OTTAWA (Ontario), le 23 juin 2000
EN PRÉSENCE DU JUGE MacKAY
Date : 20000623
ENTRE :
Dossier : DES-2-99
Jaggi Bikramjit Singh,
requérant,
et
Le procureur général du Canada,
intimé.
Dossier : DES-3-99
Jonathan A. Oppenheim et Megan Hunter,
requérants,
et
Le procureur général du Canada,
intimé.
Dossier : DES-4-99
Alissa Westergard-Thorpe, Annette Muttray, Jamie Doucette,
Mark Brooks, Dennis Porter, Deke Samchok et Craig Elton Jones,
requérants,
et
Le procureur général du Canada et Sa MajestéLa Reine du chef du Canada,
intimés.
Dossier : DES-5-99
British Columbia Civil Liberties Association,
requérante,
et
Le procureur général du Canada et Sa MajestéLa Reine du chef du Canada,
intimés.
VU la demande fondée sur les articles 37 et 38 de la Loi sur la preuve au Canada (la « Loi » ) que les requérants dans les quatre instances visées aux présentes ont présentée ensemble à Vancouver le 20 décembre 1999, date à laquelle laffaire a été mise en délibéré, afin dobtenir une ordonnance de la Cour exigeant que soient communiqués à la Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie Royale du Canada, qui mène une enquête au sujet des plaintes relatives aux activités de la GRC se rapportant à la Conférence de lAPEC tenue en novembre 1997, les renseignements dont la divulgation est contestée par des agents dinformation de Sa Majesté pour des motifs précis, y compris les motifs énoncés aux articles 37 et 38 de la Loi;
APRÈS avoir entendu lavocat de la requérante British Columbia Civil Liberties Association, lavocat des requérants Westergard-Thorpe et al, lavocat des intimés le procureur général du Canada et Sa Majesté La Reine et lavocate de lintervenante, la Commission des plaintes du public contre la GRC ainsi que les arguments que les requérants ont invoqués pour convaincre la Cour dexaminer les renseignements dont la communication est contestée et dordonner par la suite la divulgation de la totalité ou dune partie des renseignements en question, sous réserve des restrictions quelle estime indiquées;
APRÈS avoir examinéles arguments exposés à laudience;
ORDONNANCE
LA COUR STATUE COMME SUIT :
1. Chacune des demandes est rejetée, sans que la Cour examine lun ou lautre des renseignements en litige dont la communication est contestée.
2. Chacune des parties doit payer ses propres frais.
3. Loriginal de la présente ordonnance sera versé au dossier de la Cour DES-2-99 et une copie sera déposée dans chacun des dossiers de la Cour portant les numéros DES-3-99, DES-4-99 et DES-5-99.
(S) W. Andrew MacKay
Juge
Traduction certifiée conforme
Martine Brunet, LL.B
Date : 20000623
ENTRE :
Dossier : DES-2-99
Jaggi Bikramjit Singh,
requérant,
et
Le procureur général du Canada,
intimé.
Dossier : DES-3-99
Jonathan A. Oppenheim et Megan Hunter,
requérants,
et
Le procureur général du Canada,
intimé.
Dossier : DES-4-99
Alissa Westergard-Thorpe, Annette Muttray, Jamie Doucette,
Mark Brooks, Dennis Porter, Deke Samchok et Craig Elton Jones,
requérants,
et
Le procureur général du Canada et Sa Majesté La Reine du chef du Canada,
intimés.
Dossier : DES-5-99
British Columbia Civil Liberties Association,
requérante,
et
Le procureur général du Canada et Sa Majesté La Reine du chef du Canada,
intimés.
MOTIFS DE LORDONNANCE
Le juge MacKay
Les demandes
[1] Il sagit de demandes fondées sur les articles 37 et 38 de la Loi sur la preuve au Canada[1] ( « la Loi » ) relativement aux objections quont formulées certains fonctionnaires du gouvernement et de la police à légard de la communication de documents faisant lobjet dune assignation délivrée par la Commission des plaintes du public contre la GRC ( « CPP » ou « la Commission » ). Au moyen de certificats établis conformément aux articles 37 et 38 de la Loi, la Gendarmerie royale du Canada ( « GRC » ), le Service canadien du renseignement de sécurité ( « SCRS » ) et le Solliciteur général/Bureau du Conseil privé ( « BCP » ) se sont opposés à la communication de certains renseignements contenus dans des documents qui concernent la planification et la mise en oeuvre de mesures de sécurité à légard de la Conférence sur la coopération économique en Asie et dans le Pacifique ( « la conférence APEC » ), qui a eu lieu à Vancouver en novembre 1997.
[2] Lorsque la présente affaire a été entendue, le requérant dans le dossier DES-2-99, M. Jaggi Singh, et les requérants dans le dossier DES-3-99, M. Jonathan Oppenheim et Mme Megan Hunter, nétaient pas représentés séparément et il est entendu quils se fondent sur les arguments invoqués par les requérants dans les autres dossiers de la Cour portant les numéros DES-4-99 et DES-5-99. Ces requérants, soit Alissa Westergard-Thorpe, Annette Muttray, Jamie Doucette, Mark Brooks, Dennis Porter, Deke Samchok et Craig Elton Jones dans le dossier DES-4-99 ainsi que la British Columbia Civil Liberties Association dans le dossier DES-5-99, étaient représentés par un avocat. Chacun des requérants particuliers a déposé une plainte auprès de la Commission au sujet de la conduite des agents de la GRC qui ont participé aux opérations de sécurité liées à la conférence APEC et tous contestent les objections soulevées à légard de la communication de certains renseignements contenus dans les documents visés par lassignation de la CPP. En plus des observations des requérants qui étaient représentés ainsi que de lintimé, la Cour a entendu les arguments de lavocate de la Commission, qui était intervenante dans linstance, notamment en ce qui concerne lidentification des documents en litige.
[3] Les requérants soutiennent que lintérêt public favorisant la communication des renseignements est plus important que le préjudice invoqué dans les certificats établis à légard des objections à la communication. De lavis des requérants, si les renseignements en question ne sont pas divulgués, ils seront lésés, de même que dautres plaignants, et la CPP ne pourra remplir sa mission dorigine législative. Les requérants demandent à la Cour dexaminer les documents en question et dordonner la communication des renseignements mentionnés dans les certificats des agents de Sa Majesté, sous réserve des restrictions quelle juge indiquées.
Les faits à lorigine du litige
[4] Les dispositions relatives à lorganisation de la conférence APEC sont considérées comme lopération la plus importante effectuée au Canada jusquà maintenant en matière de sécurité. Après la conférence, plus de 50 plaintes ont été déposées auprès de la CPP au sujet de la conduite des membres de la GRC qui ont assuré la sécurité lors de la conférence. Après quelques problèmes quont éprouvés les personnes désignées pour lexamen des plaintes,, Me E.N. Hughes, c.r., a été nommé commissaire de la CPP, conformément aux dispositions de la Loi sur la gendarmerie royale du Canada[2] et chargé dentendre la preuve et de soumettre son rapport au sujet des plaintes. Le commissaire a délivré à la GRC une assignation visant à obtenir des témoignages et des documents qui pourraient être pertinents quant à lenquête, notamment des documents concernant les mesures prises au sujet de laffectation du personnel de la GRC à la conférence APEC. Des milliers de documents ont été déposés, mais des fonctionnaires de la GRC, du BCP et du SCRS ont aussi déposé auprès du commissaire Hughes des certificats conformément à la Loi afin de sopposer à la communication de certains documents ou de certains renseignements contenus dans les documents désignés. Les documents ont été déposés auprès de la Cour, ainsi que les objections, aux fins de la décision qui doit être rendue au sujet de la présente demande.
[5] Bon nombre de documents produits en réponse à lassignation de la CPP renferment des renseignements dont la communication est contestée. Les parties ont convenu quune bonne partie des objections à la communication des renseignements seraient considérées comme des allégations fondées sur la règle de common law concernant limmunité à lencontre de la production forcée, que le commissaire Hughes examinera au cours de son enquête. Lavocate de la Commission a indiqué à laudience devant moi les documents qui sont encore visés par une objection que la Cour doit trancher conformément à la Loi sur la preuve au Canada.
[6] Les objections énoncées dans les certificats des agents de Sa Majesté à légard de la communication concernent, de façon générale, des intérêts publics liés à la sécurité nationale, aux relations internationales du Canada ou à ladministration de la justice. Je formulerai des commentaires à ce sujet lorsque jexaminerai les intérêts publics à soupeser pour trancher les présentes demandes.
[7] Je souligne que les certificats comportent en annexe des copies de la plupart des documents dont la communication est contestée, exception faite des parties qui ont été omises ou biffées. Quelques documents ont été omis en entier. En ce qui concerne ceux qui sont joints aux certificats, certains sont biffés en entier, mais la plupart ont été produits après que quelques parties seulement aient été retranchées.
Les questions en litige
[8] La requérante British Columbia Civil Liberties Association a formulé les questions à trancher en lespèce et les avocats des requérants particuliers ainsi que du procureur général et de la Commission ont tous souscrit à cette formulation :
A. Les motifs dintérêt public invoqués au soutien de la communication justifient-ils un examen par la Cour lorsquils sont comparés aux objections formulées par les organismes de Sa Majesté?
B. Un examen des documents indique-t-il que les intérêts liés à la divulgation lemportent sur ceux qui favorisent la non-communication?
C. Si lintérêt public lié à la divulgation est supérieur, la communication devrait-elle être assortie de conditions ou de restrictions?
Les articles. 37 et 38 de la Loi et la jurisprudence pertinente
[9] Les dispositions de la Loi qui sont pertinentes en lespèce sont les articles 37 et 38, y compris les extraits suivants :
37. (1) A minister of the Crown in right of Canada or other person interested may object to the disclosure of information before a court, person or body with jurisdiction to compel the production of information by certifying orally or in writing to the court, person or body that the information should not be disclosed on the grounds of a specified public interest. |
37. (1) Un ministre fédéral ou toute autre personne intéressée peut s'opposer à la divulgation de renseignements devant un tribunal, un organisme ou une personne ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements, en attestant verbalement ou par écrit devant eux que ces renseignements ne devraient pas être divulgués pour des raisons d'intérêt public déterminées. |
(2) Subject to sections 38 and 39, where an objection to the disclosure of information is made under subsection (1) before a superior court, that court may examine or hear the information and order its disclosure, subject to such restrictions or conditions as it deems appropriate, if it concludes that, in the circumstances of the case, the public interest in disclosure outweighs in importance the specified public interest. |
(2) Sous réserve des articles 38 et 39, dans les cas où l'opposition visée au paragraphe (1) est portée devant une cour supérieure, celle-ci peut prendre connaissance des renseignements et ordonner leur divulgation, sous réserve des restrictions ou conditions qu'elle estime indiquées, si elle conclut qu'en l'espèce, les raisons d'intérêt public qui justifient la divulgation l'emportent sur les raisons d'intérêt public invoquées lors de l'attestation. |
(3) Subject to sections 38 and 39, where an objection to the disclosure of information is made under subsection (1) before a court, person or body other than a superior court, the objection may be determined, on application, in accordance with subsection (2) by |
(3) Sous réserve des articles 38 et 39, dans les cas où l'opposition visée au paragraphe (1) est portée devant le tribunal, un organisme ou une personne qui ne constituent pas une cour supérieure, la question peut être décidée conformément au paragraphe (2), sur demande, par_: |
(a) the Federal Court-Trial Division, in the case of a person or body vested with power to compel production by or pursuant to an Act of Parliament if the person or body is not a court established under a law of a province; or |
a) la Section de première instance de la Cour fédérale, dans les cas où l'organisme ou la personne investis du pouvoir de contraindre à la production de renseignements en vertu d'une loi fédérale ne constituent pas un tribunal régi par le droit d'une province; |
(b) the trial division or trial court of the superior court of the province within which the court, person or body exercises its jurisdiction, in any other case. |
b) la division ou cour de première instance de la cour supérieure de la province dans le ressort de laquelle le tribunal, l'organisme ou la personne ont compétence, dans les autres cas. |
... |
... |
38. (1) Where an objection to the disclosure of information is made under subsection 37(1) on grounds that the disclosure would be injurious to international relations or national defence or security, the objection may be determined, on application, in accordance with subsection 37(2) only by the Chief Justice of the Federal Court, or such other judge of that Court as the Chief Justice may designate to hear such applications. |
38. (1) Dans les cas où l'opposition visée au paragraphe 37(1) se fonde sur le motif que la divulgation porterait préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales, la question peut être décidée conformément au paragraphe 37(2), sur demande, mais uniquement par le juge en chef de la Cour fédérale ou tout autre juge de ce tribunal qu'il charge de l'audition de ce genre de demande. |
... |
... |
(5) An application under subsection (1) or an appeal brought in respect of the application shall
(a) be heard in camera; and
(b) on the request of the person objecting to the disclosure of information, be heard and determined in the National Capital Region described in the schedule to the National Capital Act. |
(5) Les demandes visées au paragraphe (1) font, en premier ressort ou en appel, l'objet d'une audition à huis clos; celle-ci a lieu dans la région de la capitale nationale définie à l'annexe de la Loi sur la capitale nationale si la personne qui s'oppose à la divulgation le demande. |
(6) During the hearing of an application under subsection (1) or an appeal brought in respect of the application, the person who made the objection in respect of which the application was made or the appeal was brought shall, on the request of that person, be given the opportunity to make representations ex parte. |
(6) La personne qui a porté l'opposition qui fait l'objet d'une demande ou d'un appel a, au cours des auditions, en première instance ou en appel et sur demande, le droit de présenter des arguments en l'absence d'une autre partie. |
[10] Larrêt clé dans des litiges semblables à la présente affaire, soit Goguen c. Gibson[3], énonce une démarche en deux étapes qui a été suivie lors de lexamen de demandes subséquentes fondées sur les articles 37 et 38. Le juge ne prendra pas connaissance des renseignements dont la communication est contestée à moins dêtre dabord convaincu que lintérêt public lié à la divulgation est important au point où il est nécessaire de faire cet examen afin de décider si la balance penche du côté de lintérêt public relatif à cette divulgation plutôt que du côté de lintérêt public favorisant la préservation du caractère confidentiel des renseignements. Le juge en chef Thurlow a commenté la première mesure à prendre avant den arriver à une décision au sujet de lexamen des documents en question[4] :
... la nature de la demande me paraît être telle quavant dexercer le pouvoir de prendre connaissance des renseignements, le juge instruisant la demande doit être convaincu, daprès la preuve dont il est saisi, que la divulgation simpose, cest-à-dire que lintérêt public dans la divulgation dans le cas despèce est plus important que lintérêt public à préserver le caractère confidentiel de ces renseignements ou, à tout le moins, que la balance ne penche ni dans un sens ni dans lautre et quil faut donc prendre connaissance des renseignements afin de décider quel intérêt public doit lemporter.
[11] Il incombe à la partie qui présente la demande de divulgation de démontrer que lintérêt public lié à celle-ci lemporte sur celui qui se rapporte à la préservation du caractère confidentiel des renseignements en question. Le juge en chef Thurlow a poursuivi en ces termes dans laffaire Goguen[5] :
En revanche, si la nécessité de la divulgation na pas été démontrée et si la balance penche nettement dun côté, il faut, bien entendu, faire droit à lopposition et, dans ce cas, je ne pense pas que le paragraphe exige que la Cour prenne connaissance des renseignements pour voir si cet examen fera pencher la balance dans lautre sens.
Dans son jugement minoritaire concourant, le juge Marceau, de la Cour dappel, a commenté la procédure en deux étapes et souligné quelle était inévitable. Linspection devrait avoir lieu, a-t-il souligné[6],
si, et seulement si, [le tribunal] est convaincu quil doit le faire pour arriver à une conclusion ou, en dautres termes, si et seulement si, à partir des pièces qui lui ont été soumises, il ne peut dire sil doit accepter ou rejeter la demande.
[12] À ce stade, soit pour décider de quel côté penche la balance entre la divulgation et la non-divulgation, la Cour a tenu compte de différents facteurs. Dans Khan c. Canada[7], le juge Rothstein, alors juge à la Section de première instance, a résumé les facteurs qui ont été pris en compte dans les décisions antérieures[8] :
a) La nature de l'intérêt public que l'on tente de protéger par le secret; Kevork c. La Reine, [1984] 2 C.F. 753 (1re inst.), aux pages 762 à 764; Goguen c. Gibson, [1983] 1 C.F. 872 (1re inst.), à la page 884; Goguen c. Gibson, [1983] 2 C.F. 463 (C.A.), à la page 479.
b) La question de savoir si « un fait crucial pour la défense sera probablement ainsi établi » ; Kevork c. La Reine, précité, aux pages 764 et 765; Goguen c. Gibson, précité, (1re inst.), à la page 906.
c) La gravité de l'accusation ou des questions concernées; Kevork c. La Reine, précité, aux pages 765 et 766; Henrie c. Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité), [1989] 2 C.F. 229 (1re inst.), à la page 238.
d) L'admissibilité des documents et leur utilité; Kevork c. La Reine, précité, aux pages 766 à 768; Goguen c. Gibson, précité, (1re inst.), à la page 906; Gold c. R., [1986] 2 C.F. 129 (C.A.).
e) La question de savoir si les requérants ont établi qu'il n'existe pas d'autres moyens raisonnables d'obtenir les renseignements; Kevork c. La Reine, précité, à la page 767.
f) La question de savoir si les demandes de divulgation de renseignements visent la communication de certains documents ou constituent des interrogatoires à l'aveuglette; Kevork c. La Reine, précité, à la page 767; Gold c. R., précité, aux pages 139 et 140.
[13] Jajoute un autre arrêt, Re Rankin[9], qui concerne une demande de la CPP en vue dobtenir des renseignements de la GRC, qui sest opposée à leur divulgation conformément aux articles 37 et 38 de la Loi. Dans cette affaire, le juge Denault a formulé les commentaires suivants[10] :
En pesant le pour et le contre en ce qui concerne la question de la divulgation, la Cour doit se demander si les documents sont nécessaires, sils sont dune importance cruciale pour le plaignant et si la non-divulgation porterait préjudice à celui-ci.
Dans son jugement, le juge a conclu que les documents en question ne portaient pas sur un fait important qui était en litige devant la CPP et que la GRC navait pas invoqué les renseignements dans sa défense. Dans ces circonstances, il a conclu que les documents navaient pas une importance cruciale pour la plainte dagression que le requérant avait formulée à lencontre dun agent de lorganisme par suite dévénements survenus lors dune manifestation publique. Dans cette affaire, la balance penchait du côté de la non-divulgation des renseignements.
Intérêts publics à soupeser
[14] Je résume maintenant les intérêts publics à soupeser en lespèce. Les requérants soutiennent que lintérêt public lié à la communication concerne ladministration de la justice, y compris lévaluation des allégations de conduite illégale formulées contre une quarantaine dagents de la GRC; ils ajoutent, ce qui est encore plus important, que la GRC devrait être tenue de rendre compte de ses activités aux citoyens du Canada au moyen dune procédure de la CPP qui est perçue comme une démarche intègre, offrant laccès essentiel aux renseignements pertinents. À titre de corps de police, la GRC doit être perçue comme un organisme impartial qui nest nullement soumis à des influences politiques et elle doit faire montre de respect à lendroit des citoyens et de leurs droits fondés sur la Charte. De lavis de la British Columbia Civil Liberties Association, examinées ensemble, les nombreuses plaintes donnent à penser que la GRC a peut-être déployé des efforts pour supprimer lexpression politique légitime, de sorte que tout renseignement pouvant permettre de déterminer le fondement des actions de la GRC, ainsi que les sources de direction de celles-ci, devraient être communiqués. Lassociation fait valoir que lintérêt public lié à une surveillance et à une responsabilité policières satisfaisantes dans une société libre et démocratique lemporte sur les intérêts publics invoqués au soutien du refus de divulguer les renseignements en question.
[15] Lavocat des requérants Westergard Thorpe et al dans le dossier DES-4-99 invoque ce même intérêt public général important en faveur de la communication. De plus, ces requérants allèguent, sur la foi de certains éléments de preuve qui ont été portés à lattention de la CPP, dont limportance est contestée et quil ne mappartient pas dévaluer, que les renseignements concernant certaines autres activités de la GRC devraient être communiqués, car ces activités sont considérées comme des activités liées aux plaintes dont la CPP est saisie, même si elles nen font pas partie intégrante. En toute déférence, il me semble que la seule question que je dois trancher est celle de savoir si, malgré les objections invoquées au nom de certains intérêts publics, la Cour devrait ordonner la communication de certains documents qui sont visés par la directive du commissaire quant à la production et dont les organismes gouvernementaux concernés admettent la pertinence, aux fins des présentes demandes, en ce qui concerne les questions dont le commissaire est saisi.
[16] Lavocate de la CPP a décrit la nature des documents en litige et résumé les principes applicables aux questions à trancher en lespèce. Selon lavocate, notamment dans le cas des quelques documents ont été omis en entier, la Cour devrait, compte tenu des questions dintérêt public dont la Commission est saisie, examiner les documents en question et, si elle le juge indiqué, en ordonner la communication, sous réserve des directives quelle imposerait, afin de garantir au public lintégrité de la procédure denquête de la CPP au moyen dun contrôle indépendant par la Cour.
[17] Les certificats des représentants de la GRC, du SCRS et du BCP énoncent les intérêts publics qui, de lavis de chacun deux, justifient les objections formulées à légard de la divulgation des renseignements conformément aux articles 37 et 38. Les intérêts publics invoqués sont les suivants :
1) La protection des renseignements qui indiqueraient des sources confidentielles (GRC, SCRS, BCP) et la protection des renseignements reçus de sources confidentielles (SCRS). Les requérants reconnaissent la nécessité de protéger lidentité des sources confidentielles, mais non les renseignements obtenus de ces sources, à moins que la partie qui soppose à la communication ne démontre que leur divulgation révélerait probablement les sources en question.
2) La protection des renseignements qui révéleraient les techniques denquête et les méthodes de fonctionnement est un intérêt public qui, de lavis des requérants, ne devrait pas sappliquer à la conduite de la GRC, notamment à lemploi par celle-ci dagents dinfiltration dans le cadre de la planification des mesures de sécurité aux fins des conférences APEC. En ce qui a trait aux renseignements que le SCRS a communiqués à la GRC, les requérants demandent que ces renseignements soient divulgués à la CPP, à moins que le SCRS et le BCP ne démontrent que cette communication nuirait aux techniques denquête et méthodes de fonctionnement dudit Service, dont la protection constitue un intérêt public qui doit être respecté aux yeux des requérants.
3) Les requérants reconnaissent que la protection de lidentité des agents dinfiltration de la GRC ou des employés du SCRS ainsi que des procédures administratives (GRC, SCRS, BCP) est un intérêt public qui doit être respecté, mais demandent que les renseignements que la GRC a obtenus dune source confidentielle soient communiqués, à moins quil ne soit établi que ces renseignements révéleraient lidentité des agents dinfiltration ou des employés du SCRS ou encore des méthodes de celui-ci.
4) Les requérants reconnaissent que la protection des renseignements confidentiels provenant dautres organismes (GRC, SCRS, BCP) est un intérêt public important, mais demandent que ces renseignements soient divulgués, à moins que ceux qui sy opposent nétablissent que la communication des renseignements en question révélerait les sources confidentielles.
5) La protection des renseignements concernant les mesures que prend la GRC pour protéger des personnes importantes (GRC) est un intérêt qui, de lavis des requérants, ne devrait pas lemporter sur lintérêt public lié à lexamen de la conduite de la GRC, car cet intérêt concerne des activités de contestation politique légitimes.
6) La protection des renseignements concernant les sujets denquête (SCRS) et des activités denquête spécifiques (BCP) qui, de lavis de Sa Majesté, représentent des intérêts importants liés à la sécurité nationale, nest pas considérée par les requérants comme un intérêt en jeu dans le cadre de lexamen des renseignements à communiquer à la CPP, parce que lenquête de celle-ci porte non pas sur des terroristes ou sur des comportements criminels, mais sur des individus et des groupes qui sont reconnus comme des groupes et individus non violents. En toute déférence, je ne suis pas convaincu que le caractère apparemment non violent de contestataires connus est pertinent en ce qui a trait à la détermination de lintérêt public caractérisant les renseignements en litige.
7) La protection des renseignements concernant lusage des systèmes de télécommunication, notamment la cryptographie (SCRS), est un intérêt public qui serait bien fondé, de lavis des requérants, si Sa Majesté peut démontrer que la communication révélerait le fonctionnement de ces systèmes.
8) La protection des renseignements concernant la collaboration internationale ou les cibles internationales des mesures de sécurité (SCRS) est un intérêt public qui, de lavis des requérants, ne devrait pas empêcher la divulgation à la CPP, dans la mesure où les renseignements fournis à la GRC concernent des contestations détudiants, mais il nest pas nécessaire que les renseignements fassent état de la collaboration internationale ou des cibles des activités du SCRS.
Évaluation des intérêts publics
[18] Jen arrive maintenant aux facteurs définis dans la jurisprudence sur laquelle la Cour sest fondée pour décider sil y a lieu dexaminer les documents dont la divulgation communication est contestée. Ces facteurs comprennent les suivants.
a) La question de savoir si « un fait crucial pour la défense sera probablement établi » par les éléments de la preuve en question ainsi que ladmissibilité des documents et leur utilité
[19] Ces facteurs sont plus importants lors de lexamen des privilèges liés aux intérêts publics invoqués à légard daccusations criminelles. Cependant, cela ne signifie pas que ces facteurs peuvent tout simplement être ignorés lorsquil sagit dinstances de nature civile ou administrative. Dans la présente affaire, la CPP ne peut formuler aucune conclusion défavorable aux requérants et ses travaux ne touchent nullement leurs droits fondés sur la Charte. Les requérants ne font lobjet daucune accusation contre laquelle ils doivent se défendre devant la CPP. Les agents visés par les plaintes ne demandent pas à la Cour dordonner la communication des documents pour leur « défense » .
[20] Il est important de faire la distinction entre la Commission des plaintes du public et une cour de justice. La Commission ne rend aucune décision concernant les droits ou les responsabilités des personnes et ne peut infliger de sanctions disciplinaires aux membres des Forces dont la conduite est contestée. En vertu de la Loi sur la GRC, la Commission peut uniquement formuler des recommandations.
[21] Dans une décision antérieure liée à la présente demande, le juge McKeown a décrit en ces termes le mandat de la Commission :
Le mandat de la Commission, qui consiste à tenir une enquête publique oùla responsabilitécivile et criminelle ne peut être établie, est d'enquêter sur la question de savoir si la conduite des agents de la GRC affectés à la conférence de l'APEC va à l'encontre de la Charte. Même si la Commission a déclaréqu'elle avait compétence pour tirer des conclusions au sujet de la participation de l'exécutif dans le fait de donner des directives ou des ordres inappropriés à la GRC, l'enquête vise le comportement des agents de la GRC et non celui de l'exécutif.
La CPP nest pas un tribunal pénal et ses travaux ne toucheront pas directement les droits fondamentaux de qui que ce soit. Elle a pour but de protéger lintérêt public lié à la bonne administration de la justice en tenant une enquête au sujet de la conduite des membres de la GRC qui ont fait lobjet de plaintes par suite de la conférence APEC et de faire rapport à ce sujet. Sa mission nest pas de faire rapport au sujet de la conduite de tous les membres de la GRC ou de linstitution elle-même.
[22] Aux fins des présentes demandes, lintimé a admis que les renseignements dont la divulgation est contestée sont pertinents quant aux questions dont la CPP est saisie. En ce qui a trait à lutilité que ces documents peuvent avoir pour la Commission, je suis davis quils peuvent être utiles tout simplement en raison de leur pertinence, mais que leur importance est incertaine. Hormis le fait que je reconnais ladmissibilité des documents en question en raison de leur pertinence, il mapparaît évident, compte tenu de la nature des travaux de la CPP, que les renseignements en question nont pas une importance vitale aux fins des questions quelle doit trancher. Compte tenu de son mandat dorigine législative, la CPP nest saisie daucune question concernant une enquête au sujet de la GRC comme corps de police ou au sujet des politiques générales de celle-ci. De plus, si jai bien compris, la preuve relative au contexte des mesures visées par les plaintes ainsi que des raisons pouvant les expliquer a été demandée de personnes qui sont appelées à témoigner.
b) La gravité de laccusation ou des questions concernées
[23] Je reconnais que les questions qui font lobjet de lenquête de la CPP sont très importantes. Elles découlent dun ensemble dallégations selon lesquelles des membres de la GRC se sont comportés sans tenir compte des droits des personnes dans une démocratie libre. Ainsi, les plaignants soutiennent que des membres de la GRC ont étouffé une contestation légitime en arrêtant inutilement des personnes, en utilisant de la force alors que ce nétait pas nécessaire, y compris du gaz poivré, en affichant un comportement abusif, en omettant de mener une enquête au sujet des menaces de violence, en enlevant des enseignes qui ne constituaient pas une menace pour la sécurité et en appliquant arbitrairement les restrictions relatives aux zones de sécurité. Les plaignants ajoutent que bon nombre de personnes ont été arrêtées sans accusation et nont été remises en liberté que lorsquelles ont signé un document dans lequel elles se sont engagées à sabstenir de faire des manifestations à lencontre de la conférence APEC. De plus, des membres de la GRC auraient inutilement fouillé à nu et examiné abusivement les contestataires de sexe féminin. Les allégations formulées contre certains agents de la GRC sont très sérieuses.
[24] La CPP est un organisme administratif indépendant qui a été créé pour mener des enquêtes au sujet des préoccupations de ceux qui se plaignent de la conduite des membres de la GRC et pour faire rapport à ce sujet. Les questions dont la Commission est saisie sont sérieuses et lintérêt public lié à une divulgation complète des renseignements pertinents est un intérêt important qui ne devrait être sacrifié quau profit dintérêts publics majeurs et significatifs.
c) La question de savoir si les demandes de divulgation de renseignements visent la communication de certains documents ou constituent des interrogatoires à laveuglette et si les requérants ont établi quil nexiste pas dautres moyens raisonnables dobtenir les renseignements
[25] Le pouvoir de la Commission dexiger la production déléments de preuve est fondé sur le paragraphe 45.45(4) de la Loi sur la GRC, qui accorde à la CPP les pouvoirs dont les commissions denquête sont investies en vertu du paragraphe 24.1(3) de cette même Loi :
(3) A board of inquiry has, in relation to the matter before it, power
(a) to summon any person before the board and to require that person to give oral or written evidence on oath and to produce such documents and things under that person's control as the board deems requisite to the full investigation and consideration of that matter; |
(3) La commission d'enquête dispose, relativement à la question dont elle est saisie, des pouvoirs suivants_:
a) assigner des témoins, les enjoindre à témoigner sous serment, oralement ou par écrit, et à produire les documents et pièces dont ils ont la responsabilité et que la commission estime nécessaires à une enquête et étude complètes; |
Ce pouvoir ne permet pas dexiger la production déléments de preuve assujettis à un privilège pour des raisons liées à un intérêt public en vertu des articles 37 et 38 de la Loi sur la preuve au Canada. Étant donné que la pertinence des documents dont il est question en lespèce est admise, il nest pas possible de dire que la CPP veut obtenir la communication de certains documents ou procéder à des interrogatoires à laveuglette. En revanche, je ne suis pas convaincu quil nexistait pas dautres moyens raisonnables pour la CPP dobtenir les renseignements en question, notamment des témoignages.
d) La nature de lintérêt public visépar la demande de non-divulgation
[26] Les différents motifs que les fonctionnaires de Sa Majesté ont invoqués pour sopposer à la divulgation des renseignements ont été exposés plus haut. Il sagit, généralement, dobjections fondées sur des intérêts publics liés à la sécurité nationale, aux relations internationales et à ladministration de la justice. Quelques commentaires simposent à ce sujet.
Sécurité nationale
[27] Bien quelles soient formulées de manière particulière, un certain nombre dobjections peuvent être classées dans la catégorie des objections liées à la sécurité nationale. Selon cet argument, la divulgation de renseignements que le SCRS, la GRC, le solliciteur général et le Bureau du Conseil privé jugent confidentiels affaiblirait la capacité du Canada de préserver efficacement sa sécurité nationale.
[28] Dans le cadre de lorganisation de la conférence APEC, qui est une conférence internationale dimportance majeure, une des grandes tâches consistait à préparer larrivée de nombreuses personnes jouissant dune protection internationale[11] et à les protéger, pendant leur présence au Canada, de la menace que représentent les terroristes et dautres personnes qui pourraient sattaquer à elles. À cette fin, la participation dorganismes comme le SCRS, la GRC, le BCP et la Défense nationale, a été demandée. Les organismes concernés se sont servis de leurs ressources pour réunir les renseignements de sécurité et pour mener des évaluations appelées « évaluations des menaces » . Il appert du volume de documents produits et du nombre de personnes concernées quil sagissait là dune entreprise majeure.
[29] Daprès les renseignements qui ont été fournis à la CPP dans les certificats en question et dont je suis actuellement saisi, le SCRS, la GRC et dautres organismes exercent leurs fonctions liées à la sécurité nationale avec le secret nécessaire. Des liens entre dautres corps de police, services de renseignements et agences de sécurité, notamment ceux qui se trouvent à létranger, sont établis et des renseignements sont échangés, pourvu quils ne soient pas divulgués à des personnes autres que celles qui sont concernées par la sécurité nationale. Si ces renseignements devaient être divulgués, la confiance de lauteur des renseignements risquerait dêtre ébranlée, comme ce serait le cas de tous les liens confidentiels similaires. Il est indéniable quaujourdhui, la sécurité nationale du Canada dépend en partie de liens semblables à ceux-ci ainsi que des renseignements qui sont échangés. À mon avis, lintérêt public lié à la nécessité de préserver la confiance à légard des liens réciproques qui permettent dobtenir des renseignements précieux en matière de sécurité est très important.
[30]Dans larrêt Chiarelli c. Canada (ministre de lEmploi et de lImmigration)[12], la Cour suprême du Canada a examiné limportance du secret en ce qui concerne les questions liées à la sécurité nationale. Sexprimant au nom de la Cour, le juge Sopinka a formulé les remarques suivantes :
Cependant, l'État a aussi grandement intérêt à mener efficacement les enquêtes en matière de sécurité nationale et de criminalité et à protéger les sources de renseignements de la police. La nécessité de confidentialité dans les affaires mettant en cause la sécurité nationale est soulignée par lord Denning dans l'arrêt R. c. Secretary of State for the Home Department, ex parte Hosenball, [1977] 3 All E.R. 452 (C.A.), à la p. 460:
[traduction] Les renseignements fournis au Home Secretary par le Service de sécurité sont, et doivent être, hautement confidentiels. L'intérêt public dans la sûreté du Royaume est si grand que les sources de renseignements ne doivent pas être révélées, ni leur nature, s'il en résulte le moindre risque de faire découvrir ces sources. La raison en est que, dans ce domaine où la dissimulation est reine, nos ennemis pourraient tenter d'éliminer la source de ces informations
Lavocat de lintimé a cité la suite des motifs du jugement de Lord Denning qui ne figuraient pas dans lextrait que le juge Sopinka a invoqué dans larrêt Chiarelli :
[TRADUCTION] Par conséquent, les sources ne doivent pas être divulguées, pas même à la Chambre des communes, ni à un tribunal, une commission denquête ou un organisme de consultants, dorigine législative ou non, sauf dans la mesure où le Home Secretary estime que cette divulgation est sûre... Lorsquil est nécessaire, au nom de lintérêt public, de préserver le secret des renseignements, cet intérêt peut lemporter même sur celui qui concerne ladministration de la justice.
[31] Dans larrêt Henrie c. Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité)[13], le juge Addy a conclu que les faits mis en preuve dans cette affaire justifiaient de sa part lexamen des documents dont la divulgation était contestée ainsi quun interrogatoire de lavocat du SCRS à huis clos. Dans cette affaire, la contestation a été formulée dans le cadre dune demande de contrôle judiciaire à légard dune décision portant refus daccorder une autorisation de sécurité à un membre de la fonction publique. Le sous-procureur général du Canada a déposé un certificat afin de sopposer à la communication des renseignements qui avaient été examinés ex parte et à huis clos par le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Le juge Addy a décidé que les renseignements en question avaient une importance cruciale pour le règlement des questions en litige et quil devait prendre connaissance des documents. En conséquence, la divulgation a été refusée parce que le juge a décidé quelle risquerait de porter préjudice à la sécurité nationale. La balance penchait en faveur de la préservation du secret.
[32] Les documents qui ont été mis à la disposition de la Commission en lespèce concernent un certain nombre de groupes qui auraient participé à des actes de terrorisme et à des assassinats. Le Canada poursuit constamment des activités visant à lutter contre le terrorisme, lesquelles activités nécessitent une collaboration importante entre les pays qui sont des alliés du Canada et avec lesquels il entretient des relations amicales. Les personnes jouissant dune protection internationale qui étaient présentes à Vancouver lors de la conférence APEC étaient des cibles possibles dactes de terrorisme et dassassinats et le Canada devait se tenir au courant de toute menace dont elles pouvaient faire lobjet et prendre les contre-mesures qui simposaient. Afin de lutter efficacement contre le terrorisme et de participer à un effort global pour en limiter les effets, il est impérieux que le Canada préserve le caractère très confidentiel des enquêtes de nos services de sécurité, de leurs sources de renseignements, des technologies et techniques quils utilisent et de lidentité de leurs employés, notamment de leurs informateurs. Les agences de sécurité canadiennes doivent préserver la confiance et maintenir la collaboration des organismes étrangers qui ont communiqué des renseignements confidentiels à nos services en étant convaincus que ces renseignements ne seraient pas divulgués. Lintérêt public lié au maintien du secret dans le contexte de la sécurité nationale est très important. Lors de lévaluation des différents intérêts publics en jeu en lespèce, seule une situation exigeant indéniablement et impérieusement la communication lemporterait sur cet intérêt.
Relations internationales
[33] Dans certaines parties des documents mentionnés dans le premier certificat du SCRS, il est fait état dun intérêt lié aux relations internationales, lequel intérêt serait fondé principalement sur limportance des liens entre le SCRS et les gouvernements étrangers ainsi que les organisations et institutions internationales. Une partie dun document qui est mentionné dans le certificat du solliciteur général/Bureau du Conseil privé na pas été divulguée non plus, parce quelle renferme des renseignements quun gouvernement étranger a fournis au Canada à titre confidentiel.
[34] En ce qui concerne lintérêt public visé par cette objection, jen arrive à la même conclusion que celle que jai tirée au sujet des renseignements appartenant à des tiers et de la sécurité nationale. Les relations que le Canada entretient avec dautres pays, notamment avec nos alliés, reposent sur léchange de renseignements dans un but commun. Il existe un intérêt public lié à la nécessité de préserver la confiance des gouvernements étrangers de façon que les organismes canadiens, notamment ceux qui soccupent de la sécurité, puissent continuer à recevoir en temps opportun dautres organismes des renseignements susceptibles dêtre pertinents pour le Canada. Par définition, un renseignement confidentiel est un renseignement qui est fourni avec lassurance quil ne sera pas divulgué sans lautorisation de la source ou de lauteur. Si le Canada ne bénéficie pas de la confiance de ses alliés, il se peut que nos relations internationales et notre sécurité à létranger en souffrent. Le maintien de cette confiance constitue un intérêt public très important.
Les techniques policières et lidentité des agents dinfiltration
[35] Les avocats minforment que les allégations concernant les intérêts publics liés à la préservation du secret des renseignements relatifs aux techniques policières et à lidentité des agents dinfiltration ou de leurs informateurs, à titre daspects de ladministration de la justice distincts des intérêts se rapportant à la sécurité nationale, seront plaidées devant le commissaire Hughes dans le cadre dune demande de reconnaissance dun privilège établi en common law. Par conséquent, elles ne sont pas examinées en lespèce.
[36] Après avoir exposé ses arguments concernant lévaluation des intérêts publics en jeu, la British Columbia Civil Liberties Association a demandé que tous les renseignements pertinents quant à lenquête soient divulgués, à moins que le gouvernement ne puisse démontrer que la divulgation révélera des sources confidentielles ou lidentité dagents dinfiltration. Tout en reconnaissant quil peut y avoir des raisons légitimes liées à la sécurité nationale qui militent en faveur de la préservation du secret de certains renseignements pertinents, lassociation fait valoir que la CCP a le droit dobtenir tous les renseignements que la GRC a reçus au cours de sa préparation et de sa planification, même si la Cour ordonne que les renseignements soient divulgués sans que soient révélées leurs sources.
[37] Largument sur lequel les requérants se fondent pour demander à la Cour dexaminer les documents et les renseignements en question repose en partie sur les commentaires que le juge La Forest, qui sexprimait au nom de la Cour suprême du Canada, a formulés dans larrêt Carey c. Ontario[14]. Dans ce jugement, le savant juge sest montré très favorable à lidée dexaminer des renseignements dont la divulgation est contestée en raison de limmunité dont ils bénéficieraient en vertu des règles de common law, du moins lorsque cette allégation semble douteuse, comme cétait le cas dans cette affaire. Bien entendu, il ne sagissait pas dune décision concernant des objections à la divulgation fondées sur les articles 37 et 38 de la Loi sur la preuve au Canada.
[38] Je ne suis pas convaincu quil appartient au gouvernement, à ce stade-ci, de démontrer que la divulgation nuira aux intérêts publics mentionnés, surtout en ce qui concerne la sécurité nationale et les relations internationales. Si jai bien compris les décisions qui ont été rendues après larrêt Goguen c. Gibson[15], à ce stade dune demande fondée sur larticle 38 de la Loi sur la preuve au Canada en vue de contester une objection à la divulgation de renseignements parce que cette divulgation risquerait de porter préjudice aux relations internationales ou à la sécurité nationale, il incombe aux requérants de convaincre la Cour que les renseignements, sils sont pertinents, ce qui est reconnu en lespèce, ont une importance cruciale pour les intérêts publics touchés par leur situation. Il existe une présomption de régularité et dapplication en bonne et due forme des règles de droit qui appuie les objections déposées par les agents responsables de Sa Majesté, que la Cour décide dexaminer ou non les renseignements en question. Ce sont les intérêts publics invoqués au soutien de ces objections qui doivent être évalués en regard des intérêts publics favorisant la divulgation.
[39] Dans la présente affaire, je ne suis pas convaincu que les intérêts publics quinvoquent les requérants sont en litige devant la CPP. Les préoccupations de la Commission sont celles qui sont énoncées dans les plaintes formulées au sujet de la conduite des agents de la GRC. Il ne sagit pas de plaintes concernant la politique de lorganisme ou du gouvernement. Le mandat dorigine législative de la CCP ne concerne pas les problèmes généraux touchant linstitution. La divulgation des renseignements nest pas cruciale pour la sécurité ou la liberté des requérants, car ces intérêts ne sont pas en jeu ou menacés dans le cadre de lenquête de la CCP. De plus, les renseignements en question nont pas une importance cruciale pour les plaintes que les requérants ont formulées contre les agents de la GRC et les requérants ne seraient pas lésés si ces renseignements nétaient pas divulgués.
Conclusion
[40] À mon avis, dans les circonstances de la présente affaire, lintérêt public lié à la divulgation ne lemporte pas sur les intérêts publics invoqués au soutien des objections formulées à légard de la communication en question, plus précisément les intérêts publics se rapportant à la sécurité nationale et au maintien de relations internationales valables.
[41] Par conséquent, je refuse dexaminer les renseignements visés par la présente demande. Je refuse également dordonner la divulgation de lun ou lautre de ces renseignements ou encore de formuler des conditions dont cette divulgation pourrait être assortie.
[42] Par conséquent, les quatre demandes sont rejetées sans que lun ou lautre des renseignements en question soit examiné. Aucuns frais ne sont adjugés. Loriginal de lordonnance sera versé au dossier de la Cour DES-2-99, ainsi que les motifs, tandis quune copie de lordonnance et des motifs sera déposée dans chacun des dossiers de la Cour portant les numéros DES-3-99, DES-4-99 et DES-5-99.
(S) W. Andrew MacKay
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Juge |
OTTAWA (Ontario)
Le 23 juin 2000
Traduction certifiée conforme
Martine Brunet, LL.B
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE : DES-2-99, DES-3-99, DES-4-99 et DES-5-99
INTITULÉDE LA CAUSE :
DES-2-99
ENTRE :
Jaggi Bikramjit Singh,
requérant,
et
Le procureur général du Canada,
intimé.
DES-3-99
ENTRE :
Jonathan A. Oppenheim et Megan Hunter,
requérants,
et
Le procureur général du Canada,
intimé.
DES-4-99
ENTRE :
Alissa Westergard-Thorpe, Annette Muttray, Jamie Doucette,
Mark Brooks, Dennis Porter, Deke Samchok et Craig Elton Jones,
requérants,
et
Le procureur général du Canada et Sa Majesté La Reine du chef du Canada,
intimés.
DES-5-99
ENTRE :
British Columbia Civil Liberties Association,
requérante,
et
Le procureur général du Canada et Sa Majesté La Reine du chef du Canada,
intimés.
LIEU DE L'AUDIENCE : Vancouver (C.-B.)
DATE DE L'AUDIENCE : 20 décembre 1999
ORDONNANCE ET MOTIFS DU JUGE MacKAY
EN DATE DU : 21 juin 2000
ONT COMPARU :
Me A. Cameron Ward POUR LES REQUÉRANTS dans les dossiers DES-2-99, DES-3-99 et DES-4-99
Me R.R.C. Twining POUR LA REQUÉRANTE British Columbia Civil Liberties Association dans le dossier DES-5-99
Me Simon Fothergill POUR LINTIMÉ le sous-procureur général du Canada
Me Barbara Fisher POUR LA COMMISSION DES PLAINTES DU PUBLIC CONTRE LA GRC (intervenante)
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
A. Cameron Ward & Company POUR LES REQUÉRANTS dans les dossiers
Avocats DES-2-99, DES-3-99 et DES-4-99
Vancouver (C.-B.)
Whitelaw, Twining POUR LA REQUÉRANTE British Columbia Civil
Avocats Liberties Association dans le dossier DES-5-99
Vancouver (C.-B.)
Me Morris Rosenberg POUR LES INTIMÉS le procureur général du
Sous-procureur général du Canada Canada et Sa Majesté La Reine du chef du Canada
Ottawa (Ontario)
Blake Cassels & Graydon POUR LA COMMISSION DES PLAINTES DU
Avocats PUBLIC CONTRE LA GRC (intervenante)
Vancouver (C.-B.)
[1] L.R.C. (1985), ch. C-5, et ses modifications.
[2] L.R.C. (1985), ch. R-10, par. 45.45(4) et 24.1(3) ( « la Loi GRC » ).
[3] [1983] 1 C.F. 872 (C.F. 1re inst.), conf. [1983] 2 C.F. 463 (C.A.).
[4] Id. p. 888.
[5] Idem.
[6] [1983] 2 C.F. 463 (C.A.), p. 483.
[7] [1996] 2 C.F. 316 (C.F. 1re inst.).
[8] Id., par. 26.
[9] [1991] 1 C.F. 226 (C.F. 1re inst.)
[11] Selon le sens donné à cette expression à larticle 2 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.
[12] [1992] 1 R.C.S. 711.
[13] [1989] 2 C.F. 229 (C.F. 1re inst.), conf. (1992), 140 N.R. 315 (C.A.F.).