Date : 20010119
Dossier : IMM-6129-00
OTTAWA (ONTARIO), LE 19 JANVIER 2001
EN PRÉSENCE DE : M. LE JUGE BLANCHARD
ENTRE :
SAIMA ALAM
MOHAMMED ZAHID
NAHIYAN SAIYARA KHAN
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Les demandeurs, Saima Alam, Mohammed Zahid et Nahiyan Saiyara Khan, ont présenté une requête de sursis à une mesure de renvoi. Cette requête est appuyée sur les motifs suivants : que les demandeurs ont soulevé une question sérieuse à trancher dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision DNRSRC; qu'ils subiraient un préjudice irréparable s'ils étaient renvoyés au Bangladesh; et que la prépondérance des inconvénients les favorise.
[2] Les demandeurs sont un couple de citoyens du Bangladesh et leur fille de trois ans. La demanderesse principale, Saima Alam, a 28 ans. La SSR a rejeté leur revendication de statut de réfugié au sens de la Convention, et leur demande de contrôle judiciaire de cette décision a aussi été rejetée. La revendication de Mme Alam était fondée sur sa crainte d'être persécutée par un groupe islamiste fondamentaliste, par suite de sa participation à une organisation de droits des femmes du nom d'Ekota.
[3] Leur demande DNRSRC a été rejetée le 27 octobre par une agente de révision des revendications refusées (ARRR). C'est cette décision qui fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire. Ils cherchent à obtenir un sursis jusqu'à ce que leur demande ait été entendue et tranchée.
[4] Lorsqu'il s'agit de questions d'immigration, notre Cour a clairement établi que le critère visant à déterminer s'il y a lieu d'accorder un sursis est de même nature que pour une injonction interlocutoire[1]. Le critère exige, pour qu'une telle ordonnance soit accordée, que le demandeur prouve :
1) qu'il a soulevé une question sérieuse à trancher dans sa demande de contrôle judiciaire;
2) qu'il subirait un préjudice irréparable si l'ordonnance n'était pas accordée; et
3) que la prépondérance des inconvénients, compte tenu de la situation globale des deux parties, favorise l'octroi du sursis.
La norme de contrôle
[5] Notre Cour a plusieurs fois réitéré qu'elle n'interviendrait dans les décisions discrétionnaires des agents de révision des revendications refusées (ARRR) que s'il était établi qu'ils avaient exercé leur pouvoir discrétionnaire à des fins inappropriées, en tenant compte de considérations non pertinentes, en faisant preuve de mauvaise foi, ou de toute autre façon manifestement déraisonnable. Comme le déclare le juge Noël (alors à la Section de première instance) :
...la présente Cour n'intervient pas dans les décisions discrétionnaires des agents chargés de la révision des revendications refusées à moins qu'il ne soit établi que ce pouvoir discrétionnaire a été exercé à des fins inappropriées, en tenant compte de considérations non pertinentes, en faisant preuve de mauvaise foi, ou de toute autre façon manifestement déraisonnable[2].
[6] Selon moi, ce texte énonce la norme de contrôle appropriée de la décision de l'ARRR.
La question sérieuse à trancher
[7] Afin de songer à accorder le sursis, je dois d'abord satisfaire au premier volet du critère tripartite en concluant qu'il y a une question sérieuse à trancher dans la demande de contrôle judiciaire. La question sérieuse en l'instance consiste à savoir si l'ARRR a correctement examiné la preuve en évaluant la réclamation, et si elle ne s'est pas arrêtée à des fins inappropriées ou à des considérations non pertinentes.
[8] Étant donné que les exigences minimales sont peu élevées[3], je suis convaincu que la demanderesse a fait la démonstration qu'il y a des questions devant encore être tranchées au sujet de son statut d'immigrante ou de réfugiée en vertu de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2. Une analyse de la décision de l'ARRR révèle qu'on pourrait soutenir qu'elle semble ne pas avoir donné un poids approprié à des éléments importants de preuve, notamment à la lettre du 26 juillet 1999 en provenance d'une organisation bien connue des droits de la personne, Ain O Salish Kendra. Dans sa décision, l'ARRR déclare ceci :
Dans les observations accompagnées d'une volumineuse documentation sur la situation des femmes au Bangladesh, se trouvent des documents que madame avait déclaré ne pas pouvoir obtenir, lors de l'audience à la CISR, tel que ci-haut mentionné, des photocopies de pamphlet sans date et leur traduction, lettres de support de collègues, divers documents personnels, comme diplômes et certificat de naissance et contrat de mariage[4].
[9] De plus, l'ARRR fonde l'essentiel de sa décision sur ce qu'on pourrait considérer être des incohérences mineures et des questions non pertinentes. De plus, on pourrait aussi soutenir que sa conclusion que la demanderesse ne sera pas persécutée si elle est renvoyée est fondée sur des conclusions de fait qu'on pourrait remettre en question. Bien qu'il ne soit pas nécessaire que je tire des conclusions quant à ces questions, je suis toutefois convaincu que la demanderesse a satisfait aux exigences minimales au sujet de la question sérieuse à trancher.
[10] Je conclus donc que la demanderesse a soulevé une question sérieuse à trancher dans sa demande de contrôle judiciaire.
Le préjudice irréparable
[11] Dans les circonstances, je conclus que la demanderesse subirait un préjudice irréparable si le sursis n'était pas accordé. Le point de vue de la demanderesse au sujet du préjudice irréparable se trouve dans l'affidavit qu'elle a déposé à l'appui de sa demande de sursis. L'affidavit établit les faits suivants :
- En 1996, un mollah islamiste a ouvert un centre religieux dans son quartier;
- Un groupe de femmes a créé, en décembre 1996, une organisation pour les droits des femmes du nom d'Ekota. La demanderesse a été choisie comme secrétaire générale d'Ekota;
- En septembre 1998, son mari a été attaqué par les islamistes fondamentalistes;
- Le 1er octobre 1998, le mollah a déclaré que les chefs d'Ekota étaient des « ennemies de l'Islam » ;
- Le 4 octobre 1998, la demanderesse a reçu des menaces de mort par téléphone;
- Le 6 octobre 1998, on a langé une brique à travers la vitre de sa voiture et elle a reçu d'autres menaces de mort par téléphone;
- Le 10 octobre 1998, son domicile et le bureau d'Ekota attenant ont été saccagés par les fondamentalistes.
[12] De plus, Shahanaz Parvin, une assistante de recherche pour l'organisation Ain O Salish Kendra, organisation bien connue qui défend les droits de la personne au Bangladesh, déclare, dans une lettre datée du 9 janvier 2001 :
[traduction]
Je [Shahanaz Parvin] sais pertinemment que les fondamentalistes sont toujours très actifs et qu'ils désirent exécuter la sentence de mort prononcée par les fondamentalistes. Dans une telle situation, il serait très risqué et dangereux pour sa vie que Mme Saima revienne au pays avec les membres de sa famille.
[1] Après avoir analysé l'affidavit de la demanderesse et examiné la lettre de Shahanaz Parvin, assistante de recherche pour l'organisation Ain O Salish Kendra, je conclus que les demandeurs subiront un préjudice irréparable s'ils sont renvoyés du Canada dès maintenant.
La prépondérance des inconvénients
[13] Je conclus que la prépondérance des inconvénients est en faveur des demandeurs. Le sursis est accordé et il suivra le résultat de la demande d'autorisation de contrôle judiciaire.
ORDONNANCE
IL EST ORDONNÉ QUE :
1. le sursis est accordé jusqu'à ce que la demande d'autorisation de contrôle judiciaire soit examinée et, si elle est accordée, jusqu'à ce que le contrôle judiciaire soit tranché.
« Edmond P. Blanchard »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE : IMM-6129-00
INTITULÉ DE LA CAUSE : SAIMA ALAM et autres c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE : OTTAWA (ONTARIO) et TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : le 11 janvier 2001
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE M. le juge Blanchard
EN DATE DU : 19 janvier 2001
ONT COMPARU
M. William Sloan POUR LES DEMANDEURS
Mme Lisa Maziade POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
M. William Sloan POUR LES DEMANDEURS
Montréal (Québec)
M. Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
[1] Toth. c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 6 Imm. L.R. (2d) 123.
[2] Gharib c. Canada (Ministre de Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 30 Imm. L.R. (2d) 291, à la p. 297 (C.F. 1re Inst.).
[3] Copello c. Canada (Ministre des Affaires étrangères) (1998), 152 F.T.R. 110, à la p. 111 (1re Inst.).
[4] Dossier de la demanderesse, décision de l'ARRR, p. 10.