Date : 20190730
Dossier : IMM‑3546‑18
Référence : 2019 CF 1024
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 30 juillet 2019
En présence de monsieur le juge Norris
ENTRE :
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MUHAMMAD AFZAL WATTO
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demandeur
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et
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CONSEIL DE RÉGLEMENTATION DES CONSULTANTS EN IMMIGRATION DU CANADA ET MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeurs
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
APERÇU
[1]
Le Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada [CRCIC] est l’organisme de réglementation des personnes qui, moyennant rétribution, fournissent des conseils ou une représentation sur des questions d’immigration et qui ne sont pas autrement assujetties à une réglementation en conséquence de leur adhésion au barreau d’une province ou à la Chambre des notaires du Québec.
[2]
En juin 2011, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a désigné le CRCIC en vertu du paragraphe 91(5) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], de sorte que les membres en règle du CRCIC peuvent représenter ou conseiller des clients payants concernant des questions relatives à la LIPR. (Une désignation semblable a été faite en vertu du paragraphe 21.1(5) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C‑29.)
[3]
Entre autres, conformément à son mandat de réglementation, le CRCIC a établi les exigences d’accès à la pratique; il supervise le perfectionnement professionnel et la conduite de ses membres; il reçoit les plaintes portées contre ses membres, fait enquête sur ces plaintes et rend une décision à l’égard de celles‑ci, et il administre un processus disciplinaire visant à sanctionner les membres qui ne répondent pas aux normes applicables.
[4]
En tant qu’organisation fédérale sans but lucratif, le CRCIC est régi par la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif, LC 2009, c 23 [LCOBNL].
[5]
Le demandeur est un consultant en immigration membre du CRCIC. En décembre 2015, il a fait l’objet d’une plainte déposée auprès du CRCIC. À la suite d’une enquête, la plainte a été transmise au Comité de discipline du CRCIC pour qu’il tienne une audience.
[6]
L’article 2.2 des Règles de procédure du Comité de discipline du CRCIC prévoit qu’une audience sur le fond d’une plainte est entendue par trois membres du Comité de discipline, dont au moins un est un membre du public.
[7]
L’audition de la plainte contre le demandeur a débuté le 8 février 2018 devant un jury composé de trois membres. Au début de l’audience, le demandeur a soulevé plusieurs questions préliminaires, dont une objection à la composition du jury au motif qu’un de ses membres (le président) n’était pas membre du CRCIC. Le demandeur a soutenu que cela n’était pas conforme à l’article 158 de la LCOBNL. Le jury a rejeté l’objection du demandeur dans une décision écrite rendue le 12 juillet 2018.
[8]
Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision au titre du paragraphe 72(1) de la LIPR. La question centrale en l’espèce est de savoir si l’article 158 de la LCOBNL empêche une personne qui n’est pas membre du CRCIC de siéger à un jury du Comité de discipline. Pour les motifs qui suivent, je suis d’accord avec le jury pour dire que ce n’est pas le cas.
[9]
Devant le jury, le demandeur a également soulevé des questions liées à la crainte raisonnable de partialité. Le jury a également rejeté ces objections dans sa décision du 12 juillet 2018. Le demandeur a contesté cette décision dans l’exposé des arguments qu’il a déposé initialement à l’appui de sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Toutefois, cette question n’a pas été abordée dans l’exposé des arguments supplémentaires du demandeur ni dans ses observations orales. À mon avis, essentiellement pour les raisons données par le jury, cette question est sans fondement.
[10]
Le demandeur a également soulevé plusieurs nouvelles questions dans la présente demande (notamment des questions constitutionnelles et des questions liées à la Déclaration canadienne des droits, LC 1960, c 44) qui n’ont pas été soulevées devant le jury. Selon la règle générale, les nouvelles questions qui auraient pu être soulevées devant le décideur administratif ne devraient pas être examinées dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, aux par. 22 à 26; Forest Ethics Advocacy Association c Canada (Office national de l’énergie), [2015] 4 RCF 75, 2014 CAF 245, aux par. 42 à 47; Erasmo c Canada (Procureur général), 2015 CAF 129, au par. 33). Il n’y a pas lieu de s’écarter de la règle générale en l’espèce.
[11]
La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.
II.
QUESTION PRÉLIMINAIRE – LA PARTICIPATION DU MINISTRE
[12]
Le demandeur a initialement désigné le CRCIC, le procureur général du Canada et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration comme défendeurs dans la présente demande de contrôle judiciaire. Lorsque j’ai été saisi, le 28 août 2018, de la requête en suspension interlocutoire des procédures du jury du Comité de discipline présentée par le demandeur, le procureur général du Canada et le ministre ont demandé à être retirés comme défendeurs.
[13]
Pour les motifs que j’ai exposés dans ma décision relative à la requête en suspension interlocutoire, j’ai accédé à la demande visant à retirer le procureur général du Canada comme défendeur (voir Watto c Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada, 2018 CF 890, aux par. 19 et 20 [Watto]). En revanche, je n’étais pas convaincu qu’il était approprié (ou même permis) de retirer le ministre (voir Watto, aux par. 21 et 22).
[14]
Ma décision de ne pas retirer le ministre a été prise expressément sans porter atteinte au droit du ministre de réitérer sa demande à l’audition de la demande de contrôle judiciaire. La demande a effectivement été réitérée. Toutefois, je ne suis toujours pas convaincu que le ministre puisse être retiré de la présente procédure.
[15]
Comme je l’ai indiqué dans ma décision précédente, l’argument du ministre selon lequel il n’a rien à contribuer à la présente demande, qui concerne exclusivement une décision du CRCIC, un organisme de réglementation autonome, est très convaincant. Ni le demandeur ni le CRCIC ne soutient le contraire. Néanmoins, la présente demande est traitée sous le régime de la LIPR, qui est la source du mandat du CRCIC consistant à réglementer les consultants en immigration (Zaidi c Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada, 2018 CAF 116, au par. 9 [Zaidi]).
[16]
L’alinéa 5(2)b) des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, prévoit que, sauf dans le cas où il est lui‑même le demandeur, le défendeur d’une demande d’autorisation est « lorsqu’il s’agit d’une mesure visée par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, tout ministre chargé de l’application de cette loi à l’égard de la mesure visée par l’autorisation recherchée »
. Par le biais de la désignation du CRCIC faite en vertu du paragraphe 91(5) de la LIPR, c’est le ministre qui a délégué au CRCIC le pouvoir de réglementer les consultants en immigration (Zaidi, au par. 9). La présente affaire concerne la réglementation d’un consultant en immigration par le CRCIC par le biais d’une procédure disciplinaire. À cet égard au moins, le ministre est « chargé de l’application de [la] loi à l’égard de la mesure visée par l’autorisation recherchée »
. Je ne vois tout simplement aucun moyen de contourner l’alinéa 5(2)b) des Règles, compte tenu de la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Zaidi, même si la question n’a pas été abordée expressément dans cet arrêt.
[17]
Il s’agit de toute évidence d’une situation insatisfaisante étant donné qu’il n’y a aucune bonne raison pour que le ministre participe à la présente demande de contrôle judiciaire. À mon avis, toutefois, cela ne peut être corrigé que par des modifications législatives qui précisent le rôle du ministre dans une instance comme celle‑ci.
[18]
Le ministre n’a pris position sur aucune des questions soulevées relativement au bien‑fondé de la présente demande de contrôle judiciaire, ce qui se concilie avec sa demande d’être retiré comme défendeur.
III.
LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE
[19]
L’article 158 de la LCOBNL est libellé ainsi :
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[20]
Le jury du Comité de discipline a conclu qu’il avait [traduction] « le choix entre deux interprétations plausibles de cette disposition »
– l’une plus étroite, l’autre plus large. Il a énoncé les deux interprétations comme suit :
l’article 158 vise à imposer des limites à la composition d’un comité de discipline, de sorte qu’une organisation ne puisse pas avoir de statuts ou de règlements administratifs prévoyant la création d’un comité de discipline composé de personnes autres que les administrateurs de l’organisation, ses membres ou tout comité formé d’administrateurs ou de membres;
l’article 158 n’est pas exhaustif et n’empêche pas une organisation d’adopter des règlements administratifs pour créer un comité de discipline qui comprend des personnes autres que des administrateurs ou des membres.
[21]
Le jury a adopté la deuxième interprétation de la disposition, soit l’interprétation plus large. Il est arrivé à cette conclusion en partant de la règle fondamentale d’interprétation des lois énoncée dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27, au paragraphe 21 : [TRADUCTION] « Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur »
. Selon cette approche, le jury a souligné que le terme « peuvent »
dans la disposition a deux conséquences possibles. La première, c’est que l’organisation a le choix de prévoir ou non dans ses statuts ou règlements administratifs le pouvoir de prendre des mesures disciplinaires contre un membre. L’autre, c’est que lorsqu’elle prévoit un pouvoir disciplinaire, [traduction] « l’organisation a le pouvoir discrétionnaire supplémentaire de décider qui l’exercera »
.
[22]
Le jury a conclu que cette deuxième conséquence découlait du libellé de l’article 158, particulièrement dans le contexte de la LCOBNL dans son ensemble. Le jury a comparé l’article 158 au paragraphe 194(1) de la même loi. Cette dernière disposition donne à l’organisation la possibilité de créer un comité de vérification. Toutefois, contrairement à l’article 158, le paragraphe 194(1) prévoit que, si un comité de vérification est constitué, il « est composé d’au moins trois administrateurs dont la majorité ne sont ni dirigeants ni employés de [l’organisation] ou des personnes morales de son groupe »
. De l’avis du jury, cela démontre que, lorsque le législateur souhaite qu’un comité ait une composition précise, il le dit expressément et utilise un langage impératif. Or, l’article 158 ne contient aucun langage de ce genre en ce qui concerne l’exercice du pouvoir disciplinaire. Le seul élément impératif se trouve dans la deuxième phrase, qui énonce simplement que, si les statuts ou les règlements administratifs de l’organisation prévoient un pouvoir disciplinaire, « ils prévoient également les circonstances justifiant la prise de telles mesures et les modalités applicables »
.
[23]
Le jury a également fait remarquer que l’article 152 de la LCOBNL prévoit que les administrateurs ont un vaste pouvoir de réglementer « les activités ou les affaires internes »
de l’organisation au moyen de règlements administratifs. (Les termes « activités »
et « affaires internes »
sont définis dans la LCOBNL.) Le jury a conclu que rien dans l’article 158 ne limitait ce pouvoir étendu.
[24]
Le jury a également considéré qu’il y avait de légères différences entre les versions anglaise et française de l’article 158, mais il a conclu qu’elles n’aidaient pas à résoudre la question d’interprétation dont il était saisi.
[25]
L’avocat du CRCIC a fait valoir au jury que l’exercice d’interprétation devrait également tenir compte du paragraphe 91(5) de la LIPR, disposition en vertu de laquelle le CRCIC a été désigné par le ministre. Le jury n’était pas d’accord, concluant que la disposition, bien qu’elle soit manifestement importante pour le mandat du CRCIC, ne [traduction] « conf[érait] pas au CRCIC des pouvoirs supplémentaires au‑delà de ce qui est prévu dans la [LCOBNL] »
.
[26]
En bref, le jury a conclu qu’en adoptant l’article 158, le législateur avait simplement l’intention de confirmer que les organisations constituées sous le régime de la LCOBNL ont le pouvoir de prendre des mesures disciplinaires à l’endroit de leurs membres. Il n’a pas circonscrit la façon dont une organisation pourrait choisir d’exercer ce pouvoir, sauf qu’il exige que, si les statuts ou les règlements administratifs prévoient un tel pouvoir, ils prévoient également les circonstances justifiant la prise de telles mesures et les modalités applicables. Le jury a donc conclu qu’il avait été constitué conformément à la loi.
IV.
LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE
[27]
Le demandeur et le CRCIC conviennent que l’interprétation que fait le Comité de discipline de l’article 158 de la LCOBNL devrait être examinée selon la norme de la décision correcte. Je suis d’accord.
[28]
Un tribunal administratif bénéficie d’une présomption de déférence lorsqu’il interprète « sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie »
(Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 54; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c Canada (Procureur général), 2014 CSC 40, au par. 55). La présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique lorsqu’un tribunal judiciaire examine une décision dans laquelle un tribunal administratif spécialisé a interprété et appliqué sa loi habilitante ou une loi ayant un lien étroit avec son mandat ne s’applique pas ici. La déférence n’est pas justifiée lorsque le décideur s’aventure dans des domaines où l’expertise et la connaissance ne peuvent être présumées. La LCOBNL est une loi d’intérêt public général. Même si le CRCIC est constitué en vertu de cette loi, celle‑ci n’a aucun lien avec les travaux de l’organisation en matière de réglementation des consultants en immigration. On ne peut présumer de l’expertise et de la connaissance de la loi. Aucune déférence n’est de mise.
V.
DISCUSSION
[29]
L’interprétation de l’article 158 de la LCOBNL semble être une question de première impression. Des dispositions semblables se trouvent dans la Loi de 1995 sur les sociétés sans but lucratif, LS 1995, c N‑4.2 (article 119), et la Loi de 2010 sur les organisations sans but lucratif, LO 2010, c 15 (paragraphe 50(1)). Il ne semble pas y avoir de décisions publiées concernant l’une ou l’autre de ces dispositions (ou une disposition semblable dans la législation antérieure en Saskatchewan). Le compte rendu des délibérations parlementaires au sujet de la LCOBNL ne permet pas de mieux comprendre le sens qu’on a voulu donner à l’article 158. Il faut donc se laisser guider par les principes de l’interprétation des lois et par l’article 12 de la Loi d’interprétation, LRC 1985, c I‑21 (dans sa version modifiée).
[30]
En grande partie pour les motifs exposés par le jury, je suis d’accord avec son interprétation de l’article 158 de la LCOBNL. Aucune des observations du demandeur ne m’a convaincu que l’interprétation adoptée par le jury est erronée.
[31]
En commençant par le libellé de la disposition, je conclus (comme l’a fait le jury) que la première phrase de l’article 158 est ambiguë. À première vue, elle est susceptible de deux interprétations différentes. La première, c’est que le pouvoir de prendre des mesures disciplinaires contre un membre peut être exercé par les administrateurs, les membres ou un comité formé d’administrateurs ou de membres, et par personne d’autre. L’autre, c’est que le pouvoir de prendre des mesures disciplinaires contre un membre peut être exercé par les administrateurs, les membres ou un comité formé d’administrateurs ou de membres, mais aussi par d’autres. Lorsqu’on lit la disposition isolément, il n’y a aucun moyen de savoir quelle était l’intention du législateur.
[32]
Toutefois, cette ambiguïté peut être résolue en examinant la disposition dans son contexte et à la lumière de son objet.
[33]
L’article 158 se trouve à la partie 10 de la LCOBNL, qui s’intitule « Règlements administratifs et membres »
. À mon avis, cette disposition a deux objets.
[34]
Le premier objet est de confirmer que les organisations constituées en vertu de la LCOBNL peuvent adopter des statuts ou des règlements concernant la discipline de leurs membres si elles le souhaitent. La loi antérieure, la Loi sur les corporations canadiennes, SRC 1970, c C‑32, était muette à ce sujet. Toutefois, il n’y a aucune raison de croire que les organisations n’avaient pas le pouvoir de prendre des mesures disciplinaires à l’endroit de leurs membres avant l’adoption de l’article 158 ou que la disposition visait à établir de façon exhaustive qui peut exercer ce pouvoir. Comme le souligne le jury, les organisations ont toujours joui d’un vaste pouvoir de réglementation de leurs activités et de leurs affaires internes au moyen de règlements administratifs (ce qui est confirmé par l’article 152 de la LCOBNL). Je suis d’accord avec le jury pour dire que, dans le contexte du pouvoir de prendre des mesures disciplinaires, si le législateur avait eu l’intention de limiter les pouvoirs étendus des administrateurs de réglementer les activités et les affaires internes d’une organisation au moyen de règlements administratifs, il l’aurait fait expressément.
[35]
Le deuxième objet de la disposition est d’exiger que, si les statuts ou les règlements administratifs d’une organisation prévoient un tel pouvoir, « ils prévoient également les circonstances justifiant la prise de telles mesures et les modalités applicables »
. Cet aspect de la disposition n’est pas en cause ici.
[36]
Cette interprétation est conforme à l’objet de la LCOBNL dans son ensemble. L’article 4 de la LCOBNL est libellé ainsi :
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[37]
La seule obligation prévue à l’article 158 est que, si les statuts ou les règlements administratifs prévoient que les administrateurs, les membres ou un comité formé d’administrateurs ou de membres ont le pouvoir de prendre des mesures disciplinaires contre un membre, « ils prévoient également les circonstances justifiant la prise de telles mesures et les modalités applicables »
. Si le législateur avait voulu circonscrire la catégorie de personnes pouvant exercer ce pouvoir dans certaines circonstances, il l’aurait fait expressément.
[38]
Je suis d’accord avec le jury pour dire que cette interprétation est appuyée par la comparaison de l’article 158 et du paragraphe 194(1) de la LCOBNL, qui porte sur la composition d’un comité de vérification, le cas échéant. Or, le paragraphe 194(1) se trouve aussi à la partie 10 de la LCOBNL. Il est clair en comparant les deux dispositions que si le législateur avait eu l’intention de limiter le pouvoir de prendre des mesures disciplinaires aux administrateurs, aux membres ou à un comité formé d’administrateurs ou de membres, il l’aurait dit expressément, tout comme il a dicté la composition d’un comité de vérification au moyen d’un libellé impératif. La partie de l’article 158 qui est en cause en l’espèce est purement permissive : les statuts et les règlements administratifs peuvent prévoir un pouvoir de prendre des mesures disciplinaires contre un membre, ce pouvoir devant être exercé par les administrateurs, les membres ou un comité formé d’administrateurs ou de membres. Lorsqu’on tient compte du contexte, il est évident que ce pouvoir ne peut être exercé que par les administrateurs, les membres ou un comité formé d’administrateurs ou de membres.
[39]
Le CRCIC mentionne deux autres organismes de réglementation constitués sous le régime de la LCOBNL et dont les membres publics siègent à des tribunaux disciplinaires : l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières, qui réglemente les courtiers en valeurs mobilières et les activités de négociation sur les marchés canadiens des valeurs mobilières, et l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels, qui assure la surveillance des courtiers de fonds mutuels. Bien qu’il soit intéressant de savoir que d’autres organismes de réglementation constitués de manière semblable suivent la même pratique que le CRCIC à cet égard, cela n’aide pas beaucoup en l’absence de toute indication que quelqu’un a réellement réfléchi à la question de l’interprétation législative soulevée en l’occurrence.
[40]
Le CRCIC soutient également que cela fait progresser le mandat d’intérêt public du CRCIC et [traduction] « rajoute un niveau crucial de légitimité »
que de faire participer les non‑membres à la prise de décisions dans le cadre de ses procédures disciplinaires. Le CRCIC fait valoir que l’interprétation de l’article 158 de la LCOBNL d’une manière qui empêche la participation de non‑membres [traduction] « compromettrait la légitimité du CRCIC et d’autres organismes d’autoréglementation comme lui »
. Bien que je ne remette pas en question le point plus général au sujet de la valeur que les non‑membres peuvent rajouter aux procédures réglementaires menées par un organisme chargé d’agir dans l’intérêt public, cela n’aide pas à l’interprétation de l’article 158 de la LCOBNL. La disposition s’applique à un large éventail d’organisations sans but lucratif, en plus des organismes de réglementation, qui semblent être peu nombreux. En l’absence de preuve directe sur ce point (et c’est le cas), il est difficile d’accepter que le législateur ait eu cet objectif déterminé à l’esprit en adoptant l’article 158.
[41]
Le renvoi au conseil d’administration, aux membres ou à un comité du conseil ou des membres à l’article 158 de la LCOBNL traduit sans doute le fait que, pour la plupart des personnes morales constituées sous le régime de cette loi, il n’y aurait aucune raison pour que quiconque d’autre participe aux mesures disciplinaires prises contre des membres. Bien entendu, les statuts ou les règlements administratifs d’une organisation qui prévoient un pouvoir disciplinaire pourraient limiter son exercice aux administrateurs, aux membres ou à un comité formé d’administrateurs ou de membres. Toutefois, l’article 158 de la LCOBNL n’oblige pas l’organisation à limiter la catégorie de personnes qui peuvent exercer ce pouvoir de cette façon. Tant et aussi longtemps qu’une organisation qui choisit d’adopter des statuts ou des règlements administratifs prévoyant le pouvoir de prendre des mesures disciplinaires contre des membres énonce dans ses règlements « les circonstances justifiant la prise de telles mesures et les modalités applicables »
, l’article 158 de la LCOBNL est respecté.
[42]
Compte tenu de ce qui précède, je conclus que l’interprétation de l’article 158 de la LCOBNL adoptée par le jury du Comité de discipline est la bonne. Par conséquent, le jury n’a pas commis d’erreur en concluant que sa constitution était conforme à cette disposition.
VI.
CONCLUSION
[43]
Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[44]
Les parties ont demandé la possibilité de réexaminer leur position quant à la question de savoir s’il fallait demander la certification d’une question grave de portée générale au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR après avoir eu l’occasion d’examiner les motifs du jugement de la Cour. Je conviens que ce serait approprié. Depuis l’audition de la présente demande, la Loi sur le Collège des consultants en immigration et en citoyenneté (section 15 de la Loi no 1 d’exécution du budget de 2019, LC 2019, c 29) a été adoptée. Je demanderais aux parties d’aborder en particulier les conséquences, s’il en est, de ce nouvel état du droit pour ce qui est de savoir si une question justifiant la certification se pose ici. Les parties sont priées de faire connaître leur position respective dans les dix jours suivant la réception des présents motifs. Si un délai supplémentaire est requis, les avocats peuvent s’adresser à la Cour.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑3546‑18
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
« John Norris »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 21e jour d’août 2019
Julie Blain McIntosh
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑3546‑18
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INTITULÉ :
|
MUHAMMAD AFZAL WATTO C CONSEIL DE RÉGLEMENTATION DES CONSULTANTS EN IMMIGRATION DU CANADA ET AL.
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TORONTO (ONTARIO)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 19 FÉVRIER 2019
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JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE NORRIS
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 30 JUILLET 2019
|
COMPARUTIONS :
William J. Macintosh
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POUR LE DEMANDEUR
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Robert W. Staley
Ian W. Thompson
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POUR LE DÉFENDEUR le CONSEIL DE RÉGLEMENTATION DES CONSULTANTS EN IMMIGRATION DU CANADA
|
Prathima Prashad
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POUR LE DÉFENDEUR Le MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Macintosh Law
Sechelt (Colombie‑Britannique)
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POUR LE DEMANDEUR
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Bennett Jones LLP
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR le CONSEIL DE RÉGLEMENTATION DES CONSULTANTS EN IMMIGRATION DU CANADA
|
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR le MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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