Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2005
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l'égard d'une décision par laquelle l'agent d'examen des risques avant renvoi (ERAR) François Laberge (l'agent) a tranché, en date du 28 avril 2005, que le demandeur Ndukwe Christopher Muotoh (le demandeur) ne serait pas exposé à un risque s'il était renvoyé au Nigeria.
EXPOSÉ DES FAITS
[2] Le demandeur est un citoyen du Nigeria âgé de 43 ans. Il est arrivé au Canada en 1999 et il a demandé l'asile parce qu'il craignait d'être persécuté en raison de son appartenance au Mouvement national de la jeunesse ijaw.
[3] Le 6 février 2001, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente avec dispense de visa pour des raisons d'ordre humanitaire. Cette demande était parrainée par sa nouvelle épouse, une citoyenne canadienne. La demande a été rejetée en août 2004, parce que l'agent d'immigration n'était pas convaincu de l'existence d'une union conjugale entre les deux.
[4] Le 7 février 2001, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d'asile du demandeur, en concluant à l'absence d'un minimum de fondement.
[5] Le 22 novembre 2004, la Cour fédérale a rejeté la demande présentée par le demandeur en vue du contrôle judiciaire de la décision relative au rejet de la demande de dispense de visa. Le 30 novembre 2004, le demandeur s'est vu accorder la possibilité de demander un ERAR et de soumettre des observations écrites avant le 30 décembre 2004.
[6] Le 15 décembre 2004, le demandeur a présenté un formulaire d'ERAR dûment rempli où il était précisé sur la feuille de couverture que les observations écrites et la nouvelle preuve suivraient bientôt. Lorsque l'ERAR a eu lieu trois mois plus tard, aucune autre observation écrite n'avait été soumise.
QUESTIONS EN LITIGE
1. L'agent a-t-il manqué aux principes de justice fondamentale en omettant d'évaluer la protection étatique offerte et de prendre en compte le risque auquel le demandeur serait exposé advenant son renvoi au Nigeria?
2.L'erreur commise par l'avocat du demandeur qui a omis de présenter des observations portait-elle atteinte au droit de justice naturelle d'être entendu?
ANALYSE
1. L'agent a-t-il manqué aux principes de justice fondamentale en omettant d'évaluer la protection étatique offerte et de prendre en compte le risque auquel le demandeur serait exposé advenant son renvoi au Nigeria?
[7] Dans Figurado c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 347, [2005] A.C.F. no 458, le juge Martineau expose le critère à utiliser pour apprécier la norme de contrôle applicable aux questions relatives aux décisions d'ERAR. Il affirme au paragraphe 51 :
À mon avis, en appliquant l'approche pragmatique et fonctionnelle, lorsque la décision ERAR contestée est examinée dans sa totalité, la norme de contrôle applicable devrait être celle de la décision raisonnable simpliciter (Shahi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1826, au paragraphe 13 (C.F. 1re inst.) (QL); Zolotareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1274, [2003] A.C.F. no 1596 (C.F.) (QL), au paragraphe 24; Sidhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 39, [2004] A.C.F. no 30 (C.F.) (QL), au paragraphe 7). Cela dit, lorsque l'agent ERAR tire une conclusion de fait, la Cour ne devrait pas substituer sa décision à celle de l'agent ERAR sauf si le demandeur a établi que l'agent a tiré la conclusion de fait d'une manière abusive ou arbitraire et sans égard aux éléments de preuve dont il était saisi (alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, modifiée; Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CAF 39, [2003] A.C.F. no 108 (C.A.F.) (QL), au paragraphe 14).
[8] Dans la même décision, le juge Martineau a fait les remarques suivantes, au paragraphe 52, sur la nature et la caractérisation du processus d'ERAR :
Il faut souligner que le processus ERAR n'est pas un appel contre la décision de la Commission; il s'agit plutôt d'une évaluation fondée sur des faits nouveaux ou une nouvelle preuve qui révèlent que la personne en cause est exposée au risque d'être persécutée, d'être soumise à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de peines ou traitements cruels et inusités. Bref, la demande ERAR n'a pas pour objet un nouvel examen des faits qui avaient été soumis à la Commission ou de faire indirectement ce qui ne peut être fait directement [...]
[9] Cette opinion a été confirmée par la juge Mactavish dans Hausleitner c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 641, [2005] A.C.F. no 786, lorsqu'elle a dit ce qui suit au paragraphe 30 :
Cependant, en l'espèce, le risque auquel s'exposent les demandeurs a déjà fait l'objet d'un examen approfondi par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. À mon avis, il n'est tout simplement pas raisonnable, et il ne serait pas conforme à l'esprit de la Loi dans son ensemble, d'exiger que l'agente d'ERAR recommence à zéro et procède à un examen des risques entièrement nouveau étant donné qu'une décision finale a déjà été rendue [...]
Il me semble plutôt que la question que doit trancher l'agente d'ERAR à cette étape de la procédure est celle de savoir si le nouvel élément de preuve produit par les demandeurs établit que la situation dans le pays d'origine des demandeurs a changé à un point tel que l'analyse de la protection de l'État faite par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié n'est plus d'actualité.
[10] Dans la présente affaire, l'agent a noté que le demandeur n'avait soulevé aucune question ni présenté aucun élément de preuve n'ayant pas déjà été examiné par la Commission :
[traduction]
Tel qu'il a été mentionné précédemment, le demandeur d'asile n'a soumis aucune nouvelle preuve qui pourrait m'inciter à revoir les conclusions de la Section de la protection des réfugiés.
[11] Par ailleurs, l'agent s'est bel et bien penché sur la question de savoir si la situation générale du pays avait à ce point changé depuis que la Commission avait rejeté la demande d'asile, simplement pour s'assurer que le demandeur ne serait pas exposé à un risque s'il retournait au Nigeria. Il a conclu que :
[traduction]
[...] la plupart des habitants du Nigeria vivent dans la pauvreté et certaines régions du pays en sont rendues aux conflits armés entre bandes rivales ou divers groupes ethniques. Cependant, ces conclusions ne sont pas suffisantes pour démontrer que le demandeur serait personnellement exposé à un risque, en raison de son profil, s'il y retournait.
(Examen des risques avant renvoi, 28 avril 2005, à la page 6.)
[12] Comme aucune nouvelle preuve n'a été présentée à l'agent conformément à l'article 113 de la Loi et compte tenu du fait que l'analyse de la situation du pays faisait ressortir que le demandeur ne serait pas exposé à un risque s'il y était renvoyé, il n'était pas déraisonnable pour l'agent d'en arriver à la même conclusion que la Commission, suivant laquelle le demandeur n'est ni un réfugié ni une personne à protéger, en vertu de la Loi. Malgré cela, le demandeur affirme que l'agent a manqué à son obligation d'examiner la question de savoir s'il bénéficierait de la protection de l'État s'il en avait besoin. Ce faisant, le demandeur allègue que la décision de l'agent viole les règles de justice naturelle et que cela justifie l'intervention de la Cour.
[13] En concluant que le demandeur n'a pas la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger, la Commission a tranché que le demandeur n'est pas exposé à un risque. De plus, tel qu'il a été précédemment mentionné, le demandeur n'a pas présenté de nouveaux éléments pour prouver qu'il serait exposé à un risque. En l'absence de cette nouvelle preuve, il est inutile de déterminer si la protection étatique serait offerte. Le demandeur n'a pas besoin de la protection de l'État s'il n'est pas exposé à un risque. En conséquence, le défaut de l'agent d'évaluer la possibilité pour le demandeur de bénéficier de la protection de l'État ne viole pas les règles de justice naturelle.
[14] Le demandeur allègue que l'agent a manqué à son obligation de prendre en compte sa situation particulière et le risque auquel il sera exposé en tant que membre du Mouvement national de la jeunesse ijaw advenant son renvoi. Selon lui, cette omission constitue un manquement aux règles de justice naturelle qui justifie l'intervention de la Cour.
[15] Tel qu'il a été mentionné précédemment, le processus d'ERAR consiste à analyser les nouveaux risques apparus entre la date de l'audition par la Commission et la date prévue pour le renvoi du Canada. La Commission a estimé que l'allégation suivant laquelle le demandeur était membre du Mouvement national de la jeunesse ijaw n'était pas crédible (voir aux pages 3 et 4 de la décision de la Commission datée du 7 février 2001). En outre, aucun nouvel élément de preuve n'a été soumis pour l'ERAR afin de réfuter la conclusion de la Commission. Pour cette raison, l'agent n'avait aucune obligation de prendre en compte la situation particulière du demandeur et le risque auquel il serait exposé en tant que membre du Mouvement national de la jeunesse ijaw advenant son renvoi au Nigeria.
2. L'erreur commise par l'avocat du demandeur qui a omis de présenter des observations portait-elle atteinte au droit de justice naturelle d'être entendu?
[16] Le demandeur soutient qu'il a été porté atteinte à son droit de justice naturelle d'être entendu, audi alteram partem, parce que son avocat a commis l'erreur de ne pas fournir de nouveaux éléments de preuve ou de nouvelles observations pour la demande d'ERAR. En outre, il laisse entendre que pareille atteinte justifie l'intervention de la Cour.
[17] Dans Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 C.S.C. 249, la Cour suprême du Canada a confirmé, au paragraphe 35, que le droit d'être entendu fait partie intégrante d'une obligation d'agir équitablement, mais que l'obligation d'un organisme administratif de respecter ce droit doit être analysée au cas par cas. La Cour s'est exprimée en ces termes :
L'obligation de se conformer aux règles de justice naturelle et à celles de l'équité procédurale s'étend à tous les organismes administratifs qui agissent en vertu de la loi (voir Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, p. 653; Baker, précité, par. 20; Therrien, précité, par. 81). Ces règles comportent l'obligation d'agir équitablement, notamment d'accorder aux parties le droit d'être entendu (la règle audi alteram partem). Cette obligation a une nature et une étendue « éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas » (le juge L'Heureux-Dubé dans Baker, précité, par. 21).
[18] En qui a trait au défaut de soumettre une nouvelle preuve et, en conséquence, au défaut d'être entendu, le demandeur jette carrément le blâme sur son avocat qui n'a su agir comme il se devait pour présenter des observations en vue de l'ERAR. La présomption d'après laquelle une personne accepte les conséquences du choix de son avocat ne peut être réfutée en démontrant simplement son incompétence. Il doit être établi que, en raison des gestes incompétents de l'avocat, le demandeur a subi un préjudice important et qu'il n'aurait pas subi ce préjudice si l'avocat avait agi comme il se devait (Robles c. Canada [2003] A.C.F. no 520, Olia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 315, [2005] A.C.F. no 417).
[19] Dans Lahocsinszky c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 275, [2004] A.C.F. no 313, la juge Mactavish a précisé comment les erreurs de l'avocat peuvent justifier l'annulation d'une décision. Elle affirme au paragraphe 15 :
Certes, l'incompétence d'un avocat peut justifier l'annulation d'une décision. Cependant, il incombe aux demandeurs de démontrer que les résultats de la procédure auraient été différents n'eût été les erreurs professionnelles de l'avocat [...].
[20] Le défendeur soutient que le demandeur ne s'est pas acquitté de la charge d'établir qu'il y aurait un préjudice réel et qu'il n'y en aurait pas n'eût été les erreurs professionnelles de l'avocat. Il justifie cette assertion en faisant ressortir que l'affidavit de l'avocat du demandeur ne comporte aucune indication quant à la nature de ce qu'il entendait produire comme observations à une date ultérieure. En outre, le défendeur allègue que, même si ces renseignements avaient été fournis, il n'existait pas de probabilité raisonnable que cela aurait fait une différence quant au résultat de l'ERAR.
[21] Le demandeur soutient dans son affidavit qu'il risquait être harcelé, insulté et attaqué, s'il retournait au Nigeria, en raison de son appartenance au Mouvement national de la jeunesse ijaw (dossier du tribunal, page 15, paragraphe 9). Le processus d'ERAR, tel qu'il a été mentionné précédemment, n'est pas un appel de la décision rendue par la Commission, mais il se veut plutôt une évaluation fondée sur de nouveaux faits ou éléments de preuve qui démontrent que la personne en question est maintenant exposée à un risque. La Commission n'était pas convaincue que le demandeur faisait partie du Mouvement national de la jeunesse ijaw. Il n'est mentionné nulle part dans les observations du demandeur rattachées à la présente demande de contrôle judiciaire qu'il avait une nouvelle preuve qui permettrait de prouver qu'il faisait réellement partie de cette organisation. En l'absence de pareille nouvelle preuve, je ne vois pas comment le demandeur pourrait démontrer qu'il serait exposé à un risque s'il retournait au Nigeria.
[22] J'estime qu'il ne suffisait pas pour le demandeur de seulement dire qu'il avait été porté atteinte à son droit d'être entendu du simple fait que son avocat avait omis de présenter les observations appropriées. Il incombait au demandeur de prouver qu'une erreur s'était produite et qu'il était probable qu'il s'ensuive un préjudice important.
Le demandeur a réussi à faire ressortir l'incompétence de son ancien avocat, mais il n'a pas réussi à démontrer qu'il était probable que cette incompétence cause un préjudice important.
[23] J'estime que la décision de l'agent n'a pas été prise d'une manière abusive ou arbitraire et sans égard aux documents dont il disposait. La décision d'ERAR de l'agent était raisonnable et ne violait pas les principes de justice naturelle et d'équité procédurale.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
- La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
- Aucune question n'est certifiée.
« Pierre Blais »
Juge
Traduction certifiée conforme
Thanh-Tram Dang, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3330-05
INTITULÉ : NDUKWE CHRISTOPHER MUOTOH
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
DATE DE L'AUDIENCE : LE 17 NOVEMBER 2005
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE BLAIS
DATE DES MOTIFS : LE 25 NOVEMBRE 2005
COMPARUTIONS :
Georgia Pappis |
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Daniel Latulippe |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Georgia Pappis
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John H. Sims, c.r.
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