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     Date : 19991217

     T-3049-92


E n t r e :

     BUREAU EN GROS LTÉE

     demanderesse


     et

     CANADIAN OFFICE DEPOT INC., OD INTERNATIONAL INC.

     OFFICE DEPOT INC. et DAVID FUENTE

     défendeurs


     et

     JACK BINGLEMAN, STAPLES INC.

     et THOMAS G. STEMBERG

     défendeurs reconventionnels


     MOTIFS ET DISPOSITIF DE L"ORDONNANCE


LE JUGE O"KEEFE


[1]      La Cour statue sur l"appel interjeté d"une partie de la décision rendue le 3 décembre 1999 par le protonotaire Lafrenière. Les défendeurs appellent de la partie de sa décision par laquelle le protonotaire a radié les paragraphes 46 à 73 de l"affidavit souscrit le 27 novembre 1999 par Ruth Corbin.

Brève genèse de l"instance

[2]      Il a été interdit à Office Depot d"employer le nom " Office Depot " en Ontario aux termes d"une injonction provisoire rendue en février 1993 et d"une injonction interlocutoire qui a été prononcée en mai 1993 et qui est toujours exécutoire.

[3]      En avril 1999, Office Depot a déposé une requête visant à faire lever l"injonction interlocutoire ou, à titre subsidiaire, à obtenir une injonction interdisant à Bureau en Gros d"employer le nom commercial " Business Depot " dans l"Ouest canadien.

[4]      Le 27 août 1999, les défendeurs ont signifié l"affidavit de Chuck Chakrapani (souscrit le 26 août 1999) et l"affidavit de Ruth Corbin (souscrit le 27 août 1999) (le premier affidavit de Chakrapani et le premier affidavit de Corbin respectivement).

[5]      Le 22 octobre 1999, la demanderesse a déposé en réponse un affidavit dans lequel Angus Reid critiquait l"affidavit n" 1 de Chakrapani et l"affidavit n" 2 de Corbin au motif que, dans son premier affidavit, Corbin se prononçait sur la validité du questionnaire de sondage contenu dans le premier affidavit de Chakrapani.

[6]      La Cour a autorisé les défendeurs à déposer une contre-preuve en réponse à l"affidavit d"Angus Reid.

[7]      En réponse à l"affidavit d"Angus Reid, les défendeurs ont produit l"affidavit souscrit le 25 novembre 1999 par Chuck Chakprani (le second affidavit de Chakprani), ainsi que l"affidavit souscrit le 26 novembre 1999 par Ruth Corbin (le second affidavit de Corbin).

[8]      La demanderesse a présenté une demande en vue de faire radier le second affidavit de Chakrapani et le second affidavit de Corbin. Le protonotaire Lafrenière a entendu la requête par voie de conférence téléphonique le 3 décembre 1999.

[9]      Le protonotaire a rejeté la requête en radiation du second affidavit de Chakrapani, mais a accueilli en partie la requête en ce qui concerne le second affidavit de Corbin en en radiant les alinéas 4b), 4c), 5b) et 5d) et les paragraphes 46 à 73 inclusivement.

[10]      La décision du protonotaire a été portée en appel devant la Section de première instance de notre Cour le 8 décembre 1999.

[11]      À l"ouverture de l"audience, les parties se sont entendues sur ce qui suit :

     (1)      La partie des observations écrites de la demanderesse en date du 22 novembre 1999 qui s"appliquaient aux paragraphes 46 à 73 du second affidavit de Corbin constituent les motifs de la décision rendue le 3 décembre 1999 par le protonotaire.
     (2)      L"appel porte sur les paragraphes 46 à 73 du second affidavit de Corbin.

Question en litige

[12]      La Cour devrait-elle infirmer la partie de sa décision dans laquelle le protonotaire Lafrenière a radié les paragraphes 46 à 73 du second affidavit de Corbin ?

Règles de droit applicables

[13]      La norme de contrôle qui s"applique dans le cas d"une décision du protonotaire a été énoncée par le juge MacGuigan dans l"arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd. , [1993] 2 C.F. 425 (C.A.F.), aux pages 462 et 463 :

         Je souscris aussi en partie à l'avis du juge en chef au sujet de la norme de révision à appliquer par le juge des requêtes à l'égard des décisions discrétionnaires de protonotaire. Selon en particulier la conclusion tirée par lord Wright dans Evans v. Bartlam, [1937] A.C. 473 (H.L.) à la page 484, et par le juge Lacourcière, J.C.A., dans Stoicevski v. Casement (1983), 43 O.R. (2d) 436 (C. div.), le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :
             a) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits,
             b) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal.

     [...]

         Si l'ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.


[14]      En l"espèce, les défendeurs ont été autorisés à déposer une contre-preuve en réponse à l"affidavit d"Angus Reid.

[15]      Voici les propos que les auteurs J. Sopinka, S.N. Lederman et Alan W. Bryant ont tenus au sujet de la contre-preuve aux pages 958 et 959 de leur ouvrage The Law of Evidence in Canada, 2e éd. (Toronto, Butterworths, 1999) :

         [TRADUCTION]
         " 16.153 Il existe d"importantes restrictions au droit d"un plaideur de présenter une preuve pour réfuter le témoignage d"une personne qui a déjà témoigné. En voici les principales :
             (1) les limites imposées aux contre-preuves admissibles ;
             (2) les conséquence du défaut de contre-interroger ;
             (3) la règle relative aux faits incidents.
             A. Limites imposées aux contre-preuves
         " 16.154 Une fois que le défendeur a clos sa preuve, le demandeur ou la Couronne a le droit de présenter une contre-preuve pour contredire ou nuancer les nouvelles questions de fait soulevées dans la défense. Le principe général en matières civiles est que les questions qui peuvent légitimement être considérées comme faisant partie de la preuve principale du demandeur doivent être écartées.
                         [Renvois omis.]

    

     [...]

         Wigmore évoque deux raisons fort pratiques pour expliquer ce principe :
             [TRADUCTION]
             [...] La première est l"injustice qui pourrait être causée à l"opposant qui croyait à tort que la preuve principale constituait la totalité des éléments de preuve auxquels il devait répondre et, la seconde est la confusion interminable qui résulterait de l"alternance infinie de fragments successifs de la preuve que chaque plaideur aurait pu présenter au complet dès le début.
                         [Renvois omis.]
         La Cour d"appel de l"Ontario a jugé, dans l"arrêt Allock, Laight & Westwood Ltd. v. Patten , que le juge de première instance avait commis une erreur en permettant à la demanderesse de présenter des éléments de preuve qui étaient présentés comme une contre-preuve, alors que le seul objet de ces éléments de preuve était de confirmer la preuve de la demanderesse. Le juge Shroeder a cité et approuvé une décision antérieure, l"arrêt R. v. Michael, dans lequel la Cour d"appel avait affirmé :

             [TRADUCTION]
             Il est de jurisprudence constante que, lorsqu"il n"y a qu"une seule question à juger, la partie qui commence doit présenter toute sa preuve dès le début et qu"elle ne peut scinder sa preuve en invoquant une preuve prima facie pour ensuite présenter une preuve confirmative lorsque sa cause a été ébranlée par son adversaire (Jacobs v. Tarleton, (1848), 11 Q.B. 421, 116 E.R. 534) [...] Le principe est maintenant tellement bien établi qu"il n"est pas nécessaire d"en dire plus. Il importe de respecter ce principe lors de l"instruction des causes, qu"elles se déroulent devant un jury ou devant un juge seul. Le défendeur a le droit de connaître la preuve à laquelle il doit répondre avant de présenter sa défense et il n"est pas loisible au demandeur, sous prétexte de répliquer, de confirmer de nouveau des éléments de preuve dont il devait établir le bien-fondé dès le départ, au risque de ne pas convaincre le tribunal.
                         [Renvois omis.]


[16]      J"ai examiné les paragraphes 46 à 73 du second affidavit de Corbin et je suis d"accord avec le protonotaire pour dire que ces paragraphes devraient être radiés au motif qu"ils ne constituent une réponse à aucun des nouveaux faits soulevés par M. Reid, mais qu"ils servent uniquement à confirmer le témoignage de Chuck Chakrapani. Ainsi que le protonotaire l"a déclaré en faisant sien l"argument de la demanderesse pour justifier sa décision : [TRADUCTION] " Ces éléments de preuve ne constituent une réponse à aucun des nouveaux faits soulevés par M. Reid dans son affidavit ; ils visent uniquement à renforcer la validité du sondage de Chakrapani ". Je suis d"accord avec cette affirmation et constate par ailleurs qu"on trouve l"affirmation suivante au paragraphe 46 du second affidavit de Corbin :

         [TRADUCTION]
         46. Le reste de l"affidavit porte sur la légitimité des reproches que M. Reid adresse au sondage de Chakrapani.


[17]      À titre d"exemple supplémentaire, citons le paragraphe 60 :

         [TRADUCTION]
         Finalement, au paragraphe 23, M. Reid relève une erreur de transcription commise par M. Chakrapani et fait la remarque suivante : " Je ne sais pas combien d"erreurs de ce genre on y trouve ". Cette remarque est curieuse, car M. Reid disposait de tous les documents de M. Chakrapani et son mandat consistait précisément à évaluer le rapport d"enquête. Son ignorance est injustifiée. Cette remarque renforce l"impression donnée par la liste d"inexactitudes susmentionnée que M. Reid n"a peut-être pas eu le temps d"examiner suffisamment et assez attentivement le sondage de Chakrapani.

Il ne s"agit certainement pas d"une contre-preuve au sens que les tribunaux donnent à ce terme.

[18]      Je suis par conséquent d"avis de rejeter l"appel interjeté de la décision rendue le 3 décembre 1999 par le protonotaire Lafrenière en ce qui concerne les paragraphes 46 à 73 du second affidavit de Corbin.

[19]      Les parties pourront formuler des observations au sujet des dépens.

     ORDONNANCE

[20]      La Cour rejette l"appel interjeté de la décision rendue le 3 décembre 1999 par le protonotaire Lafrenière en ce qui concerne les paragraphes 46 à 73 du second affidavit de Corbin.


[21]      Il sera loisible aux parties de présenter des observations au sujet des dépens.


     " John A. O"Keefe "

                                     J.C.F.C.

TORONTO (ONTARIO)

Le 17 décembre 1999.


Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  T-3049-92
INTITULÉ DE LA CAUSE :          BUREAU EN GROS LTÉE
                         et
                         CANADIAN OFFICE DEPOT INC., OD INTERNATIONAL INC. OFFICE DEPOT INC. et DAVID FUENTE
                         et
                         JACK BINGLEMAN, STAPLES INC.
                         et THOMAS G. STEMBERG

DATE DE L"AUDIENCE :              LE MARDI 14 DÉCEMBRE 1999
LIEU DE L"AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS ET DISPOSITIF DE L"ORDONNANCE DU JUGE O"KEEFE EN DATE DU 17 DÉCEMBRE 1999

ONT COMPARU :

Me Neil Belmore                  pour les défendeurs
Me Harvey T. Storsberg, c.r.              pour la demanderesse / les défendeurs reconventionnels

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Gignac Sutts                      pour la demanderesse / les défendeurs
Avocats et procureurs              reconventionnels

600 Westcourt Place

251, rue Goyeau

Windsor ON N9A 6V4

Gowling, Strathy & Henderson          pour les défendeurs

Avocats et procureurs

Commerce Court West, bureau 4900

Toronto ON M5J 1J3

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