Date : 20050117
Dossier : IMM-1449-04
Référence : 2005 CF 44
Ottawa (Ontario), le 17 janvier 2005
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY
ENTRE :
MUHAMMAD ILYAS KHAN
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), visant une décision en date du 26 janvier 2004 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé de reconnaître au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger.
QUESTION EN LITIGE
[2] La Commission a-t-elle commis une erreur manifestement déraisonnable en concluant que le demandeur disposait d'une possibilité de refuge intérieur (PRI)?
[3] Pour les motifs exposés ci-dessous, je réponds par la négative à cette question.
LES FAITS
[4] Le demandeur est un citoyen du Pakistan, résident du Panjab, âgé de 45 ans. Il affirme craindre avec raison d'être persécuté du fait de ses opinions politiques. Il prétend également être une personne à protéger du fait qu'il serait exposé au risque d'être soumis à la torture ainsi qu'à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou de peines cruels et inusités s'il retournait au Pakistan.
DÉCISION CONTESTÉE
[5] Même si la Commission a conclu que le demandeur a exagéré, elle a néanmoins jugé que son récit était crédible dans l'ensemble. Toutefois, la Commission n'a pas reconnu au demandeur le statut de réfugié parce qu'elle a conclu qu'il disposait d'une PRI au Pakistan. Lorsqu'on l'a interrogé sur la possibilité de se réfugier à Lahore ou à Karachi, le demandeur a répondu qu'il ne pouvait s'établir ailleurs au Pakistan parce qu'un mandat d'arrêt avait été délivré contre lui et un premier rapport d'information (premier rapport) avait été établi à son égard dans son pays. Comme ces deux documents sont valides dans tout le Pakistan, le demandeur croit qu'il sera arrêté et torturé peu importe l'endroit où il ira.
[6] En évaluant la valeur probante des documents soumis par le demandeur à l'appui de ses allégations, la Commission s'est également fondée sur la preuve documentaire. Elle a conclu que les deux documents étaient probablement des faux parce qu'il est commun et facile de se procurer des documents au Pakistan. Ainsi, étant donné l'incapacité du demandeur de démontrer l'existence d'une possibilité sérieuse qu'il soit exposé à une menace à sa vie à Lahore ou à Karachi, la Commission a conclu que les problèmes que le demandeur éprouvait avec la LMP étaient clairement de nature locale et que, par conséquent, il n'existait pas de possibilité sérieuse qu'il fût persécuté dans une autre région de son pays.
ANALYSE
[7] Selon la jurisprudence et l'analyse pragmatique et fonctionnelle exposée dans la décision Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1283 (C.F. 1re inst.) (QL), la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer à une demande de contrôle judiciaire soulevant la question de la PRI est la norme de la décision manifestement déraisonnable (Chorny c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1263 (C.F. 1re inst.) (QL)). Autrement dit, la Cour modifiera la décision de la Commission seulement si le demandeur parvient à démontrer que celle-ci était fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont la Commission disposait (Loi sur les Cours fédérales, alinéa 18.1(4)d)).
[8] Il est bien établi que la notion de PRI est inhérente à la définition de réfugié au sens de la Convention. Dans l'arrêt Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.), la Cour a conclu que, selon la définition de _ réfugié au sens de la Convention _, le demandeur du statut doit craindre avec raison d'être persécuté et, du fait de cette crainte, ne pas pouvoir ou ne pas vouloir retourner dans son pays. S'il lui est possible de chercher refuge dans son propre pays, il n'y a aucune raison de conclure qu'il ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de ce pays. Puisque l'existence d'une PRI fait partie des facteurs dont il faut tenir compte pour décider si le demandeur est un réfugié au sens de la Convention, il appartient au demandeur de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu'il risque sérieusement d'être persécuté dans tout le pays.
[9] Le critère permettant de décider s'il existe une PRI a été énoncé par le juge Mahoney dans l'arrêt Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1. C.F. 706 (C.A.), à la page 711, et repris au paragraphe 12 de l'arrêt Thirunavukkarasu, précité.
À mon avis, en concluant à l'existence d'une possibilité de refuge, la Commission se devait d'être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que l'appelant ne risquait pas sérieusement d'être persécuté à [l'endroit où il disposerait d'une PRI] et que, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles lui étant particulières, la situation à [l'endroit où il disposerait d'une PRI] était telle qu'il ne serait pas déraisonnable pour l'appelant d'y chercher refuge.
[10] Comme je l'ai mentionné ci-dessus, il appartient au demandeur de prouver qu'il risque sérieusement d'être persécuté dans tout le pays. En l'espèce, les allégations du demandeur reposent sur le mandat d'arrêt et le premier rapport qui ont été déposés en preuve.
[11] Il est bien établi que la Commission, qui est un tribunal spécialisé, est la mieux à même d'évaluer la crédibilité d'un demandeur et d'apprécier la preuve qu'il a présentée à l'appui de sa demande (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1329 (C.F. 1re inst.) (QL)). Contrairement à ce qu'allègue le demandeur, la Commission n'est pas tenue d'ordonner une évaluation indépendante de la preuve déposée. Le juge Joyal a dit, dans la décision Culinescu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1200 (C.F. 1re inst.) (QL), qui a été confirmée dans le jugement Hossain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 160 (C.F. 1re inst.) (QL), qu'il relève entièrement de la compétence de la Commission de mettre en doute l'authenticité d'un document (Akindele c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 68 (C.F. 1re inst.) (QL), au paragraphe 5).
[12] En l'espèce, la Commission s'est fondée sur la preuve documentaire pour conclure que la preuve était probablement fausse. Après avoir soigneusement examiné la preuve, la Commission a souligné que le numéro de référence figurant sur le premier rapport était incorrect. À l'appui de sa conclusion, elle a renvoyé à la preuve documentaire selon laquelle chaque premier rapport doit comporter un numéro de série annuel (PAR36145.E, p. 0092 du dossier du tribunal). En l'espèce, le premier rapport fourni porte le numéro 455, mais on n'y trouve pas de numéro de référence annuel. Cette anomalie a donné lieu à des doutes concernant l'authenticité du document. Les doutes en question se sont intensifiés lorsque la Commission s'est rendu compte que le mandat d'arrêt présenté par le demandeur ne faisait pas état du premier rapport.
[13] En outre, le demandeur a témoigné et a mentionné dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) que la police était à sa recherche, l'accusant faussement d'avoir commis un meurtre. Il a dit que ce renseignement lui avait été transmis par son père. Lorsqu'il a été informé qu'il n'était pas question d'accusation de meurtre, le demandeur a expliqué qu'il n'était pas instruit et qu'il ne pouvait pas lire le premier rapport ni le mandat d'arrêt. Toutefois, dans son témoignage, le demandeur a mentionné clairement qu'un ami lui avait lu le premier rapport et le mandat d'arrêt.
[14] La contradiction qui existe entre le témoignage du demandeur et la preuve confirme la conclusion de la Commission voulant que le récit du demandeur soit exagéré. Par conséquent, étant donné que la preuve documentaire (PAK35362.E, p. 0088 du dossier du tribunal) révèle qu'il existe un problème important de falsification de documents provenant du Pakistan, la Commission n'a attribué aucune valeur probante à l'ensemble des documents présentés relativement au mandat d'arrêt.
[15] Par conséquent, la Commission a conclu que les problèmes que le demandeur éprouvait avec la LMP étaient de nature locale et qu'il n'existait donc pas de possibilité sérieuse qu'il soit victime de persécution pour des raisons politiques s'il déménageait dans une autre région du pays. Elle a dit qu'il était objectivement raisonnable de s'attendre à ce que le demandeur cherche refuge dans une autre région de son pays avant de chercher refuge à l'étranger.
[16] Après avoir examiné l'ensemble de la preuve qui a été mise à la disposition de la Commission, la transcription de l'audience et les arguments des parties, je ne puis conclure que la Commission a commis une erreur manifestement déraisonnable. La conclusion de la Commission était étayée par la preuve. Ainsi, rien ne justifie l'intervention de la Cour.
[17] Les parties n'ont pas jugé opportun de proposer des questions graves de portée générale. Je suis convaincu que la présente affaire ne soulève aucune question de ce genre. Aucune question ne sera certifiée.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.
« Michel Beaudry »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1449-04
INTITULÉ : MUHAMMAD ILYAS KHAN
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : MONTRÉAL (QUÉBEC)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 13 DÉCEMBRE 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE BEAUDRY
DATE DES MOTIFS : LE 17 JANVIER 2005
COMPARUTIONS :
Me Jeffrey Platt POUR LE DEMANDEUR
Me Andrea Shahin POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Jeffrey Platt POUR LE DEMANDEUR
Montréal (Québec)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Montréal (Québec)