Dossier : IMM-3242-18
Référence : 2019 CF 808
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
ENTRE
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RAJESVARAN SUBRAMANIAM
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demandeur
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et
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MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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MOTIFS DU JUGEMENT
LA JUGE HENEGHAN
[1]
Monsieur Rajesvaran Subramaniam (le « demandeur »
) sollicite le contrôle judiciaire de la décision du gestionnaire du Bureau de réduction de l’arriéré (le « gestionnaire »
), qui a refusé de traiter sa demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la « Loi »
).
[2]
Le demandeur est arrivé au Canada le 13 août 2010 ou vers cette date à bord du navire Sun Sea. Il travaillait dans la salle des machines du navire et était chargé de surveiller et d’entretenir l’équipement.
[3]
Le demandeur a été déclaré interdit de territoire au Canada aux termes de l’alinéa 37(1)b) en août 2011.
[4]
En 2015, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l’affaire B010 c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2015] 3 RCS 704. Dans cet arrêt, la Cour a conclu qu’une personne doit avoir l’intention de faire un profit pour être interdite de territoire aux termes de l’alinéa 37(1)b) de la Loi.
[5]
Le gestionnaire a retourné la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire du demandeur et a déclaré ne pas pouvoir la traiter puisque la conclusion d’interdiction de territoire empêchait le demandeur de se prévaloir du paragraphe 25(1) de la Loi.
[6]
Le demandeur fait valoir que le gestionnaire a commis une erreur de droit en refusant d’exercer son pouvoir discrétionnaire au titre du paragraphe 25(1) de la Loi.
[7]
Subsidiairement, le demandeur soutient que le gestionnaire a interprété de manière déraisonnable le paragraphe 25(1) de la Loi.
[8]
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le « défendeur »
) prétend que la présente affaire ne soulève aucune question de compétence, que le gestionnaire a interprété le paragraphe 25(1) de manière raisonnable et que rien ne justifie l’intervention de la Cour.
[9]
Par directive donnée le 16 mai 2019, les parties ont eu l’occasion de présenter de nouvelles observations à la lumière de la décision Apotex Inc. c. Schering Corporation, 2018 ONCA 890, demande d’autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 38471 (16 mai 2019), qui portait sur l’allégation de modification subséquente du droit à la suite d’une décision antérieure.
[10]
Les parties ont accepté l’occasion de présenter de nouvelles observations.
[11]
Le demandeur soutient que le gestionnaire devait tenir compte de l’incidence de l’arrêt B010, précité, puisque la conclusion d’interdiction de territoire précédente était fondée sur un raisonnement qui a plus tard été infirmé par la Cour suprême du Canada.
[12]
Le défendeur affirme que, dans la décision Apotex Inc., précitée, la question de la modification du droit est traitée comme une exception au principe de la préclusion. Il fait valoir que la question de la préclusion n’a pas été soulevée en l’espèce et qu’elle ne s’applique pas dans le contexte des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire.
[13]
La première question à examiner est la norme de contrôle applicable. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la présente demande de contrôle judiciaire ne soulève pas de [traduction] « véritable question de compétence »
qui pourrait être examinée selon la norme de la décision correcte.
[14]
Je souscris aux observations du défendeur selon lesquelles la norme de contrôle applicable en l’espèce est la norme de la décision raisonnable, puisque le décideur interprétait sa propre loi constitutive, c’est-à-dire la Loi. Je renvoie à l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, [2011] 3 RCS 654, au paragraphe 30.
[15]
Selon l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190, la norme de la décision raisonnable exige qu’une décision soit transparente, justifiable et intelligible et qu’elle appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[16]
Dans la décision Oladele c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 851, le juge Manson a tenu compte de l’effet d’un changement dans l’interprétation des dispositions relatives à l’interdiction de territoire prévues dans la Loi, conformément à l’arrêt Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2013] 2 RCS 678. Il s’est exprimé ainsi au paragraphe 77 :
Qui plus est, il est évident que les décideurs des demandes de dispense pour considérations d’ordre humanitaire ont le pouvoir discrétionnaire de tenir compte de l’incidence de l’arrêt Ezokola sur les conclusions antérieures d’interdiction de territoire. Les agents qui rendent ces décisions doivent être convaincus que les demandeurs satisfont aux exigences établies de la LIPR et devraient tenir compte de la pertinence d’une décision intervenante de la CSC (NK c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1040, aux paragraphes 19 à 21). Une décision relative à une demande de dispense pour considérations d’ordre humanitaire sera déraisonnable s’il est impossible d’établir, à la lumière des motifs du décideur, que l’interdiction de territoire visant le demandeur aurait pu être évaluée ou pas en fonction des critères précisés énoncés dans l’arrêt Ezokola (Aazamyar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 99, aux paragraphes 39 à 41).
[17]
Je note que dans la décision Oladele, précitée, une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire avait été soumise avant l’entrée en vigueur des modifications apportées à l’article 25 de la Loi par la Loi accélérant le renvoi de criminels étrangers, LC 2013, c 16.
[18]
En l’espèce, le demandeur a soumis sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire le 15 mars 2017.
[19]
Le paragraphe 25(1) de la Loi est actuellement libellé ainsi :
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Le libellé du paragraphe 25(1) de la Loi est clair. Il prévoit qu’un « étranger […] interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 »
ne peut pas bénéficier du pouvoir discrétionnaire autrement accordé au ministre par le paragraphe 25(1).
[21]
Le gestionnaire s’est exprimé ainsi dans sa décision :
[traduction]
[…] Le paragraphe 25(1) empêche un demandeur interdit de territoire au titre de l’article 37 de présenter une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Par conséquent, la demande de résidence permanente de M. Subramaniam fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne peut être traitée, puisque la Section de l’immigration a déjà conclu qu’il est interdit de territoire au titre de l’alinéa 37(1)b) et a pris une mesure de renvoi contre lui pour ce motif. […]
[22]
Selon moi, l’interprétation du paragraphe 25(1) par le gestionnaire est raisonnable.
[23]
Le résumé législatif du projet de loi C-43, soumis par le défendeur, permet de constater que les modifications apportées au paragraphe 25(1) visaient à exclure les étrangers interdits de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 de l’exercice du pouvoir discrétionnaire relatif aux motifs d’ordre humanitaire.
[24]
Le résumé législatif indique également que l’article 42.1 a été créé pour prévoir la possibilité d’accorder une dispense aux étrangers maintenant exclus de l’application du paragraphe 25(1). Cette information témoigne de l’intention du législateur et de l’objet du paragraphe 25(1). Selon moi, l’interprétation proposée par le demandeur est incompatible avec cette intention.
[25]
Je souscris à l’argument du défendeur, soit que l’interprétation proposée par le demandeur est incompatible avec le principe d’interprétation selon lequel la Cour devrait s’abstenir d’adopter des interprétations qui vident de leur sens certaines parties d’une disposition.
[26]
Je suis d’avis que le fait d’interpréter le paragraphe 25(1) de façon à ce que l’agent chargé de l’examen des motifs d’ordre humanitaire puisse utiliser son pouvoir discrétionnaire dans les cas où un demandeur a été jugé interdit de territoire vide l’exclusion énoncée au paragraphe 25(1) de tout son sens.
[27]
À la lumière du libellé du paragraphe 25(1), la décision du gestionnaire respecte la norme de la décision raisonnable telle qu’elle est énoncée dans l’arrêt Dunsmuir, précité.
[28]
Bien que la décision soit insatisfaisante pour le demandeur, elle est raisonnable en droit. Rien ne justifie l’intervention de la Cour.
[29]
En espèce, le demandeur peut présenter une demande à la Section de l’immigration en vue du réexamen de la décision relative à l’interdiction de territoire. Il peut également demander la dispense prévue au paragraphe 42.1(1) de la Loi, qui est ainsi libellé :
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[30]
Il revient au législateur, et non à la Cour, d’apporter les modifications nécessaires pour tenir compte de la modification du droit découlant des arrêts dans lesquels la Cour suprême du Canada a interprété la Loi. Il est raisonnable de s’attendre à ce que les lois fédérales soient conformes aux décisions prises par le plus haut tribunal du pays.
[31]
La présente demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée. Les parties peuvent proposer une question à certifier dans les 14 jours et la Cour rendra alors son jugement.
« E. Heneghan »
Toronto (Ontario)
Le 13 juin 2019
Traduction certifiée conforme
Ce 10e jour de juillet 2019
Julie Blain McIntosh
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-3242-18
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INTITULÉ :
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RAJESVARAN SUBRAMANIAM c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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le 13 DÉCEMBRE 2018
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motifs du JUGEMENT :
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LA JUGE HENEGHAN
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DATE DES MOTIFS :
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LE 13 JUIN 2019
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COMPARUTIONS :
Lobat Sadrehashemi
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POUR LE DEMANDEUR
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Helen Park
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Embarkation Law Corporation
Vancouver (Colombie-Britannique)
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POUR LE DEMANDEUR
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Procureur général du Canada
Vancouver (Colombie-Britannique)
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POUR LE DÉFENDEUR
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