Date : 20190726
Dossier : T‑1066‑17
Référence : 2019 CF 1004
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 26 juillet 2019
En présence de monsieur le juge Manson
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ENTRE :
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T‑REX PROPERTY AB
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demanderesse/
défenderesse reconventionnelle
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et
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PATTISON OUTDOOR ADVERTISING LIMITED PARTNERSHIP, PATTISON OUTDOOR ADVERTISING LTD., JIM PATTISON INDUSTRIES LTD. ET ONESTOP MEDIA GROUP INC.
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défenderesses/
demanderesses reconventionnelles
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Introduction
[1]
Il s’agit d’un appel de l’ordonnance de la protonotaire Steele [la juge responsable de la gestion de l’instance] datée du 17 juin 2019 [l’ordonnance], qui, entre autres choses, a accordé une ordonnance de disjonction, une ordonnance conservatoire et une ordonnance de confidentialité.
II.
Le contexte
[2]
La demanderesse, T‑Rex Property AB [T‑Rex], est une entreprise des États‑Unis dont l’activité consiste à octroyer des licences pour les droits de propriété intellectuelle qui lui appartiennent, notamment le brevet canadien numéro 2252973, intitulé « Système d’informations numérique »
, qui a expiré le 23 avril 2017 [le brevet 973], soit peu avant le début de la présente instance.
[3]
Les défenderesses, Pattison Outdoor Advertising Limited Partnership, Pattison Outdoor Advertising Ltd., Jim Pattison Industries Ltd. et Onestop Media Group Inc. [collectivement appelées Pattison] font partie d’un groupe canadien d’entreprises liées dans le domaine de la publicité extérieure.
[4]
La juge responsable de la gestion de l’instance décrit l’action sous-jacente en contrefaçon de brevet aux paragraphes 6 à 8 de l’ordonnance :
[traduction]
[6] T‑Rex a intenté une action contre Pattison pour contrefaçon de vingt-quatre (24) des trente (30) revendications du brevet 973. Comme il ressort de la Deuxième déclaration modifiée datée du 11 octobre 2017, T‑Rex demande diverses formes de réparation contre les quatre défenderesses Pattison, y compris une déclaration de contrefaçon, une déclaration de validité des vingt-quatre (24) revendications alléguées, ainsi que des dommages-intérêts ou la restitution des profits, selon le choix de T‑Rex, pour les actes allégués de contrefaçon.
[7] Les activités de Pattison qui sont présumées être contrefaisantes se rapportent à des panneaux numériques utilisés pour afficher des annonces au moyen d’un logiciel de contrôle de l’affichage. Trois (3) systèmes Pattison sont en cause : le système de gestion du contenu, le système de publicité intelligente et la plateforme de vente et de gestion des publicités numériques de la boutique publicitaire. Les écrans qui utilisent ces systèmes sont situés à plusieurs endroits au Canada.
[8] Dans sa Deuxième défense et demande reconventionnelle modifiée datée du 18 février 2018, Pattison nie la contrefaçon et demande une déclaration de non-contrefaçon à l’égard de toute réclamation valide et alléguée. Pattison demande également une déclaration d’invalidité à l’égard de chaque revendication du brevet 973 (il y en a trente (30) au total) pour sept (7) motifs, à savoir l’objet non brevetable, le droit relatif à l’antériorité, le droit relatif à l’évidence, les allégations fondées sur des connaissances générales courantes, le caractère indéfini et insuffisant de la divulgation, ainsi que les fausses déclarations importantes.
[5]
Les plaidoiries sont terminées. Le 15 septembre 2017, T‑Rex a déposé un cautionnement pour dépens de 50 000 $ pour les diverses étapes jusqu’à l’interrogatoire préalable, comme les parties en ont convenu.
[6]
Après que T‑Rex a demandé que les dates de l’interrogatoire préalable soient fixées, Pattison a demandé la gestion de l’instance.
[7]
Le 25 mai 2018, Pattison a déposé une requête visant la disjonction de la présente action soit scindée.
[8]
Le 14 juin 2018, la protonotaire Steele a été nommée juge responsable de la gestion de l’instance.
[9]
Le 6 août 2018, la protonotaire Steele a ordonné que la requête en disjonction déposée par Pattison et la requête en ordonnance conservatoire et en ordonnance de confidentialité proposée par Pattison soient entendues conjointement le 17 octobre 2018.
[10]
Le 4 septembre 2018, Pattison a déposé une requête en ordonnance de confidentialité et en ordonnance conservatoire, en y joignant des projets d’ordonnance.
[11]
Une audience de vive voix conjointe pour les deux requêtes a eu lieu devant la protonotaire Steele le 17 octobre 2018.
[12]
Conformément à l’ordonnance de la Cour du 27 février 2019, les parties ont échangé des affidavits de documents pour tous les documents non financiers pertinents. Cet échange a été fait sans préjudice à la position adoptée par les parties en l’espèce.
III.
La décision faisant l’objet de l’appel
[13]
Le 17 juin 2019, la juge responsable de la gestion de l’instance a rendu l’ordonnance faisant l’objet de l’appel, dans laquelle elle a ordonné notamment :
(i) que la présente action soit scindée et que les questions liées à la responsabilité soient tranchées avant les questions liées à la quantification des dommages [l’ordonnance de disjonction];
(ii) que les dépens associés à la requête en disjonction soient adjugés à Pattison, au montant figurant dans le haut de la colonne V du tarif B, et qu’ils soient payables immédiatement;
(iii) que la requête en ordonnance conservatoire [l’ordonnance conservatoire] et en ordonnance de confidentialité [l’ordonnance de confidentialité] soit accueillie, l’ordonnance conservatoire se limitant aux documents et aux renseignements nécessaires à l’établissement de la responsabilité, et les ordonnances devant inclure les mentions
« confidentiel »
et« consultation restreinte aux avocats externes »
;(iv) que l’ordonnance conservatoire comprenne une disposition selon laquelle l’avocat de la partie destinataire peut discuter avec son client ou l’informer des conclusions générales ou de haut niveau fondées sur son examen des
« renseignements confidentiels »
ou les lui transmettre, y compris les renseignements réservés aux avocats externes;(v) que les dépens associés à l’ordonnance conservatoire et à l’ordonnance de confidentialité soient adjugés à Pattison au montant figurant au milieu de la colonne V du tarif B, et qu’ils soient payables immédiatement.
[14]
T‑Rex interjette appel de l’ordonnance de la juge responsable de la gestion de l’instance.
IV.
Les questions en litige
[15]
Les questions en litige sont les suivantes :
(i) La juge responsable de la gestion de l’instance a-t-elle commis une erreur en accordant l’ordonnance de disjonction?
(ii) La juge responsable de la gestion de l’instance a-t-elle commis une erreur en fondant sa décision concernant l’ordonnance conservatoire sur une question dont la Cour n’était pas saisie?
(iii) La juge responsable de la gestion de l’instance a-t-elle commis une erreur en ordonnant le paiement immédiat des dépens pour les deux requêtes, même si la demanderesse avait déposé un cautionnement pour dépens?
V.
La norme de contrôle
[16]
La norme de contrôle applicable aux appels des ordonnances discrétionnaires des protonotaires est (1) la norme de la décision correcte pour les questions de droit et les questions mixtes de fait et de droit lorsqu’il y a un principe juridique isolable et (2) l’erreur manifeste et dominante pour les conclusions factuelles et les questions mixtes de fait et de droit (Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33; Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, aux par. 66 et 79).
VI.
Analyse
A.
La juge responsable de la gestion de l’instance a-t-elle commis une erreur en accordant l’ordonnance de disjonction?
[17]
L’article 107 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles], permet à la Cour d’ordonner que les questions en litige dans une instance soient jugées séparément.
[18]
La scission des questions en litige constitue une dérogation au principe général selon lequel une partie a le droit de faire trancher toutes les questions en litige au cours d’un seul procès (Apotex Inc. c Bristol‑Myers Squibb Co., 2003 CAF 263, au par. 7 [Apotex]).
[19]
Le fardeau de la preuve incombe à la partie requérante, qui doit démontrer que la scission des instances « selon toute vraisemblance, permettrait de statuer sur le bien-fondé de l’action d’une manière qui soit juste et représente la solution la plus expéditive et la plus économique »
(Apotex, précité, au par. 10). Pour rendre cette décision, la Cour peut tenir compte de la liste de facteurs suivante (Teva Canada Limited c Janssen Inc., 2016 CF 318, au par. 6) :
(i) la complexité des questions à juger;
(ii) le point de savoir si les questions relatives à la responsabilité sont nettement distinctes de celles relatives à la réparation;
(iii) le point de savoir si la structure des faits sur laquelle l’action se fonde est suffisamment extraordinaire ou exceptionnelle pour justifier qu’on s’écarte de la pratique normale consistant à juger en une seule instance l’ensemble des questions en litige;
(iv) le point de savoir si le juge du fond sera mieux à même de décider les questions du préjudice et des pertes du demandeur après avoir d’abord évalué la crédibilité de celui-ci au cours de l’instruction de la question des dommages-intérêts;
(v) le point de savoir si l’instruction conjointe des questions pourrait faciliter une meilleure appréciation de la nature et de l’importance du préjudice subi par le demandeur et du dédommagement qui lui est dû en conséquence;
(vi) le point de savoir si les questions de la responsabilité et des dommages-intérêts sont si inextricablement liées qu’il ne convient pas de les disjoindre;
(vii) le point de savoir si, dans le cas où les questions de la responsabilité et des dommages-intérêts seraient disjointes, il existe des mécanismes permettant qu’elles soient jugées promptement par un même tribunal ou par deux tribunaux distincts, selon le cas;
(viii) le point de savoir s’il est manifestement préférable pour toutes les parties que la question de la responsabilité soit jugée d’abord;
(ix) le point de savoir si la procédure adoptée permettra des économies substantielles;
(x) le point de savoir s’il est certain que la séparation des questions permettra de gagner du temps ou si elle n’entraînera pas plutôt des délais inutiles;
(xi) le point de savoir si, dans le cas où la disjonction serait ordonnée, le jugement de la question de la responsabilité pourrait faciliter ou déterminer le règlement à l’amiable de la question des dommages-intérêts, ou dans quelle mesure il pourrait le faire;
(xii) le point de savoir s’il est probable que le jugement de la question de la responsabilité mettra un terme à l’action.
[20]
À l’appui de ses requêtes, Pattison a déposé l’affidavit de Michael Shortt, avocat spécialisé en propriété intellectuelle au sein du cabinet d’avocats représentant Pattison [l’affidavit de M. Shortt], et l’affidavit de Randall Otto, président et chef de la direction de la défenderesse Pattison Outdoor Advertising Limited Partnership [l’affidavit de M. Otto]. Contrairement à M. Shortt, M. Otto a fait l’objet d’un contre-interrogatoire sur son affidavit.
[21]
T‑Rex s’est opposée à la requête en disjonction. Elle a déposé l’affidavit de Mats Hylin, chef de la direction et copropriétaire de T‑Rex [l’affidavit de M. Hylin]. M. Hylin a été contre-interrogé sur son affidavit.
[22]
Dans l’ordonnance, la juge responsable de la gestion de l’instance a énoncé les règles de droit applicables aux requêtes en disjonction. Elle a notamment (1) indiqué que le fait d’accueillir la requête s’écarterait du principe général selon lequel une partie a le droit de faire trancher toutes les questions en litige au cours d’un seul procès, (2) indiqué que le fardeau de la preuve reposait sur Pattison et (3) énoncé les divers facteurs qui peuvent être pris en compte, énoncés ci-dessus.
[23]
La juge responsable de la gestion de l’instance a examiné les six arguments de Pattison pour justifier l’octroi de la requête en disjonction :
(i) les questions de la responsabilité et de la quantification sont très complexes;
(ii) ces questions ne se chevauchent pas;
(iii) la disjonction permettrait de faire des économies substantielles;
(iv) une décision en faveur de Pattison relativement à la responsabilité pourrait mettre fin à la poursuite;
(v) la disjonction pourrait empêcher la divulgation de renseignements confidentiels et délicats au point de vue commercial;
(vi) la disjonction ne cause aucun préjudice à T‑Rex.
[24]
La juge responsable de la gestion de l’instance a ensuite examiné les arguments de T‑Rex en opposition, ainsi que la preuve présentée par les parties, avant de tirer les conclusions suivantes :
(i) la présente affaire est suffisamment complexe pour justifier la scission des questions en litige;
(ii) le chevauchement entre la responsabilité et la quantification est minimal;
(iii) toute économie, ou (iv) la résiliation anticipée du litige, dépendra de l’issue du procès sur la responsabilité;
(v) la divulgation de renseignements confidentiels n’est pas un facteur pertinent dans une requête en disjonction;
(vi) le préjudice à T‑Rex causé par la disjonction, s’il en est, est minime.
[25]
La juge responsable de la gestion de l’instance a accueilli la requête en disjonction, concluant que [traduction] « en dépit de l’opposition de T‑Rex, la scission des questions permettrait de statuer sur le bien-fondé de l’action d’une manière qui soit juste et représente la solution la plus expéditive et la plus économique »
.
[26]
T‑Rex soutient que la juge responsable de la gestion de l’instance a commis une erreur en renversant le fardeau de la preuve et en exigeant que T‑Rex prouve que l’affaire ne devrait pas être scindée. Elle présente trois arguments précis à cette fin :
(i) la juge responsable de la gestion de l’instance a renversé le fardeau de la preuve en concluant que l’action était complexe parce qu’il n’y avait pas de preuve du contraire, exigeant donc que T‑Rex prouve que l’action n’était pas complexe alors que le fardeau incombait à Pattison de présenter des éléments de preuve de complexité;
(ii) lorsqu’elle a conclu qu’il y avait un chevauchement minimal entre les questions de responsabilité et les questions de quantification, la juge responsable de la gestion de l’instance a commis des erreurs manifestes et dominantes en concluant, en l’absence de toute preuve, que le traitement des caractéristiques non contrefaisantes des systèmes de publicité Pattison et des solutions de rechange non contrefaisantes, aux étapes de la responsabilité et de la quantification, entraînerait seulement un chevauchement minime;
(iii) lorsqu’elle a conclu que la possibilité d’économies favorisait la disjonction, la juge responsable de la gestion de l’instance a commis une erreur en jugeant que le facteur pertinent était la possibilité d’économies, plutôt que
« la question de savoir s’il pourrait y avoir des économies substantielles »
.
[27]
La complexité de la présente instance apparaît de toute évidence à l’examen des actes de procédure, auxquels la juge responsable de la gestion de l’instance a fait référence : il y a un brevet expiré assorti de 30 revendications, qui sont toutes alléguées être invalides pour pratiquement toutes les contestations possibles relatives à la validité, quatre défenderesses accusées chacune d’avoir contrefait 24 revendications par l’utilisation de trois systèmes de publicité numérique différents, et une demanderesse qui est une entité non pratiquante et qui a reporté le choix entre les dommages-intérêts ou les profits de Pattison. De plus, la question de savoir si une entité non pratiquante a le droit de choisir entre des dommages-intérêts ou des profits semble être une nouvelle question juridique qui ajoute à la complexité de la procédure. Enfin, l’affidavit de M. Otto contenait des éléments de preuve selon lesquels il serait complexe de déterminer les revenus tirés de la contrefaçon alléguée.
[28]
Je suis d’accord avec Pattison pour dire que les références occasionnelles par la juge responsable de la gestion de l’instance à l’insuffisance de la preuve présentée par T‑Rex, sur lesquelles T‑Rex s’appuie fortement dans le présent appel, ne sont qu’une simple reconnaissance du « fardeau tactique »
qui peut incomber à la partie adverse une fois que le requérant a présenté des éléments de preuve en fonction desquels une ordonnance de disjonction pourrait raisonnablement être accordée (Apotex, aux par. 10 et 11).
[29]
En ce qui concerne la question du chevauchement, étant donné que la « “réussite commerciale” n’est plus une composante essentielle du critère de l’évidence »
(Garford Pty Ltd. c Dywidag Systems International, Canada, Ltd., 2010 CF 581, au par. 14, citant Apotex Inc. c Sanofi‑Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61), il était tout à fait raisonnable pour la juge responsable de la gestion de l’instance de conclure que, même si certains renseignements financiers peuvent être divulgués à l’étape de la détermination de la responsabilité dans le contexte de l’analyse du critère de l’évidence, il y avait néanmoins un avantage à la scission. De même, la juge responsable de la gestion de l’instance a conclu que la nécessité d’obtenir des éléments de preuve concernant les caractéristiques non contrefaisantes des systèmes Pattison et les solutions de rechange non contrefaisantes à l’étape de la quantification des dommages serait minimale. Ces conclusions ne révèlent aucune erreur manifeste et dominante.
[30]
Abordant la question des économies, la juge responsable de la gestion de l’instance a correctement décrit le droit relatif à ce facteur. Elle a évalué et soupesé la preuve en concluant que la disjonction pouvait préserver à la fois les ressources limitées des parties et celles de la Cour. Elle a correctement interprété la question dont elle était saisie, au paragraphe 37 de l’ordonnance, citant la décision Apotex Inc. c Sanofi‑Aventis Canada Inc., 2009 CarswellNat 5922, aux paragraphes 22 et 24 : [TRADUCTION] « [l]a vraie question est donc de savoir s’il est plus efficace d’engager les ressources maintenant, lorsque toutes les questions sont énoncées, ou de reporter cette dépense jusqu’à ce que la responsabilité soit clairement établie »
. Elle a ensuite répondu à cette question, concluant qu’il serait plus efficace de reporter les dépenses relatives à la quantification jusqu’au moment où il y aura une certaine clarté entourant la question de la responsabilité. Encore une fois, cette conclusion ne présente aucune erreur manifeste et dominante.
[31]
Dans l’ensemble, je conclus que la juge responsable de la gestion de l’instance a examiné la preuve et qu’elle n’a pas inversé le fardeau de la preuve. La juge responsable de la gestion de l’instance disposait de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que la disjonction de l’instance permettrait vraisemblablement de statuer sur le bien-fondé de l’action d’une manière qui soit juste et représente la solution la plus expéditive et la plus économique.
B.
La juge responsable de la gestion de l’instance a-t-elle commis une erreur en fondant sa décision concernant l’ordonnance conservatoire sur une question dont la Cour n’était pas saisie?
[32]
Les parties ont convenu qu’une ordonnance de confidentialité et une ordonnance conservatoire contenant les mentions « confidentiel »
et « consultation restreinte aux avocats externes » étaient appropriées. Pattison a préparé un projet d’ordonnance. La seule question en litige devant la juge responsable de la gestion de l’instance était la portée de la mention « consultation restreinte aux avocats externes ».
[33]
T‑Rex a fait valoir que la disposition relative à la consultation restreinte aux avocats externes devrait être limitée de sorte que [traduction] « les parties puissent recevoir et consulter des renseignements et documents financiers de haut niveau »
. Pattison s’est dite préoccupée par le fait que la demande de T‑Rex l’obligerait à créer certains documents qui n’existent pas actuellement pour résumer puis divulguer des renseignements financiers de haut niveau, ce qui pourrait mener à la divulgation de renseignements de nature très délicate, et elle a soutenu qu’il existait déjà un mécanisme suffisant dans le projet d’ordonnance conservatoire pour que T‑Rex puisse contester la désignation de renseignements en tant que renseignements réservés aux avocats externes.
[34]
La juge responsable de la gestion de l’instance a conclu qu’une ordonnance de confidentialité et une ordonnance conservatoire étaient appropriées et qu’une disposition relative à la consultation restreinte aux avocats externes était justifiée, avant de se pencher sur la portée de la mention en question. La juge responsable de la gestion de l’instance a énoncé les principes juridiques qui régissent la délivrance d’une ordonnance conservatoire réservée aux avocats externes. Elle a rejeté les « limites »
proposées par T‑Rex au motif qu’elles obligeraient Pattison à préparer et à divulguer des renseignements de haut niveau qui pourraient ou non exister dans certains documents.
[35]
La juge responsable de la gestion de l’instance a ensuite conclu, au paragraphe 64 de son ordonnance, qu’il faudrait ajouter une disposition au projet d’ordonnance conservatoire pour permettre aux avocats d’informer leurs clients des conclusions de haut niveau découlant de leur examen des renseignements confidentiels :
[traduction]
De plus, je n’ai aucune preuve à l’appui de l’argument selon lequel, sans les renseignements de haut niveau demandés, T‑Rex ne peut pas donner de directives adéquates à son avocat. Je remarque toutefois que le projet d’ordonnance conservatoire ne prévoit pas que l’avocat de la partie destinataire peut discuter avec son client ou l’informer de ses conclusions générales ou de haut niveau fondées sur son examen des « renseignements confidentiels », y compris les renseignements réservés aux avocats externes. Cette mention devrait être ajoutée au projet d’ordonnance conservatoire et, à mon avis, elle répondrait aux préoccupations de T‑Rex concernant sa relation avocat-client, ou du moins les atténuerait.
[Non souligné dans l’original.]
[36]
T‑Rex fait valoir que la juge responsable de la gestion de l’instance a commis une erreur en interprétant mal son argument : elle souhaitait seulement qu’il y ait une disposition qui permette aux avocats destinataires de divulguer des renseignements financiers de haut niveau à leurs clients, et non une disposition qui leur impose la divulgation de tels renseignements financiers. Ainsi, T‑Rex laisse entendre que la disposition que la juge responsable de la gestion de l’instance a ajoutée au projet d’ordonnance, qui permet aux avocats de communiquer des conclusions de haut niveau à leurs clients, lui accordait dans les faits ce qu’elle demandait, et que, par conséquent, il était inapproprié de la condamner aux dépens.
[37]
Pattison fait valoir que la demande de T‑Rex ne visait pas à limiter la portée des renseignements que les parties pouvaient désigner comme des renseignements réservés aux avocats externes, mais plutôt à incorporer des dispositions exigeant que les parties aient un vaste accès aux renseignements financiers ainsi désignés de l’autre partie. De plus, Pattison fait valoir que, comme le démontrent les paragraphes 62 et 63 de l’ordonnance, la demande de T‑Rex a été rejetée parce que la juge responsable de la gestion de l’instance a conclu que T‑Rex ne devrait pas avoir accès aux renseignements des défenderesses qui sont réservés aux avocats externes.
[38]
Comme la juge responsable de la gestion de l’instance l’a souligné à juste titre, il existe des mécanismes dans l’ordonnance conservatoire, telle qu’elle est rédigée, pour que l’une ou l’autre des parties puisse contester la désignation de renseignements comme renseignements réservés aux avocats externes. Il est prématuré à ce stade-ci de l’instance de demander des précisions sur ce qui pourrait ou non être désigné comme un renseignement réservé aux avocats.
[39]
De plus, compte tenu du dossier dont je dispose, je ne vois aucune preuve que la juge responsable de la gestion de l’instance a commis une erreur manifeste ou dominante en interprétant mal les arguments de T‑Rex. Après avoir examiné les actes de procédure et les observations écrites dont disposait la juge responsable de la gestion de l’instance, il est évident que celle-ci était saisie de la question de savoir si T‑Rex suggérait de limiter la portée des renseignements réservés aux avocats externes ou demandait l’accès obligatoire à des renseignements financiers de haut niveau. Aux paragraphes 62 et 63 de l’ordonnance, la juge responsable de la gestion de l’instance a conclu que T‑Rex suggérait un mécanisme pour forcer Pattison à préparer et à divulguer des renseignements de haut niveau auxquels elle n’aurait pas autrement accès. L’interprétation par la juge responsable de la gestion de l’instance des observations de T‑Rex ne révèle aucune erreur manifeste et dominante.
[40]
T‑Rex soutient également que la mention « consultation restreinte aux avocats externes » incluse dans l’ordonnance conservatoire n’était pas appropriée, compte tenu de la preuve présentée à la juge responsable de la gestion de l’instance. Toutefois, cet argument ne figurait pas dans l’avis de requête de T‑Rex à l’origine du présent appel et a été soulevé pour la première fois dans les observations écrites de T‑Rex. Dans les circonstances, je refuse d’examiner cet argument (Crone c Canada, 2009 CAF 37, au par. 5).
C.
La juge responsable de la gestion de l’instance a-t-elle commis une erreur en ordonnant le paiement immédiat des dépens pour les deux requêtes, même si la demanderesse avait déposé un cautionnement pour dépens?
[41]
T‑Rex soutient que la juge responsable de la gestion de l’instance a commis une erreur en statuant que les dépens pour les deux requêtes étaient payables immédiatement, même si T‑Rex avait déposé un cautionnement pour dépens. T‑Rex ne présente aucune jurisprudence à l’appui de cet argument.
[42]
L’adjudication des dépens est « un exemple typique d’une décision discrétionnaire »
, et le paragraphe 400(1) des Règles confère à la Cour « le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer »
(Alani c Canada (Premier ministre), 2017 CAF 120, au par. 11 [Alani]). Pour obtenir gain de cause dans son argumentation, T‑Rex doit démontrer une erreur de droit ou une erreur mixte de fait et de droit manifeste et dominante (Alani, précité, au par. 12).
[43]
Le paragraphe 401(2) des Règles prévoit que « [s]i la Cour est convaincue qu’une requête n’aurait pas dû être présentée ou contestée, elle ordonne que les dépens afférents à la requête soient payés sans délai »
. Les règles 415 à 418 régissent le dépôt d’un cautionnement pour dépens.
[44]
T‑Rex n’a présenté à la Cour aucun précédent indiquant que le dépôt d’un cautionnement pour dépens devrait mettre une partie à l’abri de l’application du paragraphe 401(2) des Règles. Par conséquent, même si je n’aurais peut-être pas moi-même adjugé des dépens payables sans délai dans les circonstances, je conclus que la juge responsable de la gestion de l’instance n’a commis aucune erreur susceptible de révision en adjugeant des dépens payables sans délai.
[45]
La requête de la demanderesse est rejetée.
[46]
Les défenderesses ont demandé les dépens afférents à la présente requête, fixés à 5 000 $ et payables sans délai. Conformément à l’article 400 des Règles, j’accorde des dépens de 3 000 $ payables quelle que soit l’issue de la cause.
JUGEMENT dans le dossier nº T‑1066‑17
LA COUR STATUE que :
L’appel est rejeté.
Les dépens sont adjugés aux défenderesses au montant de 3 000 $.
« Michael D. Manson »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 16e jour d’août 2019
Julie Blain McIntosh
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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Dossier :
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T‑1066‑17
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INTITULÉ :
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T‑REX PROPERTY AB c PATTISON OUTDOOR ADVERTISING LIMITED PARTNERSHIP, PATTISON OUTDOOR ADVERTISING LTD., JIM PATTISON INDUSTRIES LTD. ET ONESTOP MEDIA GROUP INC.
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 23 juillet 2019
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :
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LE JUGE MANSON
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DATE DES MOTIFS :
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Le 26 juillet 2019
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COMPARUTIONS :
Peter Choe
Sean Gill
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POUR LA DEMANDERESSE/
DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE
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Joannie Lapalme
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POUR LES DÉFENDERESSES/
DEMANDERESSES RECONVENTIONNELLES
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Gowling WLG
Avocats
Toronto (Ontario)
|
POUR LA DEMANDERESSE/
DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE
|
Fasken
Avocats
Montréal (Québec)
|
POUR LES DÉFENDERESSES/
DEMANDERESSES RECONVENTIONNELLES
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