Date : 20190731
Dossier : IMM-5247-18
Référence : 2019 CF 1027
Ottawa (Ontario), le 31 juillet 2019
En présence de monsieur le juge Shore
ENTRE :
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MUWEI LI
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partie demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
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partie défenderesse
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Nature de l’affaire
[1]
Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] à l’encontre d’une décision d’un agent des visas [agent] du Consulat général du Canada à Hong Kong, datée du 31 août 2018, refusant la demande de résidence permanente de la demanderesse dans la catégorie des « travailleurs autonomes »
.
II.
Faits
[2]
La demanderesse est une citoyenne de la République populaire de Chine âgée de 39 ans. Elle a présenté une demande de résidence permanente dans la catégorie des « travailleurs autonomes »
relativement à des activités culturelles en tant que traductrice et interprète.
[3]
La demanderesse affirme travailler comme interprète et traductrice depuis 2004 et avoir obtenu des contrats en tant que travailleur autonome, toujours dans ce domaine, à partir de 2013.
[4]
La preuve fournie par la demanderesse confirme qu’elle a un baccalauréat ès arts en «
English Language and Literature »
et qu’elle a obtenu une certification en interprétation simultanée de la direction générale de l’interprétation de la Commission européenne à Bruxelles.
[5]
Le 28 août 2018, l’agent a interviewé la demanderesse et a rendu une première décision négative à la fin de l’entrevue. Cependant, l’agent a émis une décision modifiée trois jours plus tard; l’agent avait originellement déterminé que le travail de traductrice et d’interprète ne pouvait pas être considéré comme une activité culturelle au sens de la LIPR, mais il a ensuite admis qu’il s’agit en effet d’activités culturelles selon Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. L’agent a tout de même maintenu sa décision négative et celle-ci fait l’objet du présent contrôle judiciaire.
III.
Décision contestée
[6]
Le 31 août 2018, l’agent a conclu que la demanderesse possédait l’expérience requise pour rencontrer la définition de « travailleur autonome »
. Toutefois, l’agent a déclaré que la demanderesse ne l’avait pas convaincu qu’elle avait l’intention et les habiletés requises pour devenir travailleur autonome et qu’elle apporterait une contribution significative aux activités culturelles du Canada. L’agent fonde cette conclusion négative sur le fait que la demanderesse n’a pas démontré avoir déployé des efforts pour établir des contacts avec des entreprises, des organismes et des associations professionnelles dans son domaine au Canada. L’agent a ainsi déterminé que la demanderesse ne rencontre pas la définition de travailleur autonome au sens du paragraphe 88(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR].
IV.
Positions des parties
A.
Position de la demanderesse
[7]
La partie demanderesse soulève deux éléments de la décision de l’agent qui, selon elle, constituent des erreurs révisables.
[8]
D’abord, dans l’analyse qui l’a mené à conclure que la demanderesse n’avait pas l’intention et la capacité de devenir travailleur autonome au Canada et de contribuer de façon importante aux activités économiques du Canada, l’agent a pris en compte des facteurs qui ne figurent ni dans la LIPR, ni dans le RIPR.
[9]
Selon la demanderesse, le RIPR ne retient que les critères suivants : « l’expérience utile et l’intention et la capacité du demandeur de créer son propre emploi et de faire une contribution importante à des activités économiques au Canada »
(Mémoire de la demanderesse au paragraphe 32). En ce qui a trait au premier critère, la demanderesse rappelle que l’agent a reconnu qu’elle possède l’expérience requise. Quant au second critère, la demanderesse réfère la Cour à la décision Ying c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1997 CanLII 5613 (CF), pour démontrer que la jurisprudence a établi que l’intention et la capacité d’un demandeur de créer son propre emploi au Canada comprend 1) l’intention et la capacité d’établir une entreprise; et 2) la probabilité que cette entreprise contribue de manière significative à la vie économique du Canada.
[10]
La demanderesse renvoie en outre au Guide Opérationnel OP 8, dans lequel on peut lire au point 11.3 : « pour déterminer l’expérience, l’intention et la capacité de créer son propre emploi au Canada, l’agent doit prendre en considération l’expérience de travail autonome dans des activités culturelles ou sportives ainsi que l’actif financier »
. Selon l’interprétation que fait la demanderesse de la jurisprudence, une fois qu’elle eut démontré qu’elle pourrait probablement subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille en travaillant comme traductrice et interprète au Canada, le critère de la « contribution significative »
devient relatif.
[11]
En exigeant que la demanderesse démontre qu’elle contribuera de façon significative aux activités culturelles du Canada, celle-ci considère que l’agent a augmenté le fardeau de preuve qui lui est applicable.
[12]
La demanderesse déclare aussi que l’agent a omis de considérer des documents démontrant pourtant certains des éléments que l’agent affirme manquants dans la preuve soumise par la demanderesse, par exemple ses recherches concernant la demande à Toronto dans son domaine d’emploi.
[13]
En bref, la demanderesse affirme que la décision de l’agent est contradictoire, inintelligible et déraisonnable.
B.
Position du défendeur
[14]
Le défendeur se réfère d’abord au paragraphe 12(2) de la LIPR, qui précise que « [l]a sélection des étrangers de la catégorie « immigration économique » se fait en fonction de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada »
. Selon lui, la demanderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau de démontrer qu’elle a « la capacité et l’intention d’être un travailleur autonome au Canada et de contribuer de manière importante à des activités culturelles au Canada »
. Il avance également que l’agent est présumé avoir pris en compte toute la preuve au dossier, sauf preuve contraire (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708, 2011 CSC 62 aux para 12-17).
[15]
Selon les prétentions du défendeur, pour se décharger de ce fardeau, la demanderesse aurait dû effectuer des études de marché et produire un plan d’affaires, et inclure ceux-ci dans son dossier. Elle aurait aussi dû faire des démarches auprès d’entreprises ou d’organismes œuvrant dans son domaine au Canada.
[16]
Le défendeur répond aussi à la prétention de la demanderesse voulant que le critère de la contribution importante aux activités économiques du Canada devienne relatif lorsqu’elle a démontré posséder l’expérience utile, ainsi que l’intention et la capacité de créer son propre emploi. Selon lui, puisque l’agent a conclu que la demanderesse n’a pas démontré avoir l’intention et la capacité de créer son propre emploi, le paragraphe 11.4 du Guide OP 8 ne s’applique pas à sa situation.
[17]
Le défendeur termine en rappelant que les lignes directrices contenues dans le guide ne lient pas le Ministre ou ses délégués (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2015] 3 RCS 909, 2015 CSC 61 au para 32) et que l’appréciation des demandes de visas relève de la discrétion de l’agent.
C.
Réplique de la demanderesse
[18]
En ce qui a trait aux prétentions du défendeur voulant que la demanderesse aurait dû présenter un plan d’affaires, celle-ci réfute l’application des décisions citées par le défendeur, précisant qu’il s’agissait de domaines très différents. Ainsi, on ne saurait imposer aux traducteurs et interprètes la création d’un plan d’affaires.
V.
Question en litige
[19]
La Cour doit répondre à la question suivante : L’agent a-t-il erré en concluant que la demanderesse ne remplissait pas les conditions requises pour l’obtention d’un visa dans la catégorie des « travailleurs autonomes »
?
[20]
La norme de contrôle applicable à la décision d’un agent qui doit statuer sur une demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie des travailleurs autonomes est celle de la décision raisonnable (Griscenko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 614 aux para 10-11). La Cour fera donc preuve de déférence et n’interviendra que si la décision de l’agent manque de justification, de transparence et d’intelligibilité ou qu’elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).
VI.
Dispositions pertinentes
[21]
Les dispositions suivantes de la LIPR sont pertinentes :
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VII.
Analyse
[22]
La demanderesse ne s’est pas déchargée du fardeau de preuve démontrant qu’elle a « la capacité et l’intention d’être travailleur autonome au Canada et de contribuer d’une manière importante à des activités culturelles au Canada »
.
[23]
Une personne peut être douée et avoir des connaissances même profondes, mais cela ne donne pas nécessairement la capacité à la personne de devenir travailleuse autonome. Ceci doit être lié à l’intention et à la capacité de créer son propre emploi.
[24]
L’appréciation des demandes de visas émane de la juridiction de l’agent selon la norme de la raisonnabilité (Griscenko, ci-dessus).
[25]
L’affidavit émis en preuve par la demanderesse démontre qu’elle «
has been working as accompanying interpreter for important political figures such as Mr. Xi Jinping, Mr. Yu Zheng Sheng and Mr. Han Zheng. She has also worked as English Editor for the Magazine – Great Arts. »
[26]
Penser quelque chose et le faire sont deux choses différentes : «
She also has checked some translation company, she thinks she will contact them and cooperate with them »
!! Ceci est très vague et irréaliste. (Voir pièce F de l’affidavit d’Olga Andreyeva et la décision Singh c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 84 aux para 36-38.)
[27]
La demanderesse n’a pas démontré l’intention et la capacité de créer son propre emploi.
VIII.
Conclusion
[28]
Suite à l’examen du cas et l’analyse des documents au dossier, la Cour rejette la demande de contrôle judiciaire.
JUGEMENT au dossier IMM-5247-18
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.
« Michel M.J. Shore »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-5247-18
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INTITULÉ :
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MUWEI LI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Montréal (Québec)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 22 juillet 2019
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE SHORE
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DATE DES MOTIFS :
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LE 31 JUILLET 2019
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COMPARUTIONS :
Benoît Bessette
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Pour la PARTIE demanderesse
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Thi My Dung Tran
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Pour lA PARTIE DÉFENDERESSE
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Cabinet Me Hugues Langlais, Avocats
Montréal (Québec)
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Pour la PARTIE demanderesse
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Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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Pour lA PARTIE défenderESSE
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