Ottawa (Ontario), le 18 avril 2006
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON
ENTRE :
MALLIKADEVI KANTHASAMY
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié n’a pas cru le récit de M. Selliah et de sa femme, Mme Kanthasamy, à savoir qu’ils craignaient avec raison d’être persécutés au Sri Lanka entre les mains des LTTE et d’autres personnes. La Section a conclu que, même s’ils étaient des Tamouls du Sri Lanka, leur récit n’était pas crédible et qu’ils n’avaient aucune crainte fondée d’être persécutés s’ils étaient renvoyés dans leur pays d’origine. Il s’agit du contrôle judiciaire de cette décision.
[2] L’avocate des demandeurs a soulevé un certain nombre de questions, mais l’affaire se réduit aux circonstances entourant le présumé enlèvement des demandeurs par les LTTE, au mois de juillet 2004.
[3] Les demandeurs ont affirmé avoir eu antérieurement des problèmes avec les LTTE, mais du mois de décembre 2001 au mois de juillet 2004, on les a laissés tranquilles. Ils ont ensuite été enlevés et détenus puis ont fait l’objet d’une rançon de 50 000 roupies. Les demandeurs croyaient que l’intérêt renouvelé des LTTE était probablement attribuable au fait qu’ils auraient su que leur fils s’était installé au Canada et qu’il était peut‑être en mesure de leur envoyer de l’argent pour assurer leur soutien.
[4] La Commission a demandé aux demandeurs comment les LTTE auraient su que leur fils était au Canada ou qu’il avait de l’argent. Ils supposaient qu’un voisin avait peut‑être mentionné la chose.
[5] La Commission n’a pas jugé crédible que les LTTE aient attendu trois mois seulement pour se livrer à leurs activités d’extorsion. À coup sûr, ils auraient attendu un peu plus longtemps, de façon que le fils puisse économiser de l’argent.
[6] Il s’agit d’une pure conjecture. Comment les demandeurs devraient‑ils savoir ce que les LTTE avaient à l’esprit? Je paraphraserai les remarques du juge O’Reilly : « À mon avis, la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a semblé exiger que [M. Selliah et Mme Kanthasamy] prouve[nt] que les actions des TLET [...] étaient rationnelles et justifiables » (Yoosuff c. Canada (MCI) 2005 CF 1116, paragraphe 8). Le juge O’Reilly s’est fondé, comme je le fais, sur ce que les groupes terroristes agissent souvent d’une façon irrationnelle. Il semble y avoir eu un énorme malentendu au sujet de la façon dont les 50 000 roupies de rançon ont été obtenus. De l’avis de la Commission, Mme Kanthasamy, qui avait censément versé des pots‑de‑vin par le passé, avait sur elle 40 000 roupies. La Commission n’a pas jugé crédible le fait que Mme Kanthasamy ait eu une si grosse somme sur sa personne et que, si elle avait cette somme, elle aurait fait du bluff pendant les trois jours où elle a été détenue (la détention ayant duré six jours dans le cas de son mari) avant de verser l’argent.
[7] Il convient d’examiner le passage suivant de la transcription de l’entrevue qui a eu lieu avec Mme Kanthasamy.
[traduction]
L’APR : Pendant combien de temps vous ont‑ils détenue?
LA DEMANDEURE No 2 : J’ai été détenue pendant trois jours; il a été détenu pendant six jours.
L’APR : Pourquoi avez‑vous uniquement été détenue pendant trois jours?
LA DEMANDEURE No 2 : Ils m’ont mise en liberté et m’ont demandé d’aller chercher l’argent pour qu’il soit mis en liberté.
L’APR : Combien d’argent vous demandaient‑ils?
LA DEMANDEURE No 2 : 50 000 roupies.
L’APR : Avez‑vous pu vous procurer cet argent?
LA DEMANDEURE No 2 : Je m’occupe d’agriculture, de sorte que j’avais de l’argent sur moi.
L’APR : Combien d’argent aviez‑vous?
LA DEMANDEURE No 2 : J’avais 40 000 roupies, et j’ai été obligée d’emprunter de l’argent.
L’APR : À qui avez‑vous emprunté de l’argent?
LA DEMANDEURE No 2 : Il y avait quatre (inaudible), l’un de mes voisins qui avait emprunté de l’argent.
L’APR : Vous avez donc demandé que l’argent vous soit remboursé?
LA DEMANDEURE No 2 : Oui, ils ont remis l’argent et le sixième jour, je suis retournée, j’ai donné l’argent et je l’ai fait mettre en liberté.
[8] L’APR (agent de protection des réfugiés), en résumant ensuite l’affaire, était d’avis que Mme Kanthasamy disait qu’elle avait 40 000 roupies à sa disposition, et non qu’elle avait cette somme sur elle. C’est ce que Mme Kanthasamy dit dans l’affidavit qu’elle a présenté à l’appui de la demande. Si elle avait de l’argent entre les mains, les LTTE ne l’auraient‑ils pas su?
[9] La conclusion de fait tirée par la Commission, à savoir que Mme Kanthasamy avait sur elle 40 000 roupies, a énormément joué lorsqu’il s’est agi de conclure que les demandeurs n’étaient pas crédibles. Toutefois, ce n’est pas ce qu’elle a dit.
[10] Les conclusions de fait, et notamment les conclusions relatives à la crédibilité, ne doivent être modifiées que si elles sont manifestement déraisonnables, mais la jurisprudence est telle que l’on doit d’abord se fonder sur la présomption réfutable voulant que le demandeur dise la vérité. Or, il n’y a rien dans la preuve qui permette de modifier cette présomption. De fait, la conclusion ne peut pas résister à la moindre analyse.
[11] Par conséquent, la demande sera accueillie. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour qu’un tribunal différemment constitué rende à nouveau une décision.
« Sean Harrington »
Juge
Traduction certifiée conforme
Michèle Ali
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM‑4756‑05
INTITULÉ : KANTHASAMY SELLIAH et MALLIKADEVI KANTHASAMY
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 11 AVRIL 2006
MOTIFS DE L’ORDONNANCE : LE JUGE HARRINGTON
DATE DES MOTIFS : LE 18 AVRIL 2006
COMPARUTIONS :
Karina Thompson
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POUR LES DEMANDEURS |
David Joseph
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIERU :
Robert I. Blanshay & Associates Avocats Toronto (Ontario)
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POUR LES DEMANDEURS |
John H. Sims, c.r. Sous‑procureur général du Canada
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POUR LE DÉFENDEUR |