Date : 20190708
Dossier : IMM-6006-18
Référence : 2019 CF 901
Ottawa (Ontario), le 8 juillet 2019
En présence de monsieur le juge Shore
ENTRE :
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CHARLES GRACIA STERLING
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Nature de l’affaire
[1]
Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, rendue le 1er novembre 2018, dans laquelle la SAR confirmait la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] voulant que le demandeur n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés ni de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].
II.
Faits
[2]
Le demandeur est un citoyen d’Haïti âgé de 41 ans. Il demande la protection du Canada puisqu’il craint que des bandits le prennent pour cible parce qu’il a déjà travaillé en tant que travailleur humanitaire.
[3]
Selon l’information fournie originellement par le demandeur, celui-ci aurait été travailleur humanitaire en Haïti de 2003 à 2007 dans le cadre de contrats avec diverses organisations non-gouvernementales (ONG).
[4]
Le demandeur allègue que des bandits associés au parti Lavalas s’en sont déjà pris à lui. Plus précisément, le demandeur a raconté qu’en 2004 il a été séquestré avec d’autres employés pendant trois ou quatre heures par des bandits lourdement armés.
[5]
En 2006, il aurait appris d’un ami que les bandits Lavalas se lançaient dans des opérations clandestines afin de localiser toutes les personnes travaillant ou ayant travaillé avec des programmes sociaux. Ces bandits auraient surveillé les travailleurs humanitaires parce qu’ils croyaient que ces derniers donnaient aux autorités des informations les concernant. Selon les dires du demandeur, il aurait décidé de vivre comme un reclus lorsque son contrat a pris fin en 2007, jusqu’à son départ d’Haïti en mai 2017.
[6]
Après son départ d’Haïti, le demandeur s’est d’abord rendu aux États-Unis. Il est arrivé au Canada le 11 août 2017 et y a demandé l’asile le 7 septembre 2017.
[7]
Lors de l’audience devant la SPR, le demandeur a mentionné avoir accepté des contrats additionnels avec des ONG, et ce, jusqu’en 2010. Ce dernier contrat requérait qu’il soit à Port-au-Prince afin d’aider la population suite au tremblement de terre.
III.
Décisions de la SPR et de la SAR
A.
Décision de la SPR
[8]
Le Commissaire de la SPR a rendu une décision négative à l’encontre du demandeur, principalement parce qu’il a déterminé que le demandeur manquait de crédibilité. Il s’est fondé sur l’omission et les contradictions suivantes pour évaluer défavorablement la crédibilité du demandeur :
Le demandeur a dit qu’il n’existait pas de raison pour laquelle les bandits lui feraient du mal à lui en particulier, ce qui contredisait les craintes qu’il disait avoir étant donné son travail humanitaire;
Le demandeur a dit avoir cessé son travail humanitaire en 2007 et avoir ensuite vécu en reclus. Cependant, il a ensuite admis avoir fini un projet en 2008, en avoir accepté un autre en 2009, puis encore en 2010;
Concernant ce dernier contrat, lorsque le demandeur a admis avoir travaillé en 2010 à Port-au-Prince, il a d’abord dit avoir travaillé pour
«
Save the Children »
. Toutefois, les photos soumises en preuve pour démontrer son travail humanitaire contredisent cette information; le demandeur aurait plutôt travaillé pour les organismes Coordination Nationale pour la Sécurité Alimentaire et Action contre la faim.
[9]
Le Commissaire a donc déterminé qu’en reprenant le travail qu’il prétend pourtant lui avoir attiré les représailles de bandits, le demandeur n’avait pas le comportement d’une personne craignant d’être persécutée. Il a conclu à un manque de crédibilité et a rejeté la demande d’asile du demandeur.
B.
Décision de la SAR
[10]
La Commissaire de la SAR a confirmé la décision de la SPR voulant que le demandeur n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger. Il a procédé à une analyse indépendante de la preuve et a appliqué la norme de la décision correcte, y compris pour évaluer la crédibilité du témoignage de vive voix du demandeur, sauf indication contraire. Voici en résumé la décision de la SAR :
Concernant la question portant sur l’équité procédurale, plus précisément que le demandeur n’était pas assermenté lorsqu’il a fourni de l’information qu’il a par la suite contredite, le demandeur était en fait assermenté à ce moment-là et que cette question était donc sans fondement;
En ce qui a trait à l’allégation du demandeur voulant que la SPR lui ait posé des questions biaisées, la SAR a d’abord déterminé que la SPR pouvait poser des questions concernant de la documentation objective, mais qu’à tout événement, les conclusions de crédibilité de la SPR n’étaient pas fondées sur les réponses à ces questions;
La SAR s’est dite en accord avec la majorité des éléments ayant menés la SPR à conclure à un manque de crédibilité. Elle a toutefois déterminé que la SPR avait erré en rejetant la réponse du demandeur lorsqu’il a expliqué pourquoi il avait répondu qu’il ne pensait pas être personnellement ciblé par des bandits, alors qu’il s’agit du fondement même de sa demande. Sur ce point, la SAR a retenu l’explication du demandeur comme quoi il n’avait pas bien compris la question. La SAR a confirmé les autres éléments de manque de crédibilité du demandeur;
La SAR a noté que le demandeur n’a pas eu un comportement qui soit compatible avec ses craintes alléguées. Plus particulièrement, le demandeur a accepté de travailler à Port-au-Prince en 2010. En outre, il a obtenu un passeport en 2012, avec lequel il a voyagé aux États-Unis et en République Dominicaine en 2014, 2015 et 2016. Chaque fois il est retourné en Haïti;
La SAR a procédé à une analyse du risque prospectif et a conclu que les travailleurs humanitaires sont visés par la criminalité de la même manière que le reste de la population haïtienne;
La SAR a confirmé
« qu’il n’existe pas de possibilité sérieuse de persécution ni de menace à [la vie du demandeur] ni de risque de traitements ou peines cruels et inusités du fait que [le demandeur] ait travaillé pour des ONGs »
; elle a ainsi rejeté l’appel et confirmé la décision de la SPR.
IV.
Questions en litige
[11]
Les questions en litige sont les suivantes :
1) Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?
2) La décision de la Commissaire était-elle raisonnable?
[12]
En ce qui a trait à la question portant sur un manquement à l’équité procédurale, celle-ci sera contrôlée selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339 et Zaqout c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 779 au para 14).
[13]
Quant à la décision de la SAR portant sur l’évaluation de la preuve et la crédibilité du demandeur, celle-ci est révisable suivant la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 au para 35 et Konate c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 170 au para 5).
V.
Dispositions pertinentes
[14]
Les dispositions suivantes de la LIPR sont pertinentes :
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VI.
Analyse
A.
Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?
[15]
Le demandeur avance que le Commissaire de la SPR lui a posé des questions portant sur des photos soumises en preuve lors de l’audience et qu’il n’avait pas encore prêté serment à ce moment-là. Considérant que l’assermentation a eu lieu quelques minutes avant l’audience et que la question portant sur lesdites photos a été posée pour la première fois quelques minutes après le début de l’audience, la SAR a eu raison de conclure que cette question est sans fondement.
[16]
Comme le demandeur n’a pas remis en cause devant cette Cour l’allégation de partialité de la part du Commissaire de la SPR, la décision de la SAR sur cette question ne sera pas étudiée par la Cour.
B.
La décision de la Commissaire était-elle raisonnable?
[17]
La thèse du demandeur se résume comme suit : puisque la SAR a trouvé que la SPR avait eu tort de conclure à un manque de crédibilité sur le premier point, à savoir s’il existait des raisons pour lesquelles les bandits souhaiteraient s’en prendre personnellement au demandeur, tout le reste de l’analyse portant sur le manque de crédibilité devrait tomber automatiquement.
[18]
Le défendeur avance pour sa part que, puisque le demandeur n’a pas réussi à établir l’existence d’un risque prospectif, sa demande doit être rejetée. Cette conclusion découlerait du fait que la preuve documentaire ne confirme pas que les travailleurs humanitaires, actuels ou anciens, soient particulièrement ciblés par les groupes criminels. Il souligne en outre que la SAR a de plus conclu à un manque de crédibilité du demandeur, surtout en ce qui concerne le comportement du demandeur qui a été jugé manifestement incompatible avec celui d’une personne qui craint les représailles des bandits. Il soutient donc que la décision de la SAR était raisonnable.
[19]
La SAR a affirmé procéder à sa propre évaluation du dossier du demandeur, y compris en ce qui a trait à sa crédibilité. Contrairement aux prétentions du demandeur, la SAR pouvait déterminer que le demandeur manquait de crédibilité sur les autres aspects de sa demande et conclure que cela minait suffisamment sa crédibilité pour rejeter sa demande. Chaque élément analysé d’abord par la SPR, et ensuite par la SAR, pouvait exister par lui-même; la thèse du demandeur voulant que tous les aspects de sa crédibilité qui ont reçu une évaluation défavorable doivent être ignorés ne saurait être retenue.
[20]
À la lecture de la décision de la SAR, il ressort clairement que la Commissaire a pris le temps de lire le dossier dans son entièreté, d’écouter l’audience tenue par la SPR, de procéder à sa propre analyse et de conclure à un manque de crédibilité (voir Mobil Oil Canada Ltd. c Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202 aux p 228 et 229). Dans son ensemble, la décision est écrite de façon claire et logique.
[21]
Puisqu’aucune erreur ne requérant l’intervention de cette Cour n’a été décelée, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
VII.
Conclusion
[22]
Pour les motifs mentionnés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question d’importance à certifier.
« Michel M.J. Shore »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-6006-18
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INTITULÉ :
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CHARLES GRACIA STERLING c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Montréal (Québec)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 26 juin 2019
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE SHORE
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DATE DES MOTIFS :
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LE 8 juillet 2019
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COMPARUTIONS :
Aristide Koudiatou
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Pour le demandeur
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Mario Blanchard
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Aristide Koudiatou
Montréal (Québec)
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Pour le demandeur
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Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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Pour le défendeur
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