Date : 20040325
Dossier : IMM-3656-03
Référence : 2004 CF 454
ENTRE :
AHMED MD GIASH UDDIN
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE HARRINGTON
[1] Si l'audition de la demande d'asile de M. Ahmed avait eu lieu le jour où il a quitté le Bangladesh, il aurait peut-être obtenu l'asile. Toutefois, le temps change bien des choses, au moins dans la présente affaire. M. Ahmed est un citoyen du Bangladesh. Il est arrivé au Canada en mai 2001 et a demandé l'asile politique. Étant un membre actif du Parti nationaliste du Bangladesh (le PNB), il a demandé la protection du Canada en alléguant qu'il avait été pris pour cible par les hommes de main de la Ligue Awami, qui était alors au pouvoir. Toutefois, lors des élections d'octobre 2001, le Parti nationaliste du Bangladesh a remporté plus de sièges que tout autre parti, et pouvait donc former le gouvernement.
[2] À la suite d'une audience qui a eu lieu le 31 mars 2003, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que M. Ahmad n'avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention et n'était pas une personne à protéger. M. Ahmed sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.
[3] Le tribunal n'a pas remis en question les activités de M. Ahmed auprès du PNB, qui ont débouché sur sa nomination à titre de secrétaire exécutif régional, le fait qu'il ait participé à diverses activités politiques, qu'il ait été pris pour cible par les hommes de main de la Ligue Awami et qu'il ait en vain tenté d'obtenir l'aide de la police.
[4] Comme le tribunal l'a dit lui-même, il a _ évalué la demande d'asile en fonction de la situation qui prévaut actuellement dans le pays et, en particulier, en fonction du changement de circonstances en ce qui concerne la situation politique au Bangladesh _. Avant de conclure que M. Ahmed ne craignait pas avec raison d'être persécuté du fait de ses opinions ou activités politiques, dans le sens où il ne pouvait pas ou ne voulait pas se réclamer de la protection de l'État, et qu'il n'avait pas qualité de personne à protéger, le tribunal a brièvement évoqué quelques unes des pièces qui lui avaient été soumises. Il a mentionné la décision du nouveau gouvernement de remplacer les chefs de la police nationale et de la police de Dhaka, les arrestations des membres de la Ligue Awami effectuées pour mettre un terme à la violence politique et les différentes arrestations effectuées en vertu de la Loi sur les pouvoirs spéciaux de 1974. En effet, selon Amnistie Internationale, les membres de la Ligue Awami avaient été harcelés par le PNB.
[5] Compte tenu de ces circonstances, le tribunal a jugé qu'il n'était pas plausible de penser que la Ligue Awami s'en prendrait à M. Ahmed, étant donné qu'il était membre et secrétaire exécutif du parti au pouvoir. Au contraire, on pouvait supposer qu'un membre et secrétaire exécutif du parti au pouvoir allait être protégé.
[6] L'avocat de M. Ahmed a fait valoir que la demande de contrôle judiciaire devait être accueillie parce que l'analyse du changement de situation survenu était insuffisante et parce qu'il n'avait pas été établi que le changement en question n'était pas provisoire.
[7] Même si les motifs de la décision du tribunal sont brefs, il est clair que celui-ci a soigneusement examiné les renseignements sur la situation au Bangladesh dont il disposait. Parmi les documents qui lui ont été soumis, on trouve des documents qui ont été publiés en mai, en octobre et en décembre 2002 par la Direction des recherches de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ainsi qu'un communiqué publié en septembre 2002 par Amnistie Internationale, dans lequel il est question des arrestations des activistes de la Ligue Awami.
[8] L'avocat de M. Ahmed a accordé une importance particulière à trois décisions. L'arrêt Ahmed c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 156 N.R. 221 (C.A.F.) portait sur la violence politique au Bangladesh. Dans cette affaire, le tribunal avait conclu que même si le demandeur courait peut-être un danger dans son village, il disposait d'une possibilité de refuge intérieur, étant donné qu'il avait passé du temps à Chittagong. Abstraction faite de la question de la possibilité de refuge intérieur, que le tribunal n'a pas abordée en l'espèce, la Cour d'appel a affirmé que le simple fait qu'il y ait eu un changement de gouvernement n'était pas à lui seul suffisant pour satisfaire à la condition relative à l'existence d'un changement de situation rendant déraisonnable et dénuée de fondement une crainte authentique.
[9] Dans la décision Kifoueti c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 164 F.T.R. 116, il était question d'un changement de gouvernement dans la République du Congo. Le tribunal a conclu à l'absence d'éléments de preuve selon lesquels le nouveau régime allait se comporter de la même façon que l'ancien régime. La juge Tremblay-Lamer a dit ce qui suit au paragraphe 17:
Le changement est trop récent pour évaluer si les formes de persécution se poursuivront sous le nouveau régime. Compte tenu de l'absence de preuve que le nouveau régime ne se comporterait pas comme l'ancien, il n'était pas raisonnable, à mon avis, pour le tribunal de rejeter la revendication légitime du demandeur.
[10] La décision Tariq c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 540, va dans le même sens.
[11] En l'espèce, le nouveau gouvernement était au pouvoir depuis un an et demi, et le tribunal disposait de nombreux éléments de preuve selon lesquels des mesures décisives avaient été prises contre les hommes de main de la Ligue Awami.
[12] Dans la présente affaire, il y a véritablement eu des changements, et on ne peut donc pas dire que les conclusions de fait ou de droit auxquelles est parvenu le tribunal soient entachées d'erreur. Comme l'a affirmé la Cour d'appel dans l'arrêt Yusuf c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1995), 179 N.R. 11, il n'existe aucun _ critère _ distinct permettant de jauger les allégations de changement de situation. La question de savoir si le demandeur a raison de craindre d'être persécuté est une question de fait.
[13] Pour ces motifs, la demande de contrôle de la décision dans laquelle la Section de la protection des réfugiés a refusé de reconnaître à M. Ahmed la qualité de réfugié au sens de la Convention et la qualité de personne à protéger sera rejetée.
[14] Aucune question de portée générale n'a été soulevée.
_ Sean Harrington _
Juge
Montréal (Québec)
Le 25 mars 2004
Traduction certifiée conforme
Aleksandra Koziorowska, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3656-03
INTITULÉ : AHMED MD GIASH UDDIN
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : MONTRÉAL (QUÉBEC)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 22 MARS 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE HARRINGTON
DATE DES MOTIFS : LE 25 MARS 2004
COMPARUTIONS:
Stephen J. Fogarty POUR LE DEMANDEUR
Evan Liosis POUR LE DÉFENDEUR
Annie Van der Meerschen
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
Allen & Associés POUR LE DEMANDEUR
Montréal (Québec)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Montréal (Québec)