n'y a aucun doute dans mon esprit : Mme Orn vous a couché dans son testament pour montrer sa gratitude pour les efforts que vous avez consentis afin qu'elle ait gain de cause en appel à l'égard de sa pension de veuve. La somme de 5 000 $ ainsi versée comme marque de gratitude constitue, à mon avis, un cadeau d'importance. En regard de l'acceptation de cadeaux et de votre situation particulière, l'alinéa 6e) duCode régissant les conflits d'intérêts et l'après-mandat s'appliquant à la fonction publique prévoit qu'il est interdit pour un employé d'accepter les transferts de valeurs économiques, mis à part les cadeaux, les marques d'hospitalité et les autres avantages d'une valeur minime, sauf s'il s'agit de transfert résultant d'un contrat exécutoire ou d'un droit de propriété.

Je ne crois pas qu'il découle pour vous, de par le legs, soit un contrat exécutoire, soit un droit de propriété. J'estime en outre que l'article 27 du Code n'autorise pas le legs, comme l'alinéa 28a) exige que les avantages donnés soient « conformes aux règles de bienséance, de la courtoisie ou de l'hospitalité » . Pour ces motifs, il me faut malheureusement souscrire à la décision de M. Fenety et rejeter le grief.

Pour conclure, je désire vous féliciter pour la grande intégrité dont vous avez fait preuve en portant la question à mon attention dès qu'on vous a informé de l'existence du legs. Votre franchise et votre candeur tout au long du processus ont véritablement correspondu aux valeurs et au sens moral qu'on estime par-dessus tout dans notre organisation.

[14]            Voici maintenant un extrait de la décision au dernier palier :

[traduction]

Le but visé par le Code n'est pas d'empêcher les clients d'offrir des cadeaux ou d'autres marques de gratitude, mais plutôt d'interdire aux fonctionnaires d'accepter ceux-ci s'il en découle un conflit d'intérêts réel ou potentiel. J'attire votre attention sur les alinéas 6a), 6b), 6d) et 6e) du Code qui décrivent les obligations des employés à cet égard.

On ne peut interpréter l'article 27 du Code de manière étroite ni en faisant abstraction de nombreuses autres dispositions pertinentes du Code. Vous soutenez que, puisque le legs provient d'une cliente décédée, il ne serait pas possible que ce cadeau ait une influence sur votre jugement ou sur l'exercice de vos fonctions officielles à son égard. L'objet des diverses dispositions concernées du Code, toutefois, est d'empêcher qu'il y ait aux yeux du public un conflit d'intérêts réel ou potentiel du fait de l'exercice de vos fonctions officielles à l'endroit de clients actuels ou futurs.

Les décisions et actions du ministère ont pour cible l'employé et non l'auteur du legs, et c'est pour ce motif qu'on vous a enjoint de remettre le legs à la succession de la cliente décédée. On m'a donné comme avis juridique que rien ne fait obstacle au respect par vous de cette directive.

[15]            Insatisfait de la décision finale, le demandeur a porté l'affaire devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Dans une décision datée du 11 août 2004 sur laquelle je reviendrai plus longuement par la suite, un arbitre de la Commission a conclu que celle-ci avait compétence pour instruire le grief, qu'il fallait accueillir ce grief et que le fonctionnaire s'estimant lésé (le demandeur) avait le droit d'accepter le legs en cause.

[16]            Insatisfait à son tour de la décision de l'arbitre, le gouvernement a présenté à la Cour une demande de contrôle judiciaire. Dans une décision datée du 24 mai 2005 (Canada (Procureur général) c. Assh, 2005 C.F. 734), le juge suppléant Strayer de la Cour a annulé la décision de l'arbitre pour une question de compétence et renvoyé l'affaire aux fins d'un nouvel examen. On n'a pas interjeté appel de cette décision et, apparemment, l'affaire n'a pas été examinée de nouveau par l'arbitre. Le juge suppléant Strayer a déclaré ce qui suit, au paragraphe 16 de ses motifs :

16       Compte tenu de ce qui précède, il n'est ni nécessaire ni utile que j'examine le bien-fondé de la décision de l'arbitre étant donné que la décision a été rendue sans compétence et reposait sur une conclusion déraisonnable quant à l'application du paragraphe 92(1). La question du bien-fondé pourra être examinée dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision définitive rendue sur le grief, cette procédure étant pour le moment en suspens, comme je l'ai déjà indiqué. J'ajouterai simplement que rien dans les présents motifs ne devrait donner à penser que le défendeur n'aurait pas une cause défendable dans le cadre d'un tel contrôle judiciaire.

[17]            La Cour est maintenant saisie de l'affaire, après que celle-ci soit passée par ces longues étapes, par suite d'une demande de contrôle judiciaire de la décision au dernier palier de la procédure de grief. Lors de l'audience devant la Cour, l'avocat du demandeur a ramené à une seule les questions en litige, soit la suivante :

[traduction]

A-t-on commis une erreur au dernier palier de la procédure de grief en concluant que l'acceptation du legs enfreignait le Code régissant les conflits d'intérêts?

[18]            Il convient de se pencher d'abord sur le Code régissant les conflits d'intérêts et l'après-mandat s'appliquant à la fonction publique. Le Code n'est ni une loi ni un règlement; il s'agit d'un énoncé de politique qui prévoit la manière dont le gouvernement va se comporter et comment ses employés sont censés se comporter à l'égard de questions particulières, y compris les conflits d'intérêts. Les principes de la politique figurent dans le préambule, au début du Code :

Objectif de la politique

Renforcer la confiance du public dans l'intégrité de la fonction publique et de ses employés.

Énoncé de la politique

Le gouvernement a pour politique de minimiser les possibilités de conflit entre les intérêts personnels des employés et leurs fonctions officielles et, de régler ces cas échéants dans l'intérêt public.

Application

La présente politique s'applique à tous les ministères et autres éléments de la fonction publique énumérés à la partie 1 de l'annexe 1 de laLoi sur les relations de travail dans la fonction publique.

Exigences de la politique

Les employés doivent prendre des mesures pour éviter tout conflit réel, potentiel ou apparent, conformément aux principes et aux mesures énoncées dans leCode régissant les conflits d'intérêts et l'après-mandat s'appliquant à la fonction publique.

[19]            Il convient d'interpréter le Code de la même manière que l'a fait le juge suppléant Strayer à l'égard d'une autre politique du gouvernement dans Endicott c. Canada (Conseil du Trésor), 16 février 2005, 2005 C.F. 253, au paragraphe 11 :

[traduction]

11    La politique de 1999 n'était pas une législation déléguée. Il s'agissait de toute évidence d'une directive du Conseil du Trésor portant sur le traitement équitable des employés par les ministères. Selon la jurisprudence, la question de savoir si de telles directives internes créent des droits reconnus par la loi que les tribunaux peuvent définir et appliquer dépend de l'intention et du contexte dans lequel la directive a été publiée.

Le juge suppléant Strayer a conclu, au paragraphe 14, que rien n'indiquait dans la politique ou son contexte qu'il fallait donner à celle-ci force de loi. On peut dire la même chose du Code ici en cause.

[20]            La Cour d'appel fédérale, dans Threader c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 1 C.F. 41 (le juge Mahoney s'exprimant au nom de la Cour, à la page 53), s'est prononcée sur la raison d'être d'une politique telle que celle énoncée dans le Code :

La Couronne a parfaitement le droit d'établir pour ses employés des normes différentes de celles ayant cours dans le secteur privé. Non seulement est-elle légalement autorisée à interdire à ses employés de se placer dans des situations entravant une apparence de conflit d'intérêts; ses motifs pour ce faire ressortent à l'évidence.

[21]            Il convient d'appliquer le Code d'une manière éclairée et en fonction de son objet, et le décideur doit être informé de tous les faits pertinents et en tenir compte, de même qu'il ne doit pas rendre une décision superficielle. L'approche à suivre devrait s'inspirer du critère formulé par la Cour d'appel fédérale dans Threader, précité, au paragraphe 23 :

Est-ce qu'une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, croirait que, selon toute vraisemblance, le fonctionnaire, consciemment ou non, sera influencé par des considérations d'intérêt personnel dans l'exercice de ses fonctions officielles?

[22]            Aucune clause restrictive ne vise la décision d'un comité de griefs. Au dernier palier de la procédure de grief, le comité des griefs devait procéder à une analyse des faits de l'espèce et appliquer à ces faits les règles du Code. Comme il faut à ce titre examiner des questions mixtes de droit et de fait, la norme de contrôle applicable à la décision d'un tel comité est celle de la décision raisonnable simpliciter.

[23]            En l'espèce, le comité des griefs de dernier palier en est resté à un niveau superficiel lorsqu'il a apprécié les faits et a appliqué à ceux-ci les dispositions pertinentes du Code. Les faits de la présente affaire sont complexes, et auraient requis une analyse plus approfondie que celle effectuée par le comité.

[24]            La Commission des relations de travail dans la fonction publique a procédé à une analyse plus approfondie du Code et de son application aux faits de l'espèce dans Assh c. Le Conseil du Trésor (Anciens Combattants), 2004 CRTFP 111, [2004] CPSSRB n ° 100, et la Cour donne son entier aval à cette analyse. La Cour admet et fait siennes les conclusions et analyses énoncées aux paragraphes 66 à 74 de cette décision, paragraphes qu'elle reproduit ci-dessous :

66       L'alinéa6e) interdit à l'employé de solliciter ou d'accepter les transferts de valeurs économiques, sauf s'il s'agit de transferts résultant d'un marché exécutoire ou d'un droit de propriété. Toutefois, il prévoit également que les « cadeaux, les marques d'hospitalité et les autres avantages d'une valeur minime » sont ou peuvent être acceptables. Cette question est traitée plus particulièrement à l'article 28. Il y a cependant un problème, qui tient au fait que lelibellé d'exception utilisé à l'alinéa 6e) diffère du libellé utilisé à l'article 28. L'alinéa 6e) paraît interdire à l'employé, comme au fonctionnaire s'estimant lésé en l'espèce, d'accepter un avantage dont la valeur est plus que minime. Je ne suis pas disposé à conclure, dans la présente affaire, que la somme de 5 000 $ est d'une valeur minime. Néanmoins, cette question est peut-être sans importance, puisque, au décès de la testatrice, les legs est devenu un droit de propriété exécutoire du fonctionnaire s'estimant lésé, et le transfert de la somme de 5 000 $ au fonctionnaire s'estimant lésé serait effectué en conformité avec ce droit de propriété.

67       En ce qui concerne l'article 27, l'avantage en cause prenant effet au décès seulement de la testatrice et le fonctionnaire s'estimant lésé ayant auparavant ignoré l'existence du legs, je conclus que celui-ci ne risquait pas d'avoir une influence sur le jugement du fonctionnaire s'estimant lésé ou sur l'exercice de ses fonctions officielles. En outre, la testatrice ne pouvait avoir, après son décès, aucun contact avec le gouvernement, et il n'y a aucune preuve ni aucune indication que sa succession pouvait en avoir.

68       Pour ce qui est de l'article 28 et des faits propres à la présente affaire, la somme d'argent en cause est de 5 000 $. L'article 28 permet l'acceptation de « cadeaux [...] ou d'autres avantages » , à condition qu'il soit satisfait aux trois conditions préalables énoncées aux alinéas a),b) etc). Il ne fait aucun doute que, du fait du seul montant en cause, le legs n'est pas conforme aux règles ordinaires de la courtoisie ni aux marques ordinaires de l'hospitalité dont il est question à l'alinéa 28a). Toutefois, l'alinéa 28a) utilise le disjonctif « ou » , ce qui signifie que, si le legs relève de l'un des trois énoncés descriptifs de cette disposition, il satisfera à l'alinéa 28a). Compte tenu du fait que la somme d'argent était un legs, il faut prendre en considération un certain nombre de facteurs pour déterminer si la somme de 5 000 $ est « conforme aux règles de la bienséance » . Avant de me pencher sur cette question, cependant, il convient d'examiner le legs à la lumière des alinéas 28b) etc).

69       Aux termes de l'alinéa 28b), le legs ne doit pas être « de nature à laisser planer des doutes quant à [l]'objectivité ou à [l]'impartialité » de l'employé. Le legs ne prend effet qu'au décès de la testatrice. À ce moment-là, il n'y a aucune preuve, ni même une indication que le fonctionnaire s'estimant lésé serait en mesure d'agir, dans le cadre de son emploi, d'une manière dont la testatrice ou une autre personne désignée par cette dernière pourrait tirer profit. Bien que la thèse de l'employeur, selon laquelle une personne comme la testatrice, après avoir été une cliente du fonctionnaire s'estimant lésé et du ministère, demeure une cliente pour toujours, puisse être juste dans ces circonstances, il demeure néanmoins que le fait que le fonctionnaire s'estimant lésé a pour la dernière fois fourni des services à la testatrice en 1996, soit quelque cinq ans avant qu'elle eut rédigé son testament, et qu'il n'a eu aucun contact avec elle depuis cette date, est important et significatif. Le fait que le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait été désigné à titre de bénéficiaire dans aucun testament antérieur, qu'il a été désigné à ce titre dans le testament daté du 8 juillet 2001, et qu'il l'ignorait jusqu'à ce que le procureur et exécuteur testamentaire de la testatrice l'en informe au cours d'un appel téléphonique le 24 août 2001, revêt également de l'importance. Compte tenu de ce qui précède, j'ai conclu que la nature du legs, y compris la date à laquelle il a été fait, et le fait que le fonctionnaire s'estimant lésé avait depuis longtemps terminé son travail pour la testatrice, qu'il avait fermé son dossier et qu'il n'avait eu aucun contact avec elle depuis lors, ne sont pas de nature à laisser planer des doutes quant à l'objectivité ou à l'impartialité du fonctionnaire s'estimant lésé. Par conséquent, il est satisfait à la condition préalable énoncée à l'alinéa 28b).

70       Aux termes de l'alinéa 28c),le legs ne doit « compromett[re] aucunement l'intégrité du gouvernement » . Me fondant encore une fois sur tous les faits analysés dans le paragrapheprécédent, j'en suis arrivée à la conclusion que le legs ne compromettrait aucunement l'intégrité du gouvernement. Il satisfait par conséquent à la condition préalable énoncée à l'alinéa 28c). À cet égard, j'ai pris en considération les décisions de la Cour suprême du Canada dans les affairesNeil Fraser c. Commission des relations de travail dans la fonction publique, [1985] 2 R.C.S. 455,etSyndicat des employés de la fonction publique de l'Ontario, Marie Wilkinson, Edward E. Faulknor et Russell B. Smith c. Procureur général de l'Ontario et autres, 41 D.L.R. (4th) 1,concernant l'obligation d'établir l'équilibre entre les droits des fonctionnaires à titre d'individus et les atteintes nécessaires à ces droits en raison de la nature de leur emploi.

71       Dans l'affaire Fraser, le juge en chef Dickson a commencé sa décision à la page 457 dans les termes suivants :

Un arbitre commet-il une erreur de droit, aux fins de l'art. 28 de laLoi sur la Cour fédérale [...] lorsqu'il confirme le renvoi d'un fonctionnaire fédéral qui a très sévèrement critiqué le gouvernement? Cette question porte principalement sur le juste équilibre juridique entre (i) le droit d'une personne, à titre de membre de la société démocratique canadienne, de s'exprimer librement et sans réserve sur des questions importantes de nature publique et (ii) le devoir d'une personne, en tant que fonctionnaire fédéral, de remplir correctement ses fonctions à titre d'employé du gouvernement Canada.

72       Essentiellement, la Cour suprême est arrivée à la conclusion que les droits fondamentaux des individus qui occupent des postes de fonctionnaires ne devaient pas être limités de manière arbitraire, tout en reconnaissant que la nature de la fonction publique impose effectivement à leur égard certaines restrictions qui sont justifiées par « l'intérêt du public vis-à-vis de l'impartialité réelle et apparente de la fonction publique » . (VoirFraser, à la page 470.)

73       En ce qui concerne, maintenant, la question de savoir si le legs satisfait à la troisième condition préalable énoncée à l'alinéa 28a), à savoir s'il est conforme « aux règles de bienséance » , le point de départ de l'analyse doit être la nature du « cadeau » ou de l' « avantage » . Parce qu'il s'agit en l'espèce d'un legs testamentaire, le montant de ce legs n'est pas en soi aussi important. Il doit être soupesé au regard de facteurs pertinents comme la valeur de la succession; le caractère raisonnable de l'ensemble des legs en ce qui a trait aux montants en cause, aux personnes à charge et aux personnes à charge potentielles; les droits ou les contestations; et les objets naturels ou anticipés de l'affection de la testatrice. Je n'ai aucune liste des biens qui forment la succession, mais étant donné les legs prévus au testament, on peut raisonnablement supposer que la succession est suffisamment importante pour conclure que le legs fait au fonctionnaire s'estimant lésé est conforme aux règles de la bienséance, et qu'il satisfait donc à la condition énoncée à l'alinéa 28a). La somme n'est pas exorbitante, et elle paraît raisonnable compte tenu de la gamme de bénéficiaires désignés dans le testament. Le conjoint de la testatrice est décédé avant elle, et le couple n'avait aucun enfant. Dans son testament, la testatrice a démontré un certain intérêt à offrir des avantages à un large éventail de bénéficiaires, y compris à un neveu et à son épouse, qui devaient toucher la somme de 50 000 $, à une petite-nièce et à son conjoint, qui devaient recevoir 45 % du reliquat de la succession, à des organismes de bienfaisance, à une bibliothèque, à des amis et à une personne, comme le fonctionnaire s'estimant lésé, pour qui elle ressentait une certaine affection ou qu'elle appréciait. Ce type de testament n'est pas inhabituel.

74       Mes conclusions relatives à une partie ou à l'ensemble des conditions préalables énoncées à l'article 28 auraient pu être fort différentes si les faits avaient indiqué que le fonctionnaire s'estimant lésé avait adopté un comportement indiquant ou démontrant qu'il avait exercé une influence indue sur la testatrice, ou qu'il avait par ailleurs adopté à l'égard de cette dernière un comportement inconvenant dans le cadre de son emploi ou à l'extérieur de celui-ci. Il est essentiel que les fonctionnaires qui fournissent des services à des personnes qui sont sensibles ou peuvent être sensibles à l'influence d'autrui agissent avec la plus grande rigueur. Je crois que l'employeur avait tout à fait raison de craindre l'impression que le grand public aurait s'il apprenait qu'un avocat-conseil des pensions, un avocat, avait été bénéficiaire dans le testament d'une cliente. De manière générale, je partage son inquiétude à cet égard. Cependant, compte tenu de l'ensemble des faits, il est clair qu'il n'y a rien eu de fautif ni même de douteux dans le comportement du fonctionnaire s'estimant lésé à l'égard de la testatrice. En outre, le fonctionnaire s'estimant lésé ne s'attendait pas à ce que la testatrice ait pu songer à le nommer bénéficiaire dans son testament, ni ne fondait-il d'espoir à cet égard.

[25]            La Cour conclut par conséquent que le demandeur a le droit d'accepter le legs en cause. Les dépens, fixés à 500 $, sont attribués au demandeur.

« Roger T. Hughes »

Juge

Toronto (Ontario)

Le 14 octobre 2005

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           T-2039-02

INTITULÉ :                                          DANIEL ASSH

                                                              c.

                                                              LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                   OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                  LE 12 OCTOBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :     LE JUGE HUGHES

DATE DE L'ORDONNANCE :         LE 14 OCTOBRE 2005

COMPARUTIONS :

Steven Welchner                                                                      POUR LE DEMANDEUR

Robert A. L. Drummond                                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Welchner                                                                                POUR LE DEMANDEUR

Cabinet d'avocats

Ottawa (Ontario)                                                                    

John H. Sims, c.r.                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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