Date : 20190723
Dossier : IMM-3314-18
Référence : 2019 CF 967
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 23 juillet 2019
En présence de monsieur le juge James W. O’Reilly
ENTRE :
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CHAUDHRY MUHAMMAD AZEEM
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
Monsieur Chaudhry Muhammad Azeem est arrivé au Canada en provenance du Pakistan en 2010, et il a demandé l’asile. Sa demande a été rejetée. Par la suite, il a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), laquelle a été rejetée en 2016. Il a déposé une seconde demande d’ERAR, qui a également été rejetée. M. Azeem a été renvoyé du Canada le 6 novembre 2018.
[2]
M. Azeem demande le contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue quant au deuxième ERAR, malgré le fait que, compte tenu de son renvoi du Canada, sa demande est théorique. Il demande à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’examiner sa demande de contrôle judiciaire au motif que l’issue de sa demande pourrait avoir un effet sur sa capacité à revenir au Canada et parce que sa cause soulève des questions importantes de crédibilité et de crainte raisonnable de partialité, qui justifient l’attention de la Cour.
[3]
Je ne souscris pas aux observations de M. Azeem. À mon avis, il n’a pas satisfait aux critères permettant de statuer sur une demande de nature théorique. Par conséquent, je n’exercerai pas mon pouvoir discrétionnaire d’entendre la demande de contrôle judiciaire de M. Azeem.
[4]
La seule question en litige est celle de savoir si je dois entendre la demande de nature théorique de M. Azeem.
II.
La décision de l’agent d’ERAR
[5]
L’agent d’ERAR a conclu que M. Azeem avait invoqué des renseignements qui ne différaient pas considérablement de la preuve qu’il avait présentée dans le cadre de sa demande d’asile et de sa première demande d’ERAR. M. Azeem a soutenu qu’il avait exploité des écoles privées de style occidental au Pakistan et qu’il avait, de ce fait, provoqué la colère d’extrémistes religieux. La Section de la protection des réfugiés a mis en doute le compte rendu des événements de M. Azeem et a conclu qu’il pouvait trouver un refuge interne sécuritaire à Karachi.
[6]
M. Azeem a mis à jour son compte rendu des événements devant l’agent d’ERAR. Il a soutenu que, en 2016, deux hommes avaient demandé à son fils où il se trouvait. L’un d’eux a tiré sur son fils et l’a blessé, mais ce dernier a réussi à s’échapper. Le fils de M. Azeem a plus tard été happé par une voiture ne portant pas de plaque d’immatriculation. Par la suite, il a été battu et interrogé sur les allées et venues de M. Azeem. La police n’est pas intervenue.
[7]
L’agent a conclu que la description des événements de M. Azeem était vague et non corroborée.
III.
La Cour devrait-elle entendre la demande de nature théorique de M. Azeem?
[8]
M. Azeem soutient que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de statuer sur le fond de l’affaire, principalement pour deux raisons. Tout d’abord, il existe toujours un débat contradictoire. S’il devait obtenir gain de cause dans sa demande de contrôle judiciaire, il aurait une meilleure chance de succès pour toute demande d’autorisation de revenir au Canada qu’il pourrait présenter. Ensuite, il est souvent difficile d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision relative à un ERAR au cours de la période comprise entre la décision et le renvoi. Cela a pour conséquence que certaines questions importantes, comme des conclusions sur la crédibilité et l’impartialité, échappent à l’intervention judiciaire. M. Azeem soutient que l’économie des ressources judiciaires ne serait pas compromise par l’audition d’une affaire qui soulève des questions juridiques importantes, même si elles sont théoriques.
[9]
Les observations de M. Azeem portent sur deux des trois facteurs qui devraient être examinés pour décider s’il faut entendre une demande de nature théorique : un rapport contradictoire continu et l’économie des ressources judiciaires (Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342). Le troisième facteur concerne la question de savoir si la Cour assume effectivement une fonction législative plutôt que judiciaire.
[10]
Le ministre soutient que si j’entendais et accueillais la demande de M. Azeem, je réviserais essentiellement la décision antérieure du juge Zinn, qui a conclu que M. Azeem ne subirait pas un préjudice irréparable s’il était renvoyé du Canada, et je m’en écarterais (comme dans Nalliah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 759). En outre, selon le ministre, cela contreviendrait au principe de la courtoisie judiciaire, constituerait une mauvaise dépense des ressources judiciaires et amènerait la Cour à créer une nouvelle catégorie de personnes à protéger – celles qui sont à l’étranger et qui invoquent un risque de mauvais traitement (Solis Perez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 663, conf. par 2009 CAF 171).
[11]
Dans les circonstances dont je suis saisi, je ne suis pas convaincu par les observations du ministre sur ce point. M. Azeem soulève des questions de crédibilité et de partialité. Si j’étais convaincu que la décision de l’agent d’ERAR devait être annulée pour l’un de ces motifs ou pour les deux, le renvoi de la question pour réexamen ne contredirait pas la conclusion du juge Zinn selon laquelle M. Azeem ne subirait pas un préjudice irréparable s’il était être renvoyé du Canada.
[12]
Toutefois, je ne suis pas non plus convaincu que je dois entendre la demande théorique de M. Azeem. En ce qui concerne l’observation de M. Azeem selon laquelle il existe toujours un débat contradictoire, j’ai deux réponses. Tout d’abord, même si les circonstances pouvaient être qualifiées de débat contradictoire, ce dernier n’est pas lié à la décision qui fait l’objet de l’examen. Il n’y a aucun débat contradictoire en ce qui concerne l’ERAR. Ensuite, l’incidence possible de tout effort que pourrait faire M. Azeem pour revenir au Canada est, à ce stade, entièrement spéculative.
[13]
Enfin, en ce qui concerne la prétention de M. Azeem selon laquelle d’importantes questions juridiques échappent à l’examen judiciaire lorsque des demandeurs d’ERAR sont renvoyés du Canada, je reconnais que ces questions échappent souvent au contrôle judiciaire en raison de leur caractère théorique. Toutefois, elles sont régulièrement présentées à la Cour. Lorsque des questions graves sont soulevées relativement à une demande d’ERAR, le demandeur peut demander un sursis du renvoi en attendant qu’une décision soit rendue quant à la demande sous-jacente de contrôle judiciaire. La Cour ordonnera le sursis et entendra la demande de contrôle judiciaire si le demandeur respecte le critère à trois volets relatif à l’octroi d’un sursis.
[14]
Par conséquent, je ne suis pas convaincu que la Cour devrait trancher la demande théorique de M. Azeem.
IV.
Conclusion et décision
[15]
La demande de contrôle judiciaire de M. Azeem est théorique et les circonstances ne justifient pas qu’elle soit entendue. Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.
[16]
L’avocat de M. Azeem a proposé la certification de questions. Toutefois, je ne suis pas convaincu qu’elles soulèvent des questions d’importance générale qui auraient une incidence sur la présente demande. Dans la première question, il est simplement demandé si la Cour a le pouvoir discrétionnaire d’entendre une demande de contrôle judiciaire malgré son caractère théorique. De toute évidence, la réponse est oui. La deuxième question concerne les conclusions de crédibilité formulées par l’agent d’ERAR. Cette question est théorique et il ne convient pas de la certifier en l’espèce.
JUGEMENT DANS le dossier IMM-3314-18
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Aucune question de portée générale n’est énoncée.
« James W. O’Reilly »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 29e jour de juillet 2019.
Claude Leclerc, traducteur
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-3314-18
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INTITULÉ :
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CHAUDHRY MUHAMMAD AZEEM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Winnipeg (Manitoba)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 8 janvier 2019
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE O’REILLY
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DATE DU JUGEMENT
ET DES MOTIFS :
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Le 23 juillet 2019
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COMPARUTIONS :
David Matas
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Pour le demandeur
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Alexander Menticoglou
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
David Matas
Avocat
Winnipeg (Manitoba)
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Pour le demandeur
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Sous-procureur général du Canada
Winnipeg (Manitoba)
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POUR LE DÉFENDEUR
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