Date: 20010523
Dossier : IMM-3999-00
Référence neutre : 2001 CFPI 518
ENTRE :
SARAH ADJOA QUAYE
demanderesse
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a, le 13 juillet 2000 (oralement) et le 29 août 2000, refusé de reconnaître à la demanderesse le statut de réfugiée au sens de la Convention.
[2] La demanderesse est une citoyenne du Ghana âgée de 29 ans qui revendique le statut de réfugiée au sens de la Convention du fait de sa race, des opinions politiques qui lui sont imputées et de son appartenance à un groupe social, en l'occurrence les femmes battues.
[3] La demanderesse fait partie de la tribu des Akans qui vit dans un petit village rural où les mariages arrangés sont encore monnaie courante. Les parents de la demanderesse avaient arrangé son mariage avec un prétendant qui avait payé ses études (un homme riche et important de son village qui vivait en Allemagne) et ce, malgré le fait qu'elle cohabitait déjà hors mariage avec un homme de qui elle était enceinte de jumeaux. Ses parents ont exigé qu'elle épouse l'homme qu'ils avaient choisi pour elle et qu'elle se fasse avorter. Elle a refusé et elle a par conséquent été victime d'ostracisme social de la part de sa famille et des membres de sa tribu. Craignant pour sa vie, la demanderesse a quitté le Ghana et est arrivée au Canada. La demanderesse craint de retourner au Ghana parce que sa tribu la tuerait. Elle craint aussi pour la sécurité de ses enfants et de son conjoint de fait.
[4] La Commission a conclu que la demanderesse avait raison de craindre d'être persécutée pour des motifs liés à son sexe. La Commission s'est ensuite demandé si la demanderesse pouvait être renvoyée au Ghana et a conclu qu'il existait une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Accra, la métropole du Ghana.
[5] La Commission a conclu qu'il n'y avait rien de plus qu'une simple possibilité que le mari proposé et les membres de la famille de la demanderesse poursuivent cette dernière à Accra. Le prétendant vit en Allemagne et rien ne permet de penser que sa richesse et son influence dépassent les limites du village de la demanderesse.
[6] La Commission a fait remarquer que le gouvernement avait adopté une loi qui avait eu pour effet de doubler la peine obligatoire prévue en cas de viol et qu'il avait modifié le Code criminel de 1960 de manière à prévoir d'autres mesures de protection en faveur des femmes et des enfants, notamment en criminalisant les mariages forcés.
[7] De plus, l'administration policière a mis sur pied à Accra une unité spéciale chargée notamment de s'occuper des cas de violence conjugale. Cette unité travaille en étroite collaboration avec des organismes non gouvernementaux qui fournissent leur aide dans le domaine de la violence conjugale et de la violence exercée en fonction du sexe.
[8] La Commission a également souligné que le président du Ghana et sa femme sont parmi les défenseurs les plus acharnés des droits des femmes.
[9] Compte tenu de ce qui précède, la Commission a conclu qu'il n'existait pas de possibilité raisonnable ou de risque sérieux que la demanderesse soit persécutée si elle devait retourner au Ghana.
[10] La Cour d'appel fédérale a examiné pour la première fois le concept de la PRI dans l'arrêt Zalzali c. Canada (M.E.I.), [1991] 3 C.F. 605 (C.A.F.) dans lequel le juge Décary a déclaré, aux pages 614 et 615 :
Je n'ai pas ici à décider ce qu'il faut entendre par « gouvernement » . Je sais qu'en principe une persécution dans une région donnée ne sera pas une persécution au sens de la Convention si le gouvernement du pays est en mesure, ailleurs sur son territoire, d'assurer la protection voulue, mais encore faut-il qu'on puisse raisonnablement attendre des victimes, compte tenu de toutes les circonstances, qu'elles se déplacent vers cette partie du territoire où elles seraient protégées.
[11] La Cour d'appel fédérale a expliqué plus à fond le concept de la PRI dans l'arrêt Rasaratnam c. Canada (M.E.I.), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.F.) dans lequel le juge Mahoney déclare, à la page 710 :
[...] le concept de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays est inhérent à la définition de réfugié au sens de la Convention. Selon cette définition, le demandeur doit se trouver hors du pays dont il a la nationalité ou de celui où il avait sa résidence habituelle et il doit ne pouvoir ou ne vouloir y retourner au motif qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques. Je n'éprouve pas le besoin d'en conclure que la crainte d'être persécutéainsi restreinte est nécessairement de la même nature que la perte de jouissance des « droits fondamentaux de la personne » . En conséquence, j'énoncerais de nouveau la première proposition : la Commission doit être convaincue selon la prépondérance des probabilités que le demandeur ne risque pas sérieusement d'être persécutédans la partie du pays où, selon elle, il existe une possibilitéde refuge.
[...] puisque, par définition, le réfugié au sens de la Convention doit être un réfugié d'un pays, et non d'une certaine partie ou région d'un pays, le demandeur ne peut être un réfugié au sens de la Convention s'il existe une possibilité de refuge dans une autre partie du même pays. Il s'ensuit que la décision portant sur l'existence ou non d'une telle possibilité fait partie intégrante de la décision portant sur le statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur. Je ne vois aucune raison de déroger aux normes établies par les lois et la jurisprudence et de traiter de la question de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays comme s'il s'agissait d'un refus d'accorder ou de maintenir le statut de réfugié au sens de la Convention.
[Non souligné dans l'original.]
[12] Après avoir examiné attentivement la preuve, je ne suis pas convaincue qu'elle permettait raisonnablement à la Commission de conclure que la demanderesse avait une PRI à Accra.
[13] Premièrement, la preuve ne permet pas de conclure qu'il n'existait qu'une simple possibilité que la demanderesse soit poursuivie par son prétendant, sa famille ou des membres de sa tribu à Accra. La Commission s'est livrée à des conjectures en concluant que l'influence du prétendant ne dépassait pas les limites du village de la demanderesse. Comme il s'agit d'un homme d'affaires qui était en mesure de vivre à l'étranger, en Allemagne, et d'envoyer de l'argent pour faire instruire la demanderesse, il est probable que sa richesse et son influence dépassent les limites du village et qu'il pourrait retrouver la demanderesse à Accra s'il le voulait. De plus, je crois qu'il est plus que probable que s'ils ont prévu pour elle un mariage arrangé depuis sa petite enfance, les membres de sa famille continueraient à être gouvernés par une mentalité traditionnelle et qu'ils se mettraient à sa recherche pour la punir ou pour la forcer à épouser l'homme en question. Je suis d'accord avec la demanderesse pour dire que les normes culturelles et traditionnelles ne changent pas du jour au lendemain et que la simple adoption de nouvelles lois n'est pas suffisante en soi pour procurer à la demanderesse une PRI dans la capitale.
[14] En second lieu, la Commission a mal interprété la preuve lorsqu'elle a conclu que, même si la demanderesse était crédible sur la question de la violence liée au sexe, il fallait préférer la preuve documentaire parce qu'elle indiquait que l'État avait pris certaines mesures pour lutter contre la violence envers les femmes.
[15] On reconnaît au contraire dans la preuve documentaire soumise à la Commission que la [TRADUCTION] « violence envers les femmes, y compris le viol et la violence conjugale, demeure un problème important partout au Ghana (y compris à Accra). Une étude menée en 1998 révèle qu'au moins 54 pour 100 des femmes ont été victimes d'agression au cours des dernières années. » (Annexe R-1, article 2.1, U.S. Department of State Country Reports on Human Rights Practices for 1999 (25 février 2000).)
[16] Ainsi que la Cour d'appel fédérale l'a fait remarquer dans l'arrêt Ahmed c. Canada (M.E.I.), (1993), 156 N.R. 221 (C.A.F.), pour conclure à l'existence d'une possibilité de refuge intérieur, il est nécessaire de conclure que la demanderesse peut, de façon raisonnable et sans difficultés excessives, trouver dans son propre pays un refuge où elle peut échapper à la persécution. Je ne suis pas convaincue qu'il soit possible de tirer une telle conclusion en l'espèce.
[17] La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission est annulée et l'affaire est renvoyée à la Commission pour être jugée par un tribunal constitué d'autres commissaires.
« Danièle Tremblay-Lamer »
Juge
Toronto (Ontario)
Le 23 mai 2001
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, LL. L., trad. a.
COUR FÉDÉ RALE DU CANADA
Avocats inscrits au dossier
No DU GREFFE : IMM-3999-00
INTITULÉDE LA CAUSE : SARAH ADJOA QUAYE
demanderesse
et
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
DATE DE L'AUDIENCE : LE MARDI 22 MAI 2001
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE PAR : MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER
DATE DES MOTIFS : LE MERCREDI 23 MAI 2001
ONT COMPARU
M. Moses pour la demanderesse
M. Butterfield pour le défendeur
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Moses and Associates pour la demanderesse
Avocats
480, avenue University, bureau 610
Toronto (Ontario) M5G 1V2
Morris Rosenberg pour le défendeur
Sous-procureur général du Canada
COUR FÉDÉ RALE DU CANADA
Date : 20010523
Dossier : IMM-3999-00
Entre :
SARAH ADJOA QUAYE
demanderesse
et
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET
DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE