Date : 20040510
Dossier : IMM-4697-03
Référence : 2004 CF 678
Ottawa (Ontario), le 10 mai 2004
Présent : Monsieur le juge Blais
ENTRE :
ZARAH BARREH DARAR
KADIDJA ABDILLAHI ALI
IBRAHIM ABDILLAHI ALI
Demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION
Défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Section de la protection) (la Commission) qui rejetait la demande de statut de réfugié au sens de la Convention.
FAITS
[2] Mme Zarah Barreh Darar (demanderesse) et ses deux enfants Kadidja Abdillahi Ali et Ibrahim Abdillahi Ali sont des ressortissants de la Somalie. La demanderesse allègue être membre de l'ethnie Midgan, contre laquelle historiquement les clans somaliens ont exercé de la discrimination.
[3] La demanderesse dit être née en 1940 à Boroma, en Somalie. Orpheline de père et mère, elle a été recueillie par une dame de l'ethnie Gadabursi. Celle-ci a encouragé son neveu à épouser la demanderesse, même si elle était de l'ethnie Midgan, parce qu'elle serait une bonne épouse et qu'il n'aurait pas à payer de dot.
[4] Elle a donné naissance à deux filles et quatre garçons, et elle a également aidé à élever les enfants que son mari avait d'un autre mariage.
[5] Sa fille aînée, née en 1967, a quitté la Somalie en 1990 avec son bébé naissant. Elle a obtenu le statut de réfugiée au Canada en 1992, et est devenue citoyenne canadienne en 1995.
[6] La demanderesse a quitté la Somalie environ un mois ou deux après le départ de sa fille; elle s'est réfugiée en Éthiopie avec deux de ses enfants, qui sont également demandeurs dans la présente affaire. Ibrahim est né en 1982, et Khalidja est née en 1984.
[7] La demanderesse soutient que son appartenance à l'ethnie Midgan l'expose à la discrimination en Somalie, et que le fait qu'elle soit Somalienne lui cause des ennuis en Éthiopie. Quant aux enfants, le fait d'être d'un mariage mixte (Midgan-Gadabursi) les expose à la discrimination dans leur pays d'origine.
ANALYSE
[8] Il est de jurisprudence constante que pour les décisions de la Commission, lorsqu'il s'agit de l'appréciation de la crédibilité de la demande ou du demandeur, la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision manifestement déraisonnable. Il faudrait, pour annuler la décision de la Commission, conclure que la Commission a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait.
[9] La décision de la Commission se fonde essentiellement sur l'absence de documents et de preuves permettant d'établir l'identité de la demanderesse et de ses deux enfants demandeurs. Les éléments que souligne la Commission pour étayer ses doutes quant à la preuve présentée par la fille aînée de la demanderesse me paraissent raisonnables.
[10] Dans sa preuve, la demanderesse fait grand cas du fait qu'elle est Midgan, et que pour ses enfants, le fait d'avoir une mère Midgan pose un problème. Pourtant la fille aînée, lorsqu'elle a présenté sa demande pour obtenir le statut de réfugiée, n'a jamais fait état de cette réalité. Elle se dit Gadabursi, tout simplement.
[11] La demanderesse nomme son gendre comme il est nommé au Canada; elle ne le nomme pas comme sa fille le nommait au moment où elle est arrivée. De même, elle appelle son petit-fils Warsame Youssuf Isman puis Warsame Isman Youssuf, alors que la mère l'a désigné par le nom Warsame Osman Abdi sur son formulaire de renseignements personnels.
[12] La pire invraisemblance, que la Commission souligne à juste titre et que ni la demanderesse ni sa fille aînée n'arrivent à expliquer, c'est la façon dont elles se sont retrouvées. D'après leurs témoignages, la fille aînée est partie avec son bébé alors que la guerre civile faisait rage en Somalie. Elle a réussi à se rendre au Canada. Entre-temps, soit environ un mois ou deux après le départ de sa fille, la demanderesse a à son tour quitté la Somalie pour se réfugier en Éthiopie. Elle s'installe à Dire-Dawa. Elle n'a, dit-elle, aucun contact avec sa fille pendant cette période. Pourtant, après quelques années, à sa voisine qui projette un voyage en Éthiopie, la fille demande de chercher ses parents; elle lui donne leurs noms, c'est tout.
[13] Comment savait-elle que la demanderesse était en Éthiopie? Comment, même en sachant qu'elle était en Éthiopie, la voisine l'aurait-elle retrouvée, surtout compte tenu de son statut très inférieur dans la société somalienne? Il manque trop de détails, que même pressées de les donner, la demanderesse et sa fille n'ont pas su fournir.
[14] Les deux enfants qui accompagnent la demanderesse parlent français. Elle a expliqué qu'ils fréquentaient l'école privée en Éthiopie, malgré ses maigres revenus comme couturière. La Commission a demandé à la demanderesse de prouver l'inscription de ses enfants à cette école, par une attestation écrite, ce qui aurait servi à la fois à confirmer le séjour en Éthiopie et l'identité des enfants. La demanderesse n'a pas fait cette démarche (la lettre lui avait été adressée ainsi qu'à son avocat).
[15] La demanderesse souhaitait déposer une preuve par ADN, ce que la Cour a refusé. Ce test a été subi après la décision rendue par le tribunal, la preuve est donc irrecevable devant la Cour fédérale.
[16] Dans sa décision, le tribunal a soulevé de nombreuses erreurs factuelles qui ont largement miné la crédibilité de la demanderesse. La demanderesse quant à elle a démontré que le tribunal s'était trompé à quelques reprises, d'abord quant au moment où le fils de son mari avait été tué, après le départ de sa fille, et également sur le fait que la demanderesse avait bien mentionné le nom de sa fille Suad dans sa déclaration. La demanderesse a également démontré qu'elle s'était corrigée spontanément quant à l'erreur sur la date du mariage de sa fille, soit 1989 et non 1999.
[17] Par ailleurs, ces erreurs ne m'apparaissent pas avoir eu une influence déterminante puisque les documents fournis pour tenter de prouver l'identité de la demanderesse n'ont pas été reconnus comme valables par le tribunal. Or, le tribunal s'est longuement penché sur la question d'identité, qui a été déterminante dans le rejet de la demande.
[18] Cette question d'identité revêt un caractère important et rien dans la décision du tribunal, malgré les quelques erreurs factuelles, ne m'apparaît justifier l'intervention de cette Cour.
[19] Le rôle de la Cour est de décider si compte tenu de la preuve dont était saisie la Commission, celle-ci a rendu une décision qui n'est pas manifestement déraisonnable. La demanderesse n'a pas établi son identité ni son appartenance à une ethnie déterminée. Vu l'absence totale d'une preuve documentaire quant à l'identité (malgré l'occasion qui avait été donnée à la demanderesse de fournir les documents scolaires de ses enfants), vu l'incohérence dans les récits de la demanderesse et de sa fille aînée, et vu le caractère soigné et exhaustif de l'analyse menée par la Commission, je suis d'avis que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.
[20] Aucune des parties n'a suggéré une question sérieuse pour certification.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.
« Pierre Blais »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4697-03
INTITULÉ : ZARAH BARREH DARAR et autres c. MCI
LIEU DE L'AUDIENCE : OTTAWA, ONTARIO
DATE DE L'AUDIENCE : LUNDI, LE 3 MAI 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : BLAIS, J.
COMPARUTIONS :
ME CLAREL MIDOUIN POUR LE DEMANDEUR
ME RICHARD CASANOVA POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
ME CLAREL MIDOUIN
OTTAWA, ONTARIO POUR LE DEMANDEUR
MORRIS ROSENBERG
SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA POUR LE DÉFENDEUR