Date : 20060120
Dossier : IMM-7663-05
Référence : 2006 CF 52
ENTRE :
STEVEN WYNN KUBBY, MICHELE KUBBY,
BROOKE KUBBY ET CRYSTAL KUBBY
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
[1] Les demandeurs, Steven Wynn Kubby, son épouse, Michele Kubby, et leurs enfants, Brooke et Crystal Kubby, sont des demandeurs d'asile déboutés en provenance des États-Unis. Ils prétendent qu'ils sont des personnes à protéger parce que Steven Wynn Kubby a utilisé de la marijuana à des fins médicales. En novembre 2003, leurs demandes d'asile ont été rejetées par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) et la Cour a par la suite confirmé la décision à cet égard en juillet 2005.
[2] Par la suite, les demandeurs ont présenté une demande d'examen des risques avant renvoi, en reprenant essentiellement à l'égard des risques les mêmes allégations qu'ils avaient présentées devant la Commission. En novembre 2005, une agente d'examen des risques avant renvoi (l'agente d'ERAR) a rejeté la demande et la décision à cet égard est maintenant contestée par les demandeurs au moyen d'une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire.
[3] La présente requête est présentée par les demandeurs en vue d'obtenir, jusqu'à ce que soit tranchée leur demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de l'agente d'ERAR, un sursis à la mesure de renvoi devenue exécutoire prise à leur endroit.
[4] Les faits pertinents suivants sont énoncés longuement dans les motifs détaillés de la Commission à l'égard de sa décision rejetant les demandes d'asile des demandeurs :
- M. Kubby et les membres de sa famille sont tous citoyens des États-Unis. En 1968, M. Kubby a eu un diagnostic de cancer surrénal et il a commencé au début des années 1980 à utiliser de la marijuana à des fins médicales. Il a pu utiliser de la marijuana en Californie pendant plus de seize ans sans avoir de problèmes.
- En 1995, les électeurs de la Californie ont approuvé la proposition 215, également connue sous le nom de Compassionate Use Act. Cette loi prévoit que ne constitue pas une infraction au code de l'État de Californie en matière de santé et de sécurité (le Health and Safety Code) le fait pour un individu de cultiver ou de posséder de la marijuana si la culture ou la possession s'appuie sur une recommandation ou une approbation d'un médecin pour l'usage médical personnel de cet individu. On estime qu'il y a des dizaines de milliers d'individus qui utilisent de la marijuana à des fins médicales en Californie et que de nombreuses organisations distribuent ou offrent actuellement de la marijuana à des individus à des fins médicales dans l'État. De nombreux autres États américains ont également adopté des lois se rapportant à l'usage de la marijuana à des fins médicales.
- La loi portant sur les substances contrôlées (la Controlled Substances Act) interdit encore la culture, la distribution et la possession de marijuana. Cependant, 99 pour 100 des arrestations liées à la marijuana sont effectuées par les autorités locales ou les autorités de l'État qui n'appliquent pas les lois fédérales. En outre, les autorités fédérales ont tendance à mettre l'accent sur le trafic de drogues à grande échelle et, en raison des ressources limitées, ne s'occupent généralement pas d'enquêtes ou de poursuites peu importantes à l'égard des drogues.
- En juillet 1998, les autorités policières de la Californie ont exécuté un mandat de perquisition à la résidence de M. Kubby et ont trouvé, notamment, 265 plants de marijuana qui étaient cultivés à l'intérieur. M. Kubby a été arrêté et accusé de diverses infractions liées à la marijuana suivant le Health and Safety Code de la Californie, incluant la culture de marijuana et la possession à des fins de vente. Il a de plus été accusé de diverses autres infractions liées aux drogues, notamment de possession de mescaline et de psilocine.
- M. Kubby a prétendu qu'il cultivait de la marijuana pour son usage médical personnel comme le prévoit le Compassionate Use Act.
- En décembre 2000, à la suite d'un long procès devant jury, M. Kubby n'a été déclaré coupable d'aucune infraction liée à la marijuana parce que le jury a accepté sa défense d'usage de la marijuana à des fins médicales. Il a cependant été déclaré coupable d'autres infractions liées à des drogues, notamment de possession de mescaline et de psilocine.
- En mars 2001, la Cour a condamné M. Kubby à 120 jours de détention, qu'il pouvait purger en détention à domicile, à une amende et à une probation de trois ans. La Cour a en outre ordonné que M. Kubby soit autorisé à utiliser de la marijuana durant sa période de détention à domicile et de probation. Il importe de mentionner que la Cour faisait régulièrement des pauses au cours du procès afin de permettre à M. Kubby d'utiliser de la marijuana.
- M. Kubby devait se présenter aux autorités de l'État en juillet 2001 pour commencer à purger sa peine. Toutefois, en avril 2001, sa famille et lui ont quitté les États-Unis et sont venus au Canada. Jusqu'à maintenant, M. Kubby n'est pas retourné aux États-Unis pour purger sa peine.
[5] Les demandeurs doivent, pour avoir gain de cause et obtenir le sursis demandé, démontrer qu'ils ont soulevé une question sérieuse devant être tranchée, qu'ils subiraient un préjudice irréparable si le sursis n'était pas accordé et que la prépondérance des inconvénients favorise l'octroi du sursis. Le critère en trois volets est conjonctif et les demandeurs doivent satisfaire aux trois volets pour avoir gain de cause (voir l'arrêt Toth c. Canada (M.E.I.) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.)). Je suis d'avis que les demandeurs n'ont satisfait à aucun des trois volets.
Question sérieuse à trancher
[6] Les normes de contrôle applicables aux décisions des agents d'ERAR ont récemment été renforcées dans la décision Kim c. Canada (M.C.I.), [2005] A.C.F. no 540, au paragraphe 19, dans laquelle, après avoir effectué une analyse pragmatique et fonctionnelle approfondie et complète, M. le juge Mosley a déclaré ce qui suit :
[...] je conclus que, dans le cadre du contrôle judiciaire des décisions relatives à l'ERAR, la norme de contrôle applicable aux questions de fait devrait être, de manière générale, celle de la décision manifestement déraisonnable; la norme applicable aux questions mixtes de fait et de droit, celle de la décision raisonnable simpliciter; et la norme applicable aux questions de droit, celle de la décision correcte. Les positions prises par mes collègues concernant d'autres décisions relatives à l'ERAR confirment mes conclusions.
(Voir également Tekie c. Canada (M.C.I.), [2005] A.C.F. no 30; Figurado c. Canada, [2005] A.C.F. no 458; Singh c. Canada (M.C.I.), [2004] 3 R.C.F. 323, au paragraphe 12; Gonulcan c. Canada (M.C.I.), [2005] A.C.F. no 44; Demirovic c. Canada (M.C.I.), [2005] A.C.F. no 1540; Kandiah c. Canada (Solliciteur général), [2005] A.C.F. no 1307.)
[7] Dans la mesure où les questions soulevées par les demandeurs dans leur demande d'autorisation et de contrôle judiciaire se rapportent à l'appréciation des faits effectuée par l'agente d'ERAR, il incomberait aux demandeurs, lors d'un contrôle judiciaire, de démontrer que cette appréciation est manifestement déraisonnable, c'est-à-dire clairement irrationnelle. Compte tenu des éléments de preuve pertinents, notamment d'affidavits de deux avocats aux États-Unis se rapportant à un autre citoyen américain, Steven Tuck, affidavits dont il est traité plus à fond dans les présents motifs, non seulement je ne vois pas comment les demandeurs peuvent s'acquitter d'un si lourd fardeau, mais je suis de plus d'avis qu'ils ne peuvent démontrer que l'agente d'ERAR a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait (voir l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales). Ils ne peuvent non plus démontrer que les inférences tirées par l'agente n'ont pas pu être tirées de façon raisonnable. Suivant de telles circonstances, il est bien connu en droit que la Cour ne peut pas substituer sa propre appréciation des faits à celle effectuée par l'agent d'ERAR. Par conséquent, la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire ne soulève aucune question sérieuse à l'égard de l'appréciation des faits effectuée par l'agente d'ERAR.
[8] Quant aux questions soulevées par les demandeurs relativement à une crainte de partialité de la part de l'agente d'ERAR et une violation de leurs droits garantis par les articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, il incomberait aux demandeurs, lors d'un contrôle judiciaire, de démontrer que la décision de l'agente d'ERAR est erronée. Les demandeurs n'ont pas réussi à me convaincre qu'il existe une question sérieuse à trancher.
[9] Les demandeurs n'ont fourni aucun élément de preuve que ce soit pour appuyer leurs allégations de partialité de la part de l'agente d'ERAR à titre personnel. À l'égard de leurs allégations de partialité institutionnelle, les demandeurs renvoient simplement à la décision de la Cour Say c. Canada (Le solliciteur général du Canada), 2005 CF 739. Toutefois, dans la décision Say l'argument du demandeur était fondé sur le fait que l'unité d'ERAR faisait partie de l'Agence des services frontaliers du Canada (l'ASFC) plutôt que de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) au moment en cause. Dans la présente affaire, l'unité d'ERAR faisait partie de CIC lorsque l'agente d'ERAR a rendu sa décision. En outre, tant la Cour fédérale que la Cour d'appel fédérale ont conclu que l'unité d'ERAR avait l'indépendance institutionnelle nécessaire même si elle faisait partie de l'ASFC plutôt que de CIC (Say c. Canada (Le solliciteur général du Canada), 2005 CF 739; confirmée par 2005 CAF 422).
[10] Quant à l'argument des demandeurs fondé sur la Charte, il n'est fondé ni sur des faits pertinents, comme l'a correctement évalué l'agente d'ERAR, ni sur le droit. Le droit canadien n'accorde pas à un étranger comme Steven Wynn Kubby un droit de résider au Canada simplement parce qu'il peut obtenir au Canada un certain traitement médical qu'il préfère ou un autre avantage dont il ne peut bénéficier dans son pays de nationalité (Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CSC 51).
Préjudice irréparable
[11] Il est bien établi que les demandeurs doivent démontrer que le préjudice irréparable allégué n'est ni hypothétique ni fondé sur une série de possibilités. Les demandeurs doivent convaincre la Cour que le préjudice allégué se produira si un sursis à leur renvoi aux États-Unis n'est pas accordé (voir par exemple les décisions Akyol c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 931, et Atakora c. Canada (M.C.I.), [1993] A.C.F. no 826 (1re inst.) (QL)).
[12] Dans la présente affaire, les demandeurs prétendent simplement et principalement que Steven Wynn Kubby serait détenu par les autorités policières américaines, qu'il ne pourrait pas utiliser de la marijuana pendant sa détention et qu'il mourrait probablement en raison du fait qu'il aurait été privé de marijuana.
[13] La Commission et l'agente d'ERAR ont conclu toutes deux que Steven Wynn Kubby n'a pas réussi à établir qu'il serait emprisonné s'il retournait aux États-Unis ou qu'on refuserait de lui offrir des soins médicaux adéquats s'il était emprisonné. Lorsqu'il a été initialement condamné, la cour avait ordonné que Steven Wynn Kubby purge sa peine en détention à domicile et qu'il puisse également utiliser de la marijuana au cours de sa période de détention à domicile. En outre, comme la Commission l'a mentionné, même si Steven Wynn Kubby était emprisonné, les autorités américaines sont chargées de s'assurer que les détenus reçoivent les soins médicaux adéquats et nécessaires, et des éléments de preuve montraient que tant les institutions fédérales que celles des États sont capables de s'occuper des besoins médicaux des détenus.
[14] Je suis d'accord avec le défendeur qu'il serait hypothétique de conclure maintenant que Steven Wynn Kubby serait emprisonné et qu'on refuserait de lui offrir des soins médicaux adéquats pendant son emprisonnement. La preuve dont je dispose est essentiellement composée des mêmes éléments dont disposaient la Commission et l'agente d'ERAR. Comme l'agente d'ERAR a conclu, les deux affidavits se rapportant aux expériences prétendument vécues par M. Tuck lorsqu'il est retourné aux États-Unis n'établissent pas qu'on refuserait à Steven Wynn Kubby des soins médicaux adéquats aux États-Unis. Steven Wynn Kubby n'a pas démontré qu'il est dans une situation similaire à celle de M. Tuck. En outre, les affidavits se rapportant aux expériences de M. Tuck sont contredits par d'autres éléments de preuve, notamment un élément de preuve fourni par Daniel Satterberg, directeur du personnel du bureau du procureur du comté de King, se rapportant expressément aux traitements médicaux à la disposition des personnes détenues dans l'État de Washington. Rien n'empêche Steven Wynn Kubby (ou les autres demandeurs) de retourner directement en Californie pour régler ses affaires non réglées. Il convient de noter que lorsque M. Tuck est retourné en Californie, l'État n'a pas donné suite à la plupart des accusations qui pesaient contre lui. Il a plutôt été déclaré coupable quant à seulement quatre chefs d'accusation pour des délits mineurs d'omission de comparaître, a été placé en probation et a été condamné à payer une amende.
Prépondérance des inconvénients
[15] En mai 2002, la Section d'arbitrage de la Commission a conclu que M. Kubby était une personne non admissible au Canada pour criminalité et a pris une mesure de renvoi à son endroit. Des mesures de renvoi ont par la suite également été prises à l'endroit de Mme Kubby et des enfants parce qu'ils avaient prolongé leur séjour malgré l'expiration de leurs visas de visiteur. Depuis leur arrivée au Canada il y a plus de quatre ans, les demandeurs ont reçu une décision défavorable de la Commission après une longue audience et la Cour a confirmé cette décision. De plus, comme il a été mentionné précédemment, aucune question sérieuse n'a été soulevée à l'égard de l'examen des risques avant renvoi effectué par la suite par un agent compétent et il n'a pas été démontré que les demandeurs subiraient un préjudice irréparable s'ils étaient renvoyés aux États-Unis. Dans de telles circonstances, il est clair qu'il n'est pas dans l'intérêt public de reporter l'obligation qu'a le défendeur suivant la loi d'exécuter les mesures de renvoi prises à l'endroit des demandeurs « dès que les circonstances le permettent » (voir le paragraphe 48(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27).
Conclusion
[16] Pour tous les motifs précédemment énoncés, le sursis demandé est refusé, et la requête est par conséquent rejetée.
« Yvon Pinard »
Juge
Traduction certifiée conforme
Danièle Laberge, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-7663-05
INTITULÉ : STEVEN WYNN KUBBY et al.
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 9 JANVIER 2006
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE PINARD
DATE DES MOTIFS : LE 20 JANVIER 2006
COMPARUTIONS :
Michele Kubby POUR LES DEMANDEURS
R. Keith Reimer POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Michele Kubby POUR LES DEMANDEURS
Sun Peaks (Colombie-Britannique)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Date : 20060120
Dossier : IMM-7663-05
Vancouver (Colombie-Britannique), le 20 janvier 2006
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PINARD
ENTRE :
STEVEN WYNN KUBBY, MICHELE KUBBY,
BROOKE KUBBY ET CRYSTAL KUBBY
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
ORDONNANCE
La requête déposée devant la Cour le 20 décembre 2005 en vue d'obtenir un sursis à la mesure de renvoi devenue exécutoire prise à l'endroit des demandeurs est rejetée.
« Yvon Pinard »
Juge
Traduction certifiée conforme
Danièle Laberge, LL.L.