Date : 20020328
Dossier : IMM-673-01
OTTAWA (ONTARIO), LE JEUDI 28 MARS 2002
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX
ENTRE :
MARTIN KABUYAMULAMBA-KABITANGA
IRENE KABUYA-DIENGA
demandeurs
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
ORDONNANCE
Pour les motifs exposés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. La question proposée pour certification est refusée.
« François Lemieux »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
Date : 20020328
Dossier : IMM-673-01
Référence neutre : 2002 CFPI 351
ENTRE :
MARTIN KABUYAMULAMBA-KABITANGA
IRENE KABUYA-DIENGA
demandeurs
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
[1] Les demandeurs, mari et femme, sont des ressortissants de la République démocratique du Congo (RDC) dont les revendications du statut de réfugié, fondées sur de supposées opinions politiques, ont été refusées par la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal) le 22 janvier 2001. Le tribunal n'a pas cru leurs témoignages.
[2] Les demandeurs craignent les autorités de la RDC parce que le mari est un ami de Bizima Karaha, l'un des commandants rebelles qui cherchent à renverser le gouvernement. Ils se sont rencontrés à l'université et ont partagé le même logement pendant trois ans entre 1990 et 1993. M. Karaha a été ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement Kabila, issu de l'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), avant de se joindre à la rébellion en août 1998.
[3] Martin Kabuyamulamba-Kabitanga a témoigné qu'il a vu M. Karaha en mars 1997 et que, sur les conseils de celui-ci, il a adhéré à l'AFDL en tant que chef de groupe de mars 1997 à février 1998, année où, avec l'aide de M. Karaha, il a été embauché comme coordonnateur portuaire au sein de l'administration en juin 1998. Ils ont été vus ensemble en juillet 1998, juste avant que n'éclate la rébellion le 2 août 1998.
[4] Selon les demandeurs, leurs ennuis avec les autorités s'expliquent tous par le fait que celles-ci soupçonnaient le demandeur de faire partie de la rébellion et d'être un complice de M. Karaha.
[5] Selon son témoignage, le demandeur a été arrêté et emprisonné plusieurs fois :
(1) du 15 août 1998, au 20 janvier 1999, période au cours de laquelle il a été torturé et a perdu un oeil;
(2) en février 1999, mois au cours duquel il fut emprisonné pendant 25 jours;
(3) de juillet à septembre 1999;
(4) en avril 2000, lorsqu'il fut arrêté pendant dix jours après qu'un incendie eut éclaté à l'aéroport où son épouse travaillait.
[6] Après chaque remise en liberté du demandeur, celui-ci est retourné à son poste de coordonnateur portuaire dans l'administration.
[7] Irene Kabuya-Dienga a témoigné qu'elle a été arrêtée par les autorités, lesquelles recherchaient son mari. Cet événement s'est produit deux semaines après que la rébellion eut éclaté. Elle a été emprisonnée du 12 août 1998 au 27 décembre 1998. Durant cette période, elle a été violée et a perdu l'enfant qu'elle portait. Après sa mise en liberté, elle est retournée à son poste d'agent des douanes à l'aéroport. Elle a témoigné qu'elle a également été arrêtée le 14 avril 2000, à la suite de l'incendie survenu à l'aéroport, et qu'elle a été détenue pendant 48 heures.
[8] L'événement qui a conduit à leur fuite s'est produit le 10 juin 2000, lorsqu'ils furent tous deux blessés dans un accident de voiture, qui, d'après le demandeur, a été causé délibérément par les autorités. Ils ont été hospitalisés. Il était sous garde à l'hôpital, mais l'un de ses amis soudoya le gardien, et il leur fut possible de s'échapper de l'hôpital sans difficulté. Ils ont quitté leur pays d'origine le 20 juin 2000 et sont arrivés au Canada le 23 juin, date à laquelle ils ont revendiqué le statut de réfugié.
LA DÉCISION DU TRIBUNAL
[9] La conclusion du tribunal selon laquelle les demandeurs n'étaient pas crédibles s'appuie principalement sur les invraisemblances décelées par le tribunal. D'abord, le tribunal n'a pas cru que les autorités avaient provoqué l'accident de voiture. Le demandeur a été informé du rôle des autorités par son médecin traitant. Le tribunal s'est exprimé ainsi :
Interrogé sur les raisons pour lesquelles le médecin aurait su cela, le revendicateur a déclaré qu'il devait savoir ce qui s'était passé avant de les soigner. Le tribunal considère non crédible que le médecin traitant aurait appris que cet accident avait été causé délibérément par les agents de l'ANR [Agence nationale de renseignements] et que cette information lui était nécessaire pour soigner les revendicateurs.
[10] Deuxièmement, le tribunal n'a pas cru que les demandeurs avaient été admis dans un hôpital civil ordinaire. Il a exprimé l'avis que, si le demandeur était réellement recherché par les autorités, des moyens adéquats auraient été pris pour garantir sa comparution devant l'ANR. Le tribunal s'est exprimé ainsi :
Il aurait été transféré dans un hôpital militaire où on ne se serait simplement pas soucié de son état de santé. La documentation est claire sur le fait que les corps de police et de sécurité font usage de mauvais traitements et de torture pour arriver à leurs fins. Il n'aurait pas eu non plus cette sécurité d'engager afin de surveiller la chambre du revendicateur pendant le temps de son hospitalisation qui selon son FRP aurait été de 10 jours mais au plus six jours selon les notes prises au point d'entrée.
[11] Troisièmement, l'aspect que le tribunal a jugé le moins crédible dans le témoignage du demandeur a été le fait qu'il ait pu réintégrer son poste au sein de l'administration après chaque période de détention. Il avait obtenu ce poste grâce à M. Karaha, et les agents de l'ANR le savaient parce qu'ils le lui avaient dit.
[12] Quatrièmement, durant toute cette période, il a pu conserver son appartement, qui avait été mis à la disposition du couple depuis la date de l'adhésion du demandeur à l'AFDL - un privilège offert aux fidèles du parti de M. Kabila. Le tribunal s'est exprimé ainsi :
Le tribunal ne croit pas que le régime de Kabila aurait justement toléré qu'un de ses membres, ancien porteur de l'idéologie du parti, parrainé par Bizima Karaha dont il se disait l'ami, aurait montré une telle bienveillance à l'égard du revendicateur en lui laissant son appartement et son emploi. Ceci ne correspond pas à la documentation. Les individus soupçonnés à tort ou à raison d'être prêts de la rébellion subissent de mauvais traitements importants.
[13] Le tribunal s'est appuyé sur la preuve documentaire pour affirmer que les personnes suspectées de soutien à la rébellion étaient sévèrement châtiées.
[14] Il a produit comme preuve un rapport médical du docteur Aref Vaezi. Le tribunal ne lui a accordé aucun poids, pour la raison suivante :
Des marques et blessures ont en effet été observées, mais les circonstances les ayant causées peuvent être nombreuses et tout autre que l'histoire soumise par le revendicateur.
[15] Le tribunal lui a demandé pourquoi son FRP ne mentionnait pas que les demandeurs s'étaient efforcés d'éclairer le gouvernement sur le fait qu'ils étaient étrangers à la rébellion. Le tribunal a dit que le demandeur a déclaré avoir tenté de le faire. Le tribunal ne l'a pas cru parce que le demandeur n'avait pas fait état de cette tentative lorsque ce point avait été examiné. La tentative d'éclairer le gouvernement n'était pas non plus mentionnée dans le FRP du demandeur, et ce n'est qu'après avoir été interrogé à ce sujet qu'il en a fait état. Le tribunal est arrivé à la conclusion suivante :
Si le revendicateur avait été à ce point pourchassé, il aurait été raisonnable de s'attendre qu'il utilise ses contacts pour que cessent ces arrestations mal fondées et périodes d'emprisonnement. Son comportement n'est pas compatible avec ce qu'il prétend être.
[16] Le tribunal a trouvé étrange que les demandeurs n'aient pas quitté la RDC plus tôt. Il s'est exprimé ainsi :
Le revendicateur a de plus témoigné que l'idée de partir de son pays lui était venue lorsqu'il a vu le traitement subi par sa femme suite à l'accident. Toutefois, son épouse avait, selon son histoire, déjà subi un viol suite auquel elle aurait perdu son enfant, et une période de détention de plusieurs mois soit d'août à décembre 1998. Devant ces faits, l'explication du revendicateur n'est pas raisonnable afin de justifier le délai à quitter le pays.
[17] Le tribunal a ensuite évoqué en ces termes le témoignage produit par Irene Kabuya-Dienga :
La revendicatrice a également témoigné afin de relater les événements qu'elle aurait vécus. Mais la base de sa revendication est liée à l'histoire de son époux et de ses liens avec Bizima Karaha, ce que le tribunal ne juge pas crédible.
POINTS EN LITIGE
[18] L'avocat des demandeurs a soulevé les points suivants :
(1) S'appuyant sur l'arrêt rendu par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Retnem c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] A.C.F. no 428, et même s'il y avait jonction de leurs revendications, le tribunal a commis une erreur en n'évaluant pas indépendamment le témoignage et la revendication d'Irene Kabuya-Dienga.
(2) Les conclusions d'invraisemblance tirées par le tribunal étaient des conclusions déraisonnables. Elles n'étaient pas fondées sur la preuve, mais plutôt sur des suppositions et des conjectures. L'avocat des demandeurs s'appuie sur l'arrêt rendu par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Karikari c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 586, ainsi que sur l'arrêt rendu par cette même Cour dans l'affaire Ye c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 584.
[19] Les demandeurs ont également soutenu que le tribunal a mal interprété le rapport médical relatif aux blessures subies par le demandeur.
ANALYSE
(1) Norme de contrôle
[20] Les moyens invoqués par les demandeurs pour contester la décision du tribunal se rapportent à ses conclusions touchant la crédibilité, et il s'agit là de conclusions de fait. En conséquence, il y a lieu d'appliquer l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale. La norme de contrôle est la norme de la décision manifestement déraisonnable.
(2) Conclusions
a) Point no 1 - le traitement de la revendication d'Irene Kabuya-Dienga
[21] Dans l'affaire Retnem, précitée, la section du statut de réfugié n'avait consacré qu'une seule phrase à la revendication de l'épouse, affirmant que, « pour les mêmes motifs » que pour son mari, la section avait décidé qu'elle n'était pas une réfugiée au sens de la Convention. Accueillant l'appel, le juge MacGuigan s'était exprimé ainsi :
J'estime que la Commission a également commis une erreur manifeste dans son traitement de la demande de l'épouse appelante. Bien qu'il convienne souvent de traiter les revendications de l'époux et de l'épouse identiquement, en l'espèce, les demandeurs se sont mariés seulement en 1989. Bien que l'époux appelant ait apparemment vécu avec la famille de sa future femme pendant certaines des autres années en question, ils n'étaient pas toujours ensemble (p. ex., lorsqu'elle a passé quelque temps en Inde avec sa famille). Le cas de l'épouse connaissait des éléments distinctifs, ce qui fait que la Commission ne pouvait simplement statuer sur son cas « pour les mêmes motifs » invoqués à l'égard de son époux. [non souligné dans l'original]
[22] Mon examen du dossier, la transcription et la décision du tribunal me conduisent à des conclusions différentes de celles avancées par l'avocat des demandeurs, lequel a fait valoir ce qui suit : (1) elle a présenté une revendication distincte - une revendication fondée sur le sexe; (2) le tribunal a rejeté son témoignage simplement parce qu'il a jugé que la version de son mari n'était pas crédible; (3) le tribunal n'a pas dit pourquoi il a rejeté son témoignage et sa revendication; (4) elle a témoigné à propos d'événements discrets dont elle était le seul témoin, et son témoignage concordait avec celui de son mari.
[23] Je suis d'avis qu'Irene Kabuya-Dienga n'a pas présenté une revendication distincte de celle de son mari et que les événements qu'elle a vécus n'étaient pas reliés à la version donnée par son mari. Dans son FRP, la demanderesse fonde sa revendication sur la revendication de son mari, dont la cause première était que celui-ci était suspecté de collaboration dans la rébellion conduite contre le gouvernement Kabila. Il ressort clairement aussi du témoignage de la demanderesse se rapportant aux arrestations et autres événements vécus par elle que les événements en question s'expliquaient tous par le fait que les autorités voulaient savoir où était son mari ou ce qu'il avait fait.
[24] Finalement, le témoignage de la demanderesse montre que sa crainte d'être renvoyée en RDC demeure liée au fait que les autorités soupçonnent son mari de participer aux tentatives de renversement du gouvernement.
[25] D'ailleurs, à mon avis, l'avocat des demandeurs fait une mauvaise lecture de la décision du tribunal lorsqu'il affirme que le tribunal n'a pas dit pourquoi il ne croyait pas le témoignage de la demanderesse. Le tribunal a rejeté son témoignage parce que sa revendication était fondée sur la version des événements donnée par son mari et sur les liens de celui-ci avec Bizima Karaha, ce que le tribunal n'a pas jugé crédible pour cause d'invraisemblance.
b) Point no 2 - les conclusions de non-crédibilité du mari
[26] L'avocat des demandeurs a contesté sous divers aspects les conclusions d'invraisemblance tirées par le tribunal, conclusions qui étaient au nombre de quatre, contrairement aux espèces Karikari et Ye, précitées, où les décisions frappées d'appel tenaient au fil d'une seule invraisemblance. Je ne suis pas persuadé par les moyens qu'ont invoqués les demandeurs pour contester les conclusions d'invraisemblance, que ce soit l'insuffisance de la preuve autorisant telles conclusions ou le caractère déraisonnable desdites conclusions.
[27] La Cour d'appel fédérale nous a enseigné, dans l'affaire Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732, que le tribunal est un tribunal spécialisé, pleinement compétent pour apprécier la vraisemblance de témoignages - c'est-à-dire pour mesurer la véracité d'un compte rendu et faire les déductions nécessaires. Dans la mesure où les déductions faites par le tribunal ne sont pas déraisonnables au point de justifier l'intervention de la Cour, les conclusions du tribunal ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire.
[28] D'ailleurs, cette même Cour a, dans l'affaire Shahamati c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 415, jugé qu'un tribunal a le loisir, dans l'évaluation de la crédibilité, de s'en remettre à des critères tels que la rationalité et le bon sens.
[29] Je suis d'avis que les arrêts Aguebor et Shahamati, précités, trouvent application ici.
[30] Le contexte spécial et particulier dans lequel les invraisemblances ont été constatées doit être rappelé. Le tribunal évaluait la revendication d'un membre de parti et d'un employé de l'État (dont l'épouse était elle aussi employée de l'État) suspecté de collaboration avec l'un des chefs d'une rébellion décidés à renverser des autorités qui prétendument le pourchassaient et parfois l'avaient sous leur dépendance. Si l'on considère la preuve documentaire attestant les violations commises par le gouvernement Kabila en matière de droits de la personne, les conclusions d'invraisemblance n'étaient pas excessives.
c) Point no 3 - le rapport médical
[31] Finalement, à mon avis, le tribunal n'a pas interprété erronément la preuve lorsqu'il a rejeté le rapport médical. Le point de départ de ce rapport était le FRP du demandeur, lequel donnait une version des faits que le tribunal n'a pas crue. Eu égard aux circonstances, il n'était pas déraisonnable pour le tribunal de dire que les blessures observées pouvaient être le résultat d'une foule de causes autres que celles indiquées dans le FRP du demandeur.
[32] Pour ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[33] L'avocat des demandeurs a proposé que la question suivante soit certifiée :
La section du statut de réfugié commet-elle une erreur si la revendication d'une personne est rejetée en raison de la non-crédibilité de son conjoint, lorsque la personne en question a témoigné à propos d'événements qui se rapportent à sa crainte et dont elle est un témoin direct?
[34] L'avocat du défendeur s'oppose à ce que cette question soit certifiée. Je partage son avis. La question présuppose des faits qui n'ont pas été constatés en l'espèce et par conséquent elle ne disposerait pas du problème.
« François Lemieux »
Juge
OTTAWA (ONTARIO)
LE 28 MARS 2002
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE : IMM-673-01
INTITULÉ : Martin Kabuyamulamba-Kabitanga et autre c. M.C.I.
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : le 7 février 2002
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Monsieur le juge Lemieux
DATE DES MOTIFS : le 28 mars 2002
ONT COMPARU :
M. Micheal Crane POUR LES DEMANDEURS
M. Marcel Larouche POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
M. Micheal Crane POUR LES DEMANDEURS
Toronto (Ontario)
M. Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada