Date : 2019 07 30
Dossier : T‑1866‑18
Référence : 2019 CF 1014
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 30 juillet 2019
En présence de madame la juge Roussel
ENTRE :
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THE WINNING COMBINATION INC.
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demanderesse
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et
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
La présente demande de contrôle judiciaire découle de la relation réglementaire de longue date entre la demanderesse, The Winning Combination Inc. [TWC], et Santé Canada. Aux fins de la présente demande, il n’est pas nécessaire de relater l’ensemble du contexte factuel, que l’on retrouve dans l’arrêt Canada (Santé) c The Winning Combination Inc., 2017 CAF 101 [TWC (CAF)], et la décision Winning Combination Inc. c Canada (Santé), 2016 CF 381.
[2]
TWC commercialise des produits de santé naturels [PSN]. L’un de ces produits, RESOLVE, aide à cesser de fumer et contient un ingrédient actif confidentiel [l’ingrédient actif].
[3]
Santé Canada, conjointement avec certains de ses organismes, est chargé d’administrer, de commercialiser et d’approuver la vente de certains produits en vertu de la Loi sur les aliments et drogues, LRC 1985, c F‑27 [la LAD] et de ses règlements, notamment le Règlement sur les produits de santé naturels, DORS/2003‑196 [le Règlement].
[4]
TWC a acquis les droits relatifs au produit RESOLVE en 2006 et a commencé à vendre le produit au Canada en octobre de la même année. L’entreprise qui a vendu RESOLVE à TWC avait déposé une demande de licence de mise en marché [DLMM] pour le produit en 2004 auprès de la Direction des produits de santé nationaux [DPSN], une division de Santé Canada relevant de la Direction générale des produits de santé et des aliments. En s’appuyant sur l’ouvrage Dictionary of Natural Products [DNP] (Dictionnaire des produits naturels), la DPSN a conclu le 2 décembre 2004 que RESOLVE était visé par la définition réglementaire d’un PSN.
[5]
En décembre 2006, Santé Canada a reçu une plainte de Pfizer Canada Inc. concernant RESOLVE et faisant état de préoccupations liées à la santé et à l’innocuité. À la suite de cette plainte, l’Inspectorat de la Direction générale des produits de santé et des aliments [l’Inspectorat], responsable des activités de conformité et d’application de la loi, a lancé une enquête interne. L’Inspectorat a demandé à la DPSN d’évaluer le danger pour la santé posé par RESOLVE.
[6]
En mai 2007, TWC a reçu une lettre d’un spécialiste des médicaments de l’Inspectorat lui demandant de mettre fin à la vente et à la publicité de RESOLVE et de retirer le produit du marché. La demande était fondée, notamment, sur une violation alléguée de la LAD et du Règlement et sur la conclusion selon laquelle RESOLVE contenait une substance dérivée de la passiflore et présentait un danger pour la santé. À la suite de plusieurs échanges entre les représentants de TWC et de Santé Canada, la DPSN a délivré un avis de refus de la DLMM le 19 juillet 2007 au motif que TWC n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve à l’appui de l’innocuité et de l’efficacité du produit. En guise de réponse, TWC a déposé une demande de réexamen et une demande de contrôle judiciaire de l’avis de refus de juillet.
[7]
Le 21 août 2007, la DPSN a délivré un deuxième avis de refus informant TWC que, à la suite d’un examen plus approfondi, elle avait déterminé que RESOLVE n’était plus considéré comme un PSN, mais plutôt comme une drogue, et donc assujetti à la réglementation établie en vertu du Règlement sur les aliments et drogues, CRC, c 870. Dans sa lettre, la DPSN indiquait s’être fondée en partie sur le DNP pour procéder à la classification, mais qu’à la lumière d’un examen des sources du DNP, elle avait conclu que l’ingrédient actif avait été inclus par erreur. La DPSN était d’avis que l’ingrédient actif constituait [traduction] « en fait une substance synthétique qui n’est pas présente dans la nature »
. TWC a donc modifié son avis de demande de contrôle judiciaire pour y inclure l’avis de refus d’août 2007.
[8]
Entre août 2007 et janvier 2012, TWC a entrepris un processus de réexamen au cours duquel elle a fourni à la DPSN des observations écrites, des données scientifiques supplémentaires et une analyse d’experts concernant ses conclusions relatives à la classification, à l’innocuité et à l’efficacité de RESOLVE. Un certain nombre de décisions ont été rendues par les fonctionnaires de Santé Canada tout au long du processus, aboutissant à l’envoi par la DPSN d’une lettre, en janvier 2012, dans laquelle elle a déclaré qu’elle maintenait sa position sur la classification et l’efficacité du produit.
[9]
La demande de contrôle judiciaire a été entendue sur une période de deux jours en novembre 2015 par le juge James Russell. Dans sa décision rendue le 6 avril 2016, il a annulé les deux avis de refus datés du 19 juillet 2007 et du 21 août 2007, ainsi que toutes les décisions subséquentes de réexamen. Après avoir conclu que les fonctionnaires ayant participé au processus d’examen réglementaire étaient partiaux et que de nombreux manquements à l’équité procédurale avaient été commis, le juge Russell a rendu une ordonnance de mandamus obligeant le ministre de la Santé à délivrer une licence de mise en marché d’un produit de santé naturel à TWC. Il a également accordé à TWC les dépens pour la demande de contrôle judiciaire sur la base d’une indemnisation complète.
[10]
Le défendeur et le ministre de la Santé ont interjeté appel du jugement du juge Russell devant la Cour d’appel fédérale [CAF]. Leur principal motif d’appel est que le juge Russell a commis une erreur de droit en rendant une ordonnance de mandamus et que, ce faisant, il a usurpé une fonction attribuée au ministre de la Santé par le Règlement. Le défendeur et le ministre de la Santé avaient reconnu au début de l’audience que la décision relative à la délivrance d’une licence et le processus de réexamen en vertu du Règlement ne respectaient pas l’équité procédurale.
[11]
Dans une décision du 15 mai 2017, la CAF a accueilli l’appel en partie, concluant que le juge Russell avait commis une erreur en ordonnant au ministre de la Santé de délivrer une licence de mise en marché à l’égard de RESOLVE. Malgré les conclusions significatives et accablantes du juge Russell concernant le comportement des hauts fonctionnaires de Santé Canada, la CAF a conclu que la réparation convenable consistait à renvoyer la demande de licence de TWC au ministre de la Santé pour qu’il rende une nouvelle décision conformément à ses motifs. La CAF a également ordonné que la nouvelle décision soit rendue dans les 90 jours suivant la date de la décision, sauf prorogation du délai sur consentement. Bien que les parties aient toutes deux obtenu gain de cause en partie, la CAF a adjugé à TWC les dépens de l’appel sur la base avocat‑client en raison de la conduite de Santé Canada tout au long du processus.
[12]
Dans une lettre datée du 19 mai 2017, Santé Canada a informé TWC que l’efficacité avait été établie de telle sorte que la portée du réexamen se limiterait à la question de savoir si RESOLVE est un PSN et, plus précisément, si l’ingrédient actif de celui‑ci est visé par l’annexe 1 du Règlement. Santé Canada a informé TWC que le processus de réexamen se ferait en deux parties : a) un essai scientifique lié à la passiflore – considérée par TWC comme une source naturelle de l’ingrédient actif – devant être mené par trois laboratoires indépendants pour déterminer la présence de l’ingrédient actif dans la forme ou la partie de la passiflore choisie par TWC; b) un processus par comité donnant à TWC le droit d’être entendue et donnant lieu à l’envoi d’une recommandation à un décideur de Santé Canada. On a demandé à TWC de confirmer de quelle façon elle voulait procéder : a) un comité externe qui nécessiterait l’ajout de cinquante jours au délai de quatre‑vingt‑dix jours prévu dans le jugement de la CAF; b) un processus interne.
[13]
Dans la présente demande de contrôle judiciaire, TWC conteste le recours aux essais en laboratoire lors du processus de réexamen. Essentiellement, TWC fait valoir que : (1) Santé Canada ne dispose pas du pouvoir d’inclure des essais menés par des laboratoires indépendants en tant que composante du processus de réexamen mené par suite de la décision de la CAF; (2) la conduite de Santé Canada a suscité une crainte de partialité raisonnable lorsque celui‑ci a pris la décision de recueillir ses propres éléments de preuve en effectuant des essais en laboratoire lors du processus de réexamen; (3) Santé Canada est motivé par le désir [traduction] « de justifier ses refus antérieurs relatifs à la DLMM ou d’étayer les motifs de ses refus antérieurs »
et agit donc à des fins illégitimes; (4) Santé Canada a créé une attente légitime selon laquelle le processus de réexamen suivrait la procédure normale établie par Santé Canada, à savoir que Santé Canada se bornerait à recueillir de l’information, qu’elle ne recueillerait pas ses propres éléments de preuve et qu’elle n’entreprendrait pas ses propres essais à l’égard du produit.
[14]
Dans sa réponse, le défendeur fait valoir que, pour s’acquitter de l’obligation réglementaire de délivrer une licence conformément au Règlement et pour éviter les risques pour la santé et la sécurité des consommateurs, le ministre de la Santé a le devoir d’évaluer la solidité des allégations d’un demandeur, notamment en consultant d’autres sources d’information, dont des revues scientifiques et des publications telles que le DNP. En outre, l’article 15 du Règlement permet au ministre de la Santé de demander des échantillons du produit d’un demandeur avant de décider si une licence devrait être délivrée. L’intention du législateur était donc que l’examen par Santé Canada d’une DLMM puisse inclure des essais. Le défendeur soutient en outre que, bien que Santé Canada n’admette généralement pas de nouveaux documents aux fins d’examen, au vu des circonstances uniques de l’espèce, les essais liés à la passiflore et menés par des laboratoires indépendants constituent une composante appropriée du processus de réexamen. Ces circonstances comprennent : a) la légitimité et l’importance d’un débat scientifique sur la nature de l’ingrédient actif, illustrées en partie par la preuve contradictoire déposée à l’appui de la DLMM; b) les préoccupations soulevées par le juge Russell et la CAF au sujet de l’absence d’essais en laboratoire effectués par Santé Canada et de la nécessité d’obtenir des preuves scientifiques objectives.
II.
Analyse
[15]
Avant l’audience et après examen des observations écrites des parties, j’ai donné une directive par laquelle j’ai invité les deux parties à présenter des observations supplémentaires sur la question de savoir si la lettre du 19 mai 2017 constitue une décision susceptible de contrôle visée par l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, et si la demande de contrôle judiciaire était prématurée eu égard aux principes énoncés dans l’arrêt Canada (Agence des services frontaliers) c C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61 [C.B. Powell Limited].
[16]
Après examen des observations supplémentaires des deux parties, je suis d’avis que la question à trancher en l’espèce est celle de la prématurité de la demande de contrôle judiciaire.
[17]
Selon la règle générale, à défaut de circonstances exceptionnelles, les tribunaux n’interviendront pas dans les décisions interlocutoires tant que le processus administratif suit son cours et que tous les recours efficaces disponibles ne sont pas épuisés. Diverses appellations ont été utilisées pour désigner cette règle : la doctrine de l’épuisement des recours, la doctrine des autres voies de recours adéquates, la doctrine interdisant le fractionnement ou la division des procédures administratives, le principe interdisant le contrôle judiciaire interlocutoire et l’objection contre le contrôle judiciaire prématuré (C.B. Powell Limited, aux par. 30 à 32). L’objectif sous‑jacent de cette règle consiste à empêcher le fractionnement du processus administratif et à réduire les coûts élevés et les délais importants entraînés par l’intervention prématurée des tribunaux, particulièrement lorsqu’une partie pourrait finir par avoir gain de cause au terme du processus administratif (C.B. Powell Limited, au par. 32).
[18]
Bien qu’il existe des « circonstances exceptionnelles »
selon lesquelles les tribunaux instruiront une demande de contrôle judiciaire avant la fin du processus administratif, très peu de circonstances peuvent être qualifiées d’exceptionnelles et le critère minimal permettant de qualifier des circonstances d’exceptionnelles est élevé (C.B. Powell Limited, au par. 33).
[19]
Ces principes ont été réitérés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Halifax (Regional Municipality) c Nouvelle‑Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, aux paragraphes 35 à 38, et dans d’autres jugements de la CAF et de la Cour (Alexion Pharmaceuticals Inc. c Canada (Procureur général), 2017 CAF 241, aux par. 47 à 50 et 53; Forner c Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2016 CAF 35, aux par. 13 à 16; Wilson c Énergie atomique du Canada limitée, 2015 CAF 17, aux par. 28 à 34; Whalen c Première Nation no 468 de Fort McMurray, 2019 CF 732, aux par. 16 à 18; Girouard c Comité d’examen constitué en vertu des procédures relatives à l’examen des plaintes déposées au conseil canadien de la magistrature au sujet de juges de nomination fédérale, 2014 CF 1175, aux par. 18 et 19; Douglas c Canada (Procureur général), 2014 CF 299, au par. 128; Fairmont Hotels Inc. c Directeur de Corporations Canada, 2007 CF 95, aux par. 9 et 10).
[20]
TWC reconnaît que le critère permettant de qualifier des circonstances d’exceptionnelles est élevé. Toutefois, TWC prétend que l’historique des procédures entre les parties justifie l’intervention anticipée de la Cour. Plus particulièrement, TWC fait valoir que les motifs qui sous‑tendent sa demande de contrôle judiciaire ont trait à la compétence de Santé Canada et que TWC pourrait se voir refuser le bénéfice d’un processus de réexamen équitable. En se fondant sur les facteurs énoncés dans la décision Air Canada c Lorenz (1999), [2000] 1 CF 494, aux paragraphes 19 à 27 et 33 à 35 [Lorenz], TWC soutient que la demande de contrôle judiciaire devrait pouvoir aller de l’avant puisque les parties seront exposées à des difficultés importantes, à des pertes et à des retards si elles sont tenues de suivre le processus de réexamen défectueux.
[21]
Le défendeur est également d’accord que soit tranchée de façon anticipée la question de savoir si Santé Canada a le pouvoir de procéder à des essais menés par des laboratoires indépendants dans le cadre du processus de réexamen.
[22]
Après examen des observations des deux parties, je ne suis pas convaincue que les circonstances de l’espèce constituent des « circonstances exceptionnelles »
justifiant une exception à la règle générale.
[23]
Dans l’arrêt C.B. Powell Limited, la CAF a déclaré sans ambiguïté que « [le] fait que toutes les parties ont accepté un recours anticipé aux tribunaux ne constitu[e] pas [une] circonstanc[e] exceptionnell[e] permettant aux parties de contourner le processus administratif dès lors que ce processus permet de soulever des questions et prévoit des réparations efficaces »
(C.B. Powell Limited, au par. 33). Le consentement des parties ne lie donc pas la Cour.
[24]
Lors de son plaidoyer, l’avocat du défendeur a indiqué que l’une des raisons pour lesquelles Santé Canada n’avait pas soulevé d’objection relative au caractère prématuré, c’était que Santé Canada ne voulait pas être perçu comme faisant obstruction de quelque façon que ce soit au processus de réexamen et à la présente demande de contrôle judiciaire, étant donné la réprimande particulièrement vive du juge Russell et de la CAF dans les instances antérieures à l’endroit des fonctionnaires de Santé Canada. Bien qu’elles soient compréhensibles, les préoccupations du défendeur ne justifient pas l’intervention anticipée de la Cour.
[25]
La CAF a également déclaré sans ambiguïté dans l’arrêt C.B. Powell Limited que les préoccupations au sujet de l’équité procédurale ou de la partialité ou encore l’existence « de ce qu’il est convenu d’appeler des questions de compétence »
ne constituent pas des circonstances exceptionnelles justifiant un recours anticipé aux tribunaux (C.B. Powell Limited, aux par. 33, 39, 40 et 45). Cet élément est particulièrement pertinent puisque TWC a soulevé la question de la compétence de Santé Canada pour ce qui est d’ordonner d’autres essais scientifiques ainsi que la question d’une crainte raisonnable de partialité découlant de la décision d’y procéder.
[26]
TWC fait valoir que les antécédents longs et complexes entre les parties constituent des « circonstances exceptionnelles »
qui justifient l’intervention anticipée des tribunaux. Bien que je convienne que les parties ont des antécédents longs et complexes, je ne suis pas convaincue que ceux‑ci atteignent le niveau de « circonstances exceptionnelles »
envisagé par la CAF dans l’arrêt C.B. Powell Limited. Je suis toutefois préoccupée par le fait que la présente demande de contrôle judiciaire représente une tentative de contester de manière indirecte certaines des conclusions tirées par la CAF dans l’arrêt TWC (CAF).
[27]
Pour trancher la question de savoir si la délivrance d’une ordonnance de mandamus était justifiée au vu des circonstances de l’espèce, la CAF a examiné l’argument de TWC concernant le retard excessif dans le traitement de la demande. La CAF a souligné que la définition de PSN peut, dans certains cas, faire l’objet d’un débat scientifique légitime. Elle a reconnu que c’était le cas en l’espèce et a décidé que la meilleure façon pour le ministre de la Santé d’y répondre était d’accélérer le processus en vue de rendre une nouvelle décision, plutôt que d’imposer un résultat précis. Même si elle était consciente des antécédents longs et complexes entre les parties et que les fonctionnaires de Santé Canada ont admis qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale, la CAF a explicitement accordé au ministre de la Santé le pouvoir discrétionnaire de concevoir un processus lui permettant de s’acquitter de ses responsabilités à titre de décideur réglementaire à l’égard de la demande de TWC d’une façon conforme à ses motifs. La CAF a également refusé de limiter la portée du réexamen aux seules questions que TWC mettrait en cause, comme celle‑ci l’avait demandé. TWC avait fait valoir que le ministre de la Santé ne pouvait réexaminer que les questions relatives à l’innocuité et à l’efficacité et non celles relatives à la classification. Enfin, la CAF a rejeté la requête présentée par TWC après l’audience pour demander à la CAF de réexaminer son jugement afin de fournir des paramètres précis sur la façon dont Santé Canada devrait procéder au réexamen. La CAF a rejeté la requête, confirmant sa décision selon laquelle il incombait à Santé Canada de concevoir un processus de réexamen équitable.
[28]
Même si TWC n’a pas l’intention de remettre en litige la conclusion de la CAF concernant le pouvoir de Santé Canada de concevoir le processus de réexamen, je ne suis pas convaincue que les antécédents entre les parties constituent des « circonstances exceptionnelles »
qui répondent à la norme du « cas manifeste »
dont il est question dans la décision Lorenz, au paragraphe 32, et dans la décision Almrei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1002, au paragraphe 35. Je ne comprends pas comment l’inclusion d’essais menés par des laboratoires indépendants comme élément du processus de réexamen donne lieu à une crainte raisonnable de partialité ou à un processus injuste, particulièrement dans le contexte des conclusions du juge Russell et de la CAF dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire antérieure. En outre, je souligne qu’en vertu de l’article 15 du Règlement, le ministre de la Santé peut demander des échantillons du produit d’un demandeur avant de décider si une licence devrait être délivrée, et que l’une des préoccupations du juge Russell concernait le fait que Santé Canada n’avait pas effectué ses propres essais en laboratoire avant de prendre sa décision. La CAF a également souligné l’importance des considérations scientifiques objectives dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre de la Santé.
[29]
Le processus actuel, tel qu’il a été conçu par Santé Canada, aboutira ultimement à la décision d’accorder ou de refuser la DLMM de TWC. L’inclusion d’essais dans le processus n’est pas un facteur déterminant à l’égard des droits fondamentaux de TWC. Si la DLMM est accordée par Santé Canada, alors cela mettra fin au litige. Si la DLMM n’est pas accordée, TWC pourra alors soulever des arguments concernant le processus suivi, notamment en ce qui a trait à la compétence et à l’équité procédurale. Toutefois, si j’accueille la présente demande de contrôle judiciaire, la Cour risque d’être saisie de nouveau de l’affaire, advenant que TWC demeure insatisfaite du processus conçu par Santé Canada. Il n’y aurait pas de limite au nombre de fois où TWC pourrait contester les décisions de Santé Canada concernant le processus à suivre. La prévention du morcellement du processus judiciaire justifie clairement la non‑ingérence de la Cour dans le processus administratif sous‑jacent.
[30]
Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée au motif qu’elle est prématurée, sans préjudice du droit de TWC de soulever les mêmes arguments lors de tout contrôle judiciaire qui pourrait être présenté après que Santé Canada aura rendu sa décision définitive concernant la DLMM.
[31]
Étant donné le motif pour lequel je rejette la demande de contrôle judiciaire, aucuns dépens ne seront adjugés, comme l’ont demandé les parties.
[32]
Enfin, les avocats des parties ont convenu que le défendeur approprié en l’espèce est le procureur général du Canada. Ainsi, l’intitulé sera modifié afin que le ministre de la Santé ne soit plus désigné comme défendeur.
JUGEMENT dans le dossier no T‑1866‑18
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée au motif qu’elle est prématurée;
L’intitulé est modifié afin que le ministre de la Santé ne soit plus désigné comme défendeur.
Aucuns dépens ne sont adjugés.
« Sylvie E. Roussel »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 19e jour d’août 2019
Julie Blain McIntosh
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
T‑1866‑18
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INTITULÉ :
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THE WINNING COMBINATION INC. c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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WINNIPEG (MANITOBA)
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DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 16 JUILLET 2019
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LA JUGE ROUSSEL
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 30 JUILLET 2019
|
COMPARUTIONS :
Peter Halamandaris
Gabrielle Lisi
|
POUR LA DEMANDERESSE
|
Glynis Evans
|
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Tapper Cuddy LLP
Avocats
Winnipeg (Manitoba)
|
POUR LA DEMANDERESSE
|
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
|
POUR LE DÉFENDEUR
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