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Date : 20190626


Dossier : IMM‑4285‑18

Référence : 2019 CF 858

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 juin 2019

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

XURAN HAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Xuran Han, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada datée du 7 août 2018. La SAR a rejeté l’appel interjeté par la demanderesse à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) et confirmé cette décision, à savoir que la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). La demande de contrôle judiciaire est présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée.

I.  Le contexte

[3]  La demanderesse est citoyenne de la Chine. Elle a quitté ce pays et est arrivée au Canada en février 2017, où elle a présenté une demande d’asile, affirmant craindre de subir de graves préjudices en Chine en raison de ses pratiques religieuses chrétiennes.

[4]  La demanderesse soutient avoir été initiée au christianisme lors de discussions avec sa grand-mère. En mars 2016, elle a commencé à fréquenter la maison-église clandestine de sa grand-mère, dans la province chinoise du Hebei.

[5]  La demanderesse déclare que le Bureau de la sécurité publique (BSP) a fait une descente dans la maison-église lors d’une réunion qui s’y tenait le 16 octobre 2016, mais qu’elle a pris la fuite et s’est cachée au domicile de sa tante. Le 18 octobre 2016, les parents de la demanderesse ont informé la tante de celle-ci que des agents du BSP s’étaient présentés chez eux, qu’ils étaient à la recherche de la demanderesse et qu’ils avaient laissé une citation à comparaître à son intention, l’accusant d’être impliquée dans des activités illégales liées à la maison-église. Le 20 octobre 2016, des agents du BSP se sont présentés de nouveau chez ses parents et y ont laissé un mandat d’arrestation contre elle.

[6]  La demanderesse prétend avoir quitté la Chine le 6 février 2017 avec l’aide d’un passeur. Elle craint d’être arrêtée par le BSP si elle retourne en Chine.

II.  La décision de la SPR

[7]  Le 8 septembre 2017, la SPR a conclu que la preuve et le témoignage de la demanderesse n’étaient pas dignes de foi et a rejeté sa demande d’asile. Le tribunal a décrété que la [traduction] « preuve relative à des éléments qui étaient d’une importance cruciale pour la demande manquait de crédibilité » et a conclu que la demanderesse n’avait pas été victime de persécution religieuse avant son départ de la Chine. En raison du témoignage peu étoffé de la demanderesse et du peu de connaissances qu’elle avait sur son église, la SPR s’est dite non convaincue de l’authenticité de son appartenance religieuse, d’autant plus que la demanderesse disait être une leader de l’aile jeunesse au sein de l’église. Le tribunal a également conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que la prétendue église clandestine avait, au‑delà de la localité de la demanderesse, le degré de profil et d’appartenance qui aurait suscité le genre d’attention et de préjudice dont elle faisait état.

[8]  La SPR a aussi conclu que le récit de la demanderesse à propos du fait qu’elle avait pu quitter la Chine à partir d’un aéroport international sous sa propre identité et munie de ses propres documents de voyage n’était pas vraisemblable, compte tenu de son témoignage, selon lequel : une citation à comparaître et un mandat d’arrestation avaient été délivrés à son nom, des agents du BSP étaient venus à sa recherche après son départ de la Chine, et d’autres membres de son église clandestine avaient été arrêtés. Le tribunal a fait mention du régime chinois du Bouclier d’or, dont je traiterai plus en détail ci‑après, ainsi que des mesures de sécurité et du degré de coordination entre les autorités chinoises et les agents en poste dans les aéroports, et a rejeté l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle était une personne recherchée au moment où elle a quitté la Chine :

[traduction]

Compte tenu du régime du Bouclier d’or et des mesures de sécurité et de coordination connexes prises par les autorités chinoises et les agents en poste dans les aéroports, il est peu plausible qu’elle ait pu franchir avec succès plusieurs points de contrôle, monter à bord d’un avion et quitter la Chine si, à ce moment‑là, elle se trouvait sous le coup d’une citation à comparaître et d’un mandat d’arrestation. Dans les circonstances particulières de l’espèce, je souscris au raisonnement exposé dans le Guide jurisprudentiel de la Commission.

[9]  La SPR a analysé brièvement la citation à comparaître qui avait été délivrée au nom de la demanderesse. Bien que le tribunal ait relevé des différences entre la citation à comparaître de la demanderesse et celui contenu dans le Cartable national de documentation (CND) relatif à la Chine, il n’a pas évalué ce document au regard de ses conclusions défavorables quant à la crédibilité.

[10]  Enfin, la SPR a rejeté la demande d’asile sur place de la demanderesse parce que son témoignage était, là encore, peu étoffé et ne dégageait pas une [traduction] « impression de vérité ». Elle n’avait pas établi qu’elle était une véritable adepte du christianisme au Canada.

III.  La décision de la SAR faisant l’objet du présent contrôle

[11]  La décision de la SAR est datée du 7 août 2018. La SAR a rejeté l’appel et confirmé la décision de la SPR. La demanderesse a relevé quatre erreurs dans la décision de la SPR :

1.  La SPR a commis une erreur en concluant que la demanderesse n’aurait pas pu quitter la Chine en se servant de son propre passeport si le BSP avait été à sa recherche;

2.  La SPR a commis une erreur en ne tirant pas de conclusion claire au sujet de la descente faite dans l’église que fréquentait la demanderesse en Chine;

  1. La SPR a commis une erreur dans son évaluation de la citation à comparaître;

  2. La SPR a commis une erreur dans son analyse de la pratique religieuse de la demanderesse au Canada, ainsi que de son identité religieuse.

(i)  Le départ de la Chine par la demanderesse

[12]  La SAR a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur en concluant que la demanderesse n’aurait pas pu quitter la Chine en se servant de son propre passeport, compte tenu de son allégation selon laquelle le BSP la recherchait activement. La SAR a examiné en détail la nature méticuleuse des enquêtes du BSP, dont les pratiques de collecte de renseignements auxquelles se livrent ses agents lorsqu’ils font une descente dans des maisons-églises. Les renseignements relatifs à chaque personne sont recueillis et stockés dans une base de données nationale perfectionnée, appelée le Bouclier d’or, et à laquelle ont accès tous les agents actifs au sein de l’appareil de sécurité chinois. La demanderesse a déclaré qu’une citation à comparaître et un mandat d’arrestation avaient été délivrés contre elle parce qu’elle était impliquée dans des activités religieuses illégales et qu’elle était tenue de se présenter au bureau local du BSP. Si tel était le cas, ses renseignements auraient été consignés dans le Bouclier d’or et, selon la prépondérance des preuves documentaires, il était impossible qu’une personne recherchée par les autorités quitte la Chine.

[13]  Pour ce qui est de l’argument de la demanderesse selon lequel la SPR n’a pas pris en considération ses éléments de preuve démontrant qu’un passeur l’avait aidée à quitter la Chine, la SAR a conclu que la demanderesse avait fourni peu de détails à ce sujet. La preuve qu’elle a présentée n’expliquait pas comment elle avait pu contourner les contrôles de la société aérienne à la porte d’embarquement ou le système secret de reconnaissance faciale à l’aéroport, même si elle avait payé les services d’un passeur. Le tribunal a reconnu qu’il y a de la corruption en Chine, mais il a déclaré qu’il n’y avait pas assez d’éléments de preuve pour établir que cette corruption s’étendait à l’appareil de sécurité à l’aéroport.

(ii)  La citation à comparaître et l’avis d’arrestation

[14]  La SAR a convenu avec la demanderesse que la SPR était tenue de procéder à une évaluation de la citation à comparaître et du mandat d’arrestation, compte tenu de l’importance que revêtaient ces documents pour ce qui était d’établir qu’elle était recherchée par les autorités chinoises. Bien que la SPR ait commis une erreur à cet égard, la SAR a pu évaluer les documents de manière exhaustive.

[15]  La SAR a passé en revue les documents figurant dans le CND et a déterminé que la structure et la présentation de la citation à comparaître de la demanderesse ne correspondaient pas à celles des exemples figurant dans le CND. Le tribunal a donc jugé que la citation à comparaître était fausse et a tiré une inférence défavorable quant à la crédibilité de la demanderesse. La SAR a convenu que la disponibilité généralisée de faux documents dans un pays n’est pas, en soi, une raison suffisante pour rejeter un document parce qu’il est faux, mais elle a déclaré que cette disponibilité peut être pertinente s’il y a d’autres raisons, comme en l’espèce, d’avoir des doutes au sujet du document en question. Quant au mandat d’arrestation, la SAR a indiqué que ce document citait le mauvais article du Code criminel chinois. Ce fait, de pair avec la fausse citation à comparaître et la grande disponibilité de faux documents en général, a amené la SAR à conclure que le mandat d’arrestation n’était pas authentique.

[16]  La SAR a résumé comme suit ses conclusions sur la citation à comparaître et le mandat d’arrestation, ainsi que l’effet de ces conclusions sur son évaluation de la crédibilité de la demanderesse :

[30] Résumé : Compte tenu de ces documents frauduleux, la SAR estime, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelante n’était pas recherchée par le PSB ou les autorités chinoises comme elle l’a soutenu. Étant donné qu’aucun document crédible n’a été produit à l’appui de ses allégations voulant qu’elle soit recherchée par les autorités, la SAR conclut que l’appelante n’est pas un témoin crédible. La SAR conclut en outre qu’un fondement déterminant de sa demande d’asile, c.‑à‑d. être recherchée par les autorités chinoises pour sa prétendue participation à des activités illégales liées à sa pratique religieuse, n’est pas crédible. Compte tenu de cette conclusion, la SAR est d’avis que l’appelante aurait pu quitter la Chine munie de ses propres documents sans difficulté et que les allégations selon lesquelles elle aurait eu recours à un passeur pour organiser son départ de la Chine ne sont pas crédibles. La SAR conclut également, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelante n’a pas participé à des activités religieuses illicites en Chine et qu’elle n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle y pratiquait le christianisme sous une forme quelconque.

(iii)  La demande sur place – L’appartenance et la pratique religieuses au Canada

[17]  La SAR a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur en concluant que la demanderesse n’avait pas établi son identité religieuse, que ce soit au Canada ou en Chine. Le tribunal a souligné que la demanderesse avait continué de s’appuyer sur son système de croyances au Canada comme elle le faisait censément en Chine. Ayant conclu que la demanderesse n’était pas une adepte du christianisme en Chine et n’ayant aucune preuve qu’elle avait une raison particulière de pratiquer le christianisme au Canada, la SAR a conclu que la demanderesse s’était jointe à une église chrétienne au Canada à seule fin d’appuyer une demande d’asile frauduleuse. Le tribunal a accordé peu de poids aux documents que la demanderesse avait présentés (une lettre de son église canadienne, un certificat de baptême et des photographies) pour que l’on évalue l’authenticité de ses convictions religieuses. Il a également conclu qu’il n’y avait dans le dossier aucune preuve indiquant que les activités religieuses de la demanderesse au Canada étaient venues à l’attention des autorités chinoises.

[18]  Subsidiairement, la SAR a examiné si la demanderesse risquait d’être victime de persécution en Chine si elle y exerçait sa religion. Le tribunal a procédé à un examen détaillé du CND relatif à la Chine ainsi que de la pratique généralisée du christianisme dans ce pays, tant dans les églises enregistrées que non enregistrées. La SAR a fait remarquer qu’un seul incident avait été signalé dans la province d’origine de la demanderesse, le Hebei, et que, de façon générale, les autorités chinoises ne se souciaient pas des millions de personnes en Chine qui pratiquaient leur foi dans une église non enregistrée, à part les groupes qui avaient été déclarés comme étant des cultes. Elle a conclu que la demanderesse ne risquait pas d’être sérieusement persécutée parce qu’elle exerçait sa foi chrétienne en Chine dans une église non enregistrée.

IV.  Les questions en litige

[19]  Dans la présente demande, la demanderesse soulève les questions suivantes :

  1. La SAR a‑t‑elle porté atteinte au droit de la demanderesse à l’équité procédurale en analysant la citation à comparaître et le mandat d’arrestation sans lui en donner avis?

  2. La décision de la SAR au sujet de la crédibilité de la demanderesse, surtout en ce qui concerne son départ de la Chine, était‑elle raisonnable?

  3. La décision de la SAR de rejeter la demande d’asile sur place de la demanderesse était‑elle raisonnable?

V.  La norme de contrôle applicable

[20]  La question d’équité procédurale que soulève la demanderesse sera contrôlée selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au par. 43; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au par. 54). Mon analyse à cet égard est axée sur le processus qu’a suivi la SAR pour arriver à sa décision, et non sur le fond ou le bien-fondé de l’affaire en question.

[21]  Les deuxième et troisième questions que soulève la demanderesse contestent le fond de la décision de la SAR. La norme qu’applique la Cour lorsqu’elle contrôle une décision de la SAR est celle de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au par. 35; Gebremichael c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 646, au par. 8). D’un point de vue pratique, cela veut dire qu’il me faut déterminer si les conclusions que la SAR a tirées au sujet de la crédibilité et la manière dont elle a évalué la preuve concernant la situation en Chine sont raisonnables (Gbemudu c Canada (Citoyenneté, Réfugiés et Immigration), 2018 CF 451, au par. 23).

VI.  Analyse

1.  La SAR a‑t‑elle porté atteinte au droit de la demanderesse à l’équité procédurale en analysant la citation à comparaître et le mandat d’arrestation sans lui en donner avis?

[22]  La demanderesse soutient que la SAR a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale en analysant la citation à comparaître et le mandat d’arrestation et en tirant un certain nombre d’inférences défavorables quant à sa crédibilité après avoir conclu que les documents étaient faux, le tout sans lui en donner avis ou lui offrir la possibilité de répondre.

[23]  Selon moi, la SAR n’a commis aucune erreur à cet égard. L’analyse de la citation à comparaître et du mandat d’arrestation n’a pas soulevé de nouvelles questions qui obligeaient la SAR à aviser la demanderesse. L’analyse que le tribunal a faite répondait précisément à l’un des arguments qu’avait soulevés la demanderesse dans son appel de la décision de la SPR. La SAR a écrit :

[20] La SPR a conclu que la citation à comparaître reçue par l’appelante ne correspond pas aux spécimens contenus dans le cartable national de documentation (CND). Elle a également conclu qu’il était invraisemblable que l’appelante ait reçu une citation à comparaître et un mandat d’arrestation, et que les autorités aient continué à la chercher, puisqu’elle a été capable de passer les contrôles de sécurité et de sortir de la Chine à partir d’un aéroport international situé en Chine avec sa propre identité. La SPR n’a donc pas jugé nécessaire d’évaluer les citations à comparaître qui lui ont été présentées. La SPR a conclu en outre qu’il n’a pas été établi que l’appelante avait déjà fait l’objet d’un avis ou d’un mandat d’arrestation à quelque moment que ce soit et elle a souligné que la fraude de documents est un problème sérieux en Chine.

[…]

[23] La SAR estime que l’argument de l’appelante concernant l’évaluation de la citation à comparaître et du mandat d’arrestation est fondé. La SAR conclut, compte tenu de l’importance de ces documents pour établir les éléments centraux de la demande d’asile, qu’il incombait à la SPR de procéder à un examen approfondi des documents. Bien que la SPR ait commis une erreur à cet égard, la SAR est en mesure d’effectuer une évaluation exhaustive de la citation à comparaître et du mandat d’arrestation.

[24]  Ayant fait valoir que l’omission de la SPR de prendre en considération la citation à comparaître et le mandat d’arrestation était une question à examiner lors de l’appel, la demanderesse ne peut pas soutenir par la suite que le tribunal a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale en procédant à l’analyse qu’elle a demandée.

[25]  La demanderesse reconnaît avoir abordé la manière dont la SPR a traité de la citation à comparaître et du mandat d’arrestation lors de l’appel. Cependant, elle allègue qu’une fois que la SAR a convenu que la SPR avait commis une erreur en omettant d’analyser les documents, il aurait fallu qu’elle renvoie l’affaire à la SPR en vue d’une nouvelle décision ou qu’elle tienne une audience ou prévienne la demanderesse qu’elle entendait procéder à une analyse sur le fond des documents. La demanderesse déclare qu’elle n’aurait pas pu prévoir les questions que la SAR était susceptible d’examiner et qu’elle n’aurait pas pu raisonnablement fournir des observations.

[26]  L’argument de la demanderesse n’est pas convaincant. La SPR a indiqué que la citation à comparaître et le mandat d’arrestation soulevaient les préoccupations suivantes :

[traduction]

L’avocat a indiqué que s’il y a des différences quelconques entre les documents de la demandeure d’asile à cet égard et les spécimens contenus dans le Cartable national de documentation, et je conclus qu’il y en a, ces différences ne sont pas importantes, car il s’agit plutôt d’une question de forme. Il n’y a pas lieu d’en tirer une inférence défavorable. De plus, il a fait valoir que les différences entre les documents peuvent être attribuables à des différences régionales, ce qui n’exclut pas la possibilité d’une absence totale de conformité avec les spécimens contenus dans le Cartable national de documentation.

[27]  Pour analyser les documents, la SAR s’est concentrée sur les questions que la SPR avait relevées. Elle n’a pas examiné de préoccupations nouvelles ou indépendantes au sujet de la citation à comparaître ou du mandat d’arrestation. Devant la SAR, la demanderesse a eu pleinement l’occasion de traiter des différences entre ces documents et les spécimens contenus dans le CND, et j’estime que l’argument selon lequel elle ne pouvait pas savoir ce qu’elle devait réfuter n’est pas fondé.

2.  La décision de la SAR au sujet de la crédibilité de la demanderesse, surtout en ce qui concerne son départ de la Chine, était-elle raisonnable?

Les observations des parties

[28]  La demanderesse soutient que la SAR a commis une erreur en confirmant la conclusion de la SPR selon laquelle elle avait pu quitter la Chine en se servant de son propre passeport parce qu’elle ne faisait pas l’objet d’un mandat d’arrestation de la part des autorités chinoises. Elle ajoute que la SAR a fait abstraction de sa preuve selon laquelle elle avait embauché un passeur pour l’aider, faisant valoir que [traduction] « le fait qu’[elle] ait pu entrer au Canada illégalement avec l’aide d’un passeur demeure également incontesté ». Elle se fonde sur la jurisprudence de la Cour, qui a décrété qu’il n’est pas invraisemblable qu’une personne puisse quitter la Chine sous sa propre identité avec l’aide d’un passeur (voir, par exemple, Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 533 (Zhang); Ren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1402 (Ren); Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 762 (Huang 2017)).

[29]  Le défendeur soutient que la SAR a raisonnablement conclu que le récit de la demanderesse n’était pas crédible. La SAR a conclu que, si le récit de la demanderesse était véridique, les renseignements la concernant auraient été consignés dans la base de données du Bouclier d’or et il lui aurait été impossible de quitter le pays avec son propre passeport. Le défendeur ajoute que ces conclusions concordent avec l’actuelle jurisprudence de la Cour. Pour ce qui est du prétendu passeur, la demanderesse n’a fourni aucun détail digne de foi sur celui-ci ou sur la manière dont elle a pu se soustraire aux mesures de sécurité du Bouclier d’or. Le défendeur cite les décisions Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 877 (Li) et Yan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 146 (Yan) pour réfuter celles que la demanderesse a invoquées (en particulier Zhang et Ren) et souligne que la base de données du Bouclier d’or était pleinement opérationnelle au moment où la demanderesse a quitté la Chine en 2017.

Analyse

[30]  Je conclus que la SAR a raisonnablement évalué le récit et la crédibilité de la demanderesse. Son analyse de la preuve de la demanderesse au regard du CND relatif à la Chine est détaillée et intelligible. La conclusion du tribunal, à savoir que la demanderesse avait pu quitter la Chine avec son propre passeport parce qu’elle n’était pas sous le coup d’un mandat d’arrestation de la part des autorités, est bien étayée par la preuve documentaire et concorde avec la jurisprudence récente de la Cour.

[31]  La SAR a examiné en détail la manière dont la demanderesse a quitté la Chine. Le tribunal a résumé les arguments de la demanderesse à propos des erreurs commises par la SPR et a procédé à sa propre analyse des prétendus agissements du BSP lors de la descente dans l’église de la demanderesse, de la délivrance de la citation à comparaître et du mandat d’arrestation, de l’arrestation d’autres membres de son église, et du fait que, par suite de ces incidents, le BSP aurait au courant de son identité. Après avoir examiné les documents figurant dans le CND, la SAR a conclu que les renseignements relatifs à la demanderesse auraient été consignés dans la base de données du Bouclier d’or et que, en tant que personne recherchée par les autorités, elle n’aurait pas pu quitter la Chine en se servant de son propre passeport. La conclusion de la SAR concorde avec les renseignements qui figurent dans le CND. De plus, la contradiction entre, d’une part, les allégations de persécution religieuse et les menaces d’arrestation de la demanderesse et, d’autre part, le fait qu’elle ait pu quitter la Chine sans entrave ont raisonnablement donné lieu à l’inférence défavorable que la SAR a tirée quant à la crédibilité. Cette contradiction mine l’élément central du récit de la demanderesse.

[32]  La demanderesse soutient qu'en se fondant sur le Guide jurisprudentiel (TB6‑11632) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada et sur la conclusion selon laquelle la demanderesse n’aurait pas pu quitter la Chine en se servant de son propre passeport si elle était recherchée par les autorités, la SAR a fait abstraction du fait qu’elle a eu recours à un passeur. La SAR a toutefois expressément abordé cet argument :

[15] La SAR rappelle que l’appelante a soutenu pendant l’audience que le passeur l’a aidée à sortir de la Chine. Toutefois, hormis son affirmation que des pots‑de‑vin ont été versés, son témoignage ne fait pas état des moyens utilisés pour le faire. Toutefois, même si un pot‑de‑vin a été versé, la question du contrôle supplémentaire mené par la compagnie aérienne à la porte d’embarquement n’est pas abordée, ni la façon dont l’appelante a été capable de contourner le système dissimulé de reconnaissance faciale. N’est pas non plus prise en compte l’information préalable sur le voyageur qui est fournie de façon indépendante aux autorités chinoises par la compagnie aérienne avant les procédures d’inspection des immigrants au point de sortie.

[33]  À mon avis, la SAR a traité adéquatement de la prétendue intervention d’un passeur. La demanderesse n’a fourni aucun détail sur ce dernier ou sur la manière dont il l’a aidée à franchir les divers points de contrôle de la sécurité à l’aéroport.

[34]  Dans un certain nombre de décisions récentes, la Cour a examiné la possibilité qu’une personne recherchée par les autorités chinoises puisse quitter le pays, maintenant que la base de données du Bouclier d’or est pleinement opérationnelle (Li, précitée, Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 148 (Huang 2019) et Yan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 146, aux par. 20 et 21). Dans la décision Huang 2019, la juge en chef adjointe Gagné a reconnu l’existence au sein de la Cour de deux tendances jurisprudentielles mettant en cause le recours aux services d’un passeur pour se soustraire à l’application du système du Bouclier d’or (au par. 38) :

[38] En l’espèce, tout comme dans les décisions Gong (paragraphe 14), Chen (paragraphes 31 à 32) et Lin (paragraphe 40), précitées, la SPR a conclu, en s’appuyant sur la preuve objective relative aux conditions dans le pays, qu’il est improbable que les demandeurs aient réussi à quitter la Chine, même en faisant appel à un passeur. Cette conclusion va dans le même sens que le guide jurisprudentiel TB6‑11632, où il est indiqué, aux paragraphes 32 à 36, qu’il est peu probable qu’un demandeur d’asile recherché par les autorités chinoises puisse contourner tous les contrôles de sortie en place, même avec l’aide d’un passeur. Je souligne que, conformément à la Note de politique concernant la désignation de la décision TB6‑11632 en tant que guide jurisprudentiel de la Section d’appel des réfugiés, les commissaires de la SPR et de la SAR doivent appliquer les guides jurisprudentiels aux cas comportant des faits semblables ou justifier leur décision de s’en écarter, le cas échéant. Cela vise à accroître la cohérence, la certitude et la prévisibilité au sein du processus décisionnel (Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1064, paragraphes 26 et 27).

[35]  Dans la décision Li, rendue elle aussi par la juge Gagné (aujourd’hui juge en chef adjointe), trois demandeurs d’asile venant de la Chine avaient présenté des demandes d’asile, se disant victimes de persécution parce qu’ils pratiquaient le Falun Gong. La SAR avait rejeté leur appel de la décision de la SPR parce qu’ils manquaient de crédibilité et n’avaient pas établi le bien-fondé d’une demande d’asile sur place. Les demandeurs soutenaient qu’ils avaient quitté la Chine avec l’aide d’un passeur et en se servant de leurs propres passeports, et ce, même si le BSP était à leur recherche. Les arguments dont la juge Gagné a traité sont semblables à ceux qu’invoque la demanderesse en l’espèce, et son analyse conserve toute sa pertinence (Li, aux paragraphes 17 à 21) :

[17] Je suis d’accord avec la SAR que la présente instance se distingue des affaires Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 533 et Ren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1402.

[18] Premièrement, dans les deux cas, notre Cour a examiné les décisions de la SPR rendues avant la publication de ce guide jurisprudentiel.

[19] En deuxième lieu, les deux décisions étaient fondées sur des éléments de preuve documentaire beaucoup plus anciens suggérant qu’il était possible de quitter la Chine muni de son propre passeport avec l’aide d’un passeur qui soudoyait la personne appropriée. Dans l’affaire Zhang, aucune mention n’était faite du projet Bouclier d’or, tandis que dans le cas qui nous occupe, l’existence du programme et sa portée ont été détaillées par le cartable national de documentation. Dans l’affaire Ren, le demandeur avait rendu un témoignage qui démontrait clairement qu’il avait eu recours à un passeur qui lui avait dit de se rendre à une porte d’embarquement désignée. Cela n’a pas grand-chose à voir avec les éléments de preuve produits par Mme Li en ce qui a trait aux circonstances dans lesquelles les demandeurs ont quitté la Chine.

[20] La SAR a souligné que le témoignage de Mme Li était de nature vague et hypothétique quant à cette question. Elle a déclaré que leur passeur avait probablement fait les arrangements nécessaires et soudoyé un ou des agents. Elle a ajouté qu’ils ont passé [traduction] « sans problèmes ». Son passeport n’a pas été balayé numériquement au premier point de contrôle, mais elle n’est pas certaine s’il l’a été au second point de contrôle, tout comme elle ne sait pas si les passeports de son mari et de son fils ont été passés au balayage numérique.

[21] Je conclus que la SAR a pris en considération tous les éléments de preuve et que sa conclusion appartient à la gamme des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[36]  Compte tenu de la jurisprudence récente de la Cour, je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision de la SAR, soit à l’égard de son analyse et de ses conclusions au sujet du départ de la demanderesse de la Chine, soit à l’égard des inférences défavorables qu’elle a tirées à propos de la crédibilité de la demanderesse. Comme dans l’affaire Li, la SAR a examiné en l’espèce les éléments de preuve de la demanderesse, le manque de détails sur le prétendu rôle du passeur et la vaste portée de la base de données du Bouclier d’or. Les conclusions de la SAR sont étayées par la version actuellement en vigueur du CND relatif à la Chine et du Guide jurisprudentiel, et elles reflètent avec exactitude les éléments de preuve qui figurent au dossier.

2.  La décision de la SAR de rejeter la demande d’asile sur place de la demanderesse était‑elle raisonnable?

Les observations des parties

[37]  La demanderesse soutient que l’analyse que la SAR a faite de sa demande d’asile sur place a été irrégulièrement entachée par les conclusions défavorables qu’elle a tirées plus tôt sur sa crédibilité. La SAR, ajoute-t-elle, a commis une erreur se fondant sur ses conclusions relatives à la crédibilité pour rendre sa décision concernant ses convictions religieuses actuelles plutôt que sur les éléments de preuve qu’elle a présentées (voir, par exemple, Yin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 544, au par. 90 (Yin)). Elle soutient aussi que la SAR a omis de procéder à une analyse prospective et d’examiner s’il lui serait possible de pratiquer librement sa religion si elle retournait en Chine.

[38]  Le défendeur soutient que la SAR a raisonnablement cité des éléments jurisprudentiels qui permettent à un décideur de s’appuyer sur une conclusion qu’un demandeur d’asile a fait état d’une fausse allégation de persécution religieuse pour évaluer l’authenticité de la demande sur place de cette personne (Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 969, au par. 8 (Chen)). Il soutient également que la SAR a pris en considération la faible probabilité que les activités religieuses de la demanderesse au Canada (même si elles sont légitimes) attirent l’attention des autorités chinoises. Enfin, la SAR a raisonnablement conclu que même si la demanderesse retournait en Chine et pratiquait le christianisme, elle ne serait probablement pas persécutée.

Analyse

[39]  À mon avis, l’analyse que la SAR a faite de la demande d’asile sur place était raisonnable. Là encore, il s’agissait d’une analyse détaillée qui portait non seulement sur le défaut de la demanderesse d’établir son adhésion au christianisme en Chine, mais aussi sur ses éléments de preuve concernant ses activités religieuses au Canada. De plus, le tribunal a procédé à juste titre à une analyse prospective et a vérifié s’il existait plus qu’une simple possibilité de persécution si la demanderesse retournait en Chine et pratiquait le christianisme.

[40]  Il est évident que les conclusions défavorables que la SAR a tirées plus tôt au sujet de la crédibilité de la demanderesse ont influé sur sa décision concernant la demande d’asile sur place. La SAR a expliqué de manière succincte le lien entre ces deux questions :

[35]  La SAR a examiné le dossier et procédé à sa propre évaluation. Elle estime que la SPR n’a pas commis d’erreur en concluant que l’appelante n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, son appartenance religieuse au Canada ou en Chine. Ayant conclu que l’appelante n’était pas recherchée par les autorités pour avoir participé à des activités chrétiennes en Chine ou y avoir été une adepte de la foi chrétienne, la SAR doit déterminer si l’appelante est une véritable croyante au Canada. L’appelante a soutenu que sa motivation à pratiquer le christianisme au Canada découle d’un ensemble de circonstances qui s’est produit en Chine. Elle soutient qu’elle a continué de s’appuyer sur son système de croyances au Canada comme elle le faisait prétendument en Chine.

[41]  Autrement dit, les deux allégations étaient inextricablement liées. La conclusion de la SAR selon laquelle la demanderesse s’est jointe à une église chrétienne au Canada à seule fin d’appuyer une fausse demande d’asile découle logiquement de sa conclusion selon laquelle elle n’était pas une adepte du christianisme en Chine (Chen, au par. 8).

[42]  Il est bien sûr possible qu’une personne puisse acquérir des convictions religieuses après son arrivée au Canada (Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 205, au par. 32). Comme l’a déclaré le juge Russell dans la décision Yin (aux par. 90 et 91), la SAR était tenue d’examiner la preuve de la demanderesse concernant ses pratiques religieuses au Canada et d’expliquer pourquoi elle considérait que cette preuve n’était pas suffisante pour établir le bien‑fondé d’une demande d’asile sur place. La SAR l’a fait, mais elle a conclu que la preuve, dont une lettre de l’église canadienne que fréquentait la demanderesse, ne démontrait pas ses motivations religieuses.

[43]  À mon avis, l’analyse à deux volets de la SAR est transparente et intelligible. La demanderesse a présenté sa demande d’asile sur place comme étant un prolongement de ses pratiques chrétiennes en Chine. Une fois qu’il a été conclu que cet aspect de sa demande d’asile était frauduleux, le fondement principal de cette dernière s’est effondré. La SAR a néanmoins a examiné si la demanderesse avait véritablement adopté la foi chrétienne et pratiqué cette religion pendant son séjour au Canada, mais a conclu que ce n’était pas le cas.

[44]  Enfin, la SAR a évalué si la demanderesse s’exposait à plus qu’une simple possibilité de persécution si elle retournait en Chine et décidait de pratiquer la religion chrétienne. Elle a analysé en détail les éléments de preuve relatifs à la situation dans ce pays et a conclu que la demanderesse courrait un risque extrêmement faible de persécution si elle continuait d’exercer sa foi chrétienne à son retour dans sa province d’origine, compte tenu surtout des 50 à 90 millions d’adeptes du christianisme en Chine, dont la plupart exercent leur foi sans problème dans des églises non enregistrées. Je conclus que l’analyse prospective à laquelle s’est livrée la SAR au sujet de la probabilité que la demanderesse soit persécutée en Chine est raisonnable.

  1. Conclusion

[45]  La demande est rejetée.

[46]  Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4285‑18

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 13e jour d’août 2019

Mélanie Vézina, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4285‑18

 

INTITULÉ :

XURAN HAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 AVRIL 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

DATE DES MOTIFS :

LE 26 JUIN 2019

COMPARUTIONS :

Shelly Levine

POUR LA DEMANDERESSE

Erin Estok

pouR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Levine Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pouR LE DÉFENDEUR

 

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