Date : 19990105
Dossier : T-770-98
ENTRE :
AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ,
L.R.C. (1985), ch. C-29,
ET un appel de la
décision d"un juge de la citoyenneté
ET LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,
appelant,
ET
CHOU, TSONG CHON,
intimé.
MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE TEITELBAUM
[1] Il s"agit d"un appel, formé par le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration (le ministre), contre une décision par laquelle un juge de la citoyenneté a, le 3 mars 1998, [traduction ] " décidé que le demandeur satisfait entièrement à la condition de résidence que l"alinéa 5(1)c ) de la Loi (Loi sur la citoyenneté) pose dans le cadre signalé par le juge en chef adjoint Thurlow (tel était son titre à l"époque) dans Re Papadogiorgakis - no T-872-78 ".
[2] Dans l"affaire Chi Hung Paul Cheung, [1998] J.C.F. no 813 - no du greffe T-2841-98, le juge Nadon déclare, aux pages 2 et 3, paragraphes 5, 6 et 7 :
L'alinéa 5(1)c) de la Loi précise qu'une personne doit avoir résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout antérieurement à sa demande de citoyenneté. Comme le concept de " résidence " n'est pas défini au paragraphe 2(1) de la Loi , d'importants débats se sont déroulés devant la Cour. Dans Re Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208, le juge Thurlow (tel était son titre) a décidé que la présence physique au Canada ne s'imposait pas toujours pour établir la résidence au sens de la Loi. À la page 214, il s'est exprimé en ces termes : |
Une personne ayant son propre foyer établi, où elle habite, ne cesse pas d'y être résidente lorsqu'elle le quitte à des fins temporaires, soit pour traiter des affaires, passer des vacances ou même pour poursuivre des études. Le fait que sa famille continue à y habiter durant son absence peut appuyer la conclusion qu'elle n'a pas cessé d'y habiter. On peut aboutir à cette conclusion même si l'absence a été plus ou moins longue. Cette conclusion est d'autant mieux établie si la personne y revient fréquemment lorsque l'occasion se présente. Ainsi que l'a dit le juge Rand dans l'extrait que j'ai lu, cela dépend [TRADUCTION] " essentiellement du point jusqu'auquel une personne s'établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances, au lieu en question ". |
Il ressort des remarques du juge Thurlow qu'avant que les jours d'absence puissent être examinés aux fins des conditions de résidence posées par la Loi, cette personne doit avoir établi son chez-soi dans ce pays avant de partir. En l'espèce, il ne fait pas de doute, à mon avis, que l'intimé n'a jamais établi son chez-soi au Canada avant de partir pour faire de nombreux voyages à Hong Kong. Il découle de la preuve que l'intimé a simplement installé sa famille au Canada pour retourner ensuite à Hong Kong afin d'y continuer ses activités commerciales. L'intimé n'ayant jamais établi son chez-soi au Canada, il ne saurait, à mon avis profiter des jours physiquement passés à l'extérieur du Canada pour satisfaire aux exigences de l'alinéa 5(1)c) de la Loi. |
Interpréter autrement l'alinéa 5(1)c) de la Loi constituerait une reformulation de cet alinéa, ce que le Parlement ne m'autorise pas à faire. Je suis entièrement d'accord avec les commentaires faits par le juge Pinard dans Affaire intéressant Chow, 6 janvier 1997, T-2629-95, où il tient les propos |
suivants : |
Suivant une certaine jurisprudence, il n'est pas nécessaire que la personne qui demande la citoyenneté canadienne soit physiquement présente au Canada pendant toute la durée des 1 095 jours, lorsqu'il existe des circonstances spéciales ou exceptionnelles. J'estime toutefois que des absences du Canada trop longues, bien que temporaires, au cours de cette période de temps minimale, comme c'est le cas en l'espèce, vont à l'encontre de l'objectif visé par les conditions de résidence prévues par la Loi. D'ailleurs, la Loi permet déjà à une personne qui a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent de ne pas résider au Canada pendant une des quatre années qui précèdent immédiatement la date de sa demande de citoyenneté. |
[3] Il est important de noter à partir de ce qui précède qu"une personne qui ne s"est pas trouvée physiquement au Canada pendant le nombre de jours requis peut encore être résidente du Canada, si elle a établi son foyer au Canada et qu"elle le quitte temporairement après y avoir d'abord établi son foyer.
[4] En l"espèce, la preuve indique clairement que l"intimé n"a jamais établi son foyer au Canada.
[5] Le dossier indique que l"intimé est arrivé au Canada en tant qu"immigrant reçu le 8 février 1993. Il est arrivé avec son épouse et sa fille. Le jour même de leur arrivée au Canada, l"intimé a quitté le Canada pour retourner à Taïwan d"où il est venu afin de permettre à sa fille de terminer ses études primaires.
[6] À cette occasion, il est revenu au Canada 156 jours plus tard, c"est-à-dire le 14 juillet 1993. Il a ensuite quitté le Canada le 4 octobre 1993 pendant 12 jours, le 27 décembre 1993 pendant 18 jours et il a continué de s"absenter de temps à autre jusqu"au 31 octobre 1996 pour une absence totale de 715 jours.
[7] Entre le 8 février 1993 et le 31 octobre 1996, l"intimé a passé plus de temps à l"extérieur qu"à l"intérieur du Canada.
[8] Je suis convaincu, en l"absence de preuve contraire, que tous les voyages effectués par l"intimé à l"extérieur du Canada l"ont été à des fins commerciales, sauf le premier voyage. Ce que j"ai de la difficulté à accepter, c"est que, après avoir fait tous ces voyages à des " fins commerciales " et il y en a eu au moins 16, l"intimé n"a jamais gagné plus de 14 000 $ par année; durant la plupart de ces années, il a gagné beaucoup moins que 14 000 $ par année.
[9] Il ressort de la preuve présentée devant la Cour que, hormis le fait que l"épouse et l"enfant de l"intimé se trouvent au Canada, l"intimé n"a aucun lien avec le Canada.
[10] L"intimé n"a présenté aucun élément de preuve pour me convaincre de l"existence de quelque lien permanent avec le Canada.
[11] Dans l"affaire Wen-Lung Chen (Spencer), T-137-98, 27 octobre 1998, je déclare, à la page 3, paragraphe 8 :
Dans une cause qui s'apparente à l'affaire en instance, Re John Ting Min Hui (1994), 24 Imm. L.R. (2d) 8, il a été jugé que " la "canadianisation" des résidents permanents ne peut se faire à l'étranger " (cette conclusion figure au sommaire du jugement). En page 14, le juge Muldoon a fait observer, au sujet du but de la condition de résidence, que : " [la Loi sur la citoyenneté ] entend conférer la citoyenneté à ceux qui se sont "canadianisés" en résidant avec les Canadiens au Canada. Ceci ne peut se faire en habitant à l'étranger, ni d'ailleurs en ouvrant des comptes bancaires et en déposant des loyers (ou en étant propriétaire d'un condominium), des meubles, des vêtements et, encore plus important, des enfants et des conjoints - en un mot, tout sauf la personne intéressée elle-même - au Canada, tout en demeurant personnellement en dehors du Canada ". |
[12] La même chose s'applique en l"espèce. L"intimé lui-même s'est trouvé au Canada seulement pendant une période limitée. Le fait que l"intimé ait adhéré à plusieurs clubs ne veut rien dire lorsqu'il ne prouve pas que, après avoir adhéré à ces clubs, il a participé à ceux-ci. Aucune preuve n"a été présentée relativement à une telle participation.
[13] Les personnes telles que l"intimé seraient, j"en suis convaincu, de bons citoyens canadiens si elles comprenaient d"abord qu"on n"" achète " pas la citoyenneté canadienne mais qu"on la gagne. Il faut comprendre que c"est un privilège d"être citoyen canadien.
[14] L"appel est accueilli et la décision du juge de la citoyenneté est annulée.
Max M. Teitelbaum
Juge
Traduction certifiée conforme
Yvan Tardif, B.A., LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
Date : 19990105
Dossier : T-770-98
ENTRE :
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
appelant
ET
CHOU, TSONG CHON
intimé
MOTIFS DU JUGEMENT
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
NO DU GREFFE : T-770-98 |
INTITULÉ : LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ |
ET DE L"IMMIGRATION |
appelant
ET
CHOU, TSONG CHON
intimé
LIEU DE L"AUDIENCE : Montréal (Québec) |
DATE DE L"AUDIENCE : le 4 janvier 1999 |
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE TEITELBAUM |
DATE DES MOTIFS : le 5 janvier 1999 |
COMPARUTIONS :
Pascale Catherine Guay pour l"appelant |
Tsong Chon Chou pour son propre compte |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Morris Rosenberg
Sous-procureur général du Canada pour l"appelant |