Date : 20190820
Dossier : T‑1717‑18
Référence : 2019 CF 1081
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 20 août 2019
En présence de madame la juge McVeigh
ENTRE :
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FOROOZAN SAVODJI
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appelante
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et
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Nature de l’affaire
[1]
La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la division d’appel (la division d’appel) du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (le TSS), par laquelle l’appel porté par la demanderesse à l’encontre de la décision rendue par la division générale (la division générale) du TSS a été rejeté. La division générale avait sommairement rejeté l’appel interjeté par la demanderesse à l’encontre d’une décision du ministre de l’Emploi et du Développement social (le ministre), qui avait déterminé que celle‑ci n’était pas admissible à la pension de survivant du Régime de pensions du Canada (le RPC) parce que son mari n’avait pas cotisé au RPC pendant dix ans. Par la suite, la division d’appel [traduction] « a rejeté l’appel [de la demanderesse] au motif que la division générale n’a[vait] pas commis d’erreur qui lui permettrait d’accueillir l’appel »
.
[2]
Pour les motifs ci‑dessous, la présente demande est rejetée.
II.
Faits
[3]
Le mari de la demanderesse est né en Iran le 31 janvier 1965. La demanderesse et son mari se sont mariés dans ce pays le 8 février 1993. Celui‑ci a travaillé en Iran pendant 18 ans comme ingénieur avant que le couple déménage au Canada en 2008 avec ses deux fils adolescents. De 2011 à 2015, le mari de la demanderesse a occupé un emploi, au cours duquel il a cotisé au RPC, après avoir suivi un cours de deux ans à l’école polytechnique du Southern Alberta Institute of Technology, où il a obtenu son permis de l’Association of Professional Engineers and Geoscientists of Alberta (l’APEGA). Après avoir vécu au Canada pendant huit ans, le mari de la demanderesse a travaillé aux Émirats arabes unis de 2015 jusqu’à son décès, en juillet 2016.
[4]
Le 12 août 2016, la demanderesse a présenté une demande de pension de survivant du RPC. Sa demande initiale et sa demande de réexamen ont été rejetées par le ministre parce que son mari n’avait pas cotisé au RPC pendant la période de cotisation minimale. Le Canada n’a pas conclu d’accord de sécurité sociale avec l’Iran; un tel accord aurait pu permettre que les antécédents professionnels du mari de la demanderesse en Iran soient reconnus.
[5]
La demanderesse a interjeté appel de la décision du ministre auprès de la division générale. Elle a soutenu que son mari avait payé 8 242,63 $ en cotisations au RPC, une somme qui devrait être versée à ses survivants. Étant donné que le mari de la demanderesse n’avait pas suffisamment cotisé au RPC, la division générale a rejeté l’appel de façon sommaire parce qu’il n’avait aucune chance raisonnable de succès.
[6]
La division générale a souligné que, aux termes du paragraphe 44(3) du RPC, la période minimale d’admissibilité pour la pension de survivant correspond à la plus courte des périodes suivantes : a) trois années, représentant un tiers du nombre total d’années comprises dans la période cotisable du cotisant; ou b) au moins dix années. En l’espèce, la durée de la période cotisable du mari de la demanderesse était de 34 ans à compter du moment où il a eu 18 ans (février 1983) jusqu’au mois de son décès (14 juillet 2016). Le tiers de 34 ans correspond à 11 ans et 3 mois. Ainsi, la période minimale d’admissibilité était de dix ans dans son cas, selon la période la plus courte. Le mari de la demanderesse n’a versé des cotisations valides au RPC que pendant cinq ans.
[7]
La division générale a tenu compte de l’argument de la demanderesse selon lequel la période de cotisation devrait être établie à partir du moment où son mari était arrivé au Canada, ainsi que de l’argument selon lequel la demanderesse était une chef de famille monoparentale qui se retrouverait dans une situation financière difficile sans la pension de survivant. Cependant, la division générale a souligné que le Tribunal n’était pas habilité à exercer une forme quelconque de pouvoir fondé sur l’equity. La division générale a aussi pris en compte l’argument de la demanderesse selon lequel elle devrait être admissible au montant qui avait été déduit du salaire de son mari pour cotiser au RPC, étant donné que le Canada n’avait pas d’accord de sécurité sociale avec l’Iran. La division générale a toutefois conclu que ses pouvoirs se limitaient à ceux que lui conférait sa loi habilitante et que, à ce titre, elle n’était pas habilitée à ordonner au défendeur de verser le montant en question à la demanderesse.
[8]
La demanderesse a interjeté appel de la décision de la division générale au motif que celle‑ci avait commis un manquement à un principe de justice naturelle.
[9]
La division d’appel a rejeté l’appel de la demanderesse sans avoir tenu d’audience, étant donné que les parties n’en avaient pas demandé et qu’une audience n’était pas nécessaire dans les circonstances.
[10]
La division d’appel a déclaré qu’aux termes de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34 (la LMEDS), il n’existait que trois moyens d’appel correspondant aux faits suivants : 1) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a commis une erreur de compétence; 2) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit; et 3) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
[11]
La division d’appel a conclu que la demanderesse n’avait contesté aucun des faits sur lesquels la division générale avait fondé sa décision. La division d’appel a déclaré que la demanderesse avait affirmé, comme elle l’avait fait devant la division générale, que la loi devrait être modifiée étant donné que son mari n’avait pas été présent au Canada pendant les dix années qui avaient précédé son décès et que, de ce fait, il n’avait pas pu respecter la période minimale prévue par la loi. La demanderesse a également soutenu que l’appel devrait être accueilli pour des motifs de compassion ou en raison de circonstances atténuantes.
[12]
La division d’appel a conclu que la division générale avait été créée par une loi, et qu’elle n’avait pas le pouvoir de changer les textes de loi ni d’accueillir un appel pour des motifs de compassion ou en raison de circonstances atténuantes. La division d’appel a par la suite conclu qu’elle ne pouvait accueillir l’appel, pour les mêmes raisons.
[13]
La demanderesse s’est représentée elle‑même tout au long de l’instance. Elle a indiqué qu’elle travaillait pour le Calgary Board of Education depuis 2015 à titre d’interprète. Elle a deux fils (âgés de 21 et de 17 ans), et ils habitent à Calgary.
III.
Dispositions pertinentes
Régime de pensions du Canada, LRC 1985, c C8
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Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, DORS/2013‑60
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Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34
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IV.
Question en litige
Était‑il raisonnable, pour la division d’appel, de rejeter l’appel interjeté par la demanderesse à l’encontre de la décision de la division générale de rejeter son appel de façon sommaire?
[14]
Dans l’arrêt Garvey c Canada (Procureur général), 2018 CAF 118, la Cour d’appel fédérale était saisie d’une demande visant l’annulation d’une décision rendue par la division d’appel du TSS. La juge Gleason, s’exprimant au nom de la Cour d’appel, a déclaré qu’une décision de la division d’appel ne peut être annulée que si elle est déraisonnable, et qu’il « s’agit en effet de la norme de contrôle à appliquer par [la] Cour, tel qu’il a été statué aux paragraphes 24 à 32 de la décision Atkinson c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 187 (CanLII) »
. La norme de contrôle à appliquer en l’espèce est donc celle de la décision raisonnable.
V.
Analyse
[15]
La demanderesse demande comment son mari aurait bien pu cotiser au RPC pendant dix ans, alors qu’il n’a habité au Canada que pendant huit ans. Elle souligne qu’il a cotisé au RPC pendant cinq des huit années au cours desquelles il a habité au pays, ce qui correspond à plus du tiers de la période totale et à une période d’au moins trois ans. La demanderesse s’interroge aussi sur l’état des cotisations de 8 242,63 $ que son mari a versées au RPC et estime que le montant devrait lui être remboursé.
[16]
La demanderesse veut que justice soit faite dans cette affaire, parce qu’elle n’a touché aucune pension malgré les cotisations versées par son mari en Iran ou au Canada. Elle affirme que, lorsque des personnes plus âgées viennent au Canada, comme elle et son mari, elles ne peuvent travailler pendant la période minimale de dix ans, ce dont la loi devrait tenir compte, car il s’agit d’une situation injuste. La demanderesse allègue également qu’il faut beaucoup de temps pour faire la transition et occuper un emploi professionnel au Canada; son mari a en effet obtenu son permis de l’APEGA après avoir travaillé pendant 18 ans comme ingénieur en Iran.
[17]
Le paragraphe 53(1) de la LMEDS précise que la division générale doit rejeter l’appel de façon sommaire si elle est convaincue qu’il n’a aucune chance raisonnable de succès. En l’espèce, la division générale a donné un avis à la demanderesse, et celle-ci a présenté des observations avant que la décision ne soit rendue, ce qui est conforme au paragraphe 22(1) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, cité plus haut.
[18]
L’article 58 de la LMEDS, précité, établit des moyens d’appel limités. La demanderesse n’a invoqué aucun de ces moyens. En l’absence de l’un des moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la LMEDS, la division d’appel n’avait aucune raison d’intervenir pour modifier la décision de la division générale. Cependant, même si je me penchais sur la question de savoir s’il y a eu manquement à l’équité procédurale, en réponse à l’allégation de la demanderesse selon laquelle le résultat était injuste, je ne pourrais conclure qu’il y a bel et bien eu un tel manquement, étant donné que la demanderesse a présenté des observations et que celles-ci ont été prises en compte.
[19]
En outre, même si la demanderesse n’a pas précisément soulevé cette question, je puis confirmer, en réponse à l’argument sur le caractère injuste de la décision, que le calcul des périodes de cotisation au RPC des personnes qui proviennent d’un pays qui n’a pas conclu d’accord avec le Canada n’entraîne pas de violation des droits prévus à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (Lezau c Canada (Développement social), 2008 CAF 99).
[20]
À l’audience, la demanderesse a confirmé qu’elle ne contestait pas les faits, mais qu’elle considérait que le système était injuste, et que, en l’espèce, elle estimait qu’on devrait lui accorder une exception, compte tenu de sa situation. Malheureusement pour elle, la loi ne prévoit ni exception ni pouvoir discrétionnaire concernant le RPC et la pension de survivant.
[21]
La demanderesse a fait valoir qu’il était arrivé, par le passé, que le gouvernement apporte des changements aux critères d’admissibilité au RPC, et qu’il s’agissait là de la preuve que des changements pouvaient être apportés. Elle a affirmé que sa situation devrait entraîner un changement. Mais le rôle de la Cour n’est pas d’initier pareils changements ni d’adopter des lois. Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, je ne contrôlerai la décision qu’en me fondant sur la norme de la décision raisonnable.
[22]
J’estime que la division générale a conclu à juste titre qu’elle n’avait pas compétence pour accueillir un appel pour des motifs de compassion ou en raison de circonstances atténuantes. Les tribunaux ne peuvent pas non plus modifier les lois pour les adapter à des situations factuelles qui suscitent la compassion. Dans ce contexte, le paragraphe 53(1) de la LMEDS précise que la division générale doit rejeter l’appel de façon sommaire si elle est convaincue qu’il n’a aucune chance raisonnable de succès, et c’est ce qui s’est produit en l’espèce.
[23]
La division d’appel a raisonnablement conclu que la division générale avait appliqué ce critère et qu’elle avait respecté les principes de justice naturelle, et elle a rejeté l’appel parce que la division générale n’avait commis aucune erreur qui aurait permis à l’appel d’être accueilli.
[24]
En outre, aucune disposition ne prévoit le remboursement des cotisations versées au RPC. Le défendeur a expliqué à la demanderesse que, d’une certaine façon, le RPC s’apparentait à une assurance : on verse des cotisations et, si l’on répond aux critères d’admissibilité d’une réclamation, on reçoit des paiements; mais on ne peut récupérer ses cotisations d’assurance si on ne présente pas de réclamation. Il est aussi possible de faire une analogie avec les cotisations à l’assurance‑emploi payées par les Canadiens : aucune disposition ne prévoit que ces cotisations doivent leur être remboursées, non plus qu’à leurs survivants, s’ils ne touchent pas de prestations d’assurance‑emploi. L’argent que le mari de la demanderesse a versé en cotisations au RPC ne peut être remboursé à cette dernière ou à ses enfants en tant que survivants.
[25]
En résumé, la demanderesse a demandé au SST, tout comme elle demande maintenant à notre Cour, de rendre une ordonnance contraire aux limites établies dans le RPC en ce qui a trait à la pension de survivant. Il était raisonnable, de la part de la division d’appel de confirmer la conclusion de la division générale selon laquelle elle n’était pas en mesure d’agir en ce sens. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[26]
Le défendeur n’a pas réclamé de dépens, et aucuns ne sont adjugés.
LA COUR STATUE que, dans le dossier T‑1717‑18 :
La demande est rejetée.
Aucuns dépens ne sont adjugés.
« Glennys L. McVeigh »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 9e jour de septembre 2019.
Julie‑Marie Bissonnette, traductrice agréée
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T‑1717‑18
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INTITULÉ :
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SAVODJI c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Calgary (Alberta)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 14 AOÛT 2019
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE MCVEIGH
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DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :
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LE 20 AOÛT 2019
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COMPARUTIONS :
Foroozan Sanvodji
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L’AppELANTe
(pour son propre compte)
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Christian Malciw
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Foroozan Sanvodji
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L’AppELANTe
(pour son propre compte)
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Christian Malciw
Ministère de la Justice
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pour le défendeur
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