Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20051028

Dossier : IMM-2377-05

Référence : 2005 CF 1467

Toronto (Ontario), le 28 octobre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE

ENTRE :

DANIEL NISTOR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu, le 31 mars 2005, que le demandeur n'est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[2]                Le demandeur sollicite :

(a)     une ordonnance de certiorari annulant la décision de la Commission et renvoyant l'affaire à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci procède à un nouvel examen de l'affaire;

(b)    les dépens de la demande.

Contexte

[3]                Daniel Nistor (le demandeur) est citoyen de la Roumanie. Il est âgé de 28 ans, a une huitième année et a occupé un emploi de travailleur saisonnier en agriculture. Il a témoigné que ses deux parents sont d'origine ethnique rome. Ses parents travaillent en agriculture et dans la fabrication de briques d'argile utilisées dans la construction de maisons. Sa famille appartient au clan Lahiu. Le demandeur a témoigné qu'il connaît la langue roumaine, mais maîtrise mieux le tzigane, qui est la langue des Roms.

[4]                Le demandeur a allégué avoir été persécuté en Roumanie en raison de son origine ethnique rome. Quand il fréquentait l'école, il a fait l'objet de discrimination par ses pairs. Après son départ de l'école, il a subi des mauvais traitements de la part de la police roumaine. Il a allégué avoir été, à maintes reprises, arrêté, mis en détention, harcelé, battu et torturé par la police, et accusé faussement.

[5]                Dans l'exposé circonstancié de son Formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur a fait état des incidents suivants. Du 1er au 8 mai 1998, son ami et lui ont été détenus au quartier général de la police à Constanta, après que la police eut trouvé des fiches électriques et des lumières au néon dans le coffre de la voiture dans laquelle ils prenaient place. Le demandeur a affirmé que son ami lui faisait faire un tour et qu'il ne savait pas d'où venaient les fiches électriques et les lumières. Au poste de police, le demandeur et son ami ont été torturés, privés d'eau et de nourriture, et forcés à avouer qu'ils avaient volé les fiches électriques et les lumières.

[6]                Environ un mois plus tard, la police a commencé à faire des descentes au domicile du demandeur, à raison de sept ou huit fois par semaine environ. À chaque descente, la police amenait le demandeur au quartier général de la police, le battait, l'accusait de différents crimes, et menaçait de le tuer ainsi que sa famille. Le 22 avril 1999, le demandeur a essayé de quitter la Roumanie avec son ami en s'embarquant sur un navire chargé de sodium stationné dans le port de Constanta. Après s'être cachés pendant environ trois jours dans ce navire, le demandeur et son ami ont été découverts par la police et amenés au quartier général de celle-ci, où ils ont été détenus pendant quatre jours, et interrogés, battus et torturés. Ils ont été accusés d'avoir tenté illégalement de passer la frontière et condamnés à une amende.

[7]                Les descentes de police se sont poursuivies après le retour à la maison du demandeur. On l'a sommé de comparaître devant le tribunal pour s'expliquer sur son dossier judiciaire antérieur concernant le vol de fiches électriques et de lumières au néon.

[8]                Le 14 avril 2000, le demandeur a été arrêté et mis en prison pendant un an, où il a été battu continuellement, forcé à s'auto-mutiler, privé d'eau et placé en isolement.

[9]                Les descentes de police au domicile du demandeur se sont poursuivies après sa sortie de prison en avril 2001. Quand les coups sont devenus trop difficiles à supporter, le demandeur et son ami se sont enfuis à Ialomita, un comté de la Roumanie.

[10]            Le 4 juin 2004, le demandeur et trois de ses amis sont montés sur un navire stationné dans le port de Constanta et se sont cachés quelque part entre les tuyaux dans le fond du navire. D'après les bordereaux d'expédition, ils savaient que le navire se dirigeait vers le Canada. Le 8 juin 2004 environ, le navire a quitté le port. Les quatre passagers clandestins sont restés cachés jusqu'à ce que l'équipage les découvre, le 21 juin 2004, et les enferme dans la cuisine. À leur arrivée au Canada, on les a livrés aux autorités canadiennes. Le demandeur a demandé l'asile au Canada.

[11]            Le demandeur a soumis des documents de la police roumaine démontrant qu'il avait été détenu, accusé de différents crimes et condamné à des amendes. Il a également déposé des dossiers d'hospitalisation indiquant qu'il avait été sauvagement battu. Afin de corroborer son origine rome, le demandeur a présenté sa carte de membre du Parti rom.

[12]            La Commission a soumis des documents traitant de la situation en Roumanie et de la culture rome. Les documents font état de la persécution que les autorités font subir aux Roms en Roumanie, et présentent les différentes caractéristiques des clans roms en Roumanie.

[13]            La demande d'asile du demandeur a été entendue à Saskatoon (Saskatchewan), le 16 février 2005, en présence d'un traducteur roumain. Par décision en date du 31 mars 2005, la Commission a rejeté sa demande. Il s'agit du contrôle judiciaire de cette décision.

Motifs de la Commission

[14]            La Commission a convenu que le demandeur était un ressortissant de la Roumanie. La Commission a toutefois jugé invraisemblable l'allégation du demandeur selon laquelle il était d'origine ethnique rome parce qu'il savait très peu de choses sur deux clans roms réputés, le clan Rudari et le clan Corbeni. La Commission a suivi le raisonnement suivant, aux pages 2 à 4 :

. . . J'ai examiné la preuve documentaire qui m'a été fournie au sujet des Roms et des clans roms en Roumanie. On y trouve l'information suivante. Les Roms de Roumanie forment approximativement quarante groupes distincts, dont les Caldari (ferblantiers et tôliers), les Fierarai (forgerons), les Usari (dresseurs d'ours), les Grastari (commerçants de chevaux) et les Lautari (musiciens). D'une part, beaucoup de ces clans ont renoncé au nomadisme traditionnel, non par choix mais plutôt parce qu'ils y ont été contraints, et d'autre part, on observe un important amalgame des cultures chez les différents groupes. Pourtant, il existe toujours des divisions très marquées à l'intérieur même des collectivités.

(. . .)

En se fondant sur la preuve documentaire qui précède, on a questionné le demandeur d'asile, à l'audience, concernant son origine ethnique rome et sa connaissance des divers clans roms en Roumanie. On lui a demandé de dire ce qu'il connaissait du clan tzigane Rudari en Roumanie. Il a déclaré que les membres du clan Rudari sont différents parce qu'ils travaillent dans la vente et l'achat d'animaux. Par contre, ils portent les mêmes vêtements tziganes traditionnels que d'autres clans roms. Le demandeur d'asile a ajouté que son beau-frère est un membre du clan Rudari et qu'ils étaient capables de se parler en tzigane. Je souligne de nouveau que, contrairement au témoignage du demandeur au sujet du clan Rudari, la preuve documentaire dont je dispose m'indique que ce clan tzigane constitue toujours un groupe important de Roms en Roumanie, que ses membres ont été des travailleurs du bois asservis, à une époque, et qu'ils ne parlent pas la langue tzigane et ne l'ont jamais parlée.

On lui a demandé s'il avait entendu parler du clan tzigane Corbeni en Roumanie. Répondant par l'affirmative, le demandeur d'asile a indiqué que ce clan provenait d'un groupe du Nord de la Roumanie et que ses membres travaillent le bois et fabriquent des choses comme des chaudrons. Des éléments de preuve documentaire concernant le clan Corbeni ont été portés à l'attention du demandeur d'asile en ce qui a trait à la réputation de redoutables gangsters de ses membres en Roumanie. Le demandeur d'asile a indiqué qu'il ne savait pas grand-chose de ce clan rom parce que ses membres vivaient très loin de l'endroit où il habitait en Roumanie et qu'ils ne venaient pas très souvent dans cette région du pays. Il prétend que ses parents sont tous deux d'origine rome et que, par conséquent, il est Rom de souche. Compte tenu de ses allégations et de la preuve documentaire déposée dont je dispose, je trouve peu plausible que le demandeur ne connaisse pas de clans roms réputés en Roumanie comme le clan Rudari et le clan Corbeni, s'il est vraiment d'origine rome comme il l'a prétendu. Dans l'exposé circonstancié de son FRP et dans son témoignage, le demandeur d'asile a allégué que l'occupation traditionnelle du clan rom de ses parents était la fabrication de briques d'argile utilisées dans la construction de maisons ainsi que l'agriculture. Toutefois, dans la preuve documentaire, on ne parle aucunement de clans dont l'occupation traditionnelle consistait à fabriquer des briques d'argile.

[15]            La Commission a également examiné la carte de membre du Parti rom du demandeur. La Commission a conclu que, « [à] la lumière de la preuve documentaire présentée concernant le Parti rom et d'autres partis politiques d'allégeance rome, il aurait été raisonnable pour le demandeur de communiquer avec son frère, sa soeur ou ses parents, en Roumanie, pour obtenir une attestation écrite de son origine ethnique rome auprès de l'un de ces regroupements roms » . Malgré la mise en demeure qui lui avait été faite de fournir à la Commission une preuve corroborante à l'égard des éléments de sa demande, le demandeur n'avait rien fait pour obtenir et fournir une preuve corroborante de sa prétendue origine ethnique rome. Aucun élément de preuve n'établissait qu'il fallait être d'origine ethnique rome pour être membre du Parti rom. La Commission a donc estimé que, compte tenu « du manque de connaissance du demandeur des Roms en Roumanie et de la preuve documentaire dont [la Commission] dispose » , et selon la prépondérance des probabilités, « le demandeur d'asile a fourni cette carte de membre dans le but d'embellir sa demande d'asile » .

[16]            La Commission a conclu ce qui suit, à la page 5 :

. . . Compte tenu du manque de connaissance du demandeur des Roms en Roumanie et de la preuve documentaire dont je dispose, je n'accorde aucune valeur à la carte de membre du demandeur au Parti rom comme preuve corroborante de son origine ethnique rome. Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur d'asile a fourni cette carte de membre dans le but d'embellir sa demande d'asile.

[17]            Ayant conclu que le demandeur n'était pas d'origine ethnique rome, la Commission a jugé qu'il n'existait pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit soumis à de la persécution pour un motif prévu dans la Convention advenant son retour en Roumanie.

Questions en litige

[18]            Les questions en litige ont été ainsi formulées par le demandeur :

  1. Le demandeur a-t-il eu la possibilité de présenter ses arguments devant un décideur impartial?
  2. Les motifs de la décision de la Commission soulèvent-ils une crainte raisonnable de partialité du fait qu'ils sont identiques à ceux de la décision rendue dans une autre affaire et sensiblement les mêmes que ceux des décisions rendues dans deux autres affaires, les quatre affaires ayant toutes été entendues par le même décideur à Saskatoon?
  3. La Commission a-t-elle fondé sa décision sur des conclusions de fait tirées de façon abusive et arbitraire, sans égard aux documents dont elle disposait?
  4. La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en rendant sa décision, du fait qu'elle a omis de tenir compte de l'ensemble de la preuve qui lui avait été dûment soumise?

[19]            Je suis d'avis de reformuler les questions en litige de la façon suivante :

  1. Les motifs de la Commission soulèvent-ils une crainte raisonnable de partialité?
  2. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n'était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger?

Arguments du demandeur

[20]            En ce qui concerne la crainte raisonnable de partialité, le demandeur a prétendu que la Commission a fait preuve de partialité à l'endroit des demandeurs roms et s'est servie de la connaissance des groupes professionnels roms pour refuser la demande d'asile du demandeur ainsi que celles d'autres personnes. Le demandeur est arrivé au Canada en compagnie de Valerica Cretu, un autre membre d'un clan rom. Ils étaient représentés par la même avocate, Cheryllynn Klassen. L'audience du demandeur a eu lieu le 16 février 2005 et celle de Cretu, le 17 février 2005. Les audiences ont été tenues devant le même commissaire. À la suite de ces audiences, la Commission a rendu des décisions presque identiques à l'égard du demandeur et de Cretu. Ces décisions ne faisaient aucune mention des incidents de harcèlement et de persécution subis par les demandeurs d'asile. Le demandeur a fait valoir que la reproduction des motifs faisait naître une crainte de partialité à l'endroit des demandeurs d'asile roms.

[21]            Quant à la question des erreurs de fond, le demandeur a soutenu que la norme de contrôle applicable aux conclusions en matière de crédibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable. Le demandeur a fait valoir que la Commission a commis une erreur en concluant qu'il n'était pas d'origine ethnique rome, car elle a tiré un certain nombre de conclusions de fait qui étaient manifestement déraisonnables. Le demandeur a témoigné au sujet des traditions, des superstitions et des coutumes de la vie de tous les jours qui sont uniques à sa famille et à son clan roms. Le demandeur a affirmé que la Commission n'a pas tenu compte de cet élément de preuve puisqu'elle ne l'a pas mis en question ni n'a formulé aucune observation sur celui-ci dans les motifs de sa décision. Le demandeur a donc soutenu que la décision était manifestement déraisonnable pour avoir fait fi de cet élément de preuve.

[22]            Le demandeur a témoigné qu'il parle couramment le tzigane et éprouve des difficultés avec la langue roumaine. Il a démontré ses capacités en langue tzigane de vive voix à l'audience. Le traducteur avait manifestement de la difficulté à traduire en anglais les déclarations du demandeur. Le demandeur a fait valoir que la preuve documentaire tendait à indiquer que si une personne parle couramment le tzigane, la probabilité qu'elle soit d'origine rome dépasse 99 %. Le demandeur a prétendu que la Commission n'a pas tenu compte de cet élément de preuve.

[23]            La Commission a fait état d'une preuve documentaire concernant la culture rome et les occupations traditionnelles de certains clans roms. Le demandeur a fait valoir que la preuve documentaire traitait d'occupations traditionnelles. Il a soutenu que sa connaissance limitée des occupations traditionnelles des autres clans était normale compte tenu de ses antécédents, de la situation des Roms en Roumanie et des explications qu'il a données. La preuve documentaire indiquait que les Roms s'étaient pendant très longtemps livrés à des occupations traditionnelles, mais que ces occupations avaient disparu sous le régime communiste et que plusieurs Roms s'étaient tournés vers des emplois en agriculture. Le demandeur a témoigné qu'il avait une huitième année, que son éducation avait été interrompue et pénible, et qu'il en savait peu sur l'histoire tzigane. Le demandeur a donc soutenu qu'il était manifestement déraisonnable pour la Commission de conclure que, parce qu'il avait une connaissance limitée des autres clans roms en Roumanie, il n'était pas d'origine ethnique rome.

[24]            Le demandeur a témoigné que ses parents travaillaient dans la fabrication de briques d'argile utilisées dans la construction de maisons, ainsi qu'en agriculture. Dans ses motifs, la Commission a qualifié cette déclaration d'occupation « traditionnelle » , et a ensuite affirmé que « dans la preuve documentaire, on ne parle aucunement de clans dont l'occupation traditionnelle consistait à fabriquer des briques d'argile » . Le demandeur a fait valoir que l'utilisation par la Commission de la preuve documentaire pour ainsi conclure qu'il n'était pas d'origine ethnique rome était arbitraire. La preuve documentaire indiquait qu'il existe plus de 40 clans roms différents en Roumanie. Cependant, moins de 30 de ces clans étaient mentionnés dans celle-ci.

[25]            Le demandeur a soutenu que la conclusion de la Commission selon laquelle il a fourni sa « carte de membre [du Parti rom] dans le but d'embellir sa demande » ne pouvait avoir été tirée qu'en faisant abstraction de tous les éléments de preuve qu'il avait présentés relativement à sa connaissance des Roms en Roumanie. Le demandeur a donc fait valoir que cette conclusion était manifestement déraisonnable.

Arguments du défendeur

[26]            En ce qui a trait à la question de la partialité, le défendeur a fait valoir que les erreurs factuelles qui auraient été commises dans une autre affaire (l'affaire Cretu) n'ont aucune pertinence à l'égard du demandeur. De plus, ce dernier n'a soulevé aucune question de partialité lors de l'audience devant la Commission.

[27]            En ce qui concerne la question des erreurs de fond, le défendeur a soutenu que la norme de contrôle applicable aux conclusions en matière de crédibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable. Il a fait valoir que la décision de la Commission n'était pas manifestement déraisonnable puisqu'elle était étayée par la preuve, n'était ni abusive ni arbitraire ni absurde et n'avait pas été prise de mauvaise foi.

[28]            Le défendeur a prétendu qu'il n'est pas manifestement déraisonnable de s'attendre à ce qu'une personne qui a grandi dans une culture traditionnelle connaisse cette culture. Les connaissances rudimentaires du demandeur concernant la culture traditionnelle rome ne cadraient pas avec celles d'une personne d'origine ethnique rome et ont miné sa crédibilité.

[29]            Le défendeur a fait valoir que le demandeur n'a obtenu aucun document établissant son identité rome. L'omission de celui-ci de tenter d'étayer sa demande lorsqu'on lui a demandé de le faire a miné sa crédibilité.

Dispositions législatives pertinentes

[30]            L'alinéa 95(1)b) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, (la Loi) prévoit que l'asile est conféré à toute personne à laquelle la Commission reconnaît la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger.

[31]            L'article 96 et le paragraphe 97(1) de la Loi définissent le « réfugié au sens de la Convention » et la « personne à protéger » de la façon suivante :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention - le réfugié - la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée:

a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant:

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes - sauf celles infligées au mépris des normes internationales - et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Norme de contrôle

[32]            La norme de contrôle applicable aux conclusions de fait est celle de la décision manifestement déraisonnable (voir Tubacos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 225, (2002) 23 Imm. L.R. (3d) 60 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 7.

[33]            Voyons d'abord la question 2.

[34]            Question 2

            La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n'était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger?

            La Commission n'a pas reconnu que le demandeur était d'origine ethnique rome en raison surtout du fait que ses connaissances des occupations actuelles des clans roms Rudari et Corbeni ne concordaient pas avec la preuve documentaire. Il existe environ 40 clans roms différents en Roumanie. Le demandeur appartenait au clan Lahiu. Le témoignage du demandeur portait sur les occupations ou le mode de vie actuels des Rudari et des Corbeni, alors que la preuve documentaire traitait du mode de vie traditionnel de ceux-ci. Certains éléments de preuve indiquaient que les clans roms avaient été pressés de modifier leur mode de vie.

[35]            Le demandeur a fourni le témoignage suivant au sujet de son propre clan rom. Les pages 25 à 27 de la transcription du dossier de l'audience contiennent l'échange suivant :

[traduction]

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Nous reprenons l'audience maintenant. Les mêmes personnes sont présentes. Mme Klassen, avez-vous des questions à poser à M. Nistor?

Mme KLASSEN : Oui. J'aimerais poser quelques questions à M. Nistor sur son origine ethnique.

INTERROGATOIRE PRINCIPAL PAR Mme KLASSEN :

Q. Votre famille ou votre clan respectent-ils des coutumes, traditions ou croyances particulières qui sont uniques à votre origine ethnique rome?

R. Ma famille croit en Dieu et au diable. Nous croyons à la malédiction et à l'oeuvre du diable. Nous appliquons un type de serment que personne d'autre n'applique. Dans le cas où une personne - quelque chose n'est pas digne de foi, nous allons à une rivière. Nous nous rendons - la famille qui a eu le problème se rend à ce plan d'eau et le bullibasha (phonétique) y va également. Et la personne qui est coupable, ou s'ils veulent déterminer si elle est coupable ou non, entre seulement un pied dans l'eau. Ils prennent un morceau de viande de porc - un cochon. Et trois grosses chandelles sont allumées. On prend un anneau - un anneau de mariage et on le place dans la bouche de la personne, et c'est à ce moment-là que la personne jure sur la famille et les enfants. Et dans ce cas, lorsque la personne prête serment, elle est digne de foi à 100 pour cent, et la personne qui est coupable n'aura pas le courage de faire une telle chose. Nous y croyons jusqu'à notre mort.

Q. Et qu'en est-il des superstitions?

R. Par exemple, un jour important, l'homme de la maison et tous les membres de la famille doivent avoir du pain et du sel dans leurs poches, et un ruban rouge à la main, pour leur porter chance. Les plus jeunes, gars et filles, portent ce ruban rouge à la main pour avoir de la chance et échapper à l'oeil du diable et aux malédictions.

Q. Qu'en est-il des coutumes de la vie de tous les jours? Existe-t-il des traditions particulières sur le plan de la préparation et le lavage de la nourriture rome?

R. Chaque jour, nous devons préparer de la nourriture fraîche. Les restants ne sont pas mangés le lendemain. Ils doivent être jetés. Pour autant que je sache, l'homme ouvre toujours la voie et marche toujours devant la femme, qui est toujours derrière. Et nous croyons que si la femme marche devant nous, elle va nous porter malheur. Et la malédiction et le balaka (phonétique) nous poursuivent si la femme marche devant nous.

Le matin, une femme ne doit jamais passer devant un homme. Une femme, une femme enceinte n'a pas le droit d'aller dans la cuisine et de préparer la nourriture. Elle n'est même pas autorisée à voir d'autres hommes, et les autres hommes ne peuvent la regarder non plus. Elle est assise à un endroit et n'est visitée que par les femmes. Et après l'accouchement, pendant environ 40 jours, la femme ne peut voir un homme.

Q. Merci. Vous avez déclaré tout à l'heure que vous parlez couramment le tzigane.

R. Oui, c'est certain. Et avant d'avoir tous ces problèmes, j'étais chanteur et je chantais en langue tzigane à des baptêmes et à des mariages. Les Tziganes de ma famille et de mon quartier disent que j'ai vraiment du talent et que je chante bien. Et généralement, lors de ces mariages et de ces baptêmes, je rends tous les Tziganes heureux.

Q. Pourriez-vous nous donner d'autres exemples montrant que vous parlez la langue tzigane? Vous pourriez dire le mot tzigane, puis le mot roumain, et le traducteur pourrait nous le traduire en anglais.

R. Oui. Est-ce que je donne d'autres exemples?

Q. Oui.

R. « Socarez » (phonétique) : « Comment allez-vous? » . « Beshau » (phonétique) : « Je m'assois » .

INTERPRÈTE : Je m'excuse, je ne comprends pas.

DEMANDEUR D'ASILE : Je veux aller au marché. Par exemple, lorsque Noël arrive en Roumanie, nous tuons un gros cochon, un porc. Et je peux dire --

INTERPRÈTE : Excusez-moi, je n'ai pas compris ce qu'il a dit.

DEMANDEUR D'ASILE : Et je dois aller voir mon père et lui dire « Papa, aujourd'hui est un grand jour, et nous devons sacrifier le cochon » . Je peux parler avec un Tzigane sans aucun problème. Je peux parler de n'importe quoi. Je peux dire tous les mots que vous voulez que je dise.

PAR Mme KLASSEN :

Q. Comment dites-vous « eau » ?

R. « Pai » . Il nomme les couleurs. « Lolo » , c'est rouge. « Parno » (phonétique), c'est blanc. « Calo » (phonétique), c'est noir. « Bali » (phonétique), c'est une vierge. Je peux vous dire tout ce que vous voulez que je dise en langue tzigane.

« Yak » , par exemple, c'est -- « Yak » , c'est les yeux. Et « moi » (phonétique), c'est bouche. « Pendro » (phonétique), c'est jambe. « Putoi » (phonétique), c'est le coeur. « Churo » (phonétique), c'est la tête.

Q. C'est bien. Merci.

R. Je peux vous dire autant de mots que vous voulez. Je peux parler avec quelqu'un. Je peux avoir une (inaudible) conversation sans aucun problème.

Q. Ce n'est pas nécessaire pour le moment.

Mme KLASSEN : Je pense que c'est -- J'en ai terminé avec mes questions.

[36]            La Commission disposait d'éléments de preuve documentaire indiquant que si une personne parle le tzigane, la probabilité qu'elle soit d'origine rome dépasse 99 %. En l'espèce, la Commission n'a aucunement fait état de la capacité du demandeur de parler le tzigane, laquelle ressort clairement de la transcription susmentionnée.

[37]            J'estime que la décision de la Commission était manifestement déraisonnable parce que celle-ci n'a pas pris en compte les témoignages du demandeur concernant son propre clan et sa capacité de s'exprimer en tzigane, qui attestent tous deux de l'origine ethnique rome de celui-ci. La Commission a plutôt conclu que le témoignage du demandeur au sujet des clans Rudari et Corbeni contredisait la preuve documentaire. Or, la preuve documentaire traitait des modes de vie traditionnels de ces clans, alors que le demandeur parlait de leurs modes de vie actuels. Compte tenu du fait que plusieurs clans ont dû modifier leur mode de vie, je ne perçois pas nécessairement de contradiction. La Commission aurait donc dû tenir compte des témoignages du demandeur concernant son propre clan et sa capacité de s'exprimer en tzigane pour prendre une décision quant à son origine ethnique rome.

[38]            Étant donné ma conclusion quant à la question 2, je n'ai pas à me prononcer sur les autres questions.

[39]            La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie, et l'affaire est renvoyée à la Commission pour y être examinée de nouveau par un tribunal différemment constitué.

[40]            Aucune des parties n'a souhaité proposer que soit certifiée une question grave de portée générale.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée à la Commission pour y être examinée de nouveau par un tribunal différemment constitué.

« John A. O'Keefe »

JUGE

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-2377-05

INTITULÉ :                                        DANIEL NISTOR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                  CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 18 OCTOBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                       LE 28 OCTOBRE 2005

COMPARUTIONS :

D. Jean Munn

POUR LE DEMANDEUR

Rick Garvin

                                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Caron & Associés, s.r.l.

Calgary (Alberta)          

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

                                                            POUR LE DÉFENDEUR

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.