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Date : 20020430

Dossier : IMM-1928-01

OTTAWA (ONTARIO), LE 30 AVRIL 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUC MARTINEAU

ENTRE :

                                                   MIGUEL ANGEL BUSTAMANTE

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                                     ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                                           « Luc Martineau »

Juge          

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


Date : 20020430

Dossier : IMM-1928-01

Référence neutre : 2002 CFPI 499

ENTRE :

                                                   MIGUEL ANGEL BUSTAMANTE

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MARTINEAU

[1]         Le demandeur, citoyen du Pérou, souhaite obtenir le contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) concluant qu'il n'est pas un réfugié au sens de la Convention.


[2]         Le demandeur a travaillé pour la compagnie nationale des ports du Pérou d'avril 1995 à janvier 1996. Il affirme qu'en avril 1995, il a commencé à recevoir des appels téléphoniques de menace de [traduction] « terroristes anonymes » , qu'il a ultérieurement identifiés comme des membres du Sentier lumineux, lesquels lui demandaient des renseignements sur les ports. Les appels n'ont pas cessé après qu'il eut démissionné de ce poste. Le demandeur allègue que les appels ont continué bien qu'il ait quitté le Pérou à la fin de 1999 et malgré sa démission datant de cinq ans. Aucune mesure n'a jamais été prise contre le demandeur ou sa famille.

[3]         La Commission a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences fixées par la définition de réfugié au sens de la Convention. L'article 2 de la Loi sur l'immigration (la Loi) porte :


2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

« réfugié au sens de la Convention » Toute personne_:

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques_:

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays [...]

2. (1) In this Act,

"Convention refugee" means any person who

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country [...]


[4]         La Commission a estimé que, « [...] même si le revendicateur a effectivement reçu les appels de menace de terroristes anonymes en 1996, il n'y a qu'une faible possibilité qu'il soit persécuté pour un motif énoncé dans la Convention s'il devait retourner à Lima, au Pérou, aujourd'hui » . Pour tirer cette conclusion, la Commission s'est fondée sur la preuve documentaire concernant le pouvoir actuel du Sentier lumineux, les endroits où ce groupe terroriste est le plus actif et les mesures prises par les autorités péruviennes en matière de terrorisme.


Le tribunal a également tenu compte de la preuve documentaire déposée par l'avocat12 [Pièce C-5, Réponse à la demande d'information no : PER32666.E, 7 septembre 1999.] en ce qui concerne les activités du Sentier lumineux; cependant, il lui accorde très peu de poids, vu que les rapports cités dans sa preuve documentaire remontent à 1996. Le tribunal préfère accepter les renseignements contenus dans la preuve documentaire précédente, car ils sont plus récents.

Même si le tribunal devait accepter le fait qu'une faction séparatiste du Sentier lumineux se soit infiltrée dans Lima et veuille établir sa base terroriste dans la capitale, il conclut néanmoins, selon la prépondérance des probabilités, que ce mouvement ne considérerait pas les connaissances du revendicateur sur les ports du Pérou suffisamment à jour pour justifier l'intérêt que ce groupe pourrait lui porter. Le revendicateur a quitté son poste à la CNPP en janvier 1996. Le tribunal estime qu'il est raisonnable de s'attendre à ce que le Sentier lumineux s'intéresse davantage à des données plus à jour sur les ports péruviens et tente d'obtenir de telles données auprès de personnes qui sont actuellement en poste dans l'entreprise ou qui viennent tout juste de quitter leur poste.

En outre, même si le tribunal devait accepter le fait qu'une faction séparatiste du Sentier lumineux se soit infiltrée dans Lima et prévoie semer la terreur dans la ville, il conclut néanmoins que, compte tenu des mesures prises par le gouvernement pour éliminer le moindre germe de terrorisme, selon la prépondérance des probabilités, le revendicateur a accès à une protection satisfaisante de l'État.

[5]         En ce qui concerne la question de la protection de l'État, la Commission a déclaré ce qui suit à la lumière de la preuve documentaire :

Le gouvernement du Pérou est reconnu pour les mesures anti-terroristes qu'il a mises en place au cours des années 80 et 90-mesures qui, ironiquement, frôlaient la violation par les autorités des droits des personnes soupçonnées d'être des terroristes. La preuve documentaire13 [Pièce R-3, Réponse à la demande d'information no : PER33832.E, 2 mars 2000.] montre que, même maintenant, les initiatives anti-criminelles du Pérou ne sont que le prolongement des mesures anti-terroristes du gouvernement.

[...]

Selon une autre preuve documentaire, les mesures anti-terroristes du gouvernement sont si rigoureuses qu'elles ont donné lieu à des sentences disproportionnées par rapport aux crimes commis15 [Pièce R-1, 1999 Country Reports on Human Rights Practices: Peru, Department of State des É.-U., p. 14.]. Dans nombre de cas, l'application régulière de la loi n'est pas respectée16 [Pièce R-1, 1999 Country Reports on Human Rights Practices: Peru, Department of State des É.-U., p. 15.].

[...]


Le tribunal estime que la preuve documentaire qui précède ne fait que mettre en évidence la détermination du gouvernement dans sa lutte contre le terrorisme, qu'il soit réel ou soupçonné. Compte tenu de cette information, le tribunal ne croit pas le récit du revendicateur, selon lequel la police a rejeté sa présumée plainte voulant a) que l'organisation terroriste, le Sentier lumineux, lui ait demandé de lui dévoiler des données confidentielles, b) que le Sentier lumineux ait continué de le harceler même après qu'il ait démissionné de son poste au gouvernement et c) que le Sentier lumineux ait menacé de le tuer et de tuer sa famille s'il ne répondait pas à ses demandes. Le tribunal conclut qu'une réaction témoignant d'une telle indifférence de la part des autorités ne cadre pas avec la réaction type que laisse entrevoir la preuve documentaire-rapide, répressive, brutale, excessive et équivalant à une violation des droits des suspects.

[...]

Compte tenu de tout ce qui précède, le tribunal estime que le revendicateur a accès à une protection satisfaisante de l'État. Le revendicateur n'a pas fourni de preuve claire et convaincante permettant de réfuter cette hypothèse. Selon le tribunal, il n'existe aucune preuve convaincante ou digne de foi établissant que les mécanismes gouvernementaux du Pérou sont dans un tel état de délabrement ou de détérioration que le pays ne veut pas ou ne peut pas offrir de protection adéquate au revendicateur. Par ailleurs, le tribunal accepte l'affirmation du revendicateur, selon laquelle les mécanismes de protection offerts par l'État ne sont pas parfaits. Toutefois, s'inspirant de nombreuses décisions de Cours fédérales, il décide que la norme en ce qui concerne la protection n'est pas la perfection mais le caractère adéquat. Le tribunal estime que les mécanismes de protection offerts au revendicateur par l'État sont plus qu'adéquats.

[6]         La Commission a tiré les conclusions suivantes :

Après avoir examiné l'ensemble de la preuve, le tribunal est convaincu, selon la prépondérance des probabilités, qu'il n'existe aucune possibilité raisonnable ou sérieuse que le revendicateur soit persécuté s'il devait retourner au Pérou, du fait de ses opinions politiques (réelles ou présumées), de son appartenance à un groupe social (citoyens menacés par le Sentier lumineux), ou pour l'un des autres motifs énumérés dans la définition de réfugié au sens de la Convention.


[7]         Le demandeur fait valoir que la Commission a commis une erreur en interprétant mal sa déposition ou en omettant d'en tenir compte et qu'elle n'a donné aucun motif justifiant pourquoi elle a préféré la preuve documentaire à son témoignage présumé exact. Il soutient en outre que la Commission a commis une erreur importante lorsqu'elle a supposé que les appels de menace imputés au Sentier lumineux se sont produits en 1996 puisqu'ils ont plutôt commencé en avril 1995. De plus, le demandeur avance que la Commission paraît avoir considéré qu'il a menti ou fabriqué une preuve lorsqu'il a allégué faire l'objet de menaces de la part du Sentier lumineux après 1996. La Commission semble affirmer qu'il était atteint de schizophrénie, ce qui est faux. Le demandeur estime donc que la Commission a commis une erreur de droit, qu'elle a manqué aux principes d'équité et que ses conclusions sont manifestement déraisonnables.

[8]         Le demandeur invoque la récente décision Malala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 290, dans laquelle la Cour traite de l'incohérence et des principes d'équité. S'appuyant sur la décision Guo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1185, le juge Dubé (tel était alors son titre) confirme à nouveau que la Commission, lorsqu'elle constate l'existence d'incohérences, doit en faire part au demandeur :

La jurisprudence pertinente établit que les incohérences présentes dans la déposition d'un demandeur du statut qui pourraient amener un tribunal à conclure que le demandeur n'est pas crédible doivent être signalées au demandeur, à qui il faut donner l'occasion de se justifier. Le dossier indique que la requérante n'a pas été confrontée aux incohérences que le tribunal aurait trouvées dans sa déposition et qu'elle n'a pas eu l'occasion de se justifier, comme l'exigent les règles de justice naturelle. Plus particulièrement, la requérante aurait dû avoir l'occasion d'expliquer les incohérences alléguées en rapport avec la carte d'unité de travail chinoise et la liste des articles saisis par le BSP. Ne pas avoir donné cette occasion à la requérante constitue une erreur de droit.


[9]         Dans l'affaire Malala, précitée, la Cour fait mention d' « incohérences présentes dans la déposition d'un demandeur du statut qui pourrait amener un tribunal à conclure que le demandeur n'est pas crédible » , comme des différences entre le Formulaire de renseignements personnels (FRP) et le témoignage d'une personne. Malgré l'assertion formulée par l'avocat du demandeur, la présente affaire ne repose pas sur une conclusion défavorable quant à la crédibilité tirée par la Commission. La question en litige en l'espèce consiste plutôt à savoir si la Commission pouvait raisonnablement arriver à la conclusion que le demandeur n'a pas rempli son obligation de fournir une preuve satisfaisante établissant qu'il répond à la définition de réfugié au sens de la Convention. La Commission a simplement préféré la preuve documentaire aux assertions du demandeur. À cet égard, la Commission est autorisée à accorder davantage de poids à la preuve documentaire, même si elle conclut que le demandeur est digne de foi et crédible : Dolinovsky c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1784 (C.F. 1re inst.); Gomez-Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1396 (C.F. 1re inst.); Oppong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1187 (C.F. 1re inst.); et Noori c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 938 (C.F. 1re inst.).

[10]       Dans l'arrêt Adu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 114, la Cour d'appel fédérale offre une réponse complète aux arguments du demandeur. En effet, voici ce que mentionne le juge Hugessen :

[...] La « présomption » selon laquelle le témoignage sous serment d'un requérant est véridique peut toujours être réfutée et, dans les circonstances appropriées, peut l'être par l'absence de preuves documentaires mentionnant un fait qu'on pourrait normalement s'attendre à y retrouver.


[11]       De plus, la Cour d'appel fédérale a décidé ce qui suit dans l'arrêt Zhou c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1087 (C.A.F.) :

Nous ne sommes pas persuadés que la section du statut a commis une erreur justifiant notre intervention. Les documents sur lesquels s'est appuyée la Commission ont été régulièrement produits en preuve. La Commission a le droit de s'appuyer sur la preuve documentaire de préférence au témoignage du demandeur de statut. La Commission n'a aucune obligation générale de préciser expressément les éléments de preuve documentaire sur lesquels elle pourrait se fonder.

[12]       Je conclus que le demandeur n'a pas réussi à montrer que la Commission a commis une erreur en préférant la preuve plus récente et mieux documentée relative à la situation en cours au Pérou au moment de la présentation de la revendication. Cette preuve ne fait état d'aucune activité de la part du Sentier lumineux à Lima et précise que cette activité se limite aux régions éloignées de la jungle. La preuve documentaire versée au dossier établit sans équivoque que l'Association du Sentier lumineux a pratiquement été éliminée par les autorités péruviennes. En outre, la Commission a décidé que le demandeur n'a pas produit une preuve manifeste et convaincante de l'incapacité de l'État à le protéger, même si le Sentier lumineux était réellement à l'origine des appels de menace. À la lumière de l'ensemble de la preuve déposée au dossier, la Commission pouvait raisonnablement arriver à ces conclusions.

[13]       Comme le déclare le juge Hugessen dans l'arrêt Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. no 1189 (C.A.F.) :

Il n'est pas facile de se décharger de l'obligation de prouver que l'on ne peut pas se réclamer de la protection de son propre pays. Le test applicable est objectif, le demandeur étant tenu de démontrer qu'il lui est physiquement impossible de rechercher l'aide de son gouvernement (ce n'est clairement pas le cas ici) ou que le gouvernement lui-même ne peut d'une façon quelconque la lui accorder.


[14]       En l'espèce, la Commission a déterminé que le demandeur a accès à une protection satisfaisante de la part de l'État et qu'il n'a pas fourni de preuve claire et convaincante permettant de réfuter cette présomption. Ces conclusions ne sont pas déraisonnables. Il est vrai que la Commission a également formulé des observations au sujet des rapports médicaux préparés par divers médecins et portant sur l'état mental du demandeur. Sans conteste, même si certaines conclusions n'étaient pas étayées, j'estime que celles-ci ne l'emportent pas sur la conclusion finale voulant que le demandeur ne craigne pas avec raison d'être persécuté. Cette conclusion se fonde principalement sur la preuve documentaire et la possibilité d'obtenir une protection satisfaisante de l'État. Le motif pour lequel la Commission a rejeté la revendication du demandeur ne repose nullement sur la preuve psychiatrique ou sur l'état mental du demandeur.

[15]       En conclusion, le demandeur n'a pas réussi à me convaincre que la Commission a manqué aux principes d'équité, fait défaut de tenir compte d'éléments de preuve pertinents ou commis une erreur de droit ni qu'elle a autrement agi de façon arbitraire ou tiré une conclusion déraisonnable qui aurait eu une incidence appréciable sur sa décision suivant laquelle le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention.

[16]       La demande de contrôle judiciaireest rejetée.

[17]       L'avocat du demandeur demande à la Cour de certifier la question suivante :

[traduction]


La Section du statut de réfugié a-t-elle commis une erreur de droit ou manqué aux principes de la justice naturelle en omettant de faire part au revendicateur des présumées contradictions observées dans sa déposition (et sur lesquelles la Section du statut s'est appuyée pour conclure que le témoignage du revendicateur n'était pas crédible) ou de confronter le revendicateur à ces incohérences?

[18]       La question susmentionnée ne permettrait pas de trancher un appel et ne devrait pas être certifiée compte tenu des faits particuliers en l'espèce [Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Liyanagamage, [1994] A.C.F. no 1637 (C.A.F.)].

OTTAWA (Ontario)

Le 30 avril 2002

« Luc Martineau »

Juge          

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-1928-01

INTITULÉ :                                                        Miguel Angel Bustamante c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 18 avril 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              Monsieur le juge Luc Martineau

DATE DES MOTIFS :                                     Le 30 avril 2002

COMPARUTIONS:

Micheal Crane                                                     POUR LE DEMANDEUR

Ann Margaret Oberst                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Micheal Crane                                                     POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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