[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 2 août 2019
En présence de madame la juge Kane
demanderesse
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et
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OYEN WIGGS GREEN & MUTALA LLP
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défenderesse
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et
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intervenante
|
[1]
Live! Holdings, LLC [Live ou la demanderesse] interjette appel de la décision du registraire des marques de commerce [le registraire] datée du 9 mars 2018. Le registraire a décidé de radier l’enregistrement de la marque de commerce de Live, « LIVE »
[la marque], conformément à l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13 [la Loi], au motif que Live n’avait pas réussi à établir l’emploi de la marque au Canada.
[2]
Live a déposé de nouveaux éléments de preuve en l’espèce. La défenderesse, Oyen Wiggs Green & Mutala LLP, ne participe pas à l’appel. Pickering Developments (Bayly) Inc. [Pickering ou l’intervenante] s’est vu accorder le statut d’intervenant dans l’ordonnance rendue par la juge Walker dans l’arrêt Live! Holdings, LLC c Oyen Wiggs Green & Mutula LLP, 2018 CF 1049, [2018] ACF no 1053 (QL). Pickering s’oppose au présent appel, et soutient que les nouveaux éléments de preuve produits par Live ne permettent pas d’établir l’emploi de la marque et que, par conséquent, la décision du registraire devrait être confirmée.
[4]
Pour les motifs qui suivent, l’appel est rejeté. Live reconnaît qu’elle n’a pas employé la marque en liaison avec plusieurs des services visés par l’enregistrement. Live prétend qu’elle a employé la marque au Canada en liaison avec trois catégories de services : les services de publicité et de marketing pour des tiers, les services de divertissement et les services d’hôtel. Cependant, les éléments de preuve ne permettent pas d’établir que Live, ou une entité autorisée au titre d’une licence par Live, a employé la marque au Canada en liaison avec ces trois catégories de services. L’observation de Live selon laquelle personnes au Canada ont tiré un avantage concret et important au Canada – en accédant à des sites Web où figurait la marque, en achetant des billets pour des événements aux États‑Unis qui ont été annoncés avec la marque, ou simplement en ayant une réservation dans un hôtel situé aux États‑Unis portant la marque – étend bien au-delà de ses limites logiques le concept d’« avantage concret et important » suffisant pour constituer un emploi au Canada. Live n’a pas établi l’existence de circonstances spéciales expliquant ou justifiant le défaut d’emploi de la marque.
I.
Contexte
[5]
Live est une entreprise située à Baltimore (Maryland). M. Taylor Gray a produit des éléments de preuve au nom de Live au moyen d’un affidavit. M. Gray décrit Live comme étant une filiale d’un groupe de sociétés privées appelées Cordish Companies [les sociétés Cordish]. Les sociétés Cordish développent, construisent, gèrent et exploitent des projets d’immeubles commerciaux d’envergure dans les domaines du divertissement, du jeu, de la restauration, de l’habitation et de l’hôtellerie. Live n’effectue ni le développement, ni la construction, ni la gestion, ni l’exploitation des projets. Comme son nom l’indique, Live est une société de portefeuille.
[6]
Live était titulaire de l’enregistrement au Canada de la marque no LMC789912 [l’enregistrement] pour la marque, LIVE. La marque a été enregistrée en vue d’un emploi en liaison avec les services suivants visés par l’enregistrement :
[7]
Live participait avec une filiale, Woodbine Live GP, Inc., au développement de « Woodbine Live »
, un projet de jeu et de divertissement dans des installations à usage mixte. Ce projet, qui devait être réalisé dans la région de Toronto, n’a pas été complété et Live a mis fin à sa participation en 2013.
[8]
Le 3 novembre 2017, à la demande de la défenderesse, le registraire a envoyé un avis à Live, conformément à l’article 45 de la Loi, lui enjoignant de démontrer l’emploi de la marque au Canada au cours des trois ans précédant la date de l’avis, c.-à-d. du 3 novembre 2014 au 3 novembre 2017 [la période pertinente]. Live n’a pas répondu.
[9]
Le 9 mars 2018, le registraire a avisé Live que l’enregistrement serait radié conformément au paragraphe 45(4) de la Loi, en raison de son défaut de produire des éléments de preuve permettant d’établir l’emploi de la marque. Live n’a pas interjeté appel de la décision du registraire dans le délai prescrit. L’enregistrement a été radié le 9 mai 2018.
[10]
Live s’est vu accorder une prorogation du délai et interjette maintenant appel de la décision du registraire, en vertu de l’article 56 de la Loi. Pickering s’oppose à l’appel.
II.
Les éléments de preuve produits en appel
[11]
Live s’appuie sur l’affidavit de M. Gray souscrit le 31 octobre 2018. M. Gray a déclaré qu’il est le vice-président du développement des sociétés Cordish. Il a expliqué au cours du contre-interrogatoire qu’il n’est pas employé par Live, mais par une filiale des sociétés Cordish, CTR Management Inc. Il n’a fourni aucun détail concernant l’affiliation et aucun organigramme. L’affidavit de M. Gray décrit la façon dont la marque a été employée au Canada au cours de la période pertinente.
[12]
M. Gray a déclaré que les sociétés Cordish possèdent et exploitent des quartiers consacrés au divertissement aux États‑Unis. Plusieurs de ces quartiers affichent la marque dans leur nom. Les sites fournissent un ensemble de services et d’installations, y compris des hôtels, des salles de conférence, des bureaux, des appartements, des centres commerciaux, des installations sanitaires, des salles de concert, des casinos, des restaurants et des bars. Les pièces jointes à l’affidavit comprennent des photos de ces quartiers, où la marque est affichée d’une façon ou d’une autre.
[13]
M. Gray a déclaré que [traduction] « [p]lusieurs des millions de visiteurs [annuels] des quartiers de Live consacrés au divertissement sont des Canadiens »
. Il affirme que les Canadiens achètent des billets à des événements et reçoivent des offres de fidélité provenant des salles de jeu des sociétés Cordish. Il déclare qu’au cours de la période pertinente, au moins 36 commandes de billets pour des concerts organisés dans diverses salles des sociétés Cordish aux États‑Unis ont été livrées à des adresses au Canada.
[14]
M. Gray a également déclaré qu’au moins 41 réservations au Live! Casino & Hotel situé à Hanover (Maryland), qui appartient aux sociétés Cordish et qui emploie la marque, ont été effectuées par des personnes ayant une adresse résidentielle au Canada. Lors du contre‑interrogatoire, M. Gray a reconnu que cet hôtel n’existait pas au cours de la période pertinente. Il a suggéré que les réservations auraient pu avoir été effectuées relativement à un autre hôtel au Maryland, Live Lofts.
[15]
M. Gray a affirmé que la marque figurait sur les sites Web des hôtels et dans les courriels de confirmation des réservations reçus par les clients. En outre, les sites Web de plusieurs des sites des sociétés Cordish affichaient la marque au cours de la période pertinente. Des captures d’écran de ces sites Web prises en octobre 2018 (après la période pertinente) ont été déposées comme pièces. M. Gray a expliqué que les captures d’écran étaient typiques de celles prises au cours de la période pertinente. M. Gray a témoigné que des Canadiens ont visité les sites Web de ces sites au cours de la période pertinente.
[16]
M. Gray a ajouté que la liste d’envoi des sociétés Cordish inclut environ 1 000 personnes ayant une adresse au Canada. Il déclare que ces personnes sont membres du [traduction] « programme de récompenses de Live! »
et qu’elles peuvent accumuler des points de plusieurs façons, notamment en jouant à des jeux de casino aux casinos et aux hôtels, en dînant aux restaurants des hôtels et en magasinant au magasin de détail « SHOP LIVE! »
(lesquels se trouvent tous aux États‑Unis). Les points peuvent être échangés dans divers sites des sociétés Cordish se trouvant aux États‑Unis, notamment pour obtenir des rabais sur la nourriture, les boissons et les services offerts aux sites affiliés aux États‑Unis.
[18]
M. Gray a reconnu que Live et les sociétés Cordish n’avaient aucun développement ou site au Canada qui offrait les services visés par l’enregistrement. M. Gray a expliqué que Live avait annoncé qu’elle planifiait développer « Woodbine Live », un grand complexe de divertissement dans la région de Toronto aux environs de 2007. Le projet proposait d’inclure un hôtel, un casino, des salles de spectacle, des magasins, des restaurants, un parc et un canal de patinage, des bureaux et des logements.
[19]
M. Gray a affirmé que la filiale de Live, Woodbine Live GP, Inc., avait signé des baux avec des entreprises canadiennes des secteurs de l’alimentation et du divertissement pour un espace dans le cadre du développement proposé. Il a déclaré que la marque figurait sur les baux. M. Gray a témoigné aussi que Live [traduction] « avait un contrôle direct sur les caractéristiques et la qualité des biens et des services vendus et offerts par Woodbine Live GP, Inc. »
en liaison avec la marque.
[20]
M. Gray a expliqué que le projet Woodbine Live n’a pas été construit en raison de problèmes entre le partenaire de Live, Woodbine Entertainment Group, et la Société des loteries et des jeux de l’Ontario [OLG]. M. Gray a témoigné que les sociétés Cordish ont soumissionné sur d’autres projets de développement au Canada en 2016 et en 2017, mais qu’elles n’ont pas été retenues.
III.
Les questions en litige
[21]
L’appel soulève trois questions clés :
- La question de savoir si les nouveaux éléments de preuve déposés par Live dans le cadre du présent appel devraient être acceptés;
- La question de savoir si les nouveaux éléments de preuve permettent d’établir que Live ou d’autres entités autorisées par Live à utiliser la marque au titre d’une licence ont employé la marque au Canada en liaison avec les services visés par l’enregistrement au cours de la période pertinente;
- Étant donné que la demanderesse reconnaît que les éléments de preuve ne permettent pas d’établir l’emploi en liaison avec tous les services visés par l’enregistrement, la question de savoir s’il existe des circonstances spéciales expliquant ou justifiant le défaut d’emploi de la marque.
IV.
La norme de contrôle
[23]
Dans le cadre de l’appel d’une décision du registraire, lorsqu’aucun nouvel élément de preuve substantiel n’est produit, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Cependant, lorsque de nouveaux éléments de preuve qui auraient eu un effet important sur la décision du registraire sont produits en appel, la Cour doit effectuer un examen de novo et trancher la question de savoir si le demandeur a établi l’emploi de la marque en question (Mattel, Inc. c 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, aux par. 35 et 37, [2006] 1 RCS 772 [Mattel]; Brasseries Molson c John Labatt Ltée, [2000] 3 CF 145, au par. 51, 180 FTR 99).
[24]
La Cour d’appel fédérale a expliqué la double norme de contrôle applicable aux appels de décisions du registraire dans l’arrêt Saint Honore Cake Shop Limited c Cheung’s Bakery Products Ltd., 2015 CAF 12, au par. 18, 132 CPR (4th) 258 :
En principe, la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer lors de l’appel d’une décision de la Commission est celle de la décision raisonnable. Toutefois, lorsque des éléments de preuve additionnels sont présentés au juge en appel suivant l’article 56 de la Loi et que le juge conclut que ces éléments auraient eu un effet sur les conclusions de fait de la Commission ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, il doit tirer ses propres conclusions sur la question à laquelle la preuve additionnelle se rapporte (Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, (CAF), [2000] 3 C.F. 145, au paragraphe 51).
[25]
En l’espèce, Live n’a pas fourni de réponse ou d’éléments de preuve au registraire. Par conséquent, les nouveaux éléments de preuve auraient eu une incidence sur la décision du registraire, dans la mesure où ils auraient orienté le processus décisionnel. Les nouveaux éléments de preuve produits par M. Gray, ainsi que les pièces, ont une valeur probante relativement aux questions dont est saisie la Cour à l’égard de l’emploi de la marque au Canada. Ils étoffent également le dossier dont était déjà saisi le registraire, compte tenu du fait que ce dernier n’était saisi d’aucun élément de preuve. La Cour effectue donc un examen de novo. Conformément au paragraphe 56(5) de la Loi, la Cour peut exercer toute la discrétion dont le registraire est investi.
V.
Live – ou d’autres entités autorisées au titre d’une licence par Live – ont-elles employé la marque au Canada en liaison avec les services visés par l’enregistrement au cours de la période pertinente?
A.
Observations de la demanderesse
[26]
Live prétend qu’elle a employé la marque au Canada en liaison avec trois catégories clés de services visés par l’enregistrement – les services d’hôtel, les services de divertissement et les services de publicité et de marketing pour des tiers – et avec plusieurs services accessoires ou connexes au cours de la période pertinente.
[28]
Live soutient que l’affichage d’une marque de commerce sur un site Web est une preuve d’emploi lorsque les services sont exécutés au Canada, ou qu’ils ciblent les Canadiens et leur sont offerts (en s’appuyant sur HomeAway.com, Inc. c Hrdlicka, 2012 CF 1467, au par. 22, [2012] ACF no 1665 (QL) [HomeAway]; UNICAST SA c South Asian Broadcasting Corporation Inc., 2014 CF 295, au par. 46 à 47, 122 CPR (4th) 409 [UNICAST]). Live prétend que, bien qu’elle ne dispose pas d’installations physiques au Canada depuis 2013, la marque a été affichée sur les sites Web auxquels ont accès de nombreux Canadiens et par lesquels des services sont offerts aux Canadiens, ce qui constitue un emploi au Canada au cours de la période pertinente.
[29]
Live soutient également que, d’un point de vue moderne et pragmatique, une présence physique n’est pas nécessaire pour offrir un service (en s’appuyant sur Dollar General Corporation c 2900319 Canada Inc., 2018 CF 778, 157 CPR (4th) 318 [Dollar General]; Hilton Worldwide Holding LLP c Miller Thomson, 2018 CF 895, 159 CPR (4th) 243 [Hilton]; TSA Stores, Inc. c Registraire des marques de commerce, 2011 CF 273, 199 ACWS (3d) 937 [TSA Stores]). La question est de savoir si des personnes au Canada ont tiré un avantage du service.
[30]
Live soutient que les services de réservation font partie des services de divertissement et des services d’hôtel (en s’appuyant sur Hilton, au par. 68). Live remarque que des personnes au Canada réservent des billets en ligne à des événements tenus dans des sites de divertissement portant la marque et font des réservations dans des hôtels et des centres de villégiature aux États‑Unis qui affichent la marque.
[32]
Live soutient que les « services d’hôtel »
sont un ensemble de services et que l’absence de certains services ne signifie pas qu’elle n’a pas réussi à démontrer l’emploi en liaison avec des services d’hôtel. Live mentionne les réservations effectuées par des personnes ayant une adresse au Canada. Live s’appuie sur Hilton pour soutenir que les services de réservation sont un aspect des « services
d’hôtel
»
. Live prétend que les réservations effectuées en ligne à partir du Canada fournissent la certitude qu’une chambre sera disponible à l’arrivée sur le site aux États‑Unis, et que cette certitude est un avantage dont profitent les personnes au Canada. Les clients n’ont pas besoin de [traduction] « s’étendre sur le lit »
pour tirer avantage des services d’hôtel.
[34]
Live remarque que 12 000 documents promotionnels ont été envoyés à des adresses au Canada. Ces documents informaient les personnes au Canada de la tenue d’événements à certains sites aux États‑Unis et fournissaient un lien ou d’autres renseignements pour faciliter l’achat de billet par l’entremise d’un système de billetterie.
B.
Les observations de l’intervenante
[35]
Pickering soutient que Live n’a pas établi l’emploi de la marque au Canada en liaison avec les services visés par l’enregistrement au cours de la période pertinente. Premièrement, l’emploi allégué n’était pas celui de Live, parce que cette dernière n’est qu’une société de portefeuille, sans employés ni activités. Aucun élément de preuve ne révèle l’existence d’une licence liant Live et une filiale. Deuxièmement, aucun élément de preuve n’établit l’emploi de la marque au Canada en liaison avec les services visés par l’enregistrement au cours de la période pertinente.
(1)
Aucune entité autorisée à employer la marque au titre d’une licence
[36]
Pickering soutient que l’emploi de la marque par des « filiales »
des sociétés Cordish ne constitue pas un emploi par Live en l’absence d’une licence. Pickering allègue qu’aucun élément de preuve ne permet d’établir ou d’inférer l’existence de licences.
[37]
Pickering reconnaît que l’emploi d’une marque de commerce au moyen d’une licence a le même effet que l’emploi d’une marque de commerce par le propriétaire si ce dernier exerce un contrôle direct ou indirect sur la qualité ou les caractéristiques des biens et des services; cependant, elle soutient que Live n’a pas démontré l’existence d’un tel contrôle. Pickering prétend qu’une relation commerciale ou un certain contrôle commun entre Live et les sociétés Cordish n’est pas suffisant pour établir que Live contrôlait les caractéristiques ou la qualité des services visés par l’enregistrement, tel qu’exigé par l’article 50 de la Loi.
[38]
Pickering soutient que l’allégation de M. Gray selon laquelle Live exerçait un contrôle sur Woodbine Live GP, Inc. n’est pas suffisante. Premièrement, s’il y avait un tel contrôle, celui‑ci n’a pas été exercé au cours de la période pertinente. Deuxièmement, le quartier n’a jamais été construit et les services n’ont jamais été offerts par ce partenaire.
(2)
Aucun élément de preuve n’établit l’emploi de la marque au Canada en liaison avec les services visés par l’enregistrement
[41]
Pickering soutient que les éléments de preuve ne permettent pas d’établir que Live a employé la marque en liaison avec les services visés par l’enregistrement au cours de la période pertinente. Afin de démontrer l’emploi, les services visés par l’enregistrement doivent être offerts à des personnes au Canada, et ces dernières doivent tirer un avantage concret et important, sans avoir à quitter le Canada (en s’appuyant sur Hilton, au par. 92 et 98). La publicité ne permet pas à elle seule d’établir l’emploi au Canada; les services doivent être exécutés au Canada (en s’appuyant sur Porter c Don the Beachcomber, [1966] RCE 982, aux par. 17 et 48, 48 CPR 280; Supershuttle International, Inc. c Fetherstonhaugh & Co., 2015 CF 1259, 263 ACWS (3d) 459 [Supershuttle]).
[42]
Pickering soutient qu’aucun élément de preuve ne corrobore le fait que Live offre des « services de publicité et de marketing pour des tiers »
au Canada ou ailleurs. La publicité et le marketing réalisés sur le site Web de Live ne bénéficient qu’à Live, et à personne d’autre. Pickering ajoute que le fait d’informer le public de l’existence de Live ne constitue pas un service.
[43]
Pickering s’oppose à la prétention selon laquelle détenir un billet pour un événement ou une réservation à un hôtel aux États‑Unis constitue un avantage concret et important au Canada. Live n’a pas démontré que des Canadiens ayant de telles réservations en ont tiré un avantage concret et important.
[44]
Pickering soutient également que les « services de divertissement »
sont décrits dans l’enregistrement, et que les artistes et les spectacles ne font pas partie de cette description. Les services particuliers de divertissement ne sont pas offerts par Live.
[45]
En ce qui concerne les « services d’hôtel »
, Pickering prétend que Live a tort de s’appuyer sur la décision Hilton, car les circonstances dans cette affaire diffèrent des faits en l’espèce. Dans cette affaire, des personnes au Canada qui ont réservé une chambre à un hôtel Waldorf Astoria aux États‑Unis pouvaient tirer des avantages du programme de fidélisation de Hilton au Canada à d’autres hôtels Hilton.
[46]
Pickering prétend qu’aucun autre élément de preuve ne corrobore l’emploi de la marque en liaison avec des services d’hôtel et de centre de villégiature. Les éléments de preuve présentés par M. Gray lors du contre-interrogatoire, selon lesquels 41 réservations ont [traduction] « probablement »
été effectuées à l’hôtel Live Lofts (plutôt qu’à l’hôtel situé à Hanover au Maryland qui n’existait pas au cours de la période pertinente), sont vagues et non étayés.
C.
Live n’a pas démontré l’emploi de la marque par une entité autorisée au titre d’une licence
[47]
Dans le cadre d’une instance introduite aux termes de l’article 45, le propriétaire de la marque de commerce enregistrée doit démontrer qu’au cours de la période pertinente, il a lui‑même employé la marque de commerce ou que celle-ci a été employée par une autre personne d’une manière qui lui a profité (Spirits International B.V. c BCF s.e.n.c.r.l., 2012 CAF 131, au par. 7, [2012] ACF no 526 (QL)). Le paragraphe 50(1) de la Loi prévoit que l’emploi par une entité autorisée au titre d’une licence est jugé avoir le même effet que l’emploi par le propriétaire enregistré, à condition que ce dernier, « aux termes de la licence, contrôle, directement ou indirectement, les caractéristiques ou la qualité des produits et services »
.
[48]
Live n’a fourni aucun élément de preuve corroborant qu’elle ait autorisé au titre d’une licence des filiales des sociétés Cordish à employer la marque en liaison avec les sites et les événements aux États‑Unis. En outre, les éléments de preuve présentés par M. Gray ne fournissent pas un fondement suffisant pour conclure que Live a accordé une licence aux filiales. Dans une organisation décrite comme un très grand groupe de sociétés affiliées qui gèrent des projets de grande envergure, il devrait être possible de rassembler des éléments de preuve sur les licences conclues entre le propriétaire de la marque et les entités qui emploient la marque. Par ailleurs, il devrait y avoir suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que les licences existaient et que Live exerçait un contrôle sur les caractéristiques et la qualité des services exécutés par les entités autorisées au titre d’une licence. Il semble que Live s’attende à ce que la Cour formule des hypothèses en se fondant sur l’emploi de la marque par des entreprises aux États‑Unis, tel que démontré par les captures d’écran des sites Web et des photos des sites. Les avocats de la demanderesse ont déclaré que [traduction] « les éléments de preuve sont ce qu’ils sont »
. Cette déclaration définit le problème auquel est confrontée Live en l’espèce, car les éléments de preuve ne sont pas suffisants pour appuyer les allégations de Live quant à l’emploi de la marque.
[49]
M. Gray a témoigné que Live conçoit et exploite des projets d’immeubles commerciaux de grande envergure qui affichent la marque directement ou par l’entremise d’une société affiliée. Lors du contre-interrogatoire, M. Gray a précisé que Live n’effectue ni le développement, ni la construction, ni la gestion, ni l’exploitation de développements et d’entreprises elle-même, et qu’elle n’a aucun employé ou fonction opérationnelle. Live n’a produit aucun élément de preuve corroborant des accords de licence avec des sociétés affiliées qui emploient la marque.
[50]
La jurisprudence a reconnu qu’il est possible de conclure à l’existence d’une licence pour l’emploi d’une marque de commerce dans des circonstances appropriées. Dans la décision Stork Market Inc. c 1736735 Ontario Inc. (Hello Pink Lawn Cards Inc.), 2017 CF 779, au par. 20, 149 CPR (4th) 287 [Stork Market], le juge Southcott a noté que, « lorsque le propriétaire d’une marque de commerce contrôle également une société à peu d’actionnaires qui utilise la marque, on peut en tirer la conclusion que la société utilise la marque en vertu d’une licence verbale accordée par le propriétaire, le propriétaire affirmant le contrôle requis sur la nature ou la qualité des marchandises ou des services »
. Le juge Southcott a conclu à l’existence d’une licence verbale en se fondant sur les éléments de preuve dont il était saisi, qui indiquaient que le particulier demandeur a commencé à exploiter seul la société en question en utilisant la marque de commerce.
[51]
Contrairement à la partie demanderesse dans Stork Market, Live n’a produit aucun élément de preuve permettant de tirer ce type de conclusion. Les seuls éléments de preuve à l’appui sont ceux présentés par M. Gray, qui a déclaré que Live est propriétaire de la marque, laquelle est utilisée par différentes filiales des sociétés Cordish. Les propriétaires des sociétés Cordish sont principalement les membres d’une famille, qui sont également propriétaires de Live. Cependant, Live n’a pas relevé d’utilisateurs autorisés au titre d’une licence – c.-à-d. les personnes et les entreprises qui possèdent et exploitent les hôtels, les casinos, les sites de divertissement et autres services – ni les propriétaires de ces entreprises qui emploient la marque.
[52]
Lors du contre-interrogatoire, lorsqu’on a demandé à M. Gray ce que faisait Live et d’où il tirait ces connaissances, il a déclaré : [traduction] « Vous savez, non, très peu, hormis mes connaissances de base sur l’entité elle-même; c’est qu’elle fait très peu »
. Cela peut être interprété de deux façons : que M. Gray a déclaré savoir peu de choses sur ce que fait Live, ou que Live fait peu de choses. Quoi qu’il en soit, les éléments de preuve n’aident pas la Cour à trancher les questions de savoir si les filiales étaient autorisées au titre d’une licence à employer la marque et si Live contrôlait les caractéristiques ou la qualité des services offerts par ces filiales.
[54]
Dans l’arrêt Empresa Cubana Del Tabaco (Sociale Cubatabaco) c Shapiro Cohen, 2011 CF 102, au par. 83, 383 FTR 164, la Cour a conclu que le propriétaire d’une marque de commerce qui interjette appel de la décision du registraire a le fardeau de démontrer qu’il a exercé un contrôle direct ou indirect sur les caractéristiques ou la qualité du service visé par une licence. La Cour ajoute ce qui suit au paragraphe 84 :
1. il peut explicitement affirmer sous serment qu’il exerce effectivement le contrôle prévu : voir, par exemple, Mantha & Associés/Associates c. Central Transport Inc. (1995), 64 C.P.R. (3d) 354 (C.A.F.), par. 3;
2. il peut produire des preuves démontrant qu’il exerce effectivement le contrôle nécessaire : voir, par exemple, Eclipse International Fashions Canada Inc. c. Shapiro Cohen, 2005 CAF 64, par. 3 à 6;
[56]
Live n’a pas produit d’autres éléments de preuve pour établir la façon dont elle contrôlait directement ou indirectement les caractéristiques ou la qualité des services visés par l’enregistrement, même avant la période pertinente, compte tenu du fait que le projet Woodbine Live était en cours d’élaboration. Le seul service ayant fait l’objet d’une mention était la location de locaux commerciaux à des locataires des secteurs de l’alimentation et du commerce au détail, mais aucun bail n’a été signé à cet égard. Cela ne peut pas être considéré comme l’exercice d’un contrôle sur la qualité ou les caractéristiques des services visés par l’enregistrement de la marque, parce que les services en question n’étaient pas offerts.
[57]
Live n’a produit aucun accord de licence. Elle n’a fourni aucun élément de preuve démontrant qu’elle avait exercé un contrôle sur les services offerts par les utilisateurs de la marque. En outre, Live n’a produit aucune preuve par affidavit attestant qu’il existe un tel contrôle à l’égard des sites aux États‑Unis qui, selon elle, emploient la marque en liaison avec les services précisés dans l’enregistrement.
[58]
Live n’a pas démontré l’emploi de la marque en liaison avec les services visés par l’enregistrement, parce que Live n’a offert aucun service. De plus, elle n’a pas établi qu’elle a accordé des licences à des filiales ou à d’autres entités en vue de leur permettre d’employer la marque. Cependant, si je commets une erreur en tirant cette conclusion, l’emploi de la marque affirmé par Live a aussi été examiné.
D.
Live n’a pas démontré l’emploi de la marque au Canada en liaison avec les services visés par l’enregistrement au cours de la période pertinente
(1)
La jurisprudence pertinente
[60]
La procédure fondée sur l’article 45 vise à éliminer le « bois mort »
, ou les enregistrements de marques de commerce périmés, du registre (Sport Maska Inc. c Bauer Hockey Corp., 2016 CAF 44, au par. 55, [2016] 4 RCF 3). Le propriétaire de la marque de commerce enregistrée doit démontrer l’emploi de la marque de commerce au Canada en liaison avec chacun des services précisés dans l’enregistrement, par le propriétaire ou en son nom, au cours des trois ans précédant la date de l’avis. Les cours ont noté qu’il s’agit d’une situation où il faut « l’employer sous peine de la perdre »
.
[61]
Dans Mattel, au par. 5, le juge Binnie a expliqué ce principe ainsi :
Contrairement à d’autres formes de propriété intellectuelle, le droit à une marque de commerce repose essentiellement sur son emploi véritable. Ainsi, l’inventeur canadien a droit à un brevet même s’il n’en fait aucune exploitation commerciale. Le dramaturge conserve son droit d’auteur même si sa pièce n’est pas jouée. Mais, en ce qui concerne une marque de commerce, le mot d’ordre est de l’employer sous peine de la perdre. L’enregistrement d’une marque déposée qui n’a pas été employée est susceptible de radiation (par. 45(3)).
[62]
Bien que le seuil à atteindre pour établir l’emploi d’une marque ne soit pas élevé, des éléments de preuve doivent être fournis pour démontrer l’emploi en liaison avec chacun des services visés par l’enregistrement. Tel que noté dans Dollar General, au par. 30 :
Du reste, une procédure de radiation engagée sous le régime de l’article 45 de la Loi n’impose pas un fardeau très lourd au déposant. La perfection n’est pas requise : il lui est simplement demandé d’établir une preuve prima facie de l’« emploi » au sens de l’article 4 de la Loi. Il en est ainsi parce que la procédure est destinée à éliminer du registre le « bois mort », et que cela suppose de maintenir un sens de la mesure et d’éviter la surabondance d’éléments de preuve. Il doit découler de la preuve une conclusion logique qu’il y a eu « emploi » au vu des faits et non d’hypothèses, et cette conclusion doit dûment tenir compte de l’ensemble des éléments de preuve.
[63]
Dans l’arrêt Riches, McKenzie & Herbert LLP c Cosmetic Warriors Ltd., 2019 CAF 48, au par. 10, [2019] ACF no 286 (QL), la Cour d’appel fédérale a fait remarquer ce qui suit en ce qui a trait aux procédures fondées sur l’article 45 instruites par le registraire, et malgré que le fardeau ait été décrit comme étant « bas »
:
[…] La preuve doit néanmoins être suffisante pour « informer [le registraire] quant à l’emploi de la marque de commerce afin que lui et la Cour, s’il y a appel, puissent être en mesure d’apprécier la situation et d’appliquer, le cas échéant, la règle de fond énoncée au [paragraphe 45(3)] » : John Labatt Ltd. c. Rainier Brewing Co. (1984), 80 C.P.R. (2d) 228, aux pages 235 et 236, 54 N.R. 296 (C.A.F.), citant l’arrêt Plough (Canada) Limited c. Aerosol Fillers Inc. (1980), [1981] 1 C.F. 679, à la page 684, 53 C.P.R. (2d) 62 (C.A.).
[65]
Dans Société nationale des chemins de fer français c Venice Simplon‑Orient‑Express Inc., [2000] ACF no 1897 (QL), 9 CPR (4th) 443 [Orient‑Express], la Cour devait trancher la question de savoir si la marque de commerce avait été employée au Canada en liaison avec l’exécution d’un « service de transport de passagers par train »
. Bien qu’il n’y eût aucun train au Canada, les Canadiens pouvaient réserver et acheter des billets au Canada par l’entremise d’agences canadiennes.
[66]
Le registraire a conclu que les « services de voyage, nommément des services de transport de passagers par train »
comprennent des services comme des « services de réservations et de vente de billets »
, lesquels étaient offerts au Canada. La Cour a conclu que l’interprétation large, par le registraire, des termes « services de transport de passagers par train »
était raisonnable et que les réservations et l’achat de billets au Canada constituaient une exécution de services de transport de passagers par train au Canada (Orient‑Express, au par. 10). La Cour avait fondé sa conclusion sur l’interprétation large du libellé des services visés dans l’enregistrement, et n’avait pas abordé la manière dont les réservations constituaient un avantage concret et important au Canada.
[67]
En revanche, dans Supershuttle, la juge Heneghan a examiné la question de savoir si le propriétaire avait employé la marque de commerce en liaison avec des « services de transport terrestre de passagers d’aéroport »
. Supershuttle n’offrait aucun service de transport terrestre au Canada, mais son système de réservation en ligne, qui affichait la marque de commerce, permettait aux Canadiens de réserver des services de navette à plusieurs aéroports situés à l’extérieur du Canada.
[68]
La juge Heneghan a examiné les principes établis, y compris celui selon lequel le terme « services »
devrait être interprété de manière libérale. Cependant, la juge Heneghan a toutefois limité la portée de ce principe, en notant au paragraphe 39 que, « [t]outefois, cette interprétation libérale n’est pas illimitée »
. La juge Heneghan a exprimé ce qui suit au paragraphe 40 :
Si le fait que des personnes voient une marque de commerce sur un écran d’ordinateur au Canada est susceptible d’établir l’emploi de cette marque, il n’en demeure pas moins que les services visés par l’enregistrement doivent être exécutés au Canada; UNICAST SA c South Asian Broadcasting Corporation Inc., 2014 CF 295, aux paragraphes 44 à 48; Express File Inc. c HRB Royalty Inc., 2005 CF 542, [2005] ACF no 667, 39 CPR (4th) 59, au paragraphe 20.
[69]
Dans Supershuttle, la juge Heneghan a conclu que le registraire avait raisonnablement conclu que la marque de commerce n’avait pas été employée au Canada.
[71]
La juge Simpson a conclu que les outils disponibles sur le site Web de TSA, lesquels aidaient les clients à trouver des magasins et à déterminer de quels articles de sport ils ont besoin, constituaient des services accessoires et faisaient partie des « services de magasin de détail »
. Bien qu’il n’y eût aucun magasin de détail au Canada, la juge Simpson a conclu que les services offerts sur le site Web s’apparentaient à une visite à un magasin de détail et constituaient un avantage pour des personnes au Canada (TSA Stores, au par. 19 à 21).
[73]
Dans Dollar General, le juge Manson a accueilli l’appel de la décision du registraire portant la radiation de la marque de commerce à des fins d’emploi en liaison avec des « services de magasin de détail »
. Le juge Manson a noté ce qui suit au paragraphe 13 :
Conformément au paragraphe 4(2) de la Loi, « [u]ne marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services ». Notre Cour a ajouté que ces services doivent être effectivement offerts aux Canadiens ou exécutés au Canada (UNICAST SA c South Asian Broadcasting Corporation Inc., 2014 CF 295 [Unicast], au paragraphe 46).
[74]
Le juge Manson a tenu compte de la jurisprudence, y compris celle abordant l’emploi de « services de magasin de détail »
. Cette jurisprudence comprenait TSA Stores et une affaire antérieure, Saks & Co. c Canada (Registraire des Marques de Commerce), [1989] ACF no 28 (QL), 24 CPR (3d) 49 (CF 1re inst.) [Saks]. Dans Saks, la Cour avait conclu que les services de magasin de détail pouvaient être exécutés au Canada sans qu’il y ait de magasin physique au Canada. En vue d’arriver à cette conclusion, la Cour a tenu compte de plusieurs facteurs, notamment le fait que Saks avait fait de la publicité au Canada en envoyant des catalogues à sa clientèle, avait répondu à des commandes téléphoniques et avait pris des dispositions pour assurer la livraison de produits achetés par des clients au Canada.
[75]
Le juge Manson a conclu que Dollar General avait offert des services de magasin de détail à des personnes au Canada. Les éléments de preuve établissaient que, au cours de la période pertinente, des clients au Canada avaient demandé des renseignements sur les achats au détail par l’entremise du site Web, des ventes particulières avaient été effectuées à des clients ayant des adresses de facturation au Canada, le volume de ventes était considérable étant donné la nature des produits offerts, le menu déroulant pour la facturation sur le site Web comprenait des provinces et des territoires canadiens, et des produits pouvaient être livrés à la porte de clients au Canada par l’entremise d’une tierce entreprise de livraison.
[76]
Dans Hilton, le juge Pentney a examiné la question de savoir si la décision du registraire, dans laquelle il a été conclu que la marque de commerce « Waldorf‑Astoria »
n’avait pas été employée au Canada en liaison avec des « services hôteliers »
, était raisonnable. Le juge Pentney a noté ce qui suit au paragraphe 35 :
Si le paragraphe 4(2) de la Loi prévoit que l’annonce de services constitue un emploi, il est clair que le simple fait d’annoncer des services au Canada qui ne sont ni exécutés ou fournis ici ne constitue pas un emploi au sens de la Loi : voir Porter c Don the Beachcomber, [1966] R.C.E. 982, 48 C.P.R. 280 [Don the Beachcomber], et Marineland Inc. c Marine Wonderland and Animal Park Ltd., [1974] 2 CF 558 (1re inst.) [Marineland].
[77]
Le juge Pentney a examiné l’évolution de la jurisprudence, en faisant remarquer que les cours ont conclu que l’emploi est établi lorsque le propriétaire d’une marque de commerce permet à des personnes au Canada de tirer un avantage direct de la prestation de services au Canada (Hilton, au par. 41 à 50). Le juge Pentney a noté au paragraphe 51 que « [c]es décisions confirment qu’une appréciation au cas par cas s’impose pour déterminer si l’emploi au Canada a été établi. Pour ce faire, il faut tenir compte de la description des services dans l’enregistrement de la marque de commerce et de la nature des avantages fournis aux personnes physiquement présentes au Canada. »
Le juge Pentney a résumé cette notion au paragraphe 56 :
Bref, la notion d’exécution ou de fourniture de services à des Canadiens est sous-jacente dans toute la jurisprudence susmentionnée. Tel que l’a établi notre Cour dans la décision UNICAST SA c South Asian Broadcasting Corporation Inc., 2014 CF 295, la notion de l’exécution des services est centrale et il est essentiel qu’un aspect quelconque des services soit offert directement aux Canadiens ou exécuté au Canada.
Du point de vue du fournisseur de services aussi bien que de celui du client, il m’apparaît clair que le sens ordinaire du terme « services hôteliers » englobe la fourniture d’une chambre comme partie intégrante des services principaux. Si je poursuis dans cette logique, les « services hôteliers » englobent également les services accessoires ou secondaires comme la prise de réservations, l’entretien régulier des chambres d’hôtel et tout service connexe offert par l’hôtel (stationnement, nettoyage à sec des vêtements, service de nourriture et de boissons en chambre, garde temporaire des bagages une fois la note réglée). Selon le sens commun, ces services sont compris dans la portée du terme « services hôteliers », et l’on s’attendrait normalement à ce qu’ils fassent partie des services hôteliers fournis. Qui plus est, tous vont au-delà de l’emplacement physique de l’hôtel ou de la chambre.
- Le propriétaire d’une marque de commerce enregistrée doit démontrer l’emploi réel de sa marque de commerce au Canada en liaison avec chaque service précisé dans l’enregistrement, par lui-même ou en son nom (c.-à-d.
« l’employer sous peine de la perdre »
). - Le seuil à atteindre pour établir l’emploi d’une marque de commerce est bas, mais il doit découler de la preuve une conclusion logique que la marque a été employée au vu des faits et non d’hypothèses.
- Le terme
« services »
doit être interprété de manière libérale, et cette interprétation ne doit pas être illimitée. - Une évaluation au cas par cas est nécessaire pour établir si l’emploi a été établi compte tenu des termes employés dans l’enregistrement pour décrire les services.
- La simple publicité de services au Canada ne constitue pas un emploi au Canada en liaison avec un service. Un aspect quelconque des services doit être offert à des personnes au Canada, ou exécuté ou fourni au Canada.
- Les services de réservation à des hôtels pourraient être inclus dans la définition du terme
« services d’hôtel »
afin de conclure à l’emploi, à condition que des personnes au Canada tirent un avantage concret et important.
(2)
Aucun élément de preuve n’établit l’emploi de la marque au Canada en liaison avec les services visés par l’enregistrement
[81]
En l’espèce, l’enregistrement énumère environ 35 services (ce chiffre peut varier, selon l’interprétation donnée à la longue liste et les services accessoires), y compris des points de vente, des galeries d’art, des services de construction, l’exploitation de salles de spectacles, des musées, des centres de mise en forme, des services de divertissement et des services d’hôtel. Comme je l’ai mentionné ci-dessus, Live met l’accent sur son emploi de la marque en liaison avec trois catégories – les services de publicité et de marketing pour des tiers, les services de divertissement et les services d’hôtel – et les services accessoires. Live reconnaît qu’elle n’emploie pas la marque en liaison avec plusieurs autres services visés par l’enregistrement, notamment, des points de vente, des galeries d’art, des théâtres de marionnettes, des musées, des centres de mise en forme et des spas santé.
[82]
Les parties conviennent que, pour établir l’emploi, l’existence d’un avantage concret et important pour les personnes au Canada doit être démontrée. Cependant, elles ne s’entendent pas au sujet de la question de savoir si des personnes au Canada pourraient tirer un avantage concret et important de la publicité, du système en ligne de réservation à des hôtels et des services de réservation à des événements de divertissement de Live.
[83]
Live prétend qu’il n’est pas nécessaire qu’elle dispose d’installations physiques au Canada, et que le fait que les services ciblent les personnes au Canada et leur sont offerts est suffisant pour constituer un emploi. Toutefois, la jurisprudence invoquée par Live ne soutient pas sa position selon laquelle l’affichage de la marque en ligne et sur d’autres documents promotionnels, sans plus, constitue un emploi. Une analyse plus approfondie de la nature de l’emploi et de la question de savoir si des personnes au Canada tirent un avantage concret et important s’impose.
a)
L’affichage sur les sites Web et la publicité ne sont pas suffisants pour démontrer l’emploi
[84]
La preuve démontre que la marque figurait sur des documents promotionnels envoyés au Canada, sur les sites Web de plusieurs établissements et sur des confirmations de réservations. Bien que la marque ait également figuré sur des publicités électroniques au Canada, aucun service n’était offert au Canada. L’annonce au Canada, ou des services de ciblage au Canada, ne sont pas suffisants pour établir l’emploi en liaison avec des services, alors que ceux-ci sont offerts, fournis et exécutés ailleurs.
[85]
Live s’appuie sur la décision HomeAway, dans laquelle le juge Hughes a déclaré au paragraphe 22 « qu’une marque de commerce qui figure sur le site Web d’un écran d’ordinateur au Canada constitue, pour l’application de la Loi sur les marques de commerce, un emploi et une annonce faits au Canada, et ce, indépendamment de la provenance des renseignements ou du lieu où ils sont stockés »
. En soi, cette déclaration ne reflète pas la jurisprudence prédominante. Elle doit être examinée dans son véritable contexte, soit à titre de conclusion découlant des faits de HomeAway, et non pas en tant que principe général.
[86]
Dans cette affaire, HomeAway publiait, sur un site Web américain, des habitations de tiers qui étaient à louer. La société a demandé la radiation de l’enregistrement du défendeur pour la même marque de commerce qu’HomeAway utilisait dans ses publicités. Les personnes au Canada pouvaient annoncer leurs propriétés canadiennes sur le site Web américain, que n’importe qui pouvait visiter, et louer des propriétés au Canada, entre autres endroits (HomeAway, au par. 25 et 28). Les personnes au Canada tiraient clairement un avantage concret dont elles pouvaient profiter au Canada. Le juge Hughes a conclu à l’emploi de la marque de commerce au Canada, au regard des faits particuliers de l’espèce.
[87]
Dans UNICAST, le juge Noël a indiqué que la déclaration formulée par le juge Hughes au paragraphe 22 de la décision HomeAway, doit être examinée dans son contexte. Aux paragraphes 46 et 47, le juge Noël a exprimé ce qui suit :
[46] […] Cependant, la Cour doit se ranger du côté de l’interprétation qu’a faite la défenderesse de la décision et mettre cette conclusion en contexte. Dans la décision HomeAway, précitée, la marque de commerce a été utilisée en liaison avec des services qui étaient effectivement offerts en ligne à des Canadiens. Comme la défenderesse l’a à juste titre précisé dans son mémoire, il existe [traduction] « une importante distinction entre des services exécutés au Canada et des services exécutés à l’extérieur du Canada, peut-être pour des Canadiens ». Bien qu’il soit vrai que le paragraphe 4(2) prévoit qu’une « marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution […] de ces services », les tribunaux judiciaires et les tribunaux administratifs, dont la Commission des oppositions des marques de commerce, ont néanmoins ajouté que de tels services doivent effectivement être offerts à des Canadiens ou exécutés au Canada (voir, par exemple, la décision Express File Inc. c HRB Royalty Inc., 2005 CF 542, au paragraphe 20, [2005] ACF no 667).
[88]
Je partage la préoccupation soulevée par le juge Noël. Si des activités en ligne auxquelles des personnes au Canada ont accès, mais qui proviennent d’ailleurs dans le monde, peuvent constituer un emploi d’une marque de commerce au Canada en l’absence d’un lien avec le Canada ou de la possibilité pour les personnes au Canada d’en tirer un avantage concret et important, le concept d’emploi d’une marque s’en trouverait modifié de façon importante.
[89]
Dans UNICAST, au par. 46, le juge Noël a conclu que, pour que l’affichage d’une marque de commerce sur un site Web constitue un emploi, les services connexes doivent être effectivement offerts par l’entremise du site Web aux consommateurs au Canada ou exécutés au Canada. Dans la même veine, dans Supershuttle, la juge Heneghan a conclu, au par. 40, que les services visés par l’enregistrement doivent tout de même être exécutés au Canada. Plus récemment, dans Hilton, le juge Pentney a conclu qu’« il est essentiel qu’un aspect quelconque des services soit offert directement aux Canadiens ou exécuté au Canada »
(au par. 56) et qu’il doit être démontré que des personnes au Canada ont tiré « des avantages concrets et importants »
de l’emploi de la marque en liaison avec les services visés par l’enregistrement (au par. 90). Dans TSA Stores et Dollar General, la Cour a conclu que des personnes au Canada ont tiré un avantage des services offerts par le détaillant, malgré l’absence d’un magasin de détail au Canada.
[91]
Les sites Web qui affichent la marque et qui font la publicité d’emplacements aux États‑Unis auprès de personnes se trouvant au Canada ne sont pas, en soi, des indicateurs suffisants pour attester l’emploi de la marque au Canada. Il est nécessaire d’évaluer si la preuve démontre que des personnes au Canada ont tiré des avantages concrets et importants des services de publicité et de marketing pour des tiers, des services de divertissement et des services d’hôtel de Live au cours de la période pertinente.
b)
Les services d’hôtel
[93]
Live note que, dans Hilton, la Cour a conclu que les services de réservation peuvent être considérés comme des services accessoires ou secondaires au sens ordinaire du terme « services hôteliers »
(aux par. 76, et 85 à 87). Live prétend adopter la description de « services hôteliers »
établie par le juge Pentney au par. 76 de la décision Hilton. Indépendamment de la question de savoir s’il s’agit de l’interprétation définitive du terme « services hôteliers »
(ou services d’hôtels) pour les besoins de l’emploi d’une marque de commerce, il existe des différences importantes entre les faits de Hilton et les faits en l’espèce.
[96]
Pour en arriver à cette conclusion, le juge Pentney s’est appuyé sur des éléments de preuve qui montraient l’existence d’avantages dont de « nombreuses »
personnes au Canada pouvaient tirer, notamment des rabais lorsque les chambres étaient payées d’avance et des points de récompense qui pouvaient être échangés à d’autres hôtels Hilton au Canada (Hilton, aux par. 92 à 97). Le juge Pentney a conclu, compte tenu des éléments de preuve dont il était saisi, que des personnes avaient tiré un avantage important à partir du Canada de la prestation de certains aspects des services hôteliers (Hilton, au par. 102). Cependant, la Cour ne peut tirer cette conclusion en l’espèce.
[97]
Comme l’a relevé Pickering, le seul aspect accessoire des « services d’hôtel »
au Canada que Live peut souligner est le service de réservation en ligne. La preuve démontre uniquement que des personnes au Canada peuvent réserver des chambres en ligne à des hôtels situés aux États‑Unis qui affichent la marque. Contrairement à la situation dans l’affaire Hilton, les points de récompense ne peuvent être utilisés au Canada. M. Gray a expliqué que les personnes accumulent des points de récompense en jouant à des jeux de casino aux États‑Unis, lesquels peuvent ensuite être échangés contre de la nourriture, des boissons, des rabais aux services de spa, ou contre un surclassement de chambres dans tous les sites aux États‑Unis. Les points de récompense ne peuvent pas être accumulés ou échangés au Canada. Aucun élément de preuve n’établit que le fait de réserver en ligne entraîne un avantage concret et important au Canada.
[98]
Les faits en l’espèce diffèrent de ceux dans les décisions TSA Stores, de Dollars General et de Hilton, dans lesquelles la Cour a conclu qu’un aspect du service était fourni ou exécuté au Canada – c.-à-d. les personnes profitaient d’un avantage au Canada – malgré le fait que les sociétés n’avaient pas d’installations physiques au Canada. Les faits diffèrent également de l’affaire HomeAway, dans laquelle le site américain permettait à des personnes au Canada d’afficher et de louer leurs propriétés, permettait à n’importe qui de louer des propriétés publiées au Canada et permettait à des personnes au Canada de trouver des propriétés à louer à l’extérieur du Canada.
[99]
Je conclus que le simple fait d’avoir une réservation dans un hôtel situé aux États‑Unis n’est pas un avantage concret et important dont profitent les personnes au Canada, bien que cela puisse garantir qu’une chambre sera disponible à l’arrivée. L’avantage concret n’est accordé qu’une fois que la personne quitte le Canada, se rend aux États‑Unis et complète la réservation.
c)
Les services de divertissement
[100]
La marque de Live a été enregistrée en liaison avec les « services de divertissement, nommément boîtes de nuit; offre d’installations de divertissement à usage mixte »
. Les éléments de preuve produits par M. Gray ne mentionnent aucune boîte de nuit. Ils portent sur la publicité et la facilitation des réservations à des concerts et à d’autres événements, mais ne montrent pas que la marque a été affichée au cours de la période pertinente.
[101]
Contrairement à l’observation de Live selon laquelle des personnes au Canada tiraient des avantages en obtenant des renseignements sur des événements, en réservant des billets et en sachant qu’ils seraient admis à l’événement de divertissement à leur arrivée sur les lieux aux États‑Unis, il ne s’agit pas d’un avantage concret dont peuvent profiter les personnes au Canada. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés précédemment concernant les services d’hôtel, je ne peux pas conclure qu’une personne qui achète un billet tire un avantage concret avant de quitter le Canada et de participer à l’événement aux États‑Unis.
d)
Les services de publicité et de marketing pour des tiers
[102]
Le libellé de l’enregistrement, « services de publicité et de marketing pour des tiers »
, donne à penser que Live offre des services à des entreprises autres que la sienne. La seule preuve en ce sens concerne le fait que Live ou ses filiales qui emploient la marque font de la publicité à l’aide de sites Web et de documents promotionnels. Même si les filiales jouissaient d’une licence, leur emploi de la marque dans les publicités pour leurs propres entreprises ne constituerait pas des services de publicité pour des tiers. En outre, si les filiales ne sont pas des entités autorisées au titre d’une licence, leur emploi ne pourrait être imputé à Live de toute façon.
[103]
Aucun élément de preuve n’établit que Live ou ses filiales offrent des services de publicité et de marketing pour des tiers à des personnes au Canada. Il existe une différence entre la démonstration de l’emploi en liaison avec un service particulier par la publicité et le fait d’offrir de la publicité à titre de service.
[104]
En conclusion, les éléments de preuve n’établissent pas l’emploi de la marque au Canada en liaison avec les trois catégories de services soulignées par Live – les services de publicité, les services de divertissement et les services d’hôtel – ou d’autres services visés par l’enregistrement. Bien que la jurisprudence donne à penser qu’il existe une tendance à élargir l’interprétation du terme « emploi »
et reconnaisse que nous devons nous adapter aux réalités du commerce électronique, le principe de base demeure que l’emploi d’une marque de commerce au Canada nécessite que les marchandises ou services visés par l’enregistrement créent un avantage concret et important pour les personnes au Canada. Compte tenu de la preuve sur laquelle Live se fonde, je ne peux pas conclure que l’emploi allégué de la marque était en liaison avec des services qui créent des avantages concrets et importants dont profitent les personnes au Canada.
VI.
Des circonstances spéciales expliquent ou justifient-elles le défaut d’emploi par Live de la marque?
A.
Les observations de la demanderesse
[107]
Live prétend que l’application des trois critères énoncés dans l’arrêt Canada (Registraire des marques de commerce) c Harris Knitting Mills Ltd, [1985] ACF no 226 (QL), 4 CPR (3d) 488 (CAF) [Harris Knitting], à la présente affaire mène à la conclusion selon laquelle il existe des circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi de la marque en liaison avec plusieurs services.
[108]
Live explique que le développement de projets de grande envergure d’installations à usage mixte de divertissement et de casinos nécessite plusieurs années. Le projet Woodbine Live, dont le développement a coûté plusieurs millions de dollars, n’a pas été complété en raison d’un différend avec le partenaire d’affaires et l’OLG. Le différend était hors de son contrôle. Étant donné la large portée, les coûts élevés, la nature complexe et le long processus de développement des projets de Live, la demanderesse n’a pas été en mesure d’obtenir un projet au Canada depuis 2013. Live soutient qu’on ne devrait pas radier sa marque pour la pénaliser d’exploiter une entreprise qui peut prendre des années à mener à terme un projet.
[109]
Live prétend que les services et les biens coûteux et complexes peuvent justifier le défaut d’emploi d’une marque de commerce (en s’appuyant sur Country‑Wide Automotive Ltd c CWA Constructions S.A. (Re), [1994] TMOB No 217 (QL), 57 CPR (3d) 435, p. 438 [Country‑Wide]).
B.
Les observations de l’intervenante
[112]
Pickering prétend que Live ne pourrait pas offrir les services qui, comme le prétend la demanderesse, établiraient l’emploi en liaison avec ceux-ci sans une installation physique dans le cadre du projet Woodbine Live. Pickering remarque que Live ne possède qu’une maquette du projet et des bureaux. Les contrats de location mentionnés par M. Gray renvoient au projet [traduction] « qui sera connu sous le nom de “Woodbine Live!” »
. Pickering soutient qu’il s’agissait d’un concept, et non pas d’une réalité, et que Live ne peut pas établir l’emploi en liaison avec les services relatifs au projet.
[114]
En outre, Pickering soutient que Live n’a pas témoigné d’une intention sérieuse de reprendre son emploi de la marque au Canada. M. Gray a déclaré que Live avait présenté une soumission relativement à deux autres projets de casino, mais n’a fourni aucun détail. De plus, cela ne concernerait qu’un seul aspect des nombreux services visés par l’enregistrement. Pickering ajoute que l’intention de reprendre l’emploi ne permet pas en soi d’établir l’existence de circonstances spéciales.
C.
Live n’a pas établi l’existence de circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi de la marque
[116]
Le paragraphe 45(3) prévoit ce qui suit :
[117]
Dans l’arrêt Scott Paper Ltd c Smart & Biggar, 2008 CAF 129, aux par. 19 à 21, [2008] ACF no 539 (QL) [Scott Paper], la Cour d’appel fédérale a noté que la jurisprudence qui s’appuyait sur les principes de Harris Knitting avait « interprét[é] »
cette décision. La Cour d’appel a examiné les passages pertinents de Harris Knitting qui portent sur la jurisprudence sur laquelle la décision est fondée et le libellé de la disposition pertinente. Elle a ensuite mentionné ceci au par. 22 :
Voici maintenant les conclusions devant, à mon avis, être tirées de l’analyse :
1- La règle générale porte que le défaut d’emploi est sanctionné par la radiation.
[118]
La Cour d’appel a expliqué que le quatrième facteur concorde avec le texte législatif, déclarant au paragraphe 23 que, « [c]e qu’il faut comprendre, c’est que ce n’est pas la nature des circonstances spéciales qui importe, mais simplement que les circonstances spéciales se rapportent à la cause de défaut d’emploi et non à toute autre considération »
. La Cour d’appel a ajouté que la question pertinente relative à l’existence de circonstances spéciales exige de s’interroger sur les raisons du défaut d’emploi (Scott Paper, au par. 25).
[119]
Dans le même arrêt, au par. 31, la Cour d’appel a souligné qu’il existe une distinction entre expliquer un défaut d’emploi et justifier un défaut d’emploi. La Cour d’appel a noté que les circonstances spéciales se rapportent aux explications données. Si l’existence de circonstances spéciales est établie, la Cour doit alors juger si ces circonstances devraient justifier le défaut d’emploi compte tenu des facteurs pertinents, y compris ceux établis dans Harris Knitting : la durée du défaut d’emploi, la probabilité que le défaut perdure, et la question de savoir si les raisons du défaut d’emploi étaient hors du contrôle du propriétaire (Harris Knitting, p. 493).
[120]
Les circonstances spéciales s’entendent de circonstances qui sont rares, inhabituelles ou exceptionnelles, c.-à-d. qu’elles ne sont pas présentes dans la majorité des affaires de défaut d’emploi (John Labatt Ltd. c The Cotton Club Bottling Co., [1976] FCJ No 11 (QL), au par. 29, 25 CPR (2d) 115; Gouverneur inc. c The One Group LLC, 2015 CF 128, au par. 38, 132 CPR (4th) 380, inf. par 2016 CAF 106, 235 ACWS (3d) 193 pour d’autres motifs; Harris Knitting, p. 492). Live n’a fourni aucun détail sur les [traduction] « problèmes »
avec son partenaire d’affaires ou l’OLG qui ont mené à l’abandon du projet Woodbine Live. Tel que noté par Pickering, le problème non divulgué à l’OLG ne concernerait que les services de casino, et aucun des 34 autres services. En outre, les activités de Live se concentrent surtout sur des projets coûteux de grande envergure. Les problèmes auxquels Live attribue son défaut d’emploi de la marque – différend avec les partenaires d’affaires et des entités de réglementation – ne seraient vraisemblablement pas rares, inhabituels ou exceptionnels dans ce secteur d’activités.
[122]
La situation de Live n’est pas analogue à celle dans la décision Country‑Wide. De plus, Country‑Wide n’indique pas que le propriétaire d’une marque de commerce portant sur des marchandises coûteuses ou complexes n’a pas à démontrer l’emploi de sa marque de commerce. Dans Country‑Wide, la propriétaire de la marque de commerce a démontré un emploi au Canada sur une période de 25 ans, avec des interruptions entre les grandes ventes de tramways. La période de quatre ans de défaut d’emploi de la marque de commerce était relativement courte dans ces circonstances.
[124]
Étant donné que Live a enregistré la marque en liaison avec 35 services et que Live a participé au projet Woodbine Live de 2007 à 2013, il est possible que Live ait offert certains des services énumérés au Canada (p. ex. « services de conseil en construction immobilière »
ou « promotion immobilière »
). L’affidavit de M. Gray mentionne la location de locaux à des entreprises de services d’alimentation et de divertissement par l’entremise de Woodbine Live GP, Inc., ce qui suggère que les services de « location d’installations commerciales »
auraient été offerts à un moment donné avant 2013, et ce, même si le projet n’a jamais été construit. Cependant, Live n’a pas démontré que la marque a été employée à un moment donné en liaison avec la majorité des autres services visés par l’enregistrement.
[125]
Live n’a pas expliqué pourquoi elle n’a pas pu employer sa Marque au Canada en liaison avec certains des nombreux services visés par l’enregistrement sans projets de grande envergure, son partenaire d’affaires ou l’OLG. Live a simplement répondu que ses activités portaient sur des projets de grande envergure, ce qui soulève donc la question à savoir pourquoi elle a cherché à enregistrer la marque aux fins d’emploi en liaison avec un si grand nombre de services, dont plusieurs ne concordent pas avec la notion d’un projet de grande envergure, tel que décrit par Live.
[126]
En ce qui concerne l’intention de Live d’employer la marque ou de reprendre son emploi au Canada après 2013, M. Gray a témoigné que Live avait présenté des soumissions relativement à deux projets, mais il n’a fourni aucun détail. Aucun élément de preuve ne démontre que Live avait l’intention continue d’employer la marque. M. Gray n’a mentionné aucun projet à venir et a reconnu que les projets de grande envergure de Live peuvent prendre jusqu’à neuf ans à développer. Comme l’a fait remarquer Pickering, une intention de reprendre l’emploi de la marque n’est pas suffisante en soi pour constituer des circonstances spéciales ou pour justifier le défaut d’emploi.
[127]
Globalement, les simples allégations de Live, selon lesquelles l’abandon du projet Woodbine Live était hors de son contrôle et qu’elle avait l’intention de reprendre l’emploi de la marque, n’étaient pas suffisantes pour conclure qu’il existe des circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi de la marque depuis au moins 2013 en liaison avec les services associés au projet Woodbine Live. L’explication de Live, selon laquelle les projets de grande envergure prennent jusqu’à neuf ans à développer et que la période de six ans de défaut d’emploi de la marque en liaison avec les services associés au projet Woodbine Live est attribuable à des problèmes non divulgués avec son partenaire et l’OLG, ne constitue pas des circonstances spéciales en l’espèce. La preuve corroborant l’intention de reprendre l’emploi de la marque consiste en de simples allégations non détaillées, et rien ne démontre que Live avait l’intention continue d’employer la marque.
VII.
Conclusion
[129]
Live n’a pas démontré l’emploi de la marque au Canada en liaison avec les services visés par l’enregistrement au cours de la période pertinente. En outre, Live n’a pas établi l’existence de circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi de la marque. Par conséquent, la décision du registraire – qui a conclu que l’enregistrement devrait être radié – est confirmée.
[130]
Les parties ont convenu que des dépens de 8 500,00 $ devraient être accordés à la partie ayant gain de cause. Par conséquent, Live doit payer un montant de 8 500,00 $ à l’intervenante, Pickering. Aucuns dépens ne sont accordés à la défenderesse.
JUGEMENT dans le dossier T‑1752‑18
- L’appel interjeté à l’égard de la décision du registraire des marques de commerce datée du 9 mars 2018 est rejeté;
- La demanderesse doit payer le montant de 8 500,00 $ à l’intervenante, à titre de dépens.
Traduction certifiée conforme
Ce 17e jour de septembre 2019
Maxime Deslippes
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LIVE! HOLDINGS, LLC c OYEN WIGGS GREEN et MUTALA LLP et PICKERING DEVELOPMENTS (BAYLY) INC.
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Vancouver (Colombie‑Britannique)
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