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Date : 20190617


Dossier : IMM-5567-18

Référence : 2019 CF 821

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 juin 2019

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

MUHAMMAD HUSAIN ABDULRAHMAN

(ALIAS  MUHAMMAD HUSAIN ABDULRAHMAN ABDULRAHMAN)

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Motifs rendus oralement à Toronto (Ontario) le 28 mai 2019)

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [LIPR] qui vise à faire annuler la décision du 12 octobre 2018 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté l’appel interjeté par le demandeur en vertu de l’article 110 de la LIPR à l’encontre de la décision concernant sa demande d’asile.

[2]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs suivants.

I.  Le contexte factuel

[3]  Le demandeur est un citoyen iraquien. Il vivait avec sa famille dans la région du Kurdistan iraquien depuis 2012.

[4]  Le demandeur allègue ce qui suit dans sa demande d’asile :

  • a) Rebaz Mohammed Faqe Rasul [Rebaz] était le beau‑frère du demandeur de deux façons; non seulement il est le frère de la femme du demandeur, mais il était également marié à la sœur de celui‑ci. Rebaz serait un major dans les forces peshmergas.

  • b) Rebaz et la sœur du demandeur ont divorcé en septembre 2016 et, conformément à une tradition culturelle alléguée, Rebaz a demandé au demandeur de divorcer de sa sœur.

  • c) Quand le demandeur a refusé de divorcer de sa femme, Rebaz a menacé de le tuer.

[5]  Le demandeur a quitté l’Irak le 24 octobre 2016 et est entré au Canada en passant par les États‑Unis le 11 novembre 2016.  

[6]  Le demandeur a présenté une demande d’asile en décembre 2016. Sa demande a été entendue par la Section de la protection des réfugiés [SPR] le 13 mars 2017 et a été refusée le 19 mai 2017.  

II.  Les questions en litige

[7]  La demande soulève les questions suivantes :

  • 1) La SAR a‑t‑elle commis une erreur en refusant d’admettre en preuve l’article du 27 juin 2017 portant sur la pratique culturelle de l’échange de mariées?

  • 2) La SAR a‑t‑elle commis une erreur en omettant d’entreprendre un examen indépendant des éléments de preuve lorsqu’elle a conclu que les documents de la police et les documents judiciaires iraquiens n’étaient pas crédibles?

  • 3) La SAR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les allégations du demandeur concernant le contexte culturel du risque auquel il est exposé étaient invraisemblables?

III.  La norme de contrôle applicable

[8]  Les parties conviennent que l’appréciation de la preuve par la SAR et son application du paragraphe 110(4) de la LIPR en ce qui concerne l’introduction de nouveaux éléments de preuve sont soumis à la norme de la décision raisonnable.

[9]  Les conclusions de fait fondées sur l’appréciation de la preuve, y compris les conclusions relatives à la vraisemblance qui mettent en cause la crédibilité, sont assujetties à la norme de la décision raisonnable, mais le plus haut degré de retenue est de mise. La Cour ne peut soupeser à nouveau la preuve. De telles conclusions ne peuvent être annulées que s’il y a une erreur manifeste ou s’il n’y a pas d’éléments de preuve pour les étayer. Il est également interdit de soupeser à nouveau la preuve principale sur laquelle reposent des inférences de fait (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 61, 64‑67; Jean Pierre c Canada (Immigration et Statut de réfugié), 2018 CAF 97, aux paragraphes 51‑53; Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, aux paragraphes 21‑23; Kallab c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 706).

IV.  Analyse

(1)  La SAR n’a pas commis d’erreur en refusant d’admettre en preuve l’article du 27 juin 2017 portant sur la pratique culturelle de l’échange de mariées

[10]  La première question se rapporte au refus de la SAR d’admettre en preuve l’article du 27 juin 2017 portant sur l’échange de mariées. Cette question se rapporte aux raisons qu’avait la SAR pour refuser d’admettre les autres documents également allégués être de nouveaux éléments de preuve.

[11]  La SAR a soulevé des lacunes procédurales en première instance en ce qui concerne l’admissibilité des nouveaux documents. Rien n’explique comment ou pourquoi les documents énumérés dans l’affidavit de l’assistant juridique ont été soumis à la SAR à titre de nouveaux éléments de preuve. Le demandeur n’a pas non plus présenté d’affidavit pour l’expliquer.

[12]  Je conviens que ces renseignements sont nécessaires pour évaluer la façon dont les documents sont conformes aux exigences du paragraphe 110(4) de la Loi. Il incombe également au demandeur de se conformer au sous‑alinéa 3(3)g)(iii) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012‑257, et de présenter des observations complètes et détaillées sur la façon dont tout nouvel élément de preuve proposé est conforme aux exigences de l’alinéa 110(4) de la Loi et sur la façon dont cet élément de preuve est lié au demandeur.

[13]  En ce qui concerne l’article du 27 juin 2017 portant sur l’échange de mariées, la SPR a spécifiquement demandé au demandeur de corroborer sa demande au moyen d’éléments de preuve objectifs liés à la pratique culturelle des crimes d’honneur et aux coutumes relatives aux mariages et aux divorces mentionnées dans son formulaire Fondement de la demande d’asile [FDA], ce qu’il n’a pas fait. Le demandeur n’a pas établi qu’il n’aurait pas pu fournir la majorité de ces documents au moment où la SPR a rejeté sa demande. Or, à l’exception de l’article sur l’échange de mariées, la plupart de ces documents datent d’avant la décision de la SPR. Il y a également eu des problèmes d’authentification. Bien que l’article sur l’échange de mariées ait originalement été écrit en kurde, seule une version traduite a été fournie. De plus, je suis d’accord avec la SAR pour dire que le demandeur semble maintenant formuler la question comme étant reliée à la pratique culturelle de l’échange de mariées, plutôt qu’aux coutumes de divorce, comme il le faisait valoir au départ.

[14]  Plus important encore, la conclusion de la SAR est raisonnable puisque, dans la documentation sur la situation dans le pays, les circonstances dans lesquels des hommes peuvent être victimes de crimes d’honneur incluent le groupe des hommes homosexuels ou efféminés, ou se livrant à des relations sexuelles illicites. Le demandeur ne présente aucune preuve montrant que des hommes peuvent être victimes de crimes d’honneur pour les raisons invoquées dans ses allégations, alors qu’il serait raisonnable de s’attendre à ce qu’il y ait des éléments de preuve documentaires pour appuyer ces conclusions. 

[15]  De plus, la SAR a raisonnablement fait remarquer que le demandeur n’a pas démontré que sa communauté considère sa prétendue situation comme étant liée au rétablissement de l’honneur. L’ecclésiastique qui a assisté à la médiation familiale avec Rebaz était d’avis que le demandeur et sa femme n’étaient pas tenus de divorcer.

[16]  Enfin, il faut noter que l’ensemble de la demande d’asile du demandeur est fondée sur une affirmation que la SAR a qualifiée de « simple affirmation », selon laquelle Rebaz est influent et est un membre des forces peshmergas. Il n’y a pas de preuve au dossier qui permet d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que Rebaz était à ce point influent. Par conséquent, je conclus qu’il y avait des motifs suffisants pour que la SAR refuse d’admettre l’article du 27 juin 2017. En outre, même si celui‑ci était admis, il ne serait pas suffisant pour annuler les conclusions défavorables en matière de crédibilité examinées plus loin.

(2)  La SAR n’a pas commis une erreur en omettant d’entreprendre un examen indépendant des éléments de preuve lorsqu’elle a conclu que les documents de la police et les documents judiciaires iraquiens n’étaient pas crédibles

[17]  Des éléments de preuve établissent clairement que le membre de la SAR a effectué un examen indépendant de cette preuve. Voici ce qu’on peut lire dans les motifs :

Je n’estime pas que la SPR a commis des erreurs à cet égard [à l’égard de l’absence d’en‑tête sur les documents officiels], car les propres documents à l’appui de l’appelant fournis par le GRK, comme les documents de mariage, sont produits à partir d’un formulaire standard et contiennent un en‑tête. Les documents renferment aussi des numéros d’identification et des numéros de référence aux fins de classement et de suivi adéquats auprès du bureau de gouvernement pertinent, ce que les documents de la police et les documents judiciaires de l’appelant n’ont pas. 

Ce raisonnement réfute toute affirmation selon laquelle la SAR aurait omis d’entreprendre un examen indépendant des éléments de preuve.

[18]  La SAR a indiqué que la SPR avait jugé que les deux rapports de police et le mandat d’arrestation n’étaient pas fiables puisqu’ils étaient écrits à la main et qu’ils n’avaient pas d’en‑tête ou de tampon à l’encre, etc. Il est reconnu que seul le mandat d’arrestation n’avait pas d’en‑tête ni de tampon à l’encre. Cette omission n’est pas suffisante en soi pour infirmer les conclusions en matière de crédibilité.

[19]  En premier lieu, le demandeur a été jugé non crédible pour deux autres motifs, qui n’ont pas été niés. Je renvoie ici au fait que la SAR a conclu que le demandeur n’avait pas contesté les conclusions de la SPR selon lesquelles le demandeur a fait une importante omission dans son formulaire FDA concernant les menaces qui auraient été proférées contre lui depuis son départ de la région du Kurdistan iraquien. Le demandeur n’a pas non plus contesté les conclusions de la SPR relatives à son omission de demander l’asile aux États‑Unis. Sa déclaration selon laquelle il n’a pas examiné les options qui s’offraient à lui pour demander l’asile aux États‑Unis n’a pas été jugée crédible. La SAR a conclu que le demandeur, un homme instruit qui est titulaire d’un diplôme universitaire et qui a beaucoup voyagé, ne correspond non pas au profil d’une personne cherchant à échapper à la persécution, mais correspond plutôt à celui d’une personne explorant ses options générales de migration. 

[20]  Les deux rapports de police et le mandat d’arrestation n’auraient pas dû être admis en preuve puisqu’ils ne sont authentifiés d’aucune façon. La SAR a indiqué qu’il semble que les documents auraient pu être écrits par n’importe qui et n’importe où. Plus important encore, ils manquent de fiabilité puisqu’ils ont été reçus dans un courriel qui contenait une liste des pièces jointes, mais aucun renseignement sur le contenu des documents ou de la demande originale du demandeur. Il n’y a donc aucun moyen de confirmer que les rapports de police et le mandat d’arrestation provenaient d’un ami qui travaille au palais de justice, comme le demandeur l’a déclaré, ou de vérifier comment il les avait obtenus. Puisque la provenance des documents n’a pas pu être confirmée, les documents ne sont pas suffisants pour annuler les conclusions défavorables en matière de crédibilité.

(3)  La SAR n’a pas commis d’erreur en formulant une conclusion défavorable en matière de crédibilité et de vraisemblance

[21]  Le demandeur prétend que la SAR a commis une erreur en concluant que les éléments de preuve énoncés dans les documents sur la situation dans le pays et concernant le risque pour les hommes d’être exposés à un crime d’honneur étaient invraisemblables, puisque de telles conclusions ne peuvent être tirées que dans les cas les plus évidents. Cette observation est fondée sur la jurisprudence qui établit que les conclusions en matière de vraisemblance qui mettent en cause la crédibilité ne devraient être tirées que dans les cas les plus évidents, comme il a été décrit à l’origine dans la décision Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 7. Je maintiens depuis un certain temps que le principe établi dans la décision Valtchev énonce incorrectement la valeur probante nécessaire pour tirer une inférence de fait pour miner la crédibilité, et j’ai récemment certifié une question sur le sujet à l’intention de la Cour d’appel dans la décision Kallab c Canada (Citizenship and Immigration), 2019 FC 706. Quoi qu’il en soit, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que, fondamentalement, la question soulevée au paragraphe 24 de la décision de la SPR, telle qu’elle est citée par le demandeur, est liée au caractère insuffisant de la preuve, qui démontre une absence de fondement dans les documents sur la situation dans le pays permettant de justifier l’existence d’un crime d’honneur s’appliquant aux couples divorcés.

[22]  La SPR a conclu ce qui suit au paragraphe 24 :

[TRADUCTION]

Je conclus qu’il est raisonnable de s’attendre, compte tenu de l’attention donnée aux crimes d’honneur dans les documents sur le pays, que s’il existait en Iraq une pratique culturelle comme celle qu’a décrite le demandeur, il en serait question dans les documents sur la situation du pays.

[23]  Le demandeur n’a fourni aucune preuve pour contester cette conclusion. De plus, dans la mesure où une conclusion en matière de vraisemblance a été tirée, elle est raisonnable. La SPR a souligné que l’exigence que le demandeur divorce de sa femme ferait en sorte que celle‑ci [traduction« serait ainsi dépendante de sa famille, qui serait alors exposée à la stigmatisation ». Par conséquent, il n’y a pas d’erreur évidente ni de fondement permettant de conclure que les allégations du demandeur concernant le fondement de sa demande d’asile, à savoir les crimes d’honneur culturels relatifs au divorce, sont vraisemblables, ce qui appuie la conclusion défavorable en matière de crédibilité tirée par la SAR.

[24]  De plus, bien que les hommes puissent être victimes de crimes d’honneur, aucun exemple d’un crime d’honneur commis contre un homme dans le contexte d’un divorce n’a été présenté. Par conséquent, la SAR n’a pas commis d’erreur en concluant raisonnablement que la déclaration du demandeur selon laquelle le divorce peut mener à la perpétration d’un crime d’honneur était insuffisante pour établir l’existence d’une telle pratique culturelle.

[25]  Par conséquent, je conclus, compte tenu des motifs énoncés ci‑dessus, que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5567‑18

LA COUR STATUE que la demande est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 23e jour de juillet 2013

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5567‑18

INTITULÉ :

MUHAMMAD HUSAIN ABDULRAHMAN c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 MAI 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

DATE DU JUGEMENT :

LE 17 JUIN 2019

COMPARUTIONS :

Fernando A. Monge‑Loria

POUR LE DEMANDEUR

Christopher Ezrin

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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