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Date : 20051117

Dossiers : T-1576-99

T-1671-00

Référence : 2005 CF 1552

Ottawa (Ontario), le 17 novembre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN

ENTRE :

HOECHST MARION ROUSSEL CANADA INC.

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

et

CONSEIL D'EXAMEN DU PRIX DES MÉDICAMENTS BREVETÉS

intervenant

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                Hoechst Marion Roussel Canada Inc. (HMRC ou la demanderesse) sollicite le contrôle judiciaire de deux décisions du Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés (le Conseil). La première décision, datée du 3 août 1999, fait l'objet du dossier T-1576-99. La deuxième décision, datée du 8 août 2000, fait l'objet du dossier T-1671-00.

[2]                HMRC est la distributrice exclusive de Nicoderm au Canada. Le Nicoderm est un produit aidant les personnes à cesser de fumer. Il est disponible sous formes posologiques de 7 mg, de 14 mg et de 21 mg et il libère de façon continue de la nicotine par voie cutanée dans le système sanguin au moyen d'un timbre transdermique. Ce produit est fabriqué aux États-Unis par Alza Corporation. Il est vendu au Canada en vertu d'un avis de conformité délivré par Santé Canada le 12 mai 1992.

[3]                Le Conseil a été créé en 1987 en vertu de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, et ses modifications (la Loi). Son mandat consiste à examiner le prix des médicaments brevetés. Le Conseil a obtenu l'autorisation d'intervenir dans la présente instance en vertu des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, et leurs modifications (les Règles), par suite d'une ordonnance de la protonotaire Aronovitch en date du 13 juillet 2001. La décision de la protonotaire, répertoriée Hoechst Marion Roussel Canada c. Canada (Procureur général), [2002] 1 C.F. 76, a été confirmée en appel par une décision datée du 11 février 2002 [non publiée] (1re inst.) qui a aussi été confirmée dans [2002] A.C.F. n ° 1785 (C.A.).

[4]                Le procureur général du Canada (le défendeur) a été désigné comme partie défenderesse conformément au paragraphe 303(2) des Règles.

CONTEXTE

[5]                Vers 1986 , Alza Corporation a créé une coentreprise avec Merrell Dow Pharmaceuticals Inc., prédécesseur de HMRC, en vue de mettre au point et de commercialiser un timbre transdermique de nicotine. Plusieurs accords ont été signés avec Alza Corporation, dont les suivants :

1)                   une entente de non-divulgation datée du 21 mars 1986;

2)                   une convention provisoire de développement en date du 1er janvier 1987;

3)                   une convention de développement et de droits d'utilisation (le contrat de licence) en date du 27 novembre 1989, modifiée le 25 octobre 1995 et le 29 novembre 1995;

4)                   un contrat d'approvisionnement concernant les timbres de nicotine (le contrat d'approvisionnement) en date du 27 novembre 1989;

5)                   une convention provisoire de développement en date du 5 octobre 1992.

[6]                Alza Corporation est titulaire de plusieurs brevets canadiens se rapportant à des timbres de nicotine et elle a au moins deux demandes de brevet en instance :

·                    le brevet canadien n ° 1,331,340 (le brevet 340), un procédé pour prolonger la durée de conservation d'un timbre transdermique de nicotine; délivré à Alza Corporation le 9 août 1994, il expirera le 9 août 2011;

·                    le brevet canadien n ° 1,333,689 (le brevet 689), un timbre transdermique de nicotine et un procédé pour contrôler le taux de libération de nicotine; délivré à Alza Corporation le 27 décembre 1994, il expirera le 27 décembre 2011;

·                    le brevet canadien n ° 1,338,700 (le brevet 700), un timbre transdermique pour l'administration de nicotine par voie cutanée; délivré à Alza Corporation le 12 novembre 1996, il expirera le 12 novembre 2013;

·                    la demande de brevet canadien n ° 2,032,446 (la demande 446), relative à du matériel d'emballage pour un timbre transdermique de nicotine; déposée le 17 décembre 1990, elle est devenue accessible au public le 22 juin 1991;

·                    la demande de brevet canadien n ° 2,040,352 (la demande 352), relative à un timbre transdermique pour l'administration de nicotine par voie cutanée; déposée le 12 avril 1991, elle est devenue accessible au public le 17 octobre 1991.

[7]                En mai 1998, HMRC a déposé devant le Conseil un Formulaire 1, conformément au Règlement de 1994 sur les médicaments brevetés, DORS/94-688. C'était la première fois que HMRC présentait le Nicoderm comme un médicament breveté au Conseil. HMRC a dit que le brevet 700 est lié au Nicoderm et qu'elle était un porteur d'une licence visée à l'article 41 de la Loi, tel qu'il était libellé avant les modifications de 1993. HMRC a fourni les renseignements qui étaient exigés par le Règlement, y compris les rapports sur les prix et les ventes pour la période du 12 novembre 1996 au 31 décembre 1997.

[8]                Par voie d'une lettre datée du 12 juin 1998, Mme Laura Y. Reinhard, directrice, Direction de la conformité et de l'application du Conseil, a informé HMRC que le Conseil faisait enquête sur le prix du Nicoderm. HMRC a eu la possibilité de fournir de nouveaux renseignements avant que l'affaire soit transmise à M. Robert G. Elgin, président du Conseil. Dans sa lettre, Mme Reinhard renvoyait au Compendium des Lignes directrices, politiques et procédures du Conseil (le Compendium) et indiquait qu'aux fins de ce document, le prix du Nicoderm ne devait pas être supérieur au prix le moins élevé des prix non excessifs maximaux (prix NEM) de l'Habitrol en doses comparables, ni au prix du Nicoderm dans les autres pays énumérés dans le Règlement. L'Habitrol est le médicament de référence pour l'examen du prix puisqu'il s'agit du produit qui ressemble le plus au Nicoderm.

[9]                Mme Reinhard a indiqué que, d'après l'information fournie par HMRC, le prix du Nicoderm dépassait de 4 % à 10,7 % le prix autorisé dans les Lignes directrices : Prix excessifs (les Lignes directrices) du Compendium, entre novembre 1996 et décembre 1997, et, par conséquent, que HMRC avait perçu un excédent de revenus de plus de 1 000 000 $. Elle a ajouté qu'avant le 12 novembre 1996, le prix du Nicoderm dépassait le prix autorisé dans les Lignes directrices. Le personnel du Conseil a également conclu que le brevet 689 et la demande 352 sont tous deux liés au Nicoderm et que HMRC est titulaire du brevet 689 aux fins de la Loi.

[10]            HMRC a répondu à cette lettre le 21 juillet 1998 et a fourni des documents additionnels, y compris des copies du contrat de licence et du contrat d'approvisionnement avec Alza Corporation. À la demande du personnel du Conseil, HMRC a déposé en août 1998 de nouveaux documents concernant l'état du brevet relatif au Nicoderm. Le personnel du Conseil a examiné ces renseignements ainsi que les points de vue échangés lors d'une rencontre qu'il a eu avec des représentants de la demanderesse le 30 juillet 1998.

[11]            Le 21 septembre 1998, Mme Reinhard a écrit à HMRC pour l'informer des résultats de l'enquête menée par le personnel du Conseil sur les prix des timbres transdermiques Nicoderm. Le personnel du Conseil avait conclu que le prix du Nicoderm dépassait le prix autorisé dans les Lignes directrices et a indiqué qu'un rapport confidentiel sur l'enquête qu'il avait menée (le rapport du personnel du Conseil) serait remis au président pour examen. Mme Reinhard a en outre informé HMRC qu'elle pouvait soumettre un engagement de conformité volontaire (ECV), c'est-à-dire une proposition écrite dans laquelle elle s'engagerait à ajuster le prix du Nicoderm. Le cas échéant, l'ECV ainsi que le rapport du personnel du Conseil seraient remis au président pour examen. Le président est habilité à accepter un ECV en vue de résoudre un litige relatif aux prix s'il est convaincu que l'ECV respecte les objectifs de la loi et est conforme aux politiques du Conseil.

[12]            Le 9 mars 1999, la demanderesse a remis un ECV pour examen par le président. Néanmoins, le président a décidé qu'une audience devait être tenue, dans l'intérêt public. Le 20 avril 1999, le Conseil a notifié la tenue d'une audience visant à déterminer si, suivant les articles 83 et 85 de la Loi, HMRC vend ou a vendu, à titre de brevetée, du Nicoderm au Canada à un prix qu'il juge excessif.

[13]            HMRC a déposé une « réponse conditionnelle » le 5 mai 1999, alléguant que l'avis d'audience était insuffisant parce qu'il n'était pas assez détaillé pour lui permettre de préparer une réponse. Le 14 mai 1999, HMRC a demandé par lettre à l'avocat du Conseil une description sommaire de l'ordonnance qui devait être rendue contre elle.

[14]            Le 17 mai 1999, le Conseil a répondu qu'il considérait la réponse conditionnelle et la lettre du 14 mai comme une requête visant à obtenir des précisions relativement à l'ordonnance que solliciterait le Conseil à l'audience. Le Conseil a en outre souligné que, dans sa réponse conditionnelle, HMRC a allégué qu'il n'avait pas la compétence voulue pour publier l'avis d'audience. Le Conseil a indiqué que si HMRC voulait contester sa compétence, elle devait le faire en lui présentant une requête lors de la conférence préparatoire fixée au 28 mai 1999.

[15]            Le 21 mai 1999, le Conseil a envoyé à HMRC une lettre fournissant tous les détails de l'ordonnance demandée au Conseil sur la question du prix excessif.

[16]            Le 25 mai 1999, HMRC a déposé un avis de requête pour demander au Conseil d'annuler son avis d'audience. Plusieurs questions ont été soulevées en ce qui concerne la compétence :

[Traduction]

5) Le Conseil n'a pas compétence pour faire enquête sur le prix réclamé par l'intimée pour le Nicoderm® puisque le Nicoderm® n'est pas un médicament pour les fins de l'article 83 de la Loi sur les brevets.

6) Le Conseil n'a pas compétence pour faire enquête sur le prix réclamé par l'intimée pour le Nicoderm® car le cumul de fonctions par le Conseil à titre d'enquêteur, de poursuivant et d'arbitre, donne raisonnablement lieu de craindre à un parti pris contre l'intimée, lequel ne peut être excusé en droit et va à l'encontre des principes de justice fondamentale et de la Déclaration canadienne des droits.

7) Le Conseil n'a pas compétence en l'espèce car l'avis d'audience a été publié en violation des principes de justice naturelle et de l'équité procédurale. La manière dont le Conseil s'y est pris en tirant des conclusions avant de publier son avis d'audience suscite une crainte raisonnable de partialité et permet de conclure que le Conseil a refusé d'accorder à l'intimée une possibilité raisonnable d'être entendue.

8) Quoi qu'il en soit, le Conseil n'a pas compétence pour faire enquête sur le prix réclamé par l'intimée pour le Nicoderm® depuis la délivrance du brevet canadien n ° 1,331,340 puisque l'intimée n'est pas une personne ayant droit à l'avantage du brevet ni une personne habilitée à exercer un droit quelconque à l'égard de ce brevet. En outre, le seul brevet lié au Nicoderm® est le brevet canadien n ° 1,338,700, délivré le 12 novembre 1996. Toute interprétation de la Loi sur les brevets qui aurait pour effet d'étendre la compétence du Conseil pour lui permettre de rendre une ordonnance fondée sur les autres brevets, ou demandes de brevet, indiqués dans l'avis d'audience, contreviendrait aux articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867.

9) L'avis d'audience publié par le Conseil, y compris le résumé de l'ordonnance proposée communiqué subséquemment, ne contient pas suffisamment de détails sur les allégations, les motifs et les faits importants pour permettre à l'intimée de connaître les arguments auxquels elle devra répondre. Instruire l'affaire visée dans l'avis d'audience constituerait un déni du droit de l'intimée à la justice naturelle et à l'équité procédurale et empêcherait l'intimée de préparer une réponse complète et adéquate.

[17]            Le comité du Conseil, composé du président du Conseil et des membres Réal Sureau, Anthony Boardman et Ingrid Sketis, a examiné la requête en deux parties. Il a tout d'abord analysé les allégations de partialité institutionnelle et de manquement à l'équité procédurale dont il est question aux paragraphes 6), 7) et 9). La demanderesse a prétendu qu'en raison du cumul de fonctions par le Conseil à titre d'enquêteur, de poursuivant et d'arbitre, et de sa manière de procéder pour rendre une décision avant la publication d'un avis d'audience, il y avait une crainte raisonnable de partialité. Elle a en outre allégué que l'avis d'audience n'était pas assez détaillé à cette fin et qu'il portait ainsi atteinte à son droit à l'équité procédurale.

[18]            Le Conseil a examiné, au cours d'une audience distincte, la deuxième partie de la requête de la demanderesse, soit les allégations contenues aux paragraphes 5) et 8). La décision du Conseil concernant la compétence fait l'objet de l'instance T-1671-00.

[19]            Dans sa première décision concernant la compétence rendue le 3 août 1999, le Conseil a rejeté à l'unanimité les allégations de la demanderesse quant à la partialité institutionnelle, au manquement aux règles de justice naturelle et à l'imprécision de l'avis d'audience. Le Conseil a refusé de mettre fin aux procédures et d'annuler l'avis d'audience. La demanderesse a déposé une demande de contrôle judiciaire de cette décision le 3 septembre 1999.

[20]            Dans ses motifs, le comité du Conseil a examiné les différentes allégations soulevées par la demanderesse. En ce qui concerne la partialité institutionnelle, il a conclu que le Conseil est un tribunal spécialisé qui élabore et applique des politiques de soins de santé qui régissent l'industrie pharmaceutique, et qu'il fait partie des tribunaux que le Parlement peut créer et doter de fonctions qui se chevauchent, sans pour autant contrevenir au droit à une audience impartiale. En outre, le comité du Conseil a jugé qu'il n'y a pas eu violation du droit de la demanderesse à une audience impartiale au point où il aurait fallu prévoir expressément que la Loi s'applique « nonobstant » les dispositions de la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, ch. 44, reproduite dans L.R.C. 1985, app. III.

[21]            Le comité du Conseil a ensuite analysé l'argument subsidiaire de la demanderesse, soit que le Conseil avait dépassé la limite de chevauchement autorisée par la Loi dans la manière dont il s'est acquitté des obligations que lui impose la Loi. Le comité du Conseil a examiné certains arguments avancés par la demanderesse concernant cette question.

[22]            Premièrement, le comité du Conseil a conclu que le personnel du Conseil avait fait une enquête dans le but de déterminer s'il s'agissait, à première vue, d'un cas de prix excessif. La lettre de Mme Reinhard visait donc à informer la demanderesse des conclusions de l'enquête. Le comité du Conseil a estimé qu'il n'était nullement inapproprié que ces conclusions soient formulées en termes non ambigus puisqu'il s'agissait seulement des allégations du personnel du Conseil et non des conclusions du comité du Conseil.

[23]            Deuxièmement, le comité du Conseil a conclu que la décision du président de publier un avis d'audience, même s'il avait reçu un ECV de la demanderesse, ne constitue pas une conclusion sur les questions de fond devant être tranchées à l'audience. Au contraire, la publication d'un avis d'audience indique que le président, en sa qualité de dirigeant du Conseil, estimait qu'il était dans l'intérêt public de tenir une audience publique.

[24]            Troisièmement, le comité du Conseil a conclu qu'étant donné la portée limitée de l'examen préliminaire par le président du rapport confidentiel du personnel et de l'ECV, c'est-à-dire déterminer s'il est dans l'intérêt public de tenir une audience publique, la présence du président au sein du comité chargé de tenir l'audience publique ne suscitera aucune crainte raisonnable de partialité.

[25]            Quatrièmement, le Conseil a conclu que la décision du président de tenir une audience publique sans avoir entendu les arguments de la demanderesse sur cette question ne constituait pas un manquement à l'équité procédurale; cette décision signifiait simplement que les questions en litige seraient présentées et tranchées dans le cadre d'une audience publique plutôt qu'à l'interne, par le Conseil.

[26]            Quant aux allégations de la demanderesse concernant la suffisance de l'avis d'audience, le Conseil a conclu que l'avis d'audience était suffisamment détaillé, considérant les fins visées. Il a en outre a convenu que, sauf lorsqu'elles étaient remplacées par des renseignements plus récents dans l'avis d'audience, les allégations contenues dans la lettre du 21 septembre 1998 de Mme Reinhard devaient être considérées comme des détails de l'avis d'audience. Cela dit, vu les renseignements additionnels fournis par le personnel du Conseil, le comité du Conseil a estimé que la demanderesse n'avait aucune raison valable de retarder le dépôt de sa réponse au-delà du délai de quinze jours suivant la date de la première décision concernant la compétence.

[27]            Le 8 décembre 2000, le personnel du Conseil a déposé, conformément aux Règles, un avis de requête afin d'être constitué partie à l'instance, en son propre nom ou au nom du Conseil. Subsidiairement, il a demandé l'autorisation d'intervenir. Le 7 mars 2001, le Conseil a déposé un avis de requête afin d'être constitué intervenant à titre restreint ou, subsidiairement, dans l'éventualité où le personnel du Conseil se verrait refuser qualité pour agir, d'être autorisé à intervenir et à exercer des droits de participation plus étendus.

[28]            Ces requêtes ont été entendues par la protonotaire Aronovitch. La requête du personnel du Conseil a été rejetée par une ordonnance datée du 13 juillet 2001. Le Conseil a été autorisé à intervenir uniquement pour présenter des observations, sur la foi du dossier dont la Cour avait été saisie, afin d'expliquer le rôle de son président et de son personnel relativement à l'exécution du double mandat dont il est investi en vertu de sa loi habilitante et de ses règles et politiques, mais seulement dans la mesure où le procureur général du Canada ne fournissait pas par ailleurs ces explications.

[29]            Le 25 juin 2003, la demanderesse a présenté une requête en vue d'obtenir une ordonnance enjoignant au Conseil de produire certains documents pertinents à la demande de contrôle judiciaire. La requête a été rejetée dans une ordonnance datée du 14 novembre 2003 pour le motif que rien ne justifiait d'augmenter le dossier de l'office fédéral pour y ajouter le rapport confidentiel du personnel du Conseil, un document auquel que le comité du Conseil ne se réfèrerait pas dans sa décision au fond. Cette décision a été confirmée en appel dans Hoechst Marion Roussel Canada c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. n ° 633 (1re inst.).

[30]            Entre-temps, le comité du Conseil, composé du président du Conseil et des mêmes membres, a entendu la deuxième partie de la contestation par la demanderesse de la compétence du Conseil, en décembre 1999 et en juin 2000. Cette audience a porté sur différentes questions relatives aux lignes directrices adoptées par le Conseil en vertu de la loi.

[31]            Le 8 août 2000, le comité du Conseil a rendu sa décision et a rejeté la plupart des redressements demandés par la demanderesse. Le Conseil a refusé de mettre fin aux procédures et d'annuler l'avis d'audience. La demanderesse a alors déposé une deuxième demande de contrôle judiciaire dans le dossier T-1671-00.

[32]            Dans ses motifs, le comité du Conseil a examiné le fondement de la compétence spécialisée du Conseil et, en premier lieu, l'argument de la demanderesse voulant que le Nicoderm ne soit pas un « médicament » au sens de la Loi, mais plutôt un dispositif pour l'administration de nicotine.

[33]            Le comité du Conseil a rejeté cet argument. Invoquant les paragraphes 83(1) et 79(2) de la Loi, il a fait remarquer que le mot « médicament » demeure non défini, même si la Cour d'appel fédérale a statué, dans l'arrêt ICN Pharmaceuticals, Inc. c. Canada (Personnel du Conseil du prix des médicaments brevetés), [1997] 1 C.F. (C.A.F.), que le mot « médicament » doit être interprété de façon extensive, suivant son sens ordinaire, conformément à la pratique établie en vertu de l'article 39 de l'ancienne Loi sur les brevets, S.C. 1923, ch. 23 (l'ancienne loi).

[34]            Le comité du Conseil a ensuite examiné l'argument de la demanderesse selon lequel il devait tenir compte de l'arrêt Glaxo Group Ltd. c. Novopharm Ltd. (1999), 244 N.R. 199 (Glaxo), dans lequel la Cour d'appel fédérale a statué qu'un dispositif mécanique appelé « inhalateur » , qui servait à administrer des médicaments en aérosol, n'était pas un médicament au sens du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement sur les AC).

[35]            Le comité du Conseil a estimé que l'arrêt Glaxo, précité, n'était d'aucune utilité, compte tenu de l'arrêt ICN, précité, dans lequel la Cour d'appel fédérale a statué que le Règlement sur les AC appartient à un régime distinct dont l'objet est différent. C'est pourquoi la jurisprudence portant sur l'interprétation de ce règlement ne peut servir à établir la compétence du Conseil. De toute façon, le comité du Conseil a conclu qu'en raison de l'intégration des éléments d'un timbre transdermique, il ne considérerait pas qu'un timbre transdermique est analogue à un inhalateur. De plus, les inhalateurs sont considérés comme des médicaments, aux fins du mandat du Conseil et, de fait, l'avis de conformité délivré pour le Nicoderm indique que Santé Canada considère le Nicoderm comme un médicament, et non comme un dispositif médical, et le réglemente en conséquence.

[36]            Dans sa décision, le comité du Conseil a conclu que les éléments constituants du timbre de nicotine sont intégrés et font partie intégrante du produit pharmaceutique Nicoderm. À cet égard, il s'est appuyé sur le témoignage d'expert du Dr Patrick du Souich, médecin, professeur de pharmacologie clinique et chercheur médical principal, qui a témoigné pour le personnel du Conseil. Comparant le produit à un onguent, il a dit être d'avis que, ensemble, la nicotine et les couches de matériau dont est composé le timbre produisent [traduction] « les "caractéristiques pharmacodynamiques et pharmacocinétiques" qui donnent au Nicoderm son effet thérapeutique » .

[37]            Le comité du Conseil a également conclu que certains éléments de preuve indiquaient que la demanderesse elle-même qualifie le Nicoderm de « médicament » sur ses étiquettes et son emballage. Il a en outre conclu que la demanderesse avait reconnu que le Nicoderm était un médicament sur le prix duquel le Conseil avait compétence lorsqu'elle a déposé un Formulaire 1 relativement au brevet 700. Le comité du Conseil a aussi souligné que les titulaires de brevets relatifs à d'autres timbres transdermiques de nicotine, dont le Habitrol et le ProStep, ont déposé un Formulaire 1 et ont reconnu que le Conseil a la compétence voulue pour réglementer le prix de ces timbres.

[38]            Appliquant la méthode d'interprétation énoncée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt ICN, précité, le comité du Conseil a fait remarquer que Mme Joan Van Zant, une agente de brevets ayant témoigné pour la demanderesse, a reconnu en contre-interrogatoire que [traduction] « si elle était une "personne ordinaire qui ne travaillait pas dans le domaine de la propriété intellectuelle", elle considérerait le Nicoderm comme un médicament » . Enfin, M. Robert Gale, inventeur des brevets 340 et 700, a convenu que lorsque la nicotine est liée au timbre, le produit Nicoderm est, en tant que timbre transdermique, un médicament.

[39]            En tirant cette conclusion, le comité du Conseil a dit que, lorsqu'une substance qui n'a aucun effet thérapeutique en soi, comme la nicotine, peut devenir utile comme médicament quand elle est intégrée à d'autres substances et que la méthode d'intégration de ces éléments est brevetée, le produit qui en découle, en l'espèce le Nicoderm, est, dans tous les sens pertinents, un « médicament breveté » en ce qui concerne la compétence du Conseil. En conséquence, le comité a conclu que le Nicoderm est un médicament au sens de la Loi.

[40]            Deuxièmement, le comité du Conseil a examiné si les brevets 700, 689 et 340 sont liés au Nicoderm, autrement dit, s'il existe un lien logique entre l'invention décrite dans le brevet et le médicament lui-même. Sur ce point, le comité du Conseil s'est appuyé sur l'arrêt ICN, précité, où la Cour a statué qu'il ne doit y avoir qu'un « lien, aussi ténu soit-il » , entre l'invention brevetée et le médicament pour conclure que le brevet est lié au médicament et, par voie de conséquence, que le Conseil a compétence sur l'établissement du prix.

[41]            Le comité du Conseil a fait remarquer que la demanderesse a reconnu que le brevet 700 est lié au Nicoderm et que le Conseil a donc compétence sur l'établissement du prix du Nicoderm depuis le 12 novembre 1996, date à laquelle le brevet 700 a été délivré.

[42]            Le comité du Conseil a aussi examiné le brevet 689. Il a conclu que, même si ce brevet décrit un produit différent du Nicoderm quant à son taux de libération de nicotine après l'application du timbre, il y a néanmoins un lien suffisant entre ce brevet et le Nicoderm pour conclure qu'il est lié au médicament au sens de la Loi. Il a reconnu que, même si la preuve d'une puissance commerciale n'est pas suffisante pour établir la compétence du Conseil, la Cour d'appel fédérale a statué dans l'arrêt ICN, précité, que la possibilité d'un effet dissuasif, peu importe son incidence réelle sur la puissance commerciale, fonde la compétence du Conseil. Le comité du Conseil a conclu enfin que le brevet 689 est lié au Nicoderm parce qu'il porte sur un timbre transdermique de nicotine, un type de médicament générique dont le Nicoderm est un exemple.

[43]            En ce qui concerne le brevet 340, le comité du Conseil a considéré que la véritable question était de savoir si, à prime abord comme l'a indiqué la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt ICN, précité, on trouve dans le brevet une mention d'un timbre de nicotine qui permet d'affirmer que le timbre est lié au Nicoderm. Le comité du Conseil a estimé que, à prime abord, le brevet 340 est lié au Nicoderm et que, de toute façon, on peut déduire du texte du brevet que l'invention des inventeurs était « destinée » , au sens du paragraphe 79(2) de la Loi, à être utile pour un timbre de nicotine.

[44]            Troisièmement, ayant conclu que les brevets 700, 689 et 340 sont tous liés au Nicoderm, le comité du Conseil a examiné si la demanderesse est une « brevetée » relativement à ces brevets au sens de la Loi. Il a examiné les différentes ententes conclues par Alza et le prédécesseur de la demanderesse, Hoechst Marion Roussel (HMR). Il a fait remarquer qu'en vertu du contrat de licence et du contrat d'approvisionnement, Alza avait le droit exclusif de fabriquer le produit, sous réserve d'une exception prévue à l'article 8 du contrat d'approvisionnement, soit que, lorsque Alza ne peut pas fournir le produit, HMR a le droit de le fabriquer ou de le faire fabriquer par un autre fournisseur. À titre de filiale canadienne de HMR, la demanderesse exerce les droits de HMR au Canada, conformément au contrat de licence et au contrat d'approvisionnement.

[45]            En ce qui concerne la compétence du Conseil, le comité du Conseil a estimé que le paragraphe 79(1) de la Loi élargit délibérément la définition de « breveté » ou « titulaire de brevet » , de sorte qu'elle inclut non seulement la personne ayant droit à l'avantage d'un brevet mais aussi, toute personne qui peut exercer des droits à l'égard de ce brevet. Quant au brevet 700, le comité du Conseil a souligné que la demanderesse avait reconnu être un porteur de licence aux fins de ce brevet. En conséquence, il a conclu que la demanderesse est titulaire d'un brevet sur un médicament lié au Nicoderm pour les fins du brevet 700.

[46]            Le comité du Conseil a ensuite examiné si la demanderesse est une brevetée à l'égard du brevet 689. Il a conclu que l'inclusion du brevet 689 à l'annexe B constituait un argument solide en faveur de son statut de brevet sous licence et que cette inclusion s'inscrivait dans la structure de la coentreprise et dans les diverses conventions intervenues entre les parties. Plus particulièrement, la coentreprise était une convention d'exclusivité. Alza n'avait pas le droit de mettre au point ou de commercialiser un timbre de nicotine en se servant du brevet 689, sauf avec HMR. Le comité du Conseil a conclu que si la demanderesse n'était pas un porteur de licence relativement au brevet 689 en vertu du contrat de licence, elle ne serait pas en mesure de protéger son marché du Nicoderm au Canada. En conséquence, le comité du Conseil a conclu que la demanderesse est une brevetée relativement au brevet 689.

[47]            Examinant ensuite le brevet 340, le comité du Conseil a souligné que ce brevet n'a pas été mis au point pour le Nicoderm ou pour tout autre timbre de nicotine, mais plutôt pour régler un problème particulier que posait à Alza la cristallisation dans la scopolamine liquide contenue dans les timbres. Le comité du Conseil a finalement conclu que les parties n'avaient jamais eu l'intention d'accorder à HMR une licence sur le brevet 340 ou sur les renseignements techniques qu'il contenait. Il a jugé que l'absence du brevet 340 de l'annexe B démontrait que la demanderesse n'est pas et n'a jamais été une brevetée à l'égard du brevet 340.

[48]            Le président a rédigé un avis dissident sur ce point. Il a conclu que, vu la formulation générale du contrat de licence, la demanderesse a eu et a l'avantage du brevet 340 et est une brevetée aux fins de la Loi.

[49]            Quatrièmement, le comité du Conseil a examiné si la demanderesse est une « brevetée » à l'égard des brevets pour lesquels une demande a été déposée dans les demandes 352 et 446, à compter de la date à laquelle ces demandes sont devenues accessibles au public.

[50]            Le comité du Conseil a conclu que la demande 352 porte sur un brevet relatif à un adhésif « en ligne » utilisé dans les timbres Nicoderm. La demande 446 porte sur un brevet relatif à un sachet dans lequel le Nicoderm est emballé et vendu. Le comité du Conseil a conclu que les inventions décrites dans ces deux demandes sont liées au Nicoderm.

[51]            Examinant si la demanderesse est une « brevetée » à l'égard de ces deux demandes de brevet, le comité du Conseil a conclu qu'une fois ces brevets délivrés, une licence sur ces brevets sera accordée à la demanderesse pour la commercialisation du Nicoderm. Les deux demandes de brevet figurent à l'annexe B. En vertu des accords commerciaux intervenus entre Alza et HMR, la demanderesse est titulaire au Canada des droits qui découlent des demandes de brevet, y compris le droit de vendre des timbres de nicotine qui utilisent les inventions décrites dans ces deux demandes. C'est pourquoi le comité du Conseil a conclu que la demanderesse est une « brevetée » à l'égard des demandes 352 et 446.

[52]            Cinquièmement, le comité du Conseil a examiné si les deux demandes relèvent de la compétence du Conseil, même si les brevets n'ont pas encore été délivrés. Dans un premier temps, il a conclu que, même si cela n'était pas déterminant, le paiement de redevances par HMR, au taux plus élevé prévu dans le contrat de licence, indique qu'Alza et HMR considéraient que HMR bénéficiait de la protection d'un brevet au Canada depuis la mise en vente du Nicoderm dans ce pays, en 1992. Pour le comité du Conseil, il s'agissait d'une preuve solide démontrant à quel point le processus de divulgation assure de facto la protection du brevet.

[53]            Le comité du Conseil a ajouté que le processus de divulgation des demandes de brevet permet aux déposants d'une demande de brevet de pratiquer des prix excessifs à l'égard du médicament pendant la période écoulée entre le moment où la demande de brevet est rendue publique et celui où le brevet est délivré. Dans le cadre du processus de divulgation, le public est prévenu qu'une demande est en instance et est informé que toute personne qui utilise l'invention décrite dans la demande sera passible de poursuites en dommages-intérêts si le brevet est délivré.

[54]            Le comité du Conseil a fait remarquer que Alza et la demanderesse sont satisfaites de la protection de facto que confère le processus de divulgation des demandes de brevet. Il a en outre souligné que, suivant la preuve, la demanderesse et Alza avaient envisagé de laisser tomber les demandes de brevet. De l'avis du comité, la seule raison pouvant expliquer un tel abandon était qu'il pourrait permettre de soutenir que le Conseil n'a pas la compétence nécessaire pour obliger HMRC à rembourser tout revenu excessif gagné entre 1992 et la date de délivrance du premier brevet lié au Nicoderm.

[55]            Le comité du Conseil a ensuite examiné si la Loi confère compétence au Conseil pour exercer son mandat à l'égard des demandes 352 et 446. Il a conclu que, si le Conseil n'a pas compétence pour éviter l'établissement de prix excessifs sur des médicaments dans les cas où l'on peut supposer que des demandes de brevet ont accordé aux demandeurs le pouvoir d'établir des prix, la Loi n'aura pas l'effet pour lequel elle a été adoptée.

[56]            Le comité du Conseil s'est reporté à l'article 55 de la Loi. Cette disposition confère un caractère rétroactif à la protection des brevets; par conséquent, les droits et intérêts éventuels des parties sont clairement établis dès que la demande est rendue publique. Le comité du Conseil ne voyait pas pourquoi le Conseil ne devrait pas enquêter sur une allégation de prix excessif dans ce genre de situation, ni pourquoi il devrait attendre la délivrance inévitable du brevet pour prendre des mesures correctives qui seront inadéquates une fois le prix fixé à un niveau excessif. Il a conclu qu'il avait compétence pour examiner les deux demandes de brevet.

[57]            En conclusion, le comité du Conseil a statué que l'établissement du prix du Nicoderm relevait de la compétence du Conseil depuis que le Nicoderm avait été lancé sur le marché canadien en juillet 1992.

ANALYSE ET DÉCISION

I            Décision concernant la compétence - Partie I

[58]            Pour ce qui est de la contestation par la demanderesse de la première décision concernant la compétence, la Cour doit trancher les questions suivantes :

1)                La procédure suivie par le Conseil pour tenir l'audience a-t-elle permis de constituer un tribunal équitable et impartial, conformément aux principes de l'équité procédurale et à la Déclaration canadienne des droits?

2)                Les éléments suivants suscitent-ils une crainte raisonnable de partialité justifiant l'intervention de la Cour :

a)          Le fonctionnement du Conseil permet-il un cumul illicite par le Conseil et par son président des fonctions d'enquête et des fonctions de décision?

b)          Le Conseil et le président ont-ils préjugé de l'issue de certaines questions en litige à l'audience?

c)          La présence au sein du comité du Conseil du président, qui avait déjà pris connaissance du rapport du personnel et de l'ECV et avait publié l'avis d'audience, suscite-t-elle une crainte raisonnable de partialité?

[59]            La présente demande de contrôle judiciaire porte sur des questions d'équité procédurale et de partialité. Le premier point soulevé par la demanderesse, en ce qui concerne les manquements allégués aux principes de l'équité procédurale, est la norme de contrôle applicable. La demanderesse et le défendeur, le procureur général du Canada, font valoir que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

[60]            La demanderesse s'est appuyée sur l'arrêt récent Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226 (Dr. Q), dans lequel la Cour suprême du Canada a statué qu'il convient d'effectuer une analyse pragmatique et fonctionnelle chaque fois que la loi délègue un pouvoir à une instance administrative décisionnelle. La demanderesse a toutefois soutenu que cette méthode ne doit pas nécessairement être appliquée au cadre procédural dans lequel la décision est prise. Se fondant sur l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 236 D.L.R. (4th) 485, elle fait valoir qu'il n'est pas nécessaire d'effectuer une analyse pragmatique et fonctionnelle dans le cas de questions d'équité procédurale.

[61]            Je souscris à ces arguments de la demanderesse. Même si l'arrêt Dr. Q, précité, indique clairement que la méthode pragmatique et fonctionnelle doit être appliquée à toutes les questions, cela signifie, selon moi, qu'elle doit être appliquée à toutes les questions de fond. Aucun arrêt de la Cour suprême du Canada n'a été cité pour justifier l'application de la méthode pragmatique et fonctionnelle aux questions d'équité procédurale. Même si on devait retenir cette méthode, il me semble que la norme applicable demeurerait celle de la décision correcte. En présence de questions d'équité procédurale, l'expertise relative de la Cour est supérieure à celle d'un tribunal administratif puisqu'il s'agit de questions de droit.

[62]            Cependant, l'application de la norme de la décision correcte aux questions d'équité procédurale ne signifie pas que la portée de cette obligation est fixée de façon définitive. En effet, l'obligation d'équité varie, selon les circonstances; voir Knight c. Indian Head School Division n ° 19, [1990] 1 R.C.S. 653, à la page 682. Néanmoins, lorsqu'un manquement à l'obligation d'équité procédurale est constaté, la décision de l'instance inférieure doit être annulée; voir Congrégation des témoins de Jéhovah de St-Jérôme-Lafontaine c. Lafontaine (Village), [2004] 2 R.C.S. 650, au paragraphe 30. Il n'y a pas lieu de faire preuve de retenue.

L'obligation d'équité

[63]            Dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour suprême du Canada a reconnu une fois de plus que l'obligation d'équité procédurale est souple et repose sur une appréciation du contexte de la loi particulière et des droits visés. Toutes les parties en l'espèce ont fait valoir qu'il convient de faire une distinction entre les tribunaux dont les fonctions se situent à l'extrémité judiciaire du spectre et ceux qui se situent à l'extrémité où se trouvent les fonctions législatives ou d'élaboration de politiques. Dans l'arrêt Baker, précité, la Cour suprême a établi une liste non exhaustive de facteurs à prendre en considération pour déterminer la nature de l'obligation d'équité procédurale d'un tribunal administratif en vertu de la common law :

1)       la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir;

2)       la nature du régime législatif et les termes de la loi en vertu de laquelle agit l'organisme en question;

3)       l'importance de la décision pour les personnes visées;

4)       les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision;

5)       les choix de procédure faits par l'organisme lui-même.

[64]            Premièrement, dans l'arrêt ICN, précité, la Cour d'appel fédérale a souligné, au paragraphe 80, que les modifications apportées à la Loi en 1993 ont consolidé les pouvoirs du Conseil au chapitre des redressements et des sanctions. Les ordonnances du Conseil sont exécutoires comme s'il s'agissait d'ordonnances de la Cour fédérale. L'article 83 de la Loi confère au Conseil le pouvoir de rendre différentes ordonnances correctives contre les brevetés ou les anciens brevetés qui vendent un médicament breveté à un prix excessif.

[65]            En ce qui concerne le cadre procédural du Conseil, le paragraphe 96(2) de la Loi autorise le Conseil à établir, avec l'agrément du gouverneur en conseil, des règles régissant ses pratiques et procédures. À mon avis, ces éléments jouent en faveur d'une plus grande protection procédurale pour la demanderesse.

[66]            Deuxièmement, en ce qui concerne la nature du régime législatif et la disposition législative en vertu desquels le Conseil fonctionne, la section 2.2 de l'introduction du Compendium précise ce qui suit :

2.2 Le Conseil est un organisme indépendant qui détient des pouvoirs quasi judiciaires. Afin de garantir l'indépendance et l'autonomie du Conseil, la Loi ne confère aucun pouvoir au gouvernement, soit de façon explicite ou implicite, qui lui permettrait de donner des directives au Conseil ou de réviser ses décisions et ses ordonnances. Toutefois, les décisions rendues par le Conseil peuvent faire l'objet d'une révision judiciaire de la Cour fédérale du Canada pour des motifs de compétence ou de procédure, conformément aux principes du droit administratif.

[67]            Cependant, dans Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Canada (1994), 56 C.P.R. (3d) 377 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a conclu que le Conseil est un tribunal administratif exerçant des fonctions de réglementation économique et, en conséquence, le droit et des questions de principe exigent qu'une certaine latitude lui soit accordée dans l'exercice de son mandat. De plus, la demande de contrôle judiciaire porte, en l'espèce, sur une décision du Conseil concernant sa compétence, soit sa décision de tenir une audience publique en vue de déterminer si la demanderesse a vendu le Nicoderm à un prix excessif.

[68]            À mon avis, il est clair que cette décision concernant la compétence, partie I, n'est pas déterminante quant à la question de savoir si le prix du Nicoderm était supérieur au prix autorisé dans les lignes directrices. En conséquence, un degré d'équité procédurale moins élevé s'impose.

[69]            Troisièmement, comme l'a souligne la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Ciba-Geigy, précité, il y a des conséquences économiques très importantes pour un breveté qui n'obtient pas gain de cause à une audience tenue en vertu de l'article 83, y compris une atteinte possible à la réputation de l'entreprise sur le marché. Toutefois, ces conséquences ne se produiront pas avant qu'une audience publique n'ait lieu. À l'audience, le demandeur aura la possibilité de présenter sa preuve et ses arguments et de procéder à un contre-interrogatoire sur la preuve contraire. À mon avis, les conséquences d'une décision défavorable du Conseil, après une audience publique, sont inhérentes à toute situation où il est allégué qu'une entreprise n'a pas respecté les normes reconnues et que celle-ci est appelée à se défendre dans le cadre d'une audience.

[70]            Quatrièmement, le paragraphe 97(1) de la Loi précise que, dans la mesure où les circonstances et l'équité le permettent, le Conseil agit sans formalisme, en procédure expéditive. De même, le Conseil a pour mandat de protéger l'intérêt public. Il me semble qu'il y a lieu d'en conclure que la demanderesse peut légitimement s'attendre à être traitée avec équité lors de l'audience publique. Toutefois, cette étape n'est pas encore arrivée.

[71]            Quant à la procédure que doit suivre le personnel du Conseil lorsqu'il fait une enquête et quant aux agissements du président lorsqu'il examine le rapport confidentiel du personnel et l'ECV déposé par la demanderesse, ces processus sont expliqués, en termes généraux, dans la Politique du Conseil. À mon avis, rien n'indique que l'enquête et la publication de l'avis d'audience ne respectaient pas la Politique du Conseil et, par conséquent, je ne peux pas affirmer qu'il y a eu manquement à l'obligation d'équité.

[72]            Cinquièmement, la procédure choisie par le Conseil, et définie dans la Politique, a été adoptée en vue d'assurer la séparation des fonctions exercées et d'établir les garanties nécessaires. Lorsque le personnel du Conseil a ouvert son enquête, la demanderesse a été informée des allégations avancées contre elle et elle a eu la possibilité d'y répondre. La Loi confère au Conseil le pouvoir de choisir sa propre procédure. Selon moi, le Conseil est un tribunal spécialisé pouvant décider de la procédure qu'il juge appropriée, compte tenu de l'obligation d'équité envers le breveté ou l'ancien breveté. Bien que ce facteur ne soit pas déterminant, il convient d'accorder une grande importance au choix de procédure fait par le tribunal, sous réserve de ses contraintes institutionnelles; voir SITBA c. Consolidated Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 R.C.S. 282, le juge Gonthier.

[73]            Compte tenu de ce qui précède, je conclus que les exigences essentielles de l'équité procédurale, telles qu'elles ont été décrites par la Cour suprême du Canada dans Lakeside Colony of Hutterian Brethren c. Hofer, [1992] 3 R.C.S. 165, soit le droit à un tribunal impartial, le droit à un avis et la possibilité de répondre, s'appliquent aux décisions du Conseil. Cependant, j'accorderais une grande latitude au Conseil à l'égard des exigences procédurales, compte tenu des facteurs décrits dans l'arrêt Baker, précité. Le paragraphe 97(1) de la Loi prévoit clairement que le Conseil doit agir sans formalisme, en procédure expéditive, dans la mesure où les circonstances et les principes d'équité le permettent, ce qui lui laisse une grande marge de manoeuvre, à condition que les principes de justice naturelle et d'équité procédurale soient respectés.

La portée de l'obligation d'équité

[74]            Comme cela est indiqué plus haut, les exigences essentielles des principes de justice naturelle comprennent le droit à un avis, la possibilité de répondre et le droit à un tribunal impartial. En l'espèce, les allégations de la demanderesse portent uniquement sur la question de l'impartialité. Il est clair que les exigences concernant l'avis et le droit de répondre ont été respectées. La demanderesse a reçu plusieurs lettres de la directrice de la Direction de la conformité et de l'application du Conseil et elle a eu la possibilité de répondre aux allégations de prix excessifs en fournissant des documents additionnels et en produisant un ECV pour examen par le président. Il reste à déterminer si le Conseil est un tribunal partial.

La crainte raisonnable de partialité

[75]            Dans l'arrêt Baker, précité, la Cour a rappelé que l'équité procédurale exige que les décisions soient rendues par un décideur impartial et sans qu'elles suscitent une crainte raisonnable de partialité. Le critère classique permettant de déterminer s'il existe une crainte raisonnable de partialité a été énoncé par le juge DeGrandpré dans ses motifs dissidents dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l'énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394 :

[...]

Selon le passage précité, la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet [...] [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

[76]            Dans l'arrêt Baker, précité, la juge L'Heureux-Dubé a réaffirmé le principe bien établi voulant que « le test relatif à la crainte raisonnable de partialité pouvait varier, comme d'autres éléments de l'équité procédurale, selon le contexte et le genre de fonction exercée par le décideur administratif concerné » . La demanderesse a soulevé ces allégations de partialité en se fondant sur le cumul inadmissible de fonctions, la détermination à l'avance des questions en litige et la présence du président au sein du comité du Conseil.

Le cumul inadmissible de fonctions

[77]            L'exercice par un tribunal administratif de plusieurs fonctions ne suscite pas, en soi, une crainte raisonnable de partialité. Sur ce point, la Cour suprême du Canada a fait les commentaires suivants, dans l'arrêt Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, [2003] 1 R.C.S. 884, au paragraphe 40 :

[C]e cumul de fonctions différentes au sein d'un seul organisme administratif n'est pas inhabituel et n'engendre pas en soi une crainte raisonnable de partialité (voir Régie des permis d'alcool, précité, par. 46-48, le juge Gonthier; Newfoundland Telephone, précité, p. 635, le juge Cory; Brosseau c. Alberta Securities Commission, [1989] 1 R.C.S. 301). Comme la juge en chef McLachlin l'a fait remarquer dans Ocean Port, précité, par. 41, « [l]e cumul de fonctions d'enquête, de poursuite et de décision au sein d'un organisme est souvent nécessaire pour permettre à un [organisme] administratif de remplir efficacement son rôle » .

[78]            De même, dans l'arrêt Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie-Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), [2001] 2 S.C.R. 781, la Cour suprême du Canada rappelle que la common law n'a pas préséance sur des dispositions législatives qui sont raisonnablement claires, car cela aurait pour effet de restreindre les droits à l'équité procédurale. Dans l'arrêt Ocean Port, précité, la juge en chef McLaughlin a ajouté, au paragraphe 41, que « sans trancher la question, je ferais observer qu'une telle flexibilité peut être appropriée dans le cas d'un système d'octroi de permis mettant en cause des intérêts purement économiques » .

[79]            À mon avis, cette description s'applique au type de régime en cause en l'espèce. Le Conseil doit s'assurer que les titulaires de brevets liés à des médicaments brevetés ne vendent pas leurs produits à des prix qui sont excessifs suivant les lignes directrices. Le Conseil exerce une fonction de réglementation économique, comme l'a indiqué la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Ciba-Geigy, précité. C'est pourquoi il convient de lui accorder une certaine latitude.

[80]            Je mentionnerai une fois encore l'arrêt Ocean Port, précité, sur lequel s'est appuyé l'intervenant, et dans lequel la Cour suprême a fait les commentaires suivants au paragraphe 42 :

En outre, en l'absence de contrainte constitutionnelle, il est toujours loisible au législateur d'autoriser un cumul de fonctions qui contrevient par ailleurs à la règle de l'impartialité. Le juge Gonthier fait allusion à cette possibilité dans l'arrêt Régie, au par. 47, en citant les motifs du juge L'Heureux-Dubé dans Brosseau, précité, p. 309-310 :

Comme la plupart des principes, celui-ci a ses exceptions. Il y a exception au principe « nemo judex » lorsque le chevauchement de fonctions est autorisé par la loi, dans l'hypothèse où la constitutionnalité de la loi n'est pas attaquée.

            [...]

Dans certains cas, [le législateur] estimera souhaitable, pour atteindre les objectifs de la loi, de permettre un chevauchement de fonctions qui, dans des procédures judiciaires normales, seraient séparées [. . .] Si la loi autorise un certain degré de chevauchement de fonctions, ce chevauchement, dans la mesure où il est autorisé, n'est généralement pas assujetti per se à la doctrine de la « crainte raisonnable de partialité » .

[81]            La demanderesse n'a pas soulevé d'argument constitutionnel dans la présente demande de contrôle judiciaire.

[82]            Le régime législatif dont il est question en l'espèce prévoit expressément que le Conseil exercera plusieurs fonctions, y compris des fonctions d'enquête, de poursuite et de décision. En vertu du paragraphe 96(2) de la Loi, le Conseil peut, avec l'agrément du gouverneur en conseil, établir des règles régissant ses pratiques et ses procédures, et prendre des règlements administratifs pour régir ses travaux, la gestion de ses affaires internes et les fonctions de son personnel. Ce régime législatif milite contre l'existence d'une partialité institutionnelle inhérente ou un manque d'impartialité.

[83]            Les arguments de la demanderesse ne m'ont pas convaincue que le Conseil n'a pas l'impartialité institutionnelle nécessaire en raison du cumul de fonctions par les personnes faisant partie du personnel du Conseil ou siégeant au comité du Conseil. La demanderesse reconnaît qu'un cumul de fonctions peut être permis en vertu de la loi, si la législation peut effectivement autoriser un tel cumul. Elle reconnaît aussi que le Conseil peut établir ses propres politiques et procédures.

[84]            Dans l'arrêt ICN, précité, la Cour d'appel fédérale a conclu que, même s'il est tenu d'agir à la fois comme poursuivant et comme décideur dans l'exercice du mandat qui lui est confié par la loi, le Conseil a décidé, dans sa Politique, d'agir indépendamment de son personnel. Dans l'arrêt ICN, précité, la Cour a souligné que les rapports entre le Conseil et son personnel ont été décrits par la majorité des membres du Conseil dans Genentech Canada Inc. (Re) (1992), 44 C.P.R. (3d) 316 (C.E.P.M.B.), à la page 320 :

[Traduction] Lorsqu'il tient une audience relativement au prix d'un médicament breveté, le personnel du Conseil agit indépendamment du Conseil. Par l'entremise de son propre avocat, le personnel du Conseil présente des éléments de preuve, analyse la preuve des autres parties et formule des observations sur des questions de procédure, de compétence, de droit et de fond pendant le déroulement de la procédure.

[85]            La Politique du Conseil vise à mettre en application les principes d'équité procédurale et de justice naturelle en tentant d'assurer une séparation des fonctions et d'offrir les garanties nécessaires qui ne sont pas déjà prévues dans la Loi elle-même.

La détermination à l'avance des questions en litige

[86]            La demanderesse a fait valoir qu'en examinant le rapport du personnel et l'ECV et en décidant de signifier un avis d'audience, le président a déterminé à l'avance les questions qui devaient être tranchées à l'audience. Autrement dit, selon la demanderesse, si le président a décidé de signifier l'avis d'audience, c'est qu'il avait déjà conclu que le Nicoderm était vendu à un prix excessif et que l'ECV déposé par la demanderesse n'était pas conforme aux politiques du Conseil.

[87]            La Politique du Conseil prévoit que le président « peut » publier un avis d'audience s'il est d'avis que l'enquête a révélé que le prix d'un médicament est supérieur aux limites autorisées par les Lignes directrices ou qu'il est ou a été d'une façon ou d'une autre excessif. Ce libellé confère de toute évidence au président le pouvoir discrétionnaire de signifier un avis d'audience s'il croit, après avoir examiné le rapport du personnel et l'ECV, que des prix excessifs pourraient avoir été pratiqués. Cette décision ne constitue en rien une conclusion voulant que le breveté ou l'ancien breveté ait pratiqué des prix excessifs.

[88]            Sur ce point, je renvoie aux motifs du Conseil dans sa décision concernant la compétence, partie I. Le Conseil a souligné que, lorsqu'il décide s'il y a lieu de signifier un avis d'audience, le président doit évaluer si les résultats de l'enquête, dans l'éventualité où ils seraient fondés, permettront d'établir prima facie si des prix excessifs ont été demandés [non souligné dans l'original].

[89]            La question de savoir si des prix excessifs ont réellement été demandés doit être tranchée à l'audience publique au cours de laquelle toutes les parties intéressées ont la possibilité de présenter leur preuve, de contre-interroger les témoins et de faire valoir leurs arguments. Cela étant dit, je souscris aux arguments du procureur général du Canada et de l'intervenant voulant que la publication de l'avis d'audience ne représente pas la conclusion du Conseil sur la question, mais indique plutôt que les allégations sont suffisamment fondées pour justifier la tenue d'une audience sur le fond. Je conclus qu'aucune partialité inacceptable n'a été prouvée à cet égard.

La présence du président au sein du comité du Conseil

[90]            Comme nous l'avons indiqué plus haut, le critère applicable pour déterminer s'il existe une crainte raisonnable de partialité dans certaines circonstances a été énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty et autres, précité : à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique?

[91]            La demanderesse a soutenu, en s'appuyant sur les arrêts MacBain c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1985] 1 C.F. 856 (C.A.F.) et 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d'alcool), [1996] 3 R.C.S. 919, que le fait que le président ait décidé, après avoir pris connaissance du rapport du personnel et de l'ECV déposé par la demanderesse, de tenir une audience et de participer au processus décisionnel, donne naissance à une crainte raisonnable de partialité.

[92]            À mon avis, cette question est étroitement liée à celle de la détermination à l'avance des questions essentielles, qui a été examinée plus haut. Comme il est indiqué plus haut, lorsqu'il a examiné le rapport du personnel et l'ECV, le président agissait en sa capacité administrative de premier dirigeant, dans le seul but de décider s'il y avait lieu de publier un avis d'audience. Je souscris aux arguments du défendeur et de l'intervenant voulant que le président n'a fait aucune analyse indépendante quant à savoir si les conclusions de l'enquête sont ou peuvent être prouvées.

[93]            Enfin, la Loi n'empêche pas le président de siéger au comité du Conseil et ce, malgré son rôle dans la publication de l'avis d'audience. Vu que le Conseil est un tribunal spécialisé, que l'on peut présumer que le président est un expert dans ce domaine et que, jusqu'ici, le président n'a joué aucun rôle dans la détermination du bien-fondé des allégations contenues dans le rapport du personnel, je ne vois pas pourquoi une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, en viendrait à la conclusion qu'il existe une crainte raisonnable de partialité du fait que le président est membre du comité. Ce point de vue est étayé par ma conclusion sur la latitude qui doit être accordée au Conseil lorsqu'il s'acquitte de son obligation d'équité.

[94]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire de la décision du Conseil concernant la compétence, partie I, est rejetée.

II          Décision concernant la compétence - Partie II

[95]            En cherchant à faire annuler la décision du comité du Conseil de tenir une audience, la demanderesse soulève les questions suivantes :

1)                   Quelle est la norme de contrôle applicable aux décisions du Conseil?

2)                   Le Nicoderm est-il un « médicament » au sens de la Loi?

3)                   Les brevets 700 et 689 sont-ils liés à un médicament?

4)                   La demanderesse est-elle une « brevetée » à l'égard des brevets 700 et 689?

5)                   La Loi confère-t-elle compétence au Conseil du simple fait que des demandes de brevet ont été déposées et avant même la délivrance de tout brevet?

6)                   Si la Loi confère effectivement une telle compétence au Conseil, cette compétence excède-t-elle la compétence du Parlement du Canada?

[96]            Cette fois encore, l'analyse commence par un examen de la norme de contrôle applicable. La décision contestée porte sur une contestation directe du pouvoir conféré par la Loi au Conseil relativement au Nicoderm en tant que médicament breveté. Il convient d'appliquer l'analyse pragmatique et fonctionnelle définie dans l'arrêt Dr. Q, précité, pour déterminer la norme de contrôle applicable.

[97]            Généralement parlant, quatre facteurs doivent être pris en considération pour chacune des questions en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire :

1.                la nature du mécanisme de contrôle (clause privative);

2.                l'expertise relative - la Cour doit qualifier l'expertise du tribunal, comparer l'expertise du tribunal à la sienne et déterminer la nature de la question dont était saisi le tribunal par rapport à cette expertise;

3.                l'objet de la loi;

4.                la nature de la question.

[98]            Jusqu'à tout récemment, il était bien établi que la norme de contrôle applicable à l'égard d'une question de compétence était celle de la décision correcte. Ce principe a été nuancé dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 982, et, désormais, les questions de compétence doivent être traitées comme les autres questions de droit. Il est donc nécessaire, compte tenu de l'arrêt Dr. Q, précité, d'examiner chacune des questions en litige en fonction de l'analyse pragmatique et fonctionnelle expliquée dans cet arrêt.


La nature du mécanisme de contrôle

[99]            Le mécanisme de contrôle du Conseil est prévu au paragraphe 97(1) de la Loi :

97. (1) Dans la mesure où les circonstances et l'équité le permettent, le Conseil agit sans formalisme, en procédure expéditive.

97. (1) All proceedings before the Board shall be dealt with as informally and expeditiously as the circumstances and considerations of fairness permit.

[100]        Comme l'a souligné le juge de première instance dans la décision ICN Pharmaceuticals, Inc. c. Canada (Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés) (1996), 66 C.P.R. (3d) 45 (C.F. 1re inst.), les décisions du Conseil ne sont pas protégées par une clause privative, bien que ce facteur ne soit pas déterminant. La Loi ne prévoit aucun droit d'appel et les décisions du Conseil ne peuvent faire l'objet d'un contrôle judiciaire qu'en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, modifiée. À mon avis, cela signifie que les décisions du Conseil doivent faire l'objet d'une plus grande retenue.

L'expertise relative du Conseil

[101]        Dans la décision ICN, précitée, le juge de première instance a analysé l'expertise au paragraphe 17 :

Je n'ai aucune difficulté à conclure que le Conseil est un tribunal spécialisé. Le législateur a mis en place un mécanisme de nomination pour veiller à ce que le Conseil soit composé de membres qui sont bien informés au sujet de l'industrie pharmaceutique. L'article 92 de la Loi sur les brevets prévoit que le ministre peut constituer un comité consultatif formé de représentants des ministres provinciaux responsables de la santé, de représentants de l'industrie pharmaceutique et de représentants des groupes de consommateurs. Le ministre doit en outre consulter ce comité avant de nommer un membre au Conseil.

[102]        Le Conseil exerce son expertise conformément au paragraphe 83(1), dont voici le texte :

83. (1) Lorsqu'il estime que le breveté vend sur un marché canadien le médicament à un prix qu'il juge être excessif, le Conseil peut, par ordonnance, lui enjoindre de baisser le prix de vente maximal du médicament dans ce marché au niveau précisé dans l'ordonnance et de façon qu'il ne puisse pas être excessif.

83. (1) Where the Board finds that a patentee of an invention pertaining to a medicine is selling the medicine in any market in Canada at a price that, in the Board's opinion, is excessive, the Board may, by order, direct the patentee to cause the maximum price at which the patentee sells the medicine in that market to be reduced to such level as the Board considers not to be excessive and as is specified in the order.

[103]        Selon moi, l'interprétation de certaines dispositions de la Loi, en particulier de l'article 79 et du paragraphe 83(1), dépend en grande partie du sens technique que l'on doit leur attribuer pour établir la compétence du Conseil à l'égard d'un breveté donné. Dans Barrie Public Utilities c. Association canadienne de télévision par câble, [2003] 1 R.C.S. 476, le juge Bastarache a dit, dans ses motifs dissidents, que l'interprétation donnée par un tribunal spécialisé à sa loi habilitante tient de l'application de cette loi, une composante essentielle de son mandat.

[104]        En outre, le Conseil applique la section de la Loi portant sur l'examen du prix des médicaments brevetés de façon à réaliser des objectifs de politique. Sur ces questions, il possède une expertise supérieure à celle d'une cour de justice généraliste.

[105]        Cependant, les questions à trancher concernent directement la compétence du Conseil d'enquêter sur le prix d'un médicament breveté donné. Le fait que ces questions portent sur la compétence milite en faveur d'un degré de retenue moins élevé.

L'objet de la Loi

[106]        Je suis d'accord avec les arguments du procureur général du Canada selon lesquels la Loi vise à résoudre et à pondérer des objectifs de politique contradictoires. On peut ainsi affirmer que l'objet de la loi est de nature polycentrique, ce qui milite en faveur d'une plus grande retenue envers le Conseil.

La nature de la question

[107]        Comme je l'ai déjà indiqué, les questions soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire consistent à interpréter le mot « médicament » , tel qu'il est utilisé au paragraphe 83(1) de la Loi, et à déterminer si certains brevets sont « liés » à un médicament, tel que le prévoit le paragraphe 79(1), si la demanderesse est une « brevetée » aux fins du paragraphe 79(1) de la Loi et si le Conseil a compétence relativement aux demandes de brevet.

[108]        À mon avis, toutes ces questions, sauf la dernière, sont des questions mixtes de droit et de fait principalement axées sur les faits. Un degré de retenue plus élevé s'impose donc à l'égard des conclusions du Conseil sur ces questions. La dernière question est davantage une question de compétence qui est principalement axée sur le droit, de sorte qu'un degré de retenue moins élevé s'impose à l'égard de la décision du Conseil à cet égard.

[109]        Après avoir fait une analyse pragmatique et fonctionnelle de chacune des questions soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire, j'estime que la norme de contrôle applicable à la décision concernant la compétence, partie II, variera en fonction de la question en cause. Je conclus que la norme de la décision raisonnable simpliciter s'applique aux questions suivantes : Le Nicoderm est-il un « médicament » au sens de la Loi? Les brevets 700 et 689 sont-ils liés à un médicament? La demanderesse est-elle une « brevetée » à l'égard des brevets 700 et 689?

[110]        À mon avis, la norme de la décision correcte devrait s'appliquer à la question de savoir si le Conseil a compétence sur les demandes de brevet.

Le Nicoderm est-il un « médicament » au sens de la Loi?

[111]        En ce qui concerne la Loi, le mot « médicament » demeure non défini. La Cour d'appel fédérale a statué, dans l'arrêt ICN, précité, que ce mot, tel qu'il est utilisé au paragraphe 83(1), devrait être interprété de la même manière qu'il l'était dans le contexte de l'article 39 de l'ancienne loi, c'est-à-dire de façon extensive, suivant son sens ordinaire.

[112]        La demanderesse a invoqué la définition du mot « médicament » retenue par le Conseil dans son Compendium, laquelle a été examinée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt ICN, précité. Même si cette définition ne lie pas la Cour, celle-ci a estimé qu'elle englobe clairement les produits que l'on considère habituellement comme des « médicaments » au sens le plus répandu de ce terme.

[113]        Suivant la norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter, la Cour doit examiner les motifs du Conseil et déterminer s'ils contiennent un mode d'analyse qui pouvait raisonnablement amener le Conseil, au vu de la preuve dont il avait été saisi, à conclure comme il l'a fait; voir Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247.

[114]        Après avoir examiné les motifs du comité du Conseil, j'estime que sa décision est défendable. Compte tenu de la preuve au dossier, je suis convaincue qu'une personne raisonnable pourrait, en se fondant sur cette preuve, parvenir au même résultat que le comité et conclure que le Nicoderm est un « médicament » en ce qui concerne la compétence du Conseil.

[115]        Subsidiairement, s'il y avait lieu d'appliquer la norme de la décision correcte, je suis également convaincue que la décision du comité du Conseil était effectivement correcte, compte tenu des directives données par la Cour d'appel fédérale quant à l'interprétation du mot « médicament » dans l'arrêt ICN, précité. De plus, l'argument de la demanderesse selon lequel la jurisprudence traitant de la définition du mot « médicament » dans le contexte du Règlement sur les AC, par exemple, l'arrêt Glaxo, précité, serait utile en l'espèce ne me convainc pas. La Cour d'appel fédérale a explicitement nié l'utilité de cette jurisprudence dans l'arrêt ICN, précité :

... L'interprétation du terme « médicament » et des mots « destinée à servir ou pouvant servir » employés à l'article 2 du Règlement n'est pas pertinente aux fins de leur interprétation aux paragraphes 79(2) et 83(1) de la Loi. Le Règlement appartient à un régime distinct dont l'objet est différent.

Les brevets 700 et 689 sont-ils liés à un médicament?

[116]        Comme l'a souligné la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt ICN, précité, il doit y avoir un lien logique entre un brevet et le médicament en cause pour que le Conseil ait compétence. La Cour a conclu qu'en raison de la grande portée des mots « est liée » et « liée » ( « pertaining to » et « pertains to » dans l'anglais) employés aux paragraphes 83(1) et 79(2) de la Loi, le lien peut être le plus ténu qui soit et qu'il n'est pas nécessaire d'interpréter le brevet pour établir le lien requis.

[117]        Dans sa décision concernant la compétence, partie II, le comité du Conseil conclut que les brevets 689, 700 et 340 sont liés au Nicoderm. Il a estimé que la demanderesse n'était pas une « brevetée » à l'égard du brevet 340 et la demanderesse ne conteste pas la conclusion voulant que le brevet 340 soit lié au Nicoderm. La demanderesse ne remet pas non plus en cause la conclusion du comité du Conseil selon laquelle le brevet 760 est lié au Nicoderm, si la Cour conclut que le Nicoderm est un « médicament » aux fins d'établir la compétence du Conseil. Cela signifie qu'il ne reste plus qu'à déterminer à cet égard si le brevet 689 est lié au Nicoderm.

[118]        La demanderesse a fait valoir que la structure du système d'administration de la nicotine protégé par le brevet 689 est différente de celle du système utilisé dans le Nicoderm et que, par conséquent, le brevet 689 ne porte pas sur une invention liée au produit Nicoderm en soi ou sur un procédé de fabrication ou de préparation du Nicoderm. Toutefois, dans ICN, précité, le Conseil et le juge de première instance ont tous deux conclu que la question de savoir si le breveté utilisait le brevet en cause n'était pas pertinente pour déterminer, sur le plan juridique, si le brevet « est lié » à un médicament au sens de la Loi. Dans cette affaire, le juge de première instance a statué que le Conseil avait eu raison de conclure qu'il ne devait pas procéder à un examen plus approfondi du brevet et de s'abstenir d'interpréter les revendications concernant l'utilisation pour déterminer si elles correspondaient à l'utilisation décrite dans l'avis de conformité afférent au médicament.

[119]        Il ressort clairement du brevet 689 qu'il s'agit d'un brevet portant sur un timbre transdermique de nicotine, soit le même type de médicament que le Nicoderm. Il est destiné à être utilisé ou peut être utilisé dans un médicament tel que le Nicoderm. Le Dr du Souich a dit dans son affidavit que [traduction] « Le timbre transdermique [de nicotine] est le dispositif d'administration du médicament qui contrôle le taux de libération de l'ingrédient actif, la nicotine, dans le sang » .

[120]        Dans l'arrêt ICN, précité, la Cour d'appel fédérale a confirmé que le lien le plus ténu qui soit permet d'établir le lien entre le brevet en cause et le médicament, compte tenu du libellé général des paragraphes 83(1) et 79(2) de la Loi. À mon avis, comme le brevet 689 porte sur un timbre transdermique de nicotine pouvant être utilisé dans le produit pharmaceutique Nicoderm, cela constitue un lien suffisant pour conclure que le brevet 689 est lié au Nicoderm. Il importe peu que le brevet 689 soit effectivement utilisé relativement au médicament Nicoderm.

[121]        Appliquant la norme de la décision raisonnable simpliciter, je suis convaincue que la conclusion du comité du Conseil selon laquelle les brevets 700 et 689 sont tous deux liés au Nicoderm est raisonnable et peut résister à une analyse assez poussée. Rien ne justifie l'intention de la Cour sur ce point.

La demanderesse est-elle une « brevetée » à l'égard des brevets 700 et 689?

[122]        Le paragraphe 79(1) de la Loi définit ainsi « breveté » ou « titulaire d'un brevet » :

79. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article et aux articles 80 à 103.

« breveté » ou « titulaire d'un brevet » La personne ayant pour le moment droit à l'avantage d'un brevet pour une invention liée à un médicament, ainsi que quiconque était titulaire d'un brevet pour une telle invention ou exerce ou a exercé les droits d'un titulaire dans un cadre autre qu'une licence prorogée en vertu du paragraphe 11(1) de la Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets.

[...]

[non souligné dans l'original]

79(1) In this section and in sections 80 to 103,

...

"patentee", in respect of an invention pertaining to a medicine, means the person for the time being entitled to the benefit of the patent for that invention and includes, where any other person is entitled to exercise any rights in relation to that patent other than under a licence continued by subsection 11(1) of the Patent Act Amendment Act, 1992, that other person in respect of those rights;

...

[emphasis mine]

[123]        La demanderesse a fait valoir que le seul brevet pour lequel elle a obtenu une licence est celui qui était nécessaire ou utile pour fabriquer, utiliser ou vendre le Nicoderm, soit le brevet 700. Vu ma conclusion antérieure, c'est-à-dire que le Nicoderm est un « médicament » au sens de la Loi et que le brevet 700 est lié au Nicoderm, il n'y a aucun doute que la demanderesse est une « brevetée » au sens de l'article 79, en ce qui concerne le brevet 700. Reste donc à déterminer si la demanderesse est une brevetée en ce qui concerne le brevet 689.

[124]        Pour déterminer si la conclusion du comité du Conseil que la demanderesse est une brevetée à l'égard du brevet 689 est raisonnable, je dois examiner le libellé de l'article 79 de la Loi ainsi que les faits pertinents au brevet 689. Il faut déterminer s'il était raisonnable pour le comité du Conseil de conclure que la demanderesse avait droit à l'avantage du brevet 689 ou si elle pouvait exercer des droits à l'égard de ce brevet. J'estime que les conclusions du comité du Conseil sur ce point sont raisonnables.

[125]        Je conviens avec le défendeur que le fait que l'invention protégée par le brevet 689 n'a jamais été développée ou commercialisée n'est pas pertinent pour la question de savoir si la demanderesse avait droit à l'avantage de ce brevet ou pouvait exercer des droits à l'égard de ce brevet. Le comité du Conseil a conclu que la demanderesse avait le pouvoir d'empêcher un concurrent de pénétrer sur le marché canadien avec le timbre de nicotine à libération différée décrit dans le brevet 689, un produit concurrent du Nicoderm. On peut considérer que ce pouvoir constitue un exercice des droits liés au brevet 689.

[126]        Les parties ont présenté leurs arguments concernant le fait que le brevet 689 figure à l'annexe B du contrat de licence. La demanderesse a affirmé que, même si le brevet 689 se trouve à l'annexe B, tous les brevets énumérés dans cette liste ne font pas nécessairement l'objet d'une licence. De plus, dans la version modifiée de l'annexe B, ni le brevet 689 ni son pendant américain n'apparaissent dans la liste.

[127]        Le défendeur fait valoir que la présence du brevet 689 à l'annexe B s'inscrit dans la coentreprise formée par Alza et HMR. Il soutient qu'il serait étrange que HMR ne soit pas titulaire d'une licence sur le brevet 689 car elle n'aurait alors aucun moyen de protéger son marché pour le Nicoderm au Canada.

[128]        Bien qu'Alza soit l'actuelle titulaire du brevet 689, en vertu du contrat de licence intervenu entre HMC et Alza, la demanderesse est autorisée à exercer au Canada les droits que détient sa société mère, HMC, en vertu de ce contrat. À mon avis, il ressort d'un examen du contrat de licence et de l'annexe B que tous les brevets faisant l'objet d'une licence doivent figurer à l'annexe B; or, cette annexe est justement intitulée [traduction] « Brevets sous licence (section 1.6) » . Par conséquent, rien ne permet de conclure que le brevet 689 a été inclus par erreur dans l'annexe B.

[129]        Étant donné que le comité du Conseil a conclu que le Nicoderm est un « médicament » au sens de la Loi et que le brevet 689 est lié au Nicoderm, le fait que le brevet 689 soit un brevet sous licence en vertu du contrat de licence permet, à mon avis, de conclure que la demanderesse était une brevetée au sens de l'article 79 de la Loi. Même si l'invention protégée par le brevet 689 n'a pas été mise au point en vue d'être utilisée au Canada, la demanderesse a néanmoins conservé le droit exécutoire de protéger son marché canadien pour ce produit. Compte tenu de cette analyse, je suis d'avis que la conclusion du comité du Conseil sur ce point était raisonnable et que rien ne justifie l'intervention de la Cour.

Le Conseil a-t-il compétence relativement aux demandes de brevet?

[130]        En ce qui concerne l'analyse pragmatique et fonctionnelle dont il est question dans les paragraphes qui précèdent, la norme de contrôle applicable à la décision du comité du Conseil sur cette question est celle de la décision correcte.

[131]        Dans sa décision concernant la compétence, partie II, le comité du Conseil a examiné les incidences de la preuve indiquant qu'Alza et la demanderesse ont envisagé de laisser tomber les demandes de brevet en cause en l'espèce. Il a conclu que la seule raison qui pouvait expliquer un tel abandon était qu'il pourrait permettre de soutenir que le Conseil n'avait pas la compétence nécessaire pour obliger HMRC à rembourser tout revenu excessif gagné entre 1992 et la date de délivrance du premier brevet lié au Nicoderm.

[132]        La demanderesse a soutenu que l'article 2 de la Loi définit un « brevet » comme étant les « lettres patentes couvrant une invention » et que cette définition ne vise pas une demande de brevet. Il a été allégué que l'article 79 avait élargi la portée de la définition de « breveté » ou « titulaire de brevet » de manière à ce qu'elle se rapproche de celle contenue à l'article 2; toutefois, même la définition contenue à l'article 79 se rapporte précisément à un brevet et non à une demande de brevet.

[133]        Le défendeur a fait valoir que le paragraphe 55(2) confère un avantage au titulaire d'un brevet dès le moment où la demande devient accessible au public, ce qui crée une protection de facto, même si le brevet n'a pas encore été délivré de jure. Le défendeur et l'intervenant ont tous deux soutenu que le comité du Conseil s'était à juste titre déclaré compétent sur les demandes de brevet étant donné qu'il est possible qu'un demandeur de brevet décide de retarder la délivrance du brevet afin d'éviter que le Conseil ne le réglemente.

[134]        Cependant, si tel est le cas et que le Conseil est compétent dès qu'un brevet devient accessible au public, alors pourquoi le Conseil ne s'est-il pas déclaré compétent à partir de la date de publication des brevets 700 et 689? À mon avis, il est illogique que le Conseil ait compétence sur les demandes de brevet en fonction de la date à laquelle elles deviennent accessibles au public et exerce sa compétence sur les brevets qui sont délivrés à compter de la date de leur délivrance.

[135]        Ce raisonnement ne tient pas compte du fait que le brevet tire son origine de la loi. La délivrance d'un brevet a pour effet de créer un monopole, conformément à la Loi. L'article 42 de la Loi prévoit ce qui suit :

42. Tout brevet accordé en vertu de la présente loi contient le titre ou le nom de l'invention avec renvoi au mémoire descriptif et accorde, sous réserve des autres dispositions de la présente loi, au breveté et à ses représentants légaux, pour la durée du brevet à compter de la date où il a été accordé, le droit, la faculté et le privilège exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d'autres, pour qu'ils l'exploitent, l'objet de l'invention, sauf jugement en l'espèce par un tribunal compétent.

42. Every patent granted under this Act shall contain the title or name of the invention, with a reference to the specification, and shall, subject to this Act, grant to the patentee and the patentee's legal representatives for the term of the patent, from the granting of the patent, the exclusive right, privilege and liberty of making, constructing and using the invention and selling it to others to be used, subject to adjudication in respect thereof before any court of competent jurisdiction.

[136]        À mon avis, une demande de brevet ouvre uniquement la voie à la possibilité qu'un brevet soit délivré. L'existence d'une demande de brevet rendue publique ne permet en aucun cas de conclure que le brevet sera automatiquement délivré. Pour ces motifs, je conclus que le comité du Conseil a commis une erreur en estimant qu'il était autorisé à se déclarer compétent sur les deux demandes de brevet rendues publiques. J'estime en outre que les motifs du comité du Conseil sur cette question démontrent qu'il a essayé de justifier sa conclusion sur ce point.

[137]        Par conséquent, je conclus que le comité du Conseil a commis une erreur de droit en cherchant à exercer sa compétence sur les deux demandes de brevet, à savoir les demandes 446 et 352. Cette partie de la décision du comité du Conseil sera donc annulée.

[138]        La demande de contrôle judiciaire de la décision du Conseil concernant la compétence, partie II, est accueillie en partie, conformément aux motifs qui précèdent, et est rejetée pour le reste.

[139]        Si les parties ne parviennent pas à s'entendre sur les dépens, elles auront jusqu'au 1er décembre 2005 inclusivement pour présenter de brèves observations.

[140]        Les présents motifs seront versés dans les dossiers T-1576-99 et T-1671-00.

« E. Heneghan »

JUGE

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-1576-99

                                                            T-1671-00

INTITULÉ :                                        HOECHST MARION ROUSSEL CANADA INC.

                                                            c.

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                            et

CONSEIL D'EXAMEN DU PRIX DES MÉDICAMENTS
BREVETÉS

                                               

LIEU DE L'AUDIENCE :                  OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LES 16 ET 17 MAI 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :                       LE 17 NOVEMBRE 2005

COMPARUTIONS:

Martin W. Mason

Andrew Hayes                                      POUR LA DEMANDERESSE

F.B. Woyiwada                                     POUR LE DÉFENDEUR

Gordon Cameron                                  POUR L'INTERVENANT

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Gowling Lafleur

Henderson LLP                                     POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur

général du Canada                                 POUR LE DÉFENDEUR

Blake, Cassels &

Graydon LLP

Ottawa (Ontario)                                   POUR L'INTERVENAN



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