Date : 20050329
Référence : 2005 CF 415
Ottawa (Ontario), le mardi 29 mars 2005
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON
ENTRE :
HEKURAN VILA
ZENIJE VILA
RAJMONDA KOXHA
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
LA JUGE DAWSON
[1] Hekuran Vila, son épouse, Zenije Vila, et leur fille majeure, Rajmonda Koxha, sont des citoyens de l'Albanie qui revendiquent le statut de réfugié au sens de la Convention et demandent l'asile au Canada. Ils disent craindre d'être persécutés par une faction du Parti démocratique albanais qui est dirigée par l'ancien chef adjoint de l'armée albanaise. M. Vila et sa famille affirment avoir été persécutés par cette faction dans le passé parce que M. Vila est un ancien membre du Parti travailliste albanais et qu'il a été un communiste loyal sous le régime communiste en Albanie.
[2] La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que les demandeurs n'étaient ni des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger pour les motifs suivants :
i. la preuve relative à des éléments fondamentaux de la demande manquait de crédibilité;
ii. les demandeurs n'ont pas démontré qu'il existe une possibilité sérieuse qu'ils subissent tous, ou l'autre d'entre eux, des préjudices graves s'ils retournaient en Albanie;
iii. ils n'ont présenté aucun élément de preuve crédible montrant qu'ils craignent avec raison d'être persécutés en Albanie, que leur vie est en danger ou qu'ils risquent d'être torturés ou de subir des traitements ou des peines cruels et inusités;
iv. les conclusions selon lesquelles ils n'ont pas établi le bien-fondé de leur demande et n'ont présenté aucun élément de preuve crédible reposaient sur le fait qu'ils sont restés en Albanie de 1997 à 2001, lorsque M. et Mme Vila sont venus au Canada;
v. le Parti travailliste albanais a été dissous en 1991, de sorte qu'il n'y avait pas de [traduction] « lien crédible entre les lointaines activités politiques du demandeur principal et la situation de sa famille, ainsi qu'un possible risque de subir à l'avenir un préjudice aux mains de l'agent de persécution » .
[3] La SPR ne pouvait conclure que les demandeurs n'avaient pas établi le bien-fondé de leurs demandes en présentant des éléments de preuve crédibles que si elle rejetait les témoignages de M. Vila et d'un deuxième témoin qui, selon elle, « a essentiellement corroboré » le témoignage de M. Vila.
[4] La norme de contrôle qui s'applique aux conclusions de la SPR concernant la crédibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable, et la Cour a reconnu à maintes reprises la retenue dont elle doit faire preuve à l'égard de ces conclusions.
[5] Cela étant dit, il ne suffit pas en droit que la SPR déclare que les éléments de preuve présentés par les demandeurs ne sont pas crédibles. Elle doit expliquer les motifs de sa décision de rejeter une demande pour des raisons de crédibilité en termes clairs et explicites : Armson c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 9 Imm L.R. (2d) 150 (C.A.F.); Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 130 N.R. 236 (C.A.F.); Wilanowski c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 154 N.R. 205 (C.A.F.).
[6] Après une lecture attentive des motifs de la SPR dans leur ensemble, je constate que celle-ci n'a pas motivé en termes clairs et explicites ses conclusions concernant la crédibilité comme elle devait le faire. La SPR devait donner des motifs clairs en particulier parce qu'elle a considéré que le témoignage non contredit de M. Vila était « essentiellement corroboré » par un autre témoin.
[7] Dans la mesure où la SPR s'est fondée sur le fait que les demandeurs sont demeurés en Albanie pour conclure qu'ils n'avaient pas une crainte fondée de persécution, le délai est un facteur important, mais non déterminant, dans l'examen de leur revendication du statut de réfugié ou de leur demande d'asile. En outre, la SPR a agi de manière déraisonnable en ne tenant pas compte de l'explication donnée par les demandeurs au regard du délai, en ne la commentant pas et en ne la rejetant pas pour des motifs clairs.
[8] De plus, le Parti travailliste albanais a été dissous en 1991 et tous les incidents de persécution allégués par M. Vila se seraient déroulés entre 1996 et le départ des demandeurs de l'Albanie. Pour conclure que M. Vila et sa famille ne risquaient pas de subir des préjudices en raison des « lointaines » activités politiques de celui-ci, la SPR devait juger non crédible le témoignage de M. Vila. Comme je l'ai indiqué précédemment, la SPR n'a pas donné de motifs valables à l'appui de cette conclusion.
[9] En ne motivant pas de manière appropriée ses conclusions défavorables concernant la crédibilité, la SPR a commis une erreur importante qui est susceptible de contrôle. La demande de contrôle judiciaire est accueillie pour ce motif.
[10] Les avocats n'ont soumis aucune question aux fins de certification, et aucune question n'est soulevée en l'espèce.
ORDONNANCE
[11] LA COUR ORDONNE :
1. que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée;
2. que l'affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié afin qu'elle fasse l'objet d'une nouvelle décision.
« Eleanor R. Dawson »
Juge
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-6079-04
INTITULÉ : HEKURAN VILA, ZENIJE VILA,
RAJMONDA KOXHA
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 23 MARS 2005
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LA JUGE DAWSON
DATE DES MOTIFS : LE 29 MARS 2005
COMPARUTIONS :
Paul VanderVennen POUR LES DEMANDEURS
Deborah Drukarsh POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Paul VanderVennen POUR LES DEMANDEURS
Avocat
Toronto (Ontario)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada