Dossier : IMM-4951-01
Référence neutre : 2002 CFPI 1204
Ottawa (Ontario), le 22 novembre 2002
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD
ENTRE :
FERNANDO BILOG GERON
AFRONIANA GERON
FERNANDO GERON FILS
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
EXPOSÉ DES FAITS
- 2. Les demandeurs sont des citoyens des Philippines qui allèguent craindre avec raison d'être persécutés du fait de leur opinion politique et de leur appartenance à un groupe social déterminé, la famille. La demanderesse, Afroniana Geron, et le demandeur mineur, Fernando Geron fils, ont fondé leur revendication sur celle du demandeur, Fernando Bilog Geron (le demandeur).
- 3. En octobre 1979, le demandeur s'est enrôlé dans l'Armée des Philippines et, après sa formation initiale, il a été posté à Hulo Solo, Mindanao, où son armée combattait des rebelles musulmans. En 1982, il a été transféré à Kalinga Apayaw pour combattre la Nouvelle Armée du peuple communiste (NPA). En 1985, il était commandant de détachement et responsable de 12 personnes.
- 4. La demanderesse est allée en Italie en 1978 pour travailler comme bonne d'enfants. En 1987, elle a épousé le demandeur et, le 16 décembre 1987, elle a donné naissance à leur fils en Italie.
- 5. Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur a déclaré qu'il a quitté l'Armée des Philippines en 1998 et a rejoint sa femme en Italie. Là-bas, il a travaillé comme chauffeur de mars à juin 1998.
- 6. Le demandeur affirme avoir appris en 1998 que la NPA s'était rendue à la résidence de sa soeur dans sa ville natale et avait menacé de tuer toute personne qui servait, ou avait servi, dans l'armée, ainsi que les membres de leur famille. Cette nouvelle l'a présumément amené à demander le statut de réfugié au Canada.
- 7. Le 18 juin 1998, les demandeurs sont arrivés au Canada avec des visas de visiteur en règle. Ils sont soi-disant venus au Canada dans le but de rendre visite à la soeur de la demanderesse qui avait subi une attaque. Le 31 octobre 1998, la soeur de la demanderesse est décédée et les demandeurs ont décidé de rester au Canada pour prendre soin de la mère de la demanderesse.
- 8. Les visas de visiteur des demandeurs, valides à l'origine pour une période de six mois, ont été prolongés d'un mois.
- 9. Les demandeurs avaient des permis de résidence temporaire en Italie valides jusqu'au 3 décembre 1998 dans le cas du demandeur et jusqu'au 3 janvier 2000 dans le cas de la demanderesse.
LA DÉCISION DE LA COMMISSION
- 11. La Commission a conclu que les demandeurs n'étaient pas crédibles, compte tenu des omissions, des incohérences et des contradictions relevées dans la preuve qu'ils ont présentée. Elle a également conclu que les demandeurs avaient été évasifs et avaient donné des réponses vagues dans leur témoignage.
- 12. La Commission a aussi estimé que la longueur du délai entre la date de l'arrivée des demandeurs au Canada et la date du dépôt de leur revendication portait atteinte à leur crainte subjective de persécution. Une conclusion défavorable a également été tirée relativement à leur départ d'Italie où ils avaient des permis de résidence valides et à leur défaut d'y retourner. Ces permis ont expiré durant la période où ils sont restés au Canada illégalement.
LES QUESTIONS EN LITIGE
(1) La Commission a-t-elle fait erreur en ne tenant pas compte du fait que les demandeurs pouvaient craindre avec raison d'être persécutés, s'ils retournaient aux Philippines, du fait que le demandeur avait servi dans l'Armée des Philippines et avait combattu la NPA?
(2) La Commission a-t-elle fait erreur en dépréciant la crainte subjective de persécution des demandeurs pour le motif qu'ils ont fait défaut de revendiquer le statut de réfugié en Angleterre et en Italie et qu'ils ont tardé à déposer leur revendication à leur arrivée au Canada?
(3) La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que le demandeur mineur était exclu sous le régime de la section 1E?
ANALYSE
- 15. Le demandeur prétend qu'en tant qu'ancien membre de l'Armée des Philippines ayant combattu la NPA, il faisait partie d'un groupe contre lequel des actes répréhensibles étaient susceptibles d'être commis. Il a également allégué que la demanderesse et le demandeur mineur, en tant que membres de la famille, faisaient également partie de ce groupe. Les demandeurs font valoir que la Commission a omis d'analyser leur crainte au regard de la preuve présentée et que, ce faisant, elle a commis une erreur de droit.
- 16. Je n'accepte pas la thèse du demandeur. Il est bien établi en droit que, pour se voir reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention, le revendicateur doit faire la preuve du bien-fondé de sa crainte de persécution suivant un fondement subjectif et un fondement objectif [voir Ward c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 723]. L'insuffisance de la preuve touchant l'aspect subjectif de la revendication constitue une erreur fatale qui est en soi suffisante pour justifier le rejet de la revendication.
- 17. La Commission a conclu que les demandeurs n'avaient pas de crainte subjective de persécution, compte tenu du fait qu'ils n'ont pas revendiqué le statut de réfugié en Italie et qu'ils ont attendu 18 mois après leur arrivée au Canada pour déposer leur revendication. Considérant la preuve présentée, j'estime qu'il était raisonnablement loisible à la Commission d'en venir à cette conclusion.
- 18. La Commission a fourni des motifs détaillés à l'appui de sa conclusion selon laquelle les demandeurs manquaient de crédibilité. Ces motifs faisaient état d'un certain nombre de contradictions et d'invraisemblances concernant l'incident de 1998 aux Philippines qui était l'élément central de leur revendication et constituait l'essence même de celle-ci. À titre de tribunal spécialisé, la Commission est reconnue comme ayant pleine compétence pour tirer des conclusions de plausibilité et de crédibilité. Dans la mesure où ces conclusions ne sont pas déraisonnables, elles sont à l'abri du contrôle judiciaire [voir Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315].
- 20. Après avoir conclu qu'il n'y avait pas de preuve crédible ou digne de foi à l'appui de la crainte subjective des demandeurs, la Commission n'a pas fait erreur en omettant de se demander si leur crainte de persécution pouvait être justifiée au sens objectif. Les deux volets du critère sont nécessaires et il était loisible à la Commission de rejeter la revendication pour ce motif.
- 21. Les demandeurs soutiennent également que la Commission a fait erreur en attaquant la crédibilité de la demanderesse parce qu'elle n'a pas revendiqué le statut de réfugié en Angleterre. Ils font valoir qu'au moment où elle a vécu en Angleterre, soit de 1984 à 1987, elle n'avait aucune raison de revendiquer le statut de réfugié. La crainte de la demanderesse ne s'est installée qu'après son départ de l'Angleterre.
- 22. Le défendeur admet que la Commission a fait erreur en attaquant la crédibilité de la demanderesse pour son défaut de déposer une revendication en Angleterre. En outre, il prétend que le défaut des demandeurs de déposer une revendication en Italie et le délai de plus de 18 mois qui s'est écoulé avant le dépôt de la revendication au Canada étaient suffisants pour soutenir la conclusion d'absence de crainte subjective tirée par la Commission. Par conséquent, le défendeur allègue que cette erreur est sans conséquence pour la décision. Je suis d'accord avec le défendeur.
- 23. Les demandeurs prétendent également que la conclusion selon laquelle le demandeur mineur était exclu sous le régime de la section 1E est manifestement abusive et arbitraire puisqu'il n'y a pas du tout d'élément de preuve à l'appui de cette conclusion.
- 24. Même si j'acceptais la thèse selon laquelle le demandeur mineur a erronément été exclu, sa revendication échouerait quand même. Le demandeur mineur a fondé sa revendication du statut de réfugié sur celle de son père. Comme il a été établi qu'il n'y avait pas de preuve crédible ou digne de foi qui aurait permis d'accorder le statut de réfugié au père, il n'y avait pas non plus de preuve qui aurait permis de faire de même pour le demandeur mineur. Par conséquent, la Commission n'a pas commis d'erreur en décidant que le demandeur mineur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.
- 25. Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est rejetée.
« Edmond P. Blanchard »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4951-01
INTITULÉ : Fernando Bilog Geron et al. c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 28 août 2002
ET ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD
DATE DES MOTIFS : Le 22 novembre 2002
COMPARUTIONS :
M. Hart A. Kaminker POUR LE DEMANDEUR
Mme Rhonda Marquis POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Kranc & Associates POUR LE DEMANDEUR
425, avenue University, bureau 500
Toronto (Ontario) M5G 1T6
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Ministère de la Justice
Exchange Tower
2, First Canadian Place
Bureau 3400, B.P. 36
Toronto (Ontario) M5X 1K6