Date : 20020820
Dossier : IMM-584-01
Ottawa (Ontario), le 20 août 2002
EN PRÉSENCE DE Monsieur le juge Pinard
ENTRE :
CLAUDIA ABRA KOFITSE
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
ORDONNANCE
La demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu, le 22 décembre 2000, que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention est rejetée.
« Yvon Pinard »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
Date : 20020820
Dossier : IMM-584-01
Référence neutre : 2002 CFPI 894
ENTRE :
CLAUDIA ABRA KOFITSE
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE PINARD
[1] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu, le 22 décembre 2000, qu'elle n'était pas une réfugiée au sens de la Convention selon la définition figurant au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.
[2] La demanderesse Claudia Abra Kofitse est citoyenne du Ghana. Elle allègue craindre avec raison d'être persécutée du fait de son appartenance à un groupe social, à savoir les femmes victimes de violence.
[3] La Commission a conclu que l'intéressée n'était pas une réfugiée au sens de la Convention à cause du manque de crédibilité et de vraisemblance :
Pour toutes ces raisons, le tribunal conclut que la revendicatrice, Mme Claudia Abra KOFITSE, n'a pas une crainte bien fondée de persécution, conformément à l'arrêt Adjei1, et n'est pas une « réfugiée au sens de la Convention » , tel que défini dans le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration.
_________________
1 Adjei c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1989] 2 C.F. (C.A.F.).
[4] En l'espèce, il s'agit tout d'abord de savoir si la Commission a commis une erreur en concluant que la demanderesse n'était pas crédible. La Commission a conclu d'une façon claire et explicite que la demanderesse n'était pas crédible et elle a fourni des motifs détaillés à l'appui de sa décision, en mentionnant des incohérences et des invraisemblances dans le témoignage oral de la demanderesse, dans son Formulaire de renseignements personnels (le FRP) et dans la preuve documentaire. J'ai examiné la preuve et je ne suis pas convaincu que les inférences qui ont été faites par la Commission, un tribunal spécialisé, ne pouvaient pas raisonnablement être faites (Aguebor c. MEI (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)).
[5] L'avocat de la demanderesse a soulevé un autre point au sujet de l'impartialité de la Commission. La Cour suprême du Canada a récemment clairement dit que l'obligation d'agir équitablement comporte essentiellement deux volets : le droit d'être entendu et le droit à une audition impartiale (Therrien (Re), 2001 CSC 35, no 27004, mentionné dans Arthur c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. no 1091, paragraphe 6 (C.A.F.)).
[6] Une audience équitable et impartiale et en particulier le droit d'être entendu signifient que le demandeur a la possibilité de répondre aux questions qui lui sont posées et de soumettre des arguments sur tout élément susceptible d'influer sur la décision.
[7] La demanderesse estime que la Commission n'a pas agi d'une façon impartiale dans ce cas-ci, et d'une façon générale envers les Africains noirs, et qu'elle a violé son droit à une audition équitable. Cet argument ne me convainc pas. Je n'ai rien pu trouver dans la transcription qui démontre qu'un membre du tribunal ait procédé à un interrogatoire non approprié, compte tenu en particulier du témoignage incohérent et contradictoire présenté par la demanderesse. Comme Monsieur le juge Rothstein, de la Cour, (tel était alors son titre), l'a fait remarquer dans la décision Ambros c. Canada (MCI), [1998] A.C.F. no 299 (1re inst.) (QL) : « [u]n tribunal est en droit de poser des questions pour s'assurer qu'il comprend, surtout en cas de témoignage qui crée de la confusion » . De plus, la Commission semble avoir eu de la compassion pour la demanderesse, comme le montre la transcription, pages 469 et 470 :
[TRADUCTION]
Q. Avant que nous quittions la salle, j'aimerais vous demander, Mademoiselle, si ... vous êtes-vous de quelque façon sentie embarrassée de raconter votre histoire au tribunal?
R. J'étais fort embarrassée, c'est pourquoi je ne vous ai même pas regardé bien en face, j'avais les yeux baissés parce que j'éprouvais beaucoup de honte à raconter ce que mon propre père m'avait fait, mais il fallait que j'en fasse part au tribunal.
Q. Vous seriez-vous sentie plus à l'aise si, au lieu des deux hommes ici présents, vous vous étiez adressée à des femmes?
R. Cela importe peu, c'est peut-être la même chose, parce que je suis gênée et que j'aurais néanmoins été embarrassée. Pourtant, j'ai ce (inaudible) en moi.
Q. Je ne sais pas si votre avocat vous a informée que dans les cas d'abus et de viol, il est toujours possible de demander à la Commission de se faire entendre devant un tribunal composé de femmes. Je voulais simplement m'assurer que cela vous importait peu.
R. Oui, cela va.
Q. D'accord, merci.
[8] En outre, la demanderesse fonde son argumentation sur une décision passée rendue par un membre de la Commission, M. Faure, mais elle ne donne pas d'exemples concrets d'événements ou d'accusations se rapportant à la présente affaire. Je crois que cette énumération de décisions dans lesquelles il y avait peut-être apparence de partialité n'invalide pas nécessairement la décision ici en cause.
[9] La demanderesse soutient en outre que la Commission n'a pas tenu compte des Lignes directrices relatives au genre, de la situation actuelle au Ghana ou de la preuve médicale et psychiatrique. En ce qui concerne les Lignes directrices relatives au genre et la situation actuelle au Ghana, la Cour a confirmé à plusieurs reprises que le fait que la Commission omet de mentionner certains éléments de preuve documentaire dans ses motifs ne porte pas un coup fatal à sa décision (voir Hassan c. MEI (1992), 147 N.R. 317, page 318 (C.A.F.)).
[10] Dans la décision Djouadou c. Canada (MCI), [1999] A.C.F. no 1568 (1re inst.) (QL), j'ai dit ce qui suit :
Quant au reproche fait par le demandeur au tribunal de ne pas s'être livré à une analyse de la preuve documentaire concernant l'Algérie, je suis d'avis que dans la mesure où on a jugé que le témoignage du demandeur n'était pas crédible, semblable analyse n'était pas nécessaire [...]
[11] Je ne suis pas convaincu que la Commission ait omis de tenir compte d'éléments de preuve pertinents ou que son appréciation de la preuve documentaire ait été déraisonnable. De fait, les Lignes directrices relatives au genre sont mentionnées dans la décision de la Commission. J'estime donc qu'elles ont de fait été prises en considération. À mon avis, en considérant que la demanderesse n'était pas crédible, la Commission a en fait conclu qu'aucun élément de preuve crédible ne justifiait la revendication (Sheikh c. Canada (MEI), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.F.)).
[12] Quant à la preuve médicale et psychiatrique, la Commission a consulté le rapport médical rédigé par M. David Woodbury, page 379 du dossier du tribunal. Ce rapport corroborait la revendication de la demanderesse. Toutefois, il est devenu apparent aux yeux de la Commission que le rapport était principalement fondé sur le FRP de la demanderesse. Toutefois, le FRP ainsi que la majorité des éléments de preuve soumis en l'espèce comportent de nombreuses incohérences et contradictions. Cela a influé sur l'importance que la Commission a accordée au rapport médical puisque le témoignage a révélé les incohérences et les contradictions figurant dans le FRP et que le rapport médical était fondé sur le FRP.
[13] Dans la décision Danailov c. Canada (MEI), [1993] A.C.F. no 1019 (1re inst.) (QL), Madame le juge Reid a dit ce qui suit :
En ce qui concerne les arguments relatifs aux conclusions du tribunal sur la crédibilité, j'ai lu la transcription et la décision du tribunal avant d'entendre les prétentions des avocats. Ayant eu l'avantage d'entendre celles-ci, la seule conclusion qui s'impose est que la décision du tribunal était tout à fait justifiée compte tenu de la preuve dont il avait été saisi. Quant à l'appréciation du témoignage du médecin, il est toujours possible d'évaluer un témoignage d'opinion en considérant que ce témoignage d'opinion n'est valide que dans la mesure où les faits sur lesquels il repose sont vrais. Si le tribunal ne croit pas les faits sous-jacents, il lui est tout à fait loisible d'apprécier le témoignage d'opinion comme il l'a fait.
[14] Par conséquent, puisque la demanderesse n'a pas été jugée crédible, je suis d'avis qu'il était loisible à la Commission d'apprécier la preuve médicale comme elle l'a fait.
[15] Enfin, je considère comme prématuré l'argument que la demanderesse a invoqué dans son exposé écrit, lequel est fondé sur la Charte des droits et libertés et sur les diverses conventions internationales, puisque la décision en cause n'en est pas à l'étape finale de l'expulsion, mais qu'elle est limitée à la conclusion selon laquelle la demanderesse n'est pas une réfugiée au sens de la Convention (Barrera c. Canada (MEI), [1993] 2 C.F. 3 (C.A.F.)). En outre, la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse n'est pas crédible indique que cette dernière ne serait pas persécutée si elle retournait au Ghana. Les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne ne seraient donc pas violées si la demanderesse était expulsée.
[16] Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[17] L'avocat de la demanderesse a proposé deux questions aux fins de la certification. La première question est ainsi libellée :
[TRADUCTION] 1) L'audience, dans ce cas-ci, ne respectait clairement pas les Lignes directrices relatives au genre de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié et la norme de preuve proposée dans ces lignes directrices n'a pas été suivie. Les allégations de partialité fondées sur l'inconduite passée de M. Michel Faure ont clairement été soulevées au début, compte tenu des nombreux cas d'abus dont sont victimes les femmes africaines noires, dont la preuve a été fournie à la Cour. Le fait que les Lignes directrices relatives au genre n'ont pas été respectées lors de l'audience relative à la question du statut de réfugié tenue à Montréal porte-il atteinte aux garanties reconnues aux articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés et au droit à l'égalité reconnu à l'article 15 de la Charte? Les garanties fournies par la Charte canadienne des droits et libertés et les garanties existant en droit international en ce qui concerne l'application régulière de la loi et une audience équitable s'appliquent-elles aux audiences tenues par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié? Est-il approprié pour la Cour fédérale du Canada d'appliquer ces garanties dans l'exercice de sa fonction de surveillance et d'examen des décisions de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié?
[18] Étant donné la longueur de la première question proposée et les nombreux points la sous-tendant, je crois qu'il faut procéder à une analyse en trois volets afin de déterminer d'une façon appropriée si la question doit être certifiée.
(i) Le fait que les Lignes directrices relatives au genre n'ont pas été respectées lors de l'audience relative à la question du statut de réfugié tenue à Montréal porte-t-il atteinte aux garanties reconnues aux articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés (ci-après la Charte) et au droit à l'égalité reconnu à l'article 15 de la Charte?
[19] Je ne crois pas que cette question doive être certifiée. Dans les arrêts Barrera c. Canada (MEI), [1993] 2 C.F. 3 et Chiarelli c. Canada (MEI), [1992] 1 R.C.S. 711, la Cour d'appel fédérale et la Cour suprême du Canada ont respectivement conclu que le renvoi d'un intéressé dont le statut de réfugié n'a pas été reconnu ne porte pas atteinte aux articles 7 et 12 de la Charte et qu'il est prématuré de soulever pareil argument à l'audience relative à la question du statut de réfugié.
(ii) Les garanties fournies par la Charte et les garanties existant en droit international en ce qui concerne l'application régulière de la loi et une audience équitable s'appliquent-elles aux audiences tenues par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié?
[20] Dans l'arrêt Singh et autres c. MEI, [1985] 1 R.C.S. 178, la Cour suprême du Canada a conclu que, dans les affaires d'immigration, une personne a le droit d'invoquer la protection de l'article 7 de la Charte, qui garantit à « chacun [le] droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne [et qu]'il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale » .
[21] Il a également été confirmé que le mot « chacun » figurant à l'article 7 comprend toute personne physiquement présente au Canada et qui, de ce fait, est justiciable en vertu du droit canadien. L'expression « sécurité de sa personne » s'entend notamment de la protection contre la menace de punition ou de souffrance physique ainsi que de la protection contre la punition elle-même.
[22] Par conséquent, il a déjà été conclu que les réfugiés au sens de la Convention ont droit à la justice fondamentale lorsqu'il s'agit de déterminer leur statut.
(iii) Est-il approprié pour la Cour fédérale du Canada d'appliquer ces garanties dans l'exercice de sa fonction de surveillance et d'examen des décisions de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié?
[23] Dans la décision Liyanagamage c. Canada (MCI) (1994), 176 N.R. 4, la Cour a fait remarquer que la question doit être déterminante en ce qui concerne l'appel lui-même et que le tribunal d'appel peut uniquement rendre une décision sur les questions qui ont été certifiées par le juge de première instance.
[24] Il a également été dit que la procédure de certification ne devrait pas être utilisée comme outil servant à l'obtention d'un jugement déclaratoire de la Cour d'appel sur un point subtil qui n'a pas à être tranché aux fins du règlement d'une affaire particulière.
[25] J'estime que cette partie de la question ne doit pas être certifiée étant donné qu'elle n'est pas déterminante. J'estime qu'il suffit que la Cour se fonde sur les principes et recours de droit administratif régissant cette branche du droit sans avoir à tenir compte de l'applicabilité de la Charte.
[26] La deuxième question proposée par l'avocat de la demanderesse est ainsi libellée :
[TRADUCTION] 2) La remarque suivante a été faite dans une autre décision au sujet de l'avocat ici en cause et la question de la crainte raisonnable de partialité a été soulevée au début de l'audience contre le membre présidant l'audience ici en cause, qui avait déjà fait la remarque suivante :
Le tribunal conclut que la modification du prénom constituait de fait une vague tentative que Me Istvanffy faisait pour modifier une histoire fabriquée et pour remédier à une invraisemblance majeure.
Cette indication de partialité réelle porte-t-elle atteinte aux garanties reconnues aux articles 7 et 12 de la Charte ainsi qu'au droit à l'égalité reconnu à l'article 15 de la Charte? Quel est le critère à appliquer à la crainte raisonnable de partialité lorsque la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est en cause?
[27] Tout d'abord, la première partie de la question dépend clairement de questions de fait, à savoir si la remarque que le membre avait faite créait une crainte raisonnable de partialité. Cela étant, je ne crois pas que cette partie de la question soit de portée générale (Murugiah c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (5 mai 1993), 92-A-6788 (C.F. 1re inst.)). En outre, comme il en a ci-dessus été fait mention, je crois qu'il serait suffisant pour la Cour de se fonder sur les principes et recours de droit administratif régissant cette branche du droit sans avoir à tenir compte de l'applicabilité de la Charte.
[28] Quant au deuxième volet de la question, la Cour suprême du Canada a fort récemment clairement dit que l'obligation d'agir équitablement comporte essentiellement deux volets (Therrien (Re), 2001 CSC 35, no 27004, mentionné dans Arthur c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. no 1091, paragraphe 6 (C.A.F.) (QL)) : (1) le droit d'être entendu et (2) le droit à une audition impartiale.
[29] En outre, il a été statué qu'une audience équitable et impartiale, et ce qui est encore plus important, le droit d'être entendu, signifient que le demandeur a la possibilité de répondre aux questions qui lui sont posées et de présenter des arguments sur tout élément susceptible d'influer sur la décision.
[30] Pour ces motifs, je ne crois pas que cette question doive être certifiée étant donné que le critère applicable à la question de la crainte raisonnable de partialité est bien établi dans la jurisprudence et qu'il a récemment été confirmé par la Cour suprême du Canada.
« Yvon Pinard »
Juge
OTTAWA (ONTARIO)
le 20 août 2002
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-584-01
INTITULÉ : Claudia Abra Kofitse
c.
le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE : le 6 juin 2002
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Monsieur le juge Pinard
DATE DES MOTIFS : le 20 août 2002
COMPARUTIONS:
M. Stewart Istvanffy POUR LA DEMANDERESSE
Mme Sherry Rafai Far POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
M. Stewart Istvanffy POUR LA DEMANDERESSE
Montréal (Québec)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)