Date : 20040224
Dossier : ITA-32-02
Référence : 2004 CF 278
Dans l'affaire de la Loi de l'impôt sur le revenu,
- et -
Dans l'affaire d'une cotisation ou des cotisations établies par le ministre du Revenu national en vertu d'une ou plusieurs des lois suivantes: la Loi de l'impôt sur le revenu, le Régime de pensions du Canada et la Loi sur l'assurance-emploi,
CONTRE :
HENRI BERTRAND
débiteur judiciaire
et
ROMÉO HÉBERT
tiers saisi
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE:
[1] Il s'agit en l'espèce d'une requête de la créancière saisissante en vertu du sous-alinéa 449(1)a)(ii) des Règles de la Cour fédérale (1998) (les règles) afin d'obtenir l'émission définitive d'une ordonnance de saisie-arrêt tenante à l'égard de toute créance échue ou à échoir au débiteur judiciaire par le tiers saisi, Roméo Hébert, et plus particulièrement mais sans limiter la généralité de ce qui précède, en vertu d'un billet à ordre de 38 000 $US contracté par le tiers saisi en faveur du débiteur saisi le 12 novembre 1996 à Saint-Sauveur, Québec (le billet).
Contexte
[2] La créancière saisissante a obtenu de cette Cour, le 3 janvier 2002, dans le présent dossier, un certificat établi en vertu de l'article 223 de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), (5e suppl.) telle que modifiée, attestant que Henri Bertrand (le débiteur judiciaire en l'espèce) était endetté envers la créancière saisissante pour un montant de 1 027 767,66 $, en plus des intérêts composés quotidiennement à partir du 4 janvier 2002 jusqu'au jour du paiement.
[3] Henri Bertrand a fait l'objet d'une enquête par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) en matière de produits de la criminalité reliée à un dossier d'importation de stupéfiants.
[4] Dans le cadre de son enquête, la GRC a procédé à la saisie de biens appartenant à Henri Bertrand.
[5] Un des biens saisis est le billet. Par ce billet Roméo Hébert (le tiers saisi en l'espèce, tel que mentionné précédemment) reconnaît devoir à Henri Bertrand une somme de 38 000 $US portant intérêts au taux de 10% annuellement. Ce billet était payable sur demande, mais au plus tard le 12 novembre 1997. Les parties s'entendent pour établir que suivant l'article 2925 du Code civil du Québec, la date de prescription du billet était le 13 novembre 1999 à moins que l'on puisse établir qu'il y a au dossier une preuve suffisante d'interruption de la prescription ou une nouvelle reconnaissance de la dette une fois la prescription acquise.
[6] C'est à l'égard de ces points de prescription que le sort du présent dossier se joue.
[7] En date du 26 mars 2002, la créancière saisissante a fait parvenir à Roméo Hébert une lettre en vue de lui réclamer le montant dû sur le billet.
[8] Suite à la réception de la lettre du 26 mars 2002, il ressort que Roméo Hébert a mandaté un procureur américain, Me Bernazzoli, pour répondre à la créancière saisissante.
[9] Ainsi, une lettre en réponse a été envoyée à un représentant de la créancière saisissante, M. Pascal Dumaraix, par Me Bernazzoli, le 8 avril 2002. Cette lettre se lit dans ses passages pertinents comme suit :
Dear Mr. Dumaraix:
Please be advised that I am the attorney for Romeo Hebert. I am in response to your letter of March 26, 2002.
I have been dealing with this promissory note over the years. [...] First of all, the balance due on the note is not $38,000.00.
[10] En date du 18 avril 2002, la créancière saisissante a intenté en cette Cour des procédures en vue de l'obtention d'une ordonnance de saisie-arrêt provisoire sur le billet. L'ordonnance demandée fut obtenue le 24 avril 2002.
[11] Il ressort par ailleurs d'un affidavit daté du 23 septembre 2003 d'Annick Bertrand, soit le frère du débiteur judiciaire, que le tiers saisi, à la demande du débiteur judiciaire, aurait remis à Annick Bertrand un montant de 5 000 $US en mars 1997 et un montant similaire vers le 19 juin 1999.
Analyse
[12] Selon la créancière saisissante, au moment de la demande d'ordonnance provisoire de saisie-arrêt, le billet n'était pas prescrit puisque, suivant un premier argument, on doit considérer que les deux remises d'argent à Annick Bertrand ont interrompu la prescription de trois ans et ont, de fait, repoussé cette dernière au 19 juin 2002.
[13] Dans le cadre d'un deuxième argument, la créancière saisissante soutient que la lettre du 8 avril 2002 de Me Bernazzoli arbore en elle seule un contenu suffisant pour constituer une nouvelle reconnaissance de dette une fois la prescription acquise.
[14] Quant aux remises d'argent effectuées par Roméo Hébert à Annick Bertrand, l'affidavit de ce dernier obtenu suite à des démarches de la créancière saisissante ne tire point de lien direct entre ces remises et le billet. En effet, cet affidavit ne rapporte pas que ces remises étaient vues par Henri Bertrand ou Roméo Hébert comme étant des remboursements partiels du billet. Il n'est point expliqué en preuve pourquoi un tel lien n'est pas tiré à cet affidavit. Bien que la créancière saisissante veuille inférer de l'économie de cet affidavit qu'un tel lien est de mise, ledit affidavit laisse plutôt voir que ces remises à Annick Bertrand s'opéraient dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise de trafic de stupéfiants exploitée conjointement par Henri Bertrand et Roméo Hébert et où Annick Bertrand agissait à titre d'employé de son frère. En somme, l'affidavit d'Annick Bertrand laisse transpirer que ce dernier ayant eu besoin d'argent pour rencontrer des dépenses reliées au trafic de stupéfiants, il s'adressa à Roméo Hébert pour obtenir cet argent.
[15] Bien que ce contexte soit peu glorieux, il n'en demeure pas moins qu'il ne fait pas place à l'équation du remboursement partiel du billet.
[16] Mais il y a plus au dossier en preuve qui milite contre la retenue des remises à Annick Bertrand comme constituant une interruption de la prescription.
[17] Dans un affidavit daté du 25 avril 2003, un détective de la Sûreté municipale de Saint-Jérôme, mais agissant en tout temps pertinent pour la GRC, établit aux paragraphes 4 et 6 de son affidavit qu'en novembre 1999 et mars 2000 Henri Bertrand ou son avocat de l'époque ont contacté Roméo Hébert pour réclamer le montant de 38 000 $. Cet affidavit qui émane de la créancière saisissante, mais produit en preuve par le tiers saisi, porte, lui, sur le billet et établit en mars 2000 la somme toujours due au billet à 38 000 $. Partant cette preuve tend fortement à démontrer que les remises à Annick Bertrand de mars 1997 et juin 1999 ne seraient point reliées au billet. En novembre 1999 et mars 2000, époque où Roméo Hébert n'était point recherché comme tiers saisi, ce dernier avait pourtant intérêt à affirmer que le solde dû était inférieur à 38 000 $US.
[18] Je considère donc que la créancière saisissante, qui allègue interruption de la prescription, ne s'est pas déchargée de son fardeau d'établir que les remises à Annick Bertrand étaient reliées au billet et que ces remises pouvaient donc ainsi être vues comme une reconnaissance de dette propre à interrompre la prescription.
[19] Reste maintenant à évaluer le poids pouvant être accordé à la lettre du 8 avril 2002 de Me Bernazzoli.
[20] Tel que le révèle le paragraphe [9] ci-avant, cette lettre établit bien que ce procureur américain agit pour Roméo Hébert et a comme mandat de répondre à la lettre de la créancière saisissante du 26 mars 2002. Cette lettre porte sur le billet et Me Bernazzoli dit connaître l'historique de ce billet.
[21] Le procureur actuel du tiers saisi a soulevé néanmoins divers motifs à l'effet que l'on ne pouvait retenir contre le tiers saisi l'allégué formulé par Me Bernazzoli à l'effet que « ...the balance due on the note is not 38 000 $US » .
[22] Le fait que cet aveu provienne d'un procureur non membre du Barreau du Québec n'empêche point que ce même procureur puisse être considéré comme le mandataire valable du tiers saisi. Les déclarations de ce même procureur ne peuvent être vues comme des déclarations d'un tiers à l'égard du tiers saisi. Ce procureur agissait aux droits et aux obligations du tiers saisi à titre de mandataire et ne formait qu'un avec ce dernier.
[23] De manière à retirer tout poids à cette affirmation du représentant du tiers saisi qui laisse présumer que s'il y a un solde dû sur le billet c'est que des paiements ont été faits dans le passé, le tiers saisi a produit une déclaration solennelle de Me Bernazzoli en date du 24 novembre 2003 dans laquelle ce dernier déclare, entre autres, ce qui suit relativement à sa lettre du 8 avril 2002 :
My statements first need to be placed in the context in which they were written. Second, at no time did I nor my client ever represent or intend to represent that payments were made on the note, nor were any promises made which would have caused Mr. Bertrand or the present owners of the note to delay in instituting suit during the prescription period. At the time my letters were written and affidavits filed the prescription period had already run.
[24] Toutefois, cette même déclaration de Me Bernazzoli n'en dit point davantage sur le soi-disant contexte de sa déclaration du 8 avril 2002. Cette déclaration de novembre 2003 de Me Bernazzoli ne peut être retenue. Sa lettre du 8 avril 2002 situe bien sa déclaration sur le billet; déclaration qui laisse entendre que des paiements auraient été faits sur le billet.
[25] Quel poids doit-on alors donner à cette lettre ?
[26] Dans un premier temps je ne pense pas que cette lettre soit suffisante pour que l'on puisse affirmer valablement que les remises à Annick Bertrand doivent être vues comme des paiements à titre de remboursement partiel du billet. Cette lettre du 8 avril 2002 ne tire point de lien entre le solde dû sur le billet et les paiements à Annick Bertrand.
[27] Dans un deuxième temps, il ne faut pas oublier que cette lettre du 8 avril 2002 arrive dans le temps une fois que la prescription de trois ans ait été atteinte, soit le 12 novembre 1999.
[28] Il ressort de l'arrêt Brosseau c. Valentine, B.E. 99BE-88 (C.Q.) que lorsque la prescription est acquise, pour faire revivre la dette prescrite il faut un nouveau contrat et une nouvelle promesse de payer. Or, ici la lettre du 8 avril 2002 n'équivaut pas à cela.
[29] Partant, il faut en conclure que le billet est prescrit en faveur du tiers saisi et ainsi donner mainlevée au tiers saisi de l'ordonnance provisoire de saisie-arrêt émise en cette Cour le 24 avril 2002. Il m'appert, par ailleurs, que quant aux dépens, il est raisonnable et équitable en l'espèce que l'ordonnance à émettre dispose qu'elle est émise sans frais puisque ce n'est qu'à l'audition même portant sur l'obtention de l'ordonnance définitive de saisie-arrêt que le tiers saisi a soulevé des arguments fondés sur l'affidavit du 25 avril 2003 du détective de la Sûreté municipale de Saint-Jérôme ainsi que sur l'arrêt Brosseau, précité.
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Richard Morneau |
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protonotaire |
Montréal (Québec)
le 24 février 2004
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
INTITULÉ:
ITA-32-02
Dans l'affaire de la Loi de l'impôt sur le revenu,
- et -
Dans l'affaire d'une cotisation ou des cotisations établies par le ministre du Revenu national en vertu d'une ou plusieurs des lois suivantes: la Loi de l'impôt sur le revenu, le Régime de pensions du Canada et la Loi sur l'assurance-emploi,
CONTRE :
HENRI BERTRAND
débiteur judiciaire
et
ROMÉO HÉBERT
tiers saisi
LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE : 30 janvier 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE
DATE DES MOTIFS : 24 février 2004
ONT COMPARU:
ME JULIE MOUSSEAU |
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POUR LA CRÉANCIÈRE SAISISSANTE |
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ME JEAN DESROSIERS |
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POUR LE TIERS SAISI |
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PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:
ME MORRIS ROSENBERG |
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POUR LA CRÉANCIÈRE SAISISSANTE |
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ME JEAN DESROSIERS |
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POUR LE TIERS SAISI |