Date : 20190613
Dossier : IMM-512-18
Référence : 2019 CF 810
Montréal (Québec), le 13 juin 2019
En présence de monsieur le juge Shore
ENTRE :
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PETERSON FLEURISCA
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partie demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
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partie défenderesse
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Nature de l’affaire
[1]
Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] de la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, datée du 28 décembre 2017, concluant que le demandeur n’a pas la qualité de réfugié ni de personne à protéger.
II.
Faits
[2]
Le demandeur, âgé de 38 ans, est citoyen d’Haïti. Advenant un retour en Haïti, il craint pour sa vie et sa sécurité en raison de motifs politiques. Il était membre d’une association à but non lucratif, l’Organisation pour le développement de Hatte-grand-mont, et lors des élections présidentielles de 2010 en Haïti, il avait apporté son soutien à une candidate nommée Mirlande Hyppolite Manigat.
[3]
Le 29 novembre 2010, le demandeur a quitté son pays pour aller au Brésil, où il a obtenu sa résidence permanente le 17 septembre 2012. Il y a exercé divers emplois, mais ses confrères de travail l’auraient accusé de voler leurs emplois, traité d’homosexuel et menacé de mort.
[4]
Le 3 avril 2016, le demandeur a quitté le Brésil dans le but de venir au Canada en passant par huit pays, dont les États-Unis. Il déclare avoir fait une demande d’asile aux États-Unis uniquement afin d’y entrer pour ensuite se rendre au Canada.
[5]
Le demandeur croît avoir perdu sa résidence permanente au Brésil étant donné qu’il a vécu plus d’un à l’extérieur du pays.
[6]
Le 30 mars 2017, le demandeur a présenté une demande d’asile à la frontière canadienne. Il a d’abord déclaré avoir une résidence permanente au Brésil, mais ne pas vouloir y retourner parce qu’il n’y a pas de travail. Toutefois, lors de l’audience, il a allégué que c’est la discrimination dont il a été victime qui l’a poussé à quitter le Brésil.
[7]
Le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté [Ministre] est intervenu dans la présente affaire dans le but de demander l’exclusion du demandeur puisque ce dernier détient le statut de résident permanent au Brésil, qu’il a presque les mêmes droits et obligations que les citoyens du Brésil, et qu’il peut y retourner sans crainte d’être persécuté ni d’être exposé à un risque au sens de l’article 97 de la LIPR.
III.
Décision contestée
[8]
Dans sa décision datée du 28 décembre 2017, la SPR a conclu que le demandeur est visé par la section E de l’article premier de la Convention des Nations Unies relatives au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 [article 1E de la Convention], parce qu’il est résident permanent du Brésil. Ce statut lui confère les mêmes droits et obligations attachés à la nationalité du Brésil, pays où il peut retourner et demeurer sans crainte de persécution. Par conséquent, la demande d’asile a été rejetée.
A.
Statut au Brésil
[9]
Après avoir tenu compte de la preuve documentaire et testimoniale, la commissaire a conclu que le demandeur ne pouvait pas avoir perdu son statut de résident permanent au Brésil étant donné qu’il n’a pas été à l’extérieur du pays durant deux années consécutives. Par conséquent, la SPR a déterminé que le demandeur n’avait pas à effectuer une demande pour renouveler sa carte d’identité d’étranger ni à prouver son statut d’emploi au Brésil. À cet effet, la SPR a de plus noté que la carte d’identité d’étranger du demandeur est valide jusqu’au 25 janvier 2020. La SPR est convaincue que le demandeur détient le statut de résident permanent au Brésil et qu’il ne s’est pas déchargé de son fardeau de prouver qu’il a perdu ce statut, d’après l’affaire Canada (Citoyenneté et Immigration) c Tajdini, 2007 CF 227. D’après la SPR, le demandeur peut donc retourner au Brésil et il a le « droit de travailler, d’étudier et d’avoir pleinement accès aux services sociaux de ce pays, ce que le demandeur a admis en audience »
(Motifs et décision de la SPR, au para 20).
B.
Crainte au Brésil
[10]
Le demandeur a allégué être victime de discrimination au Brésil. Dans sa décision, la SPR a noté les propos du demandeur selon lesquels :
[I]l était très travaillant et apprécié de ses employeurs, ce qui causait de la jalousie de la part de ses collègues de travail [b]résiliens. Il ajoute que les Brésiliens disaient que les Haïtiens sont venus au Brésil pour voler leur travail et qu’en conséquence, il a été injurié, on lui aurait dit de retourner dans son pays, et on l’aurait traité d’homosexuel et menacé de mort.
[11]
La SPR a noté que le demandeur n’a pas dénoncé ces agissements aux autorités pour obtenir de la protection puisque ses patrons lui auraient dit que la situation devait se régler au travail.
[12]
La SPR n’a pas retenu l’explication non crédible du demandeur lorsqu’il a été confronté à sa propre déclaration faite au point d’entrée de Fort Erie. Le demandeur a répondu que l’agent d’immigration voulait qu’il donne des réponses courtes aux questions qui lui étaient posées. Dans sa déclaration, le demandeur avait raconté à l’agent d’immigration que « rien ne l’empêchait de retourner au Brésil, qu’il pouvait y retourner comme il le voulait, mais qu’il ne souhaitait pas y aller, car il n’y avait plus de travail »
(Motifs et décision de la SPR, au para 25).
[13]
En outre, lorsque questionné au point d’entrée sur le pourquoi de sa demande d’asile au Canada, le demandeur a répondu qu’« il n’avait pas de stabilité aux États-Unis, qu’il avait mal dormi et que la femme de son cousin, chez qui il habitait, était jalouse d’avoir des membres de la famille à la maison »
(Motifs et décision de la SPR, au para 28).
[14]
En somme, la SPR a noté que le demandeur n’a nulle part indiqué les allégations de discrimination au travail dans son formulaire de demande d’asile. Suite aux cinquante-et-une questions posées au demandeur au point d’entrée, la SPR a jugé que le demandeur était en mesure de raconter, même de façon brève, les problèmes qu’il allègue avoir rencontrés au Brésil. La SPR a alors soulevé des contradictions entre les déclarations écrites du demandeur et son témoignage. La commissaire est plutôt d’avis que le demandeur a tenté à plusieurs reprises d’ajuster son récit lors de son témoignage, et ce, suite à l’intervention du Ministre demandant son exclusion au sens de l’article 1E de la Convention.
[15]
Pour ces raisons, la commissaire a conclu que la crédibilité du demandeur a été entachée, de sorte qu’elle ne croit pas le récit du demandeur selon lequel il craint la persécution au Brésil en raison de discrimination.
IV.
Question en litige
[16]
La décision de la SPR selon laquelle le demandeur est visé par l’article 1E de la Convention est-elle raisonnable?
[17]
Selon le demandeur, la norme de contrôle applicable en matière d’exclusion au sens de l’article 1E de la Convention est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration) c Choovak, 2002 CFPI 573). Cette position offre toutefois une vision incomplète. Lorsqu’il est question de l’application du critère juridique, la Cour utilise la norme de la décision correcte, tandis que l’évaluation subséquente des faits au regard de ce critère se fait selon la norme de la décision raisonnable (Rrotaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 152 au para 10 [Rrotaj] et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Zeng, 2010 CAF 118 au para 11 [Zeng]).
V.
Dispositions pertinentes
[18]
Les dispositions suivantes de la LIPR sont pertinentes en l’espèce :
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En outre, l’article 1E de la Convention énonce :
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VI.
Analyse
[20]
La première étape consiste à déterminer si la SPR a erré en concluant que le demandeur était exclu de la Convention par l’application de l’article 1E de la Convention.
A.
Les droits octroyés au défendeur sont-ils essentiellement les mêmes que ceux des ressortissants du Brésil?
[21]
L’arrêt Zeng établit comme suit le cadre d’interprétation et d’application de la section E de l’article premier de la Convention :
[28] Compte tenu de tous les facteurs pertinents existant à la date de l’audience, le demandeur a-t-il, dans le tiers pays, un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de ce pays? Si la réponse est affirmative, le demandeur est exclu. Si la réponse est négative, il faut se demander si le demandeur avait précédemment ce statut et s’il l’a perdu, ou s’il pouvait obtenir ce statut et qu’il ne l’a pas fait. Si la réponse est négative, le demandeur n’est pas exclu en vertu de la section 1E. Si elle est affirmative, la SPR doit soupeser différents facteurs, notamment la raison de la perte du statut (volontaire ou involontaire), la possibilité, pour le demandeur, de retourner dans le tiers pays, le risque auquel le demandeur serait exposé dans son pays d’origine, les obligations internationales du Canada et tous les autres faits pertinents.
[22]
Il est donc nécessaire de déterminer ce que signifie « un statut essentiellement semblable à celui de ce pays »
. Depuis l’arrêt Shamlou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 103 FTR 241, cette Cour a maintes fois réitéré que le demandeur devait bénéficier des quatre droits fondamentaux établis par Lorne Waldman (Immigration Law and Practice (1992) [feuilles mobiles]), vol. 1 au no 8.2.17.4), soit :
a) Le droit de retourner dans le pays de résidence;
b) Le droit de travailler librement sans restrictions;
c) Le droit de poursuivre ses études;
d) Le plein accès aux services sociaux dans le pays de résidence.
(Rrotaj, ci-dessus, au para 16.)
[23]
Le demandeur a admis qu’il bénéficiait de tous ces droits. En outre, la preuve est à l’effet que la résidence permanente du demandeur au Brésil était valide jusqu’en 2020.
B.
La sécurité du demandeur est-elle adéquate au Brésil?
[24]
Le demandeur prétend avoir vécu des conflits avec des collègues de travail, allant jusqu’aux menaces de mort. Comme aucun agent de persécution n’a été identifié, aucun danger manifeste et actuel n’a été démontré, et de surcroît, le demandeur n’a jamais demandé à l’État brésilien de le protéger, cette Cour conclut que le Brésil est un pays d’accueil sûr pour le demandeur.
C.
Seconde audience
[25]
Suite à une première audience, le demandeur s’est vu offrir l’opportunité de démontrer qu’il avait perdu sa résidence permanente au Brésil, ce qu’il n’a pas fait. De plus, les informations détenues par la Cour ne permettent pas de conclure que la situation actuelle au Brésil est telle que le demandeur ferait face à de la persécution s’il devait y retourner.
VII.
Conclusion
[26]
En conclusion, rappelons que l’objectif premier de la Convention est d’offrir un pays d’accueil aux demandeurs qui en ont besoin tout en évitant de leur permettre de rechercher le meilleur pays d’asile. Dans Zeng, ci-dessus, au para 1, la Cour d’appel fédérale a défini la « recherche du meilleur pays d’asile »
comme étant « le fait, pour une personne, de solliciter la protection d’un pays contre la persécution, la torture ou les peines cruelles et inusitées auxquelles elle dit qu’elle serait exposée dans un autre pays (le pays d’origine) alors qu’elle a droit à un statut dans un pays « sûr » (le tiers pays) »
. À la lumière des faits en l’espèce, il semble que ce soit ce que le demandeur tente d’accomplir.
[27]
Pour les raisons mentionnés ci-dessus, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
JUGEMENT au dossier IMM-512-18
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question d’importance à certifier.
« Michel M.J. Shore »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-512-18
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INTITULÉ :
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PETERSON FLEURISCA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Montréal (Québec)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 30 MAI 2019
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE SHORE
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DATE DES MOTIFS :
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LE 13 JUIN 2019
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COMPARUTIONS :
Aristide Koudiatou
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Pour la partie demanderesse
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Simone Truong
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Pour la partie défenderesse
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Aristide Koudiatou
Montréal (Québec)
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Pour la partie demanderesse
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Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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Pour la partie défenderesse
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