Date : 20190710
Dossier : IMM-6449-18
Référence : 2019 CF 911
Ottawa (Ontario), le 10 juillet 2019
En présence de monsieur le juge Shore
ENTRE :
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RONALD MICHAEL SHALLOW
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Nature de l’affaire
[1]
Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] de la décision d’un agent principal d’immigration [agent] datée du 16 novembre 2018, refusant la demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] du demandeur.
II.
Faits
[2]
Le demandeur est un citoyen de Saint-Vincent-et-les-Grenadines âgé de 46 ans, qui a obtenu sa résidence permanente du Canada le 21 juin 1987 alors qu’il avait 13 ans.
[3]
Le demandeur admet avoir longtemps eu des problèmes de drogue qui ont mené à de graves problèmes de santé.
[4]
En 2009, le demandeur a été diagnostiqué avec une néphropathie membranaire et une maladie rénale chronique. Cette dernière a dégénéré et, depuis 2015, il doit subir des traitements d’hémodialyse trois fois par semaine. Ces traitements sont nécessaires à sa survie. À cela, s’ajoutent d’autres problèmes de santé et une longue liste de médicaments.
[5]
Comme le demandeur a commis des infractions criminelles liées à la drogue et à la possession d’armes à feu, il a été visé par un rapport d’inadmissibilité et par une mesure de renvoi émise le 6 juin 2014. Il s’est ensuite prévalu d’une demande d’ERAR, laquelle a été refusée et fait l’objet du présent contrôle judiciaire.
III.
Positions des parties
A.
Position du demandeur
[6]
Selon le demandeur, seule une entreprise privée de Saint-Vincent-et-les-Grenadines offre les soins médicaux nécessaires à sa survie, mais une double discrimination l’empêcherait de bénéficier de ceux-ci.
[7]
D’abord, même si les soins de santé dont il a besoin sont offerts dans son pays natal, le demandeur affirme qu’il y subirait de la discrimination. Puisqu’il vit au Canada depuis plus de 30 ans, les fournisseurs de service de santé présumeraient qu’il est fortuné et lui chargeraient plus cher pour les mêmes services qu’aux résidents de Saint-Vincent-et-les-Grenadines.
[8]
En outre, le demandeur affirme que les employeurs refuseront de l’embaucher étant donné son handicap lié à sa maladie. Cela l’empêcherait de travailler et donc de se payer les traitements et les médicaments dont il a besoin.
[9]
Enfin, le demandeur affirme que l’agent devait tenir une audience afin de lui donner l’opportunité de répondre à ses préoccupations; en somme, il s’agirait d’un cas de crédibilité déguisée.
B.
Position du défendeur
[10]
Pour sa part, le défendeur avance qu’il revenait au demandeur de fournir une « preuve établissant que son pays de citoyenneté refuse de fournir des traitements d’hémodialyse ou offre ces traitements de façon sélective ou discriminatoire, tel que requis pas le sous-alinéa 97(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés »
. Il ne s’agirait dont pas d’une question de crédibilité comme le prétend le demandeur.
[11]
La position du défendeur est que, puisque le demandeur a démontré que l’État ne fournissait pas l’hémodialyse, sa demande d’ERAR tombe sous l’exclusion du sous-alinéa 97(1)b)(iv) de la LIPR. Cette disposition précise que pour qu’un demandeur soit reconnu comme étant une personne à protéger, la menace ou le risque auquel il fait face ne doit pas résulter de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.
[12]
Le défendeur précise de plus que l’affidavit de Madame Wyllie Gould, sur lequel le demandeur s’appuie pour démontrer la discrimination à laquelle il fera face, ne fournit que la perception personnelle de l’affiante. Encore ici, le défendeur précise que l’agent n’a pas remis en question la crédibilité de Madame Willye Gould.
[13]
Citant Blidee c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 244 au para 16, le défendeur rappelle en outre qu’il ne faut pas confondre la présomption de véracité d’une déclaration assermentée avec une présomption de suffisance. Ainsi, le demandeur avait la tâche de fournir des preuves objectives au soutien de ses prétentions, ce qu’il n’a pas fait.
IV.
Décision de l’agent
[14]
Les conclusions de l’agent peuvent se résumer comme suit :
Le demandeur est affligé d’une condition médicale qui requiert des soins médicaux réguliers et il craint de ne pas pouvoir se payer ces soins dans son pays natal;
La situation du demandeur est exclue au sous-alinéa 97(1)b)(iv) de la LIPR et, pour échapper à cette exclusion, le demandeur devait démontrer que son pays natal a des pratiques de persécution ou des pratiques discriminatoires équivalant à de la persécution en ce qui a trait à l’accès au traitement médical;
Le demandeur n’a fourni aucune preuve voulant que le gouvernement de Saint-Vincent-et-les-Grenadines fournisse ou refuse l’hémodialyse de façon sélective, discriminatoire ou persécutrice;
L’analyse d’une demande d’ERAR ne tient pas compte des considérations d’ordre humanitaire;
Selon la balance des probabilités, le demandeur ne fera pas face à un risque de torture, un risque à sa vie ou un risque de traitements ou de peines cruels et inusités.
V.
Questions en litige
[15]
Les questions en litige sont reformulées comme suit :
1) L’agent a-t-il erré en ne tenant pas une audience?
2) La décision de l’agent était-elle raisonnable?
[16]
Le demandeur soumet que la norme de contrôle applicable lorsque cette Cour évalue s’il y a eu manquement aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale est la norme de la décision correcte. Il existe en effet dans la jurisprudence de cette Cour, des décisions qui ont par le passé déterminé que toutes les questions d’équité procédurale relevaient de la décision correcte. Comme l’a fait remarquer le juge William F. Pentney dans A.B. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 165 au para 11, les décisions récentes de cette Cour adoptent généralement la norme de la décision raisonnable. En l’espèce, puisqu’il s’agissait pour l’agent de déterminer s’il y avait lieu de tenir une audience, soit d’interpréter son propre cadre législatif et règlementaire, cette Cour appliquera la norme de la décision raisonnable (Nhengu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 913 au para 5 [Nhengu]).
[17]
Quant aux conclusions de l’agent relatives à son appréciation des risques allégués par le demandeur au soutien de sa demande d'ERAR, celles-ci sont révisables selon la norme de la décision raisonnable (Alcantara Moradel c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 404 au para 16).
VI.
Dispositions pertinentes
[18]
Les dispositions suivantes sont pertinentes :
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 :
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Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 :
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VII.
Analyse
A.
L’agent devait-il tenir une audience?
[19]
Le demandeur avance que l’agent a manqué aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale en ne tenant pas une audience. Selon le demandeur, les déclarations sous serment qu’il a fournies afin de démontrer qu’il existe de la discrimination à Saint-Vincent-et-les-Grenadines auraient dû suffire et il n’avait pas à fournir de preuve le corroborant. Donc, toujours selon le demandeur, la conclusion de l’agent, voulant qu’il n’ait pas démontré l’existence de discrimination basée sur le fait qu’il habite au Canada depuis plus de 30 ans, revient à une conclusion de manque de crédibilité. Le demandeur croit ainsi que l’agent aurait dû tenir une audience pour évaluer sa crédibilité.
[20]
Quoiqu’il soit parfois difficile de distinguer entre une détermination de crédibilité déguisée et un manque de preuve (Gao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 59 au para 32), la présente ne pose pas un tel problème. En effet, l’agent a cru le demandeur et Madame Willye Gould, mais avait besoin de plus que les croyances personnelles de cette dernière pour conclure en de la discrimination fondée sur la richesse, telle qu’avancée par le demandeur. Puisque la crédibilité du demandeur n’était pas mise en doute, l’agent n’avait pas à convoquer une audience.
B.
La décision était-elle raisonnable?
[21]
Le demandeur semble croire qu’il revenait à l’agent de lui rappeler qu’il devait avancer ses meilleurs arguments en fournissant « tous les éléments de preuve qui permettront à [l’agent] de prendre une décision »
(Nhengu, ci-dessus, au para 6, citant Lupsa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 311 aux para 12-13). En l’espèce, l’argument principal du demandeur porte sur la discrimination à laquelle il fera face à son retour dans son pays natal, plus précisément en ce qui a trait aux coûts des services de santé. Il revenait donc au demandeur de fournir une preuve objective démontrant cette allégation.
[22]
En lien avec ce même point, le demandeur affirme en outre que la décision de l’agent n’était pas adéquatement motivée. Selon lui, l’agent devait préciser la preuve requise. Tout comme le défendeur, la Cour est plutôt d’avis que la décision était suffisamment étayée. À sa lecture, il est évident que l’agent s’attendait ce qu’on lui démontre qu’il existait de la discrimination dans l’octroi des services médicaux et que cette preuve devait être objective – ce qui excluait les croyances personnelles de Madame Willye Gould. On peut aussi lire à la page 4 de la décision :
The purpose of a Pre-Removal Risk Assessment (PRRA) is to evaluate if the applicant is at risk of persecution, torture, risk to life or risk of cruel and unusual treatment or punishment in the country of removal. The burden rests with the applicant to demonstrate that in his returning to [Saint-Vincent-et-les-Grenadines], there is a risk among those described in Sections 96 and 97 of the IRPA. All grounds for protection call for a demonstration that the risk be characterized as personal and objectively identifiable. [La Cour souligne.]
[23]
La preuve au dossier démontre que le pays d’origine du demandeur n’offre pas les soins médicaux dont il a besoin; seule une clinique privée offre ceux-ci. Dans une affaire comme celle-ci, où les facteurs humains font inévitablement partie du récit, il est primordial de se rappeler le rôle que le législateur a octroyé à chacun des décideurs, que ce soit l’agent d’ERAR ou le juge, et les limites à l’intérieur desquelles chacun doit œuvrer. Par exemple, en l’espèce, comme la décision contestée porte sur une demande d’ERAR, il n’est pas loisible à l’agent d’ERAR de prendre en compte les facteurs propres à une demande pour considérations d’ordre humanitaire (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Varga, 2006 CAF 394 aux para 6-9).
[24]
Dans une décision portant sur des faits similaires (Covarrubias c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CF 1193 (confirmée par la Cour d’appel fédérale dans 2006 CAF 365)), le juge Richard G. Mosley fait ainsi état des objectifs législatifs du sous-alinéa 97(1)b)(iv) de la LIPR :
[30] Les faits étaient semblables dans la décision Singh. Le juge Russell disposait d'une preuve selon laquelle la demanderesse pouvait avoir accès à des traitements de dialyse en Inde, mais à un prix que sa famille n'avait pas les moyens de payer. Il indique au paragraphe 20 de ses motifs, où sont résumées les prétentions des parties, que la demanderesse faisait valoir en fait qu'elle ne devrait pas être renvoyée en Inde parce que ce pays n'offre pas les soins de santé universels et gratuits dont elle avait besoin compte tenu de sa maladie particulière et de sa situation financière. Le défendeur prétendait, comme en l'espèce, qu'il s'agissait de facteurs d'ordre humanitaire devant être pris en compte dans le cadre d'une demande visée à l'article 25 de la LIPR et non d'un ERAR.
[31] Les notes explicatives de chacun des articles qui ont été présentées au Parlement au moment de l'étude du projet de loi C-11 [Loi concernant l'immigration au Canada et l'asile conféré aux personnes déplacées, persécutées ou en danger, 1re session, 37e législature, 2001], qui est ensuite devenu la LIPR, ont été produites devant la Cour, dans l'affaire Singh, afin d'établir l'intention du législateur au moment d'adopter le sous-alinéa 97(1)b)(iv). Les notes ne traitent pas abondamment de cette question, mais elles indiquent ce qui suit au sujet de l'article 97 et des ressources médicales :
Dans les cas où une personne serait exposée à un risque faute de soins médicaux ou de santé adéquats, il est plus approprié de recourir à d'autres dispositions de la Loi et de tels cas sont donc exclus de la définition. L'absence de soins médicaux ou de santé adéquats ne constitue pas un motif reconnu pour accorder la protection en vertu de la Loi.
[32] Tout en reconnaissant qu'il s'agissait d'un cas très difficile, le juge Russell a conclu au paragraphe 24 :
Cela m'amène à conclure que le défendeur a raison quant à cette question. La question d'une menace à la vie suivant l'article 97 ne devrait pas inclure l'obligation d'évaluer la question de savoir s'il existe des soins médicaux et de santé adéquats dans le pays en question. Il y a diverses raisons pour lesquelles les soins médicaux et de santé peuvent être « inadéquats ». Il se peut que ces soins n'existent pas du tout ou qu'ils ne soient pas offerts à un demandeur en particulier parce qu'il n'est pas dans une situation dans laquelle il peut en profiter. Lorsqu'un demandeur n'a pas la possibilité d'obtenir ces soins, alors ils ne sont pas adéquats pour lui. [Non souligné dans l'original.]
[33] Je pense qu'il est évident que le régime législatif avait pour but d'exclure de la portée de l'article 97 les demandes d'asile fondées sur les risques découlant du caractère inadéquat des soins de santé et des traitements médicaux dans le pays d'origine du demandeur, notamment lorsque les traitements sont offerts aux personnes qui ont les moyens de payer. Je souscris à l'interprétation donnée à la loi par le juge Russell. Aussi, j'estime que l'agent d'ERAR n'a pas commis d'erreur en appliquant l'exclusion à M. Ramirez et la demande ne peut être accueillie pour ce motif.
[25]
À la lumière de ce qui précède, la Cour considère que la décision est raisonnable, transparente et intelligible, et qu’elle fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
VIII.
Conclusion
[26]
Pour les motifs spécifiés ci-dessus, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
JUGEMENT au dossier IMM-6449-18
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question d’importance à certifier.
« Michel M.J. Shore »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-6449-18
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INTITULÉ :
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RONALD MICHAEL SHALLOW c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Montréal (Québec)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 27 juin 2019
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE SHORE
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DATE DES MOTIFS :
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LE 10 juillet 2019
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COMPARUTIONS :
Saïd Le Ber-Assiani
Gjergji Hasa
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Pour le demandeur
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Émilie Tremblay
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Ferdoussi Hasa Avocats
Montréal (Québec)
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Pour le demandeur
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Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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Pour le défendeur
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